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PL 11404-A
Rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi d'application du code pénal suisse et d'autres lois fédérales en matière pénale (LaCP) (E 4 10)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VIII des 17, 18, 24 septembre et 2 octobre 2015.
Rapport de majorité de Mme Nathalie Fontanet (PLR)
Rapport de première minorité de M. Christian Zaugg (EAG)
Rapport de deuxième minorité de M. Cyril Mizrahi (S)

Premier débat

Le président. Nous abordons le PL 11404-A, qui est classé en catégorie II - soixante minutes. Madame Fontanet, vous avez la parole.

Mme Nathalie Fontanet (PLR), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Chers collègues, le PL 11404 dans sa version déposée par le Conseil d'Etat le 19 mars 2014 n'était pas adéquat. Il libérait complètement du secret médical les professionnels de la santé. Il remettait en cause l'essence même de ce secret médical et la qualité des soins dispensés au détenu, respectivement ses chances de ne plus présenter un danger pour la société au moment de sa sortie. Cette version du projet de loi a été sanctionnée par des préavis négatifs des commissions de la santé et des visiteurs.

Le Conseil d'Etat a présenté une nouvelle version du projet de loi au début de l'année 2015. Cette version a fait l'objet d'un amendement général du Conseil d'Etat, puis de différents amendements des commissaires, et a finalement été acceptée par la majorité de la commission. Que prévoit ce projet de loi ? L'alinéa 1 rappelle le principe de coopération entre tous les intervenants thérapeutiques et le département, ainsi que les directions d'établissement, qui se tiennent informés de tous les éléments nécessaires à l'accomplissement de leurs missions. Cet alinéa concerne uniquement des informations non soumises au secret médical. Il ne constitue donc pas une brèche dans le secret médical.

L'alinéa 2 rappelle la notion de l'état de nécessité traité par l'article 17 du code pénal, qui vise à permettre à une personne de dévoiler un secret sans que cela ne soit considéré comme une violation de la loi. Les conditions de la norme pénale et du projet de loi autorisant la révélation sont identiques: il faut que le danger soit imminent et impossible à détourner autrement d'une part, et que les intérêts sauvegardés par une telle information l'emportent sur l'intérêt au maintien du secret professionnel d'autre part. Dans le projet de loi, l'intervenant thérapeutique est toutefois tenu de révéler le secret. Il ne s'agit plus d'une possibilité laissée à sa seule appréciation. Les conditions de cet alinéa sont claires, précises et ne laissent pas de doute quant à son interprétation. Il n'y a, là non plus, pas d'atteinte au secret médical.

L'alinéa 3 traite de l'évaluation de la dangerosité. Il permet à l'intervenant thérapeutique de communiquer aux autorités compétentes tout fait pertinent de nature à influencer la peine ou la mesure en cours, permettant d'évaluer le caractère dangereux d'une personne condamnée à une peine ou à une mesure. En cas de requête spécifique et motivée des autorités, l'intervenant est tenu de communiquer. Il ne doit donc communiquer que sur requête spécifique et motivée. Il ne lui appartient pas de juger lui-même de la dangerosité ou non du détenu, ce qui est évidemment le rôle de l'expert, mais uniquement, cas échéant, de répondre à la requête spécifique et motivée. Cet aspect a été clairement identifié par le docteur Wolff et par le professeur Gravier comme permettant de clarifier la confusion que présentait la première version du projet de loi entre le rôle du thérapeute et celui de l'expert.

Cet alinéa, et en particulier l'obligation faite aux médecins de communiquer, est directement lié à l'alinéa 4 et ne s'applique que conformément à cet alinéa 4, lequel rappelle le principe même du secret médical, à savoir que lorsqu'une information est couverte par le secret professionnel, et sous réserve de l'état de nécessité, le patient doit être consulté et doit préalablement donner son accord à sa transmission. En pratique, lorsque le médecin recevra une requête spécifique et motivée des autorités, il devra interpeller son patient et lui demander de le délier du secret médical. Si celui-ci accepte, il pourra alors communiquer. En revanche, en cas de refus du patient de donner son accord, cet alinéa prévoit - et c'est là l'une des nouveautés du projet de loi - l'obligation pour l'intervenant thérapeutique, et non plus la seule possibilité, de saisir la commission du secret professionnel, qui se déterminera sur la demande de levée. Il est important de rappeler que la commission du secret professionnel applique strictement le principe de proportionnalité et, dans de nombreux cas, la levée n'est pas accordée ou accordée partiellement seulement.

Au niveau suisse, l'ensemble des cantons membres du concordat latin ont également adopté des dispositions légales de ce type. Si notre Conseil devait refuser ce projet de loi, nous serions le seul canton à ne pas avoir légiféré en la matière.

Alors qui s'oppose à ce projet de loi ? Les avocats, qui craignent pour leur secret professionnel et d'être les prochains à être soumis à une telle norme. Pourtant, il existe une différence notable entre l'avocat et le médecin, c'est que l'on ne voit jamais le premier servir de témoin de moralité ou se déterminer médicalement sur des demandes d'élargissement, de sortie ou de réduction de peine. Leur objection est donc uniquement idéologique. L'Association des médecins du canton de Genève s'oppose également à ce projet. Elle estime que la saisine obligatoire de la commission du secret professionnel équivaut à une levée du secret médical. Elle oublie cependant de se pencher sur le rôle ambigu du médecin pénitentiaire, qui à la fois se défend d'être un expert, mais accepte de se prononcer sur des élargissements. Elle ne tient pas compte non plus du fait que, dans le milieu carcéral, les médecins concernés ont confirmé leur accord avec ce projet de loi. Le ministère public et la commission de gestion du pouvoir judiciaire ont exprimé des réserves quant à la réelle utilité de légiférer. Ils ont néanmoins proposé différentes améliorations au projet de loi qui ont été reprises. Ils ont également reconnu que le mécanisme obligeant l'intervenant thérapeutique à saisir la commission du secret professionnel ne présentait pas de problème et constituait une avancée souhaitable. Enfin, sont clairement favorables à ce projet de loi les autorités pénitentiaires, ainsi que les médecins en charge des services pénitentiaires.

En conclusion, chers collègues, si ce projet de loi ne permettra pas d'atteindre le risque zéro, il permettra en tous les cas de limiter les risques dans le domaine de la détention, de l'élargissement et de la réduction des peines des détenus dangereux. La majorité de la commission vous invite donc à l'accueillir favorablement.

M. Christian Zaugg (EAG), rapporteur de première minorité. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je tiens tout d'abord à remercier Mme le rapporteur de majorité pour la qualité de son rapport et son épaisseur.

Mme Nathalie Fontanet. La mienne ou celle du rapport ?

M. Christian Zaugg. Celle du rapport !

Mme Nathalie Fontanet. Merci ! (Rire de M. Christian Zaugg.)

M. Christian Zaugg. Beaucoup de bruit pour rien ou encore, comme le disait lors de sa première audition le procureur général, «un projet de loi qui enfonce des portes ouvertes». Et tout cela dans quel but ? Probablement pour montrer qu'après le drame de La Pâquerette, il convenait de faire quelque chose. Faire quelque chose, certes, mais quoi ? Et vlan... Le Conseil d'Etat est tombé dans le piège de la facilité, car il n'y avait strictement aucun rapport entre le meurtre d'Adeline et le secret médical, et l'on est bien en peine de trouver des cas où le secret médical aurait pu dans le passé causer des incidents dans des établissements pénitentiaires. Un non-problème, en somme.

Un non-problème encore pour la raison que le code pénal suisse énonce ceci dans son article 17: «Quiconque commet un acte punissable pour préserver d'un danger imminent et impossible à détourner autrement un bien juridique lui appartenant ou appartenant à un tiers agit de manière licite s'il sauvegarde ainsi des intérêts prépondérants.» Cet article tempère et propose un avenant à l'article 321 du même code pénal, qui indique explicitement que les «[...] médecins, dentistes, chiropraticiens, pharmaciens, sages-femmes, psychologues, ainsi que leurs auxiliaires, qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l'exercice de celle-ci, seront, sur plainte, punis d'une peine privative de liberté [...] ou d'une peine pécuniaire». Vous l'avez donc compris, l'article 17 introduit ce que l'on pourrait définir comme l'état de nécessité, et par conséquent la possibilité, devant un danger imminent, de déroger à l'article 321. Il est piquant de constater que le Conseil d'Etat, auditionné à la commission judiciaire et de la police, n'a cessé de faire un lien entre ce prétendu secret médical et le meurtre d'Adeline alors même qu'il n'y en a, comme je le disais précédemment, aucun. Les tribulations d'un criminel qui affichait son parcours de la Suisse à la Pologne à La Pâquerette, vous me l'accorderez, ne relèvent en rien du secret médical mais plutôt de l'observation simple et de l'esprit de déduction.

Les nombreuses associations qui ont été auditionnées par la commission judiciaire dans le cadre du projet de loi et de ses implications improbables ont presque toutes, hormis quelques rares exceptions, dit qu'il ne servait à rien si ce n'est à compromettre gravement le processus thérapeutique. Elles ont toutes insisté sur le fait que le code pénal permettait d'ores et déjà, en se fondant sur l'état de nécessité, de déroger dans certains cas au maintien d'un secret médical stricto sensu. Je pense notamment à l'Ordre des avocats, à l'Association des juristes progressistes, à l'Association des médecins de Genève, à la Fédération des médecins suisses, mais également à des personnalités comme Mme Samia Hurst, professeure bioéthicienne à l'Université de Genève, Mme Bérénice Elger, professeure à l'Université de Genève, et Mme Manon Jendly, maître d'enseignement et de recherche à l'Ecole des sciences criminelles.

Je citais également au début de mon intervention le procureur général, qui était lors de sa première audition accompagné de M. Stéphane Esposito, président du TAPEM: ils ont, dans un premier temps en tout cas, manifesté quelques réticences vis-à-vis du projet de loi qui avait été soumis devant le Grand Conseil. Il en va de même d'ailleurs du docteur Hans Wolff, chargé du service de médecine et de psychiatrie pénitentiaires, qui a fait une déclaration dans le même sens devant la commission concordataire. J'ajoute que le professeur Bruno Gravier - alter ego du docteur Wolff dans le canton de Vaud - certes plus favorable à une modification, a tout de même fait part de quelques réticences devant le projet de loi présenté à Genève.

Alors il est évident que devant une telle levée de boucliers le Conseil d'Etat ne pouvait que réagir, et c'est la raison pour laquelle il est revenu devant la commission avec un premier amendement puis un second qui, même s'il collait un peu plus au code pénal, ne faisait en le durcissant un peu qu'enfoncer encore des portes ouvertes. Mais aujourd'hui nous nous trouvons largement au-delà de ce tripatouillage, puisque le projet présenté par la majorité a durci la mouture du Conseil d'Etat, et l'on peut même à juste titre se demander s'il est recevable au regard du code pénal suisse, un droit supérieur que notre Grand Conseil ne peut que respecter.

Mais revenons au fond des choses. Je rappelle que, dans la situation actuelle, un médecin ou un psychologue qui aurait appris qu'un détenu présentait des risques de passage à l'acte peut d'ores et déjà demander la levée du secret professionnel auprès de la commission du secret professionnel et, en cas d'extrême urgence, ladite commission peut même statuer à titre provisionnel, c'est-à-dire délier le praticien de son obligation de garder le silence.

Le président. Vous parlez désormais sur le temps de votre groupe.

M. Christian Zaugg. Oui, je parle sur le temps du groupe ! Il convient par ailleurs de relever qu'un détenu qui suivrait une thérapie pourrait, si la nouvelle loi devait être adoptée, se montrer récalcitrant quant à exposer ses fantasmes à un médecin, un psychologue ou tout autre professionnel de la santé devant le risque de retarder le processus de libération anticipée.

Il est également totalement irréaliste de demander à des médecins de conjuguer les rôles de thérapeute et d'expert, qui doivent impérativement rester distincts. Je rappelle à cet égard que la relation avec des patients, même détenus, implique de l'écoute et de l'empathie alors qu'un psychiatre, expert gestionnaire des risques, doit lui prendre en compte l'ensemble des faits avant de remettre son préavis aux autorités concernées - soit la commission d'évaluation de la dangerosité, voire le TAPEM.

J'ajoute que le projet de loi est de nature à créer une sorte d'obligation au sein d'un établissement de dénoncer, à tort ou à raison, toutes les envies ou fantaisies passant dans la tête des détenus - avec au sommet de la liste l'envie bien naturelle de s'évader, un fantasme généralement largement partagé par l'ensemble des prisonniers - et que l'on désignerait par là à la vindicte de l'administration celui ou celle qui ne lui en aurait pas fait part. Qui osera dans ces conditions exercer sa profession au sein d'un établissement pénitentiaire qui vous demanderait de trahir régulièrement le serment d'Hippocrate ? Mettons-nous d'accord: il est bien question ici du secret médical systémique applicable pour l'ensemble des établissements pénitentiaires et non de règles particulières qui pourraient être proposées pour Curabilis, à l'instar de St-Jean dans le canton de Berne.

En définitive, ce projet de loi amendé met la charrue avant les boeufs. Il repose sur des prérequis qui ne sont pas encore en oeuvre en Suisse romande. Il établit une corrélation de fait entre la santé mentale et le passage à l'acte grave. Il s'inscrit d'ailleurs dans une politique qui remet en cause la thérapie comme un outil visant à permettre aux détenus de se réinsérer dans la société civile, une politique qui a décidé de surseoir à l'ouverture de l'unité de sociothérapie de Curabilis et qui a également décidé de supprimer brutalement La Pâquerette des Champs à Plainpalais. Une politique qui a été récemment, en raison du droit supérieur, sévèrement sanctionnée, dans le cadre d'un recours d'un détenu genevois défendu par maître Assaël, par le Tribunal fédéral. Cette politique du pire, encore aggravée par l'amendement alarmiste, suiviste et troupier du PLR, n'a qu'un but: laisser penser la population que nos autorités ont bien pris le problème en main alors qu'il ne s'agit que d'un leurre. Un leurre qui pourrait être invalidé par le Tribunal fédéral. C'est la raison pour laquelle je vous invite, chers collègues, à refuser tout net le projet de loi 11404 amendé qui, après avoir voulu ouvrir une porte ouverte, veut la défoncer ! (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Monsieur le rapporteur. J'attire juste votre attention sur le fait que le temps de parole est de soixante minutes pour les trois débats et qu'il reste à votre groupe deux minutes cinquante. Je passe la parole à M. le rapporteur de deuxième minorité.

M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, j'aimerais tout d'abord remercier mon collègue rapporteur de première minorité pour son rapport oral très complet. Je vais essayer de ne pas répéter ce qui a déjà été dit, mais si vous le permettez, j'ajouterai toutefois quelques éléments complémentaires. Comme je l'ai indiqué dans mon rapport, lorsqu'on doit remettre l'ouvrage cinq fois sur le métier - parce que j'ai compté et qu'il y a eu en tout cinq versions de ce projet de loi, y compris une version qu'on n'a jamais vue, que le Conseil d'Etat n'a même pas osé nous présenter - eh bien il s'agit véritablement d'acharnement thérapeutique.

J'aimerais tout de même rappeler, parce que je crois qu'il est important de le faire, que le Conseil d'Etat a commencé par proposer de supprimer purement et simplement le secret médical en milieu carcéral, ce qui a évidemment, à juste titre, suscité une levée de boucliers. Tout cela était très urgent, même si en réalité il a ensuite été admis à demi-mot qu'il n'y avait aucun rapport entre l'affaire tragique de La Pâquerette et le secret médical. A de nombreuses reprises, le Conseil d'Etat a essayé de corriger le tir, réservant bien souvent ses informations à la presse plutôt qu'aux commissaires, qui devaient prendre connaissance des amendements spécifiques au pied levé en cours de séance. Chaque fois, les nouvelles propositions du Conseil d'Etat ont suscité l'unanimité contre elles, à l'exception bien sûr des milieux qui sont subordonnés au Conseil d'Etat, et le contraire aurait été tout à fait étonnant. Le pouvoir judiciaire, représenté par le président de la commission de gestion et procureur général, les représentants du barreau, les représentants des médecins, qui nous ont encore interpellés très récemment, avec une position extrêmement claire, tous ces milieux, Mesdames et Messieurs, chers collègues, ne sont certainement pas des milieux de gauchistes ! Ce sont des gens raisonnables... (Exclamations.) ...qui sont attachés, comme nous le sommes, au secret médical.

Mais même dans cette version édulcorée pour rallier à tout le moins les commissaires PLR - car je sais que le PLR n'est pas unanime sur ce point - ce projet de loi est inutile et dangereux. Il est inutile bien entendu parce que le cadre légal existe déjà et qu'il a donné satisfaction - il n'y a donc pas véritablement de problème - et dangereux car on affaiblit le secret médical. Quand la rapporteuse de majorité nous dit que l'alinéa 2 de ce projet de loi comporte des termes clairs, je ne partage pas ce point de vue. On a introduit une nouvelle notion juridique assez indéterminée, qui n'existe pas à l'article 17 du code pénal, à savoir le fait de nature à faire craindre. Et en même temps, on remplace une possibilité par une obligation pour le corps médical. La volonté est claire: il s'agit d'utiliser dans cette affaire le corps médical comme fusible. Mais en affaiblissant le secret médical, on affaiblit le lien de confiance entre le patient ou la patiente et le soignant ou la soignante. Or qu'est-ce que cela implique ? Eh bien que les gens sont moins bien soignés, ce qui n'est pas uniquement un problème de droits humains, de droits fondamentaux: c'est également un problème de sécurité. En effet, si les gens sont moins bien soignés, à leur sortie cela fait courir un risque supplémentaire pour la sécurité publique. C'est également, n'en déplaise à la rapporteuse de majorité, un coup de canif au secret professionnel, et la vision qui est celle de mes confrères et consoeurs avocats n'est ni corporatiste ni idéologique: c'est simplement la conscience que le secret professionnel remplit une fonction institutionnelle dans un Etat de droit, et l'affaiblir c'est affaiblir les professions correspondantes, qui ont un rôle à jouer dans notre Etat de droit.

Pour toutes ces raisons ainsi que celles qui ont été évoquées par le rapporteur de première minorité, je vous remercie, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, de refuser ce projet de loi. (Quelques applaudissements.)

M. Bernhard Riedweg (UDC). Durant ses travaux, la commission judiciaire et de la police s'est forgé sa propre opinion sur ce projet de loi qui a été amendé plusieurs fois par le Conseil d'Etat. Ce sont aussi les très nombreuses auditions et les prises de position des commissions de la santé et des visiteurs qui ont permis aux membres de la commission judiciaire et de la police de faire ressortir leur sensibilité à la problématique de la libération du secret médical en milieu carcéral.

Lorsqu'on touche au secret médical, le risque subsiste de mettre à mal la relation de confiance entre le thérapeute et le détenu. L'amendement maintient le secret médical en milieu carcéral et permet de clarifier le rôle de l'expert mandaté et le rôle du thérapeute, qui ne procède à aucune expertise. L'expert peut tout révéler concernant un détenu de par son mandat, alors que le médecin est plus réticent. Le thérapeute doit, le cas échéant, répondre à des questions, notamment à celles de la commission d'évaluation de la dangerosité, qui procédera elle-même à une analyse approfondie et systématique. Grâce à l'amendement, le médecin n'est pas confondu avec l'expert et le thérapeute ne portera pas de responsabilité puisqu'il se tournera vers la commission. Ainsi, la tâche du médecin sera allégée, car au lieu de rester silencieux en cas de doute par crainte des retombées, il ne cherchera plus à se protéger et agira.

Le détenu en faveur duquel le secret médical est conservé doit pouvoir être informé des motifs pour lesquels on souhaite lever son secret; si la personne n'est pas d'accord, une autorité extérieure - soit la commission du secret professionnel - pourra mettre en balance, d'une manière neutre, les intérêts légitimes de la sécurité de la société et ceux du détenu. Le détenu comprend très bien la nécessité d'une levée du secret médical bénéficiant au médecin expert qui doit statuer sur la libération ou non. Il est à relever que 99% des patients acceptent la levée du secret médical vis-à-vis de leur médecin traitant. L'assouplissement du secret médical vise aussi tous les détenus et pas seulement les plus dangereux.

Ce projet de loi tel qu'amendé est une solution de compromis, dans le sens où aucune des institutions concernées - et elles sont nombreuses - n'aurait rédigé le texte qui nous est proposé, mais où toutes les parties en présence peuvent s'y rallier, en particulier la médecine institutionnelle. L'Union démocratique du centre vous demande donc d'accepter le projet de loi 11404 tel qu'amendé par la commission.

M. Raymond Wicky (PLR). Monsieur le président, en ce début de débat permettez-moi en premier lieu de remercier Mme le rapporteur de majorité pour les propos qu'elle a tenus tout à l'heure et auxquels je peux adhérer. Permettez-moi également de vous faire simplement partager une expérience. Je ne suis pas avocat, je ne suis pas médecin, je ne suis pas non plus policier, et encore moins gardien de prison, mais j'ai néanmoins collaboré pendant trente ans avec toutes ces professions, qui par définition sont soumises soit à un secret professionnel, soit à un secret de fonction très élevé. Or malheureusement, lorsqu'on travaille dans un certain nombre de cas dans des situations d'urgence, ce secret professionnel ou de fonction est quand même régulièrement mis à mal, parce qu'il y a certaines actions qu'on ne peut pas conduire si l'on n'échange pas dans le contexte professionnel de manière à être certain de pouvoir apporter la bonne mesure à la démarche qui est en cours. J'estime donc personnellement que l'on n'a pas, dans le cadre de ce projet de loi amendé, donné un coup de canif direct dans le secret médical, ce qui était, comme cela a déjà été relevé par les rapporteurs de minorité, absolument intolérable. Au vu de ces considérations, ce texte me paraît donc parfaitement acceptable, et je vous engage à soutenir la majorité et à voter ce projet de loi ainsi amendé. (Applaudissements.)

M. Murat Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, la levée de boucliers qu'a suscitée la première version du projet de loi était parfaitement justifiée, dans la mesure où le projet avait pour effet de réduire à néant le secret médical en milieu carcéral. Cela étant dit, le projet de loi que nous traitons aujourd'hui est totalement différent, et j'ai l'impression que les opposants, ou du moins certains opposants à ce texte, s'acharnent à ne pas voir ou à ne pas vouloir voir la différence avec le projet initial. En l'occurrence, ce qui est proposé ici, c'est un cas d'application particulier de l'article 17 du code pénal suisse. Lisez le texte ! Il faut qu'il y ait un fait qui soit de nature à faire craindre pour la sécurité de la personne détenue, de l'établissement, du personnel, des intervenants, des codétenus ou de la collectivité. On ne parle donc pas de n'importe quel fait, mais bien d'un fait qualifié.

Je peux comprendre que les médecins, par réflexe corporatiste, soient opposés à ce projet de loi. C'est parfaitement légitime. Je peux également comprendre que les avocats ou certains avocats soient inquiets s'agissant de leur secret professionnel. Cela étant, j'aimerais dire deux choses à ce propos. Premièrement, il s'agit bien d'un projet de loi qui touche au secret médical, respectivement au devoir d'informer des médecins. Deuxièmement, à aucun moment de sa carrière un avocat n'est invité à se déterminer sur la dangerosité ou non de son client. Je vous invite donc à faire bon accueil à ce projet de loi. (Applaudissements.)

M. Vincent Maitre (PDC). J'entendais tout à l'heure le conseiller d'Etat chargé de la santé nous dire qu'un projet de loi devait, pour être valable, pouvoir s'appliquer, et il avait parfaitement raison. Il devait pouvoir s'appliquer, mais il devait aussi et surtout pouvoir être conforme au droit supérieur. On l'entend aujourd'hui ou plutôt dans la foulée traiter d'un projet de loi qui précisément pose des problèmes, des problèmes de légitimité, des problèmes de conformité au droit supérieur et, quoi qu'il en soit, des problèmes de redondance par rapport à ce que prévoit précisément déjà le droit supérieur.

Il faut surtout rappeler dans quel contexte intervient ce projet de loi. Le rôle d'un parlement, comme de tout acteur législatif, est évidemment une démarche qui doit être éminemment positive et constructive; en aucun cas, parce que c'est souvent un gage de mauvaise qualité, un acte parlementaire, un projet de loi ne doit venir en réponse ou en réaction à un événement, aussi tragique soit-il. Or précisément en l'espèce ce projet de loi intervient suite à l'épouvantable affaire Adeline, dont on sait maintenant de façon avérée qu'elle n'a rigoureusement aucun lien avec le secret médical. C'est donc de fait et par essence une mauvaise réaction à un drame éminemment émotionnel.

Ce projet de loi est ainsi parfaitement inutile, parce que le code pénal règle déjà tout à fait précisément - et la jurisprudence qui suit ces articles est abondante en la matière - ce qu'on appelle «l'état de nécessité»; il va de soi qu'un médecin, qu'un intervenant médical peut se libérer totalement de son secret médical spontanément lorsque l'état de nécessité l'impose, c'est-à-dire lorsqu'un danger est imminent ou à prévoir. Ainsi, si un patient en milieu carcéral, pour prendre un cas concret, confie à son thérapeute qu'il entend exécuter à peu près tous ceux qui l'entourent dans la demi-heure qui suit, il va de soi que le médecin n'est plus tenu dans ce cas-là par son secret médical et qu'il a pleine liberté d'en référer aux autorités compétentes pour agir dans l'urgence.

Il est inutile également en pratique, parce que je vous rappelle que lorsque le service d'application des peines et mesures, qui est l'autorité administrative, ou le tribunal d'application des peines et mesures, qui est l'autorité judiciaire, ordonnent une expertise en matière d'exécution d'une peine ou d'une mesure, l'expert invite tout le temps l'expertisé à relever ses médecins, ses thérapeutes, de leur secret. La quasi-totalité des expertisés y consentent, et lorsque tel n'est pas le cas, le médecin a la faculté de s'adresser à la commission du secret professionnel. S'il ne le fait pas, l'expert en fait état dans son rapport et l'autorité tire toutes les conséquences utiles du fait que l'expert n'a pas eu accès, en raison du refus de l'expertisé, à son dossier médical. Cela, c'est l'expérience pratique, et ce n'est pas moi qui le dis, c'est le pouvoir judiciaire lui-même, c'est-à-dire l'autorité la première concernée, et l'autorité qui pourrait être a priori la plus favorable à une levée du secret médical, puisque c'est elle qui y est confrontée la plupart du temps.

Moi je m'étonne de la position de nos collègues PLR; en effet, un certain nombre d'entre eux sont avocats ou médecins, et ils sont finalement en train - parce que, au-delà des conséquences pratiques, il y a de vraies questions philosophiques à se poser sur ce projet de loi - on est finalement en train de tailler et de remettre en cause le principe fondamental, l'essence même de ces deux professions-là en particulier - soit celle de médecin et celle d'avocat - car c'est l'essence même de ces professions que d'être liées par une relation de confiance. Attaquez le secret médical, et vous attaquez directement la relation, cette fameuse relation de confiance entre un patient et son médecin. En milieu carcéral, le patient qui n'a plus et qui ne peut pas avoir confiance en son médecin, parce qu'il sait qu'aucun secret médical ne lui sera opposable, c'est un patient qui ne se confie plus, c'est un patient qui, dans le cadre encore une fois très particulier du milieu carcéral, s'il est sujet à des troubles psychologiques, n'avouera pas ses fantasmes délictueux, et le résultat c'est qu'il s'agit donc en définitive d'un projet de loi qui renforce la dangerosité de personnes dont on n'aura pas pu - ou encore moins facilement - déceler les problèmes et les troubles psychologiques.

Alors je vous engage évidemment, ne serait-ce que par considération pour ce principe fondamental qu'est la relation de confiance au sein de ces professions-là, à refuser ce projet de loi, qui est, je l'ai dit, en plus d'être inutile, encore plus dangereux que la situation actuelle. Et c'est un danger tout relatif ! Cela a été relevé, le risque zéro n'existait pas, et il y a eu un ou deux cas dramatiques, mais qui ne sont même pas liés à des problèmes de secret médical. C'est la raison pour laquelle ce projet de loi doit être refusé avec force et conviction. (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Pierre Vanek pour deux minutes cinquante.

M. Pierre Vanek (EAG). Ce sera moins long, Monsieur le président ! Tout a été dit, y compris d'ailleurs dans le rapport de majorité, qui a listé, pour tenter de les réfuter, toutes les oppositions qu'a suscitées ce projet de loi: oppositions de médecins, oppositions d'avocats, oppositions de milieux professionnels, oppositions d'éthiciens... Evidemment, ce projet de loi ne va pas. Nous avons nié tout à l'heure le droit des patients à être représentés au conseil d'administration de l'hôpital, et ici ce sont les droits individuels des patients, les droits des personnes, fussent-elles détenues, à une relation privilégiée et au secret médical dans leurs relations thérapeutiques avec leurs médecins qui sont mis en cause. Alors on nous dit que cela n'a rien à voir avec le projet de loi initial, que tout cela a été affaibli, affadi, réduit, et que le projet n'est plus dangereux. Mais bien sûr qu'il reste dangereux ! Bien sûr ! C'est quand même un premier coup de canif dans ce secret médical, ce qui est parfaitement inadmissible. Je ne citerai qu'un élément du rapport de majorité: M. Olivier Jornot, procureur général, entendu par la commission, a indiqué que si les députés votaient ce projet de loi - certes, il parlait du projet de loi initial, mais sa conclusion est valable pour n'importe quel acte législatif en la matière, puisque ce qu'il dit, c'est que le droit supérieur actuel répond à la situation - ils devraient le faire pour des raisons politiques qui leur sont propres, et non dans le but d'aider la justice. C'est ce qu'a indiqué Olivier Jornot, qui est peu suspect d'être tendre avec les détenus et les délinquants. Alors si Olivier Jornot le dit, si toutes les professions qui ont été citées le disent, eh bien ce projet de loi n'a aucun sens, c'est une gesticulation politicienne tentant de répondre mal et de manière maladroite, à chaud, à un problème qui a été posé notamment par l'affaire Adeline. La réponse n'est pas là, et je vous engage vivement à rejeter ce projet de loi en suivant les conclusions des deux rapporteurs de minorité. (Applaudissements.)

Mme Irène Buche (S). Mesdames et Messieurs les députés, pour les socialistes, ce projet de loi ne sert à rien, si ce n'est à donner bonne conscience aux autorités exécutives et législatives et à leur permettre de montrer à la population qu'elles font quelque chose en réponse à un événement tragique. Je ne vais pas répéter tout ce qui a déjà été dit par les rapporteurs de minorité ainsi que par mes préopinants qui se sont opposés à ce projet de loi, mais j'aimerais quand même rappeler que l'article 17 du code pénal est parfaitement clair et suffisant et qu'il n'y a pas de raison de légiférer au niveau cantonal simplement pour dire que cet article doit s'appliquer. Il y a également le problème des notions juridiques indéterminées, notamment l'expression «de nature à faire craindre»: on ne sait pas très bien ce que ça signifie, ça peut être tout et rien.

Ce projet de loi est dangereux, même dans sa dernière version. A l'alinéa 3, on opère une confusion des rôles entre expert et médecin traitant, ce qui est très dangereux: comment un détenu pourra-t-il encore faire confiance à son médecin traitant s'il sait que celui-ci va devoir donner des informations ? Il ne dira tout simplement plus rien. Je pense en particulier à la fin de cet alinéa, où il est mentionné ceci: «Ils doivent le faire sur requête spécifique et motivée desdites autorités.» Cela veut tout simplement dire que le médecin n'aura pas le choix, et c'est problématique; il peut toujours saisir la commission de levée du secret professionnel s'il estime qu'il doit absolument dire quelque chose. Pour toutes ces raisons, les socialistes refuseront l'entrée en matière sur ce projet de loi et voteront contre au troisième débat, et je vous invite à faire de même. (Quelques applaudissements.)

M. Jean-Michel Bugnion (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je partirai des propos de M. Hans Wolff, du service de médecine pénitentiaire des HUG. Alors qu'il était un farouche adversaire des précédentes versions de ce projet de loi, il déclare lors de son audition qu'il peut accepter celle-ci car elle consacre une pratique existante et lui paraît répondre à un désir de l'autorité politique d'agir de même qu'à une attente de la population dans ce sens.

Récapitulons ce que nous avons entendu jusqu'ici: premièrement, ce projet de loi est inutile sur le plan judiciaire, le procureur général déclare que ce n'est pas une aide pour la justice, le TAPEM n'a pas besoin d'un tel texte. Deuxièmement, ce projet de loi transforme la relation entre le médecin traitant et le détenu. En effet, devant l'obligation imposée au médecin de rapporter, il est fort probable, comme l'ont relevé les représentants de l'Ordre des avocats, que les détenus voient désormais en la personne de leur thérapeute davantage un agent de l'Etat chargé de dénoncer leurs fantasmes et autres pulsions plutôt qu'un médecin habilité à les soigner. Troisièmement, et contrairement à ce que dit la rapporteure de majorité, ce projet de loi ne lève pas toute la confusion entre les deux rôles que sont celui du médecin traitant d'un côté et celui du médecin chargé spécialement de déterminer la dangerosité des détenus de l'autre. En lisant le compte rendu des auditions, on apprend qu'en Suisse allemande, le médecin spécialisé centré sur les délits, qui fonctionne comme un gestionnaire de risques et représente une aide à l'évaluation de la dangerosité, s'appelle un médecin «forensique». Il semblerait que ce soit là une piste intéressante à suivre pour réellement améliorer la sécurité à Genève.

Ce projet de loi est donc inutile sur le plan judiciaire, il est maléfique - non, j'exagère, il est négatif en ce qui concerne la relation thérapeutique et, en fin de compte, il ne lève pas la confusion entre deux rôles essentiels de la médecine pénitentiaire. Partant de là, pourquoi le voter ? Parce que, pour l'autorité, c'est une manière de rassurer la population, pardi ! Cependant, le signal donné reste creux. Pourquoi le voter ? Parce que, pour les partis, il ne faudrait surtout pas passer pour des Bisounours sécuritaires aux yeux de l'électorat ! Enfin, pourquoi le voter ? Pour diminuer ne serait-ce qu'un tout petit peu le sentiment d'insécurité de notre population, n'est-ce pas ? Ça vaut bien une illusion. Les Verts ne pratiquent ni une politique opportuniste, ni une politique magique; ils refuseront ce projet de loi et invitent à les suivre les députés qui préfèrent légiférer bras de chemise retroussés plutôt qu'en faisant des effets de manche. Je vous remercie.

Mme Sarah Klopmann (Ve). Comme vient de l'énoncer mon collègue de parti, cette loi est inutile car elle enjoint de faire ce qui est déjà prévu et possible en cas de danger ou de risque; mais elle est aussi et surtout dangereuse ! En effet, ce sont maintenant les autorités qui décideront, sur la base d'aucun élément, s'il faut ou non lever le secret professionnel - le secret médical, en l'occurrence - et on jette ainsi la suspicion sur l'ensemble du corps médical. On pourra demander à des thérapeutes de faire le travail qui est actuellement celui des médecins experts au lieu de soigner les patients, ce qui devrait pourtant être la priorité. Le Conseil d'Etat cherche à déplacer la faute sur le personnel médical pour faire croire qu'il agit et surtout pour continuer à se décharger de ses véritables responsabilités. Seulement, de ce fait, le patient détenu ne pourra plus cultiver une relation de confiance avec son thérapeute, ce qui non seulement lui enlève la possibilité et le droit d'être soigné mais compromet forcément la réussite de la réinsertion, qui est pourtant bénéfique à la société dans son ensemble.

Il faut cesser de faire croire aux gens qu'on consolide le droit des victimes et qu'on augmente la sécurité de la population en limitant le droit des détenus ! Les droits humains sont fondamentaux et doivent valoir pour tous, et cela dans l'intérêt commun. Evidemment, les Verts s'opposent et continueront toujours de s'opposer à la création d'une médecine à deux vitesses, laquelle considère d'un côté une société libre et de l'autre des patients de seconde catégorie que l'on priverait de l'élémentaire accès aux soins.

Le président. Je vous remercie, Madame la députée, et passe la parole à M. Pierre Gauthier pour cinquante secondes.

M. Pierre Gauthier (EAG). Je vous remercie, Monsieur le président. Chères et chers collègues, j'ai exercé pendant plusieurs années la fonction de délégué du CICR et, à ce titre, j'ai rencontré sans témoin et dans la plus grande confidentialité un certain nombre de détenus qui l'étaient soit pour des raisons de sécurité, soit parce qu'ils étaient prisonniers de guerre. Au-delà des aspects juridiques, ce sur quoi j'aimerais attirer votre attention, c'est sur la relation de confiance entre la personne entendue et la personne qui entend, une relation qui sera immanquablement rompue si ce projet de loi venait à être accepté. Or cette relation de confiance est essentielle !

Le président. Il vous faut conclure.

M. Pierre Gauthier. Si on la rompt, on arrivera exactement au contraire du but recherché.

M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, non à quoi ? De qui parlons-nous dans ce projet de loi ? Nous parlons de personnes coupables, dangereuses, condamnées à de lourdes peines - vous conviendrez que cela ne concerne pas Monsieur et Madame Tout-le-monde. On n'est pas en train de discuter en vue de diminuer voire de leur enlever des droits fondamentaux, mais bien plutôt de tenter, avec les faibles moyens que notre démocratie nous octroie, de nous prémunir contre toute récidive criminelle de la part des personnes visées par ce projet de loi, qui sont des condamnés, je le répète, et non Monsieur et Madame Tout-le-monde. Oh, je sais que ce propos n'est pas du tout prisé par certains humanistes léthargiques... (Exclamations.) On nous a énuméré des raisons, un collège de personnes toutes plus titrées les unes que les autres nous font des discours magnifiques, théoriques, pour dire qu'il faut renoncer à ceci, maintenir ce que nous avions jusqu'à maintenant. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, si vous suivez cette voie, c'est-à-dire ce que nous avons fait jusqu'à maintenant et ce que ces gens préconisent, cela amènera à des récidives ! Or il s'agit bien de se prémunir contre des récidives et non pas de donner un hypothétique premier coup de canif, comme je l'ai entendu, au côté absolu du secret médical.

Non, Mesdames et Messieurs les députés, l'analyse pragmatique des circonstances et des mesures fermes et adéquates doivent être choisies et privilégiées, et c'est ce que le Conseil d'Etat nous propose dans ce projet de loi. Je pense que notre mandat ne consiste pas seulement à voler dans le paradis utopique des bons traités et des bonnes lois - qui sont sans doute tout à fait louables - mais aussi de revenir à une certaine dureté du quotidien, à ce qui se passe dans la rue et à l'inhumanité, d'ailleurs prouvée par des psychiatres, de certains détenus, qui sont parfois qualifiés d'irrécupérables. Mesdames et Messieurs les députés, une grande majorité de l'Union démocratique du centre est en faveur de ce projet de loi; cependant, au vu de quelques cas de conscience au sein de notre groupe, nous suggérons la liberté de vote.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. La parole va à M. Philippe Morel, qui dispose de trois minutes.

M. Philippe Morel (HP). Merci, Monsieur le président. Le secret professionnel est un élément fondamental de notre activité professionnelle - c'est un médecin qui vous le dit. Il est extrêmement important dans toute relation médecin-malade et vise essentiellement, bien sûr, à protéger le malade. Le secret médical ne saurait être entaché d'exceptions, mais... Le secret professionnel protège, il est vrai, le malade, c'est évident, c'est naturel; il doit cependant s'intégrer dans la société, dans notre vie communautaire, laquelle comprend le milieu carcéral et, dans ce contexte, il doit tenir compte des victimes potentielles.

Ce secret professionnel est-il respecté aujourd'hui ? Vous êtes très effarouchés à l'idée de voir qu'on va peut-être y donner un coup de canif. Mais je vais vous dire ceci, Mesdames et Messieurs: ce n'est pas un coup de canif qui est donné journellement dans le secret professionnel, c'est une tronçonneuse qui passe au travers ! Le secret médical est-il préservé lorsque nous remplissons des dizaines et des centaines de certificats médicaux contenant des données personnelles de patients, certificats médicaux qui, le plus souvent, sont ouverts par des secrétaires et traînent sur des bureaux, classés au vent et accessibles à tout le monde ? Non, jamais, et personne ne s'en offusque réellement. Est-il respecté lorsqu'on parle aux familles, lorsqu'une situation dramatique nous amène à donner des informations sans forcément respecter le malade, ceci dans l'intérêt de la famille et pour protéger le patient, pour différentes considérations que nous jugeons utiles ? Et puis il y a aussi les expertises, où on prétend que les personnes dont on parle sont vraiment consentantes. Non, ce secret professionnel est déjà largement violé et violenté, et je voudrais bien qu'il redevienne une réalité dans les domaines que je viens de mentionner.

Certes, la loi actuelle permet au médecin de dire, lorsque la situation est totalement claire: «Ce patient m'a dit qu'il allait exécuter les trois gardiens qui s'occupent de lui.» A ce moment-là, bien sûr, il peut le dire, la loi suffit. Mais il ne s'agit pas que de ça, il s'agit de notions beaucoup plus fines, de sensations, d'évaluation, de sentiment, d'analyse, dans le cadre desquels le médecin peut humainement, justement et décemment se demander s'il doit révéler quelque chose. Quel est le degré de véracité, de réalisme de ce que je ressens ? Dans cette situation-là, la loi telle qu'amendée va clairement l'aider. En effet, si le médecin peut dénoncer aujourd'hui, il a en revanche de la peine à révéler ce qu'il ressent, et cette loi va l'y aider. En outre, n'oublions pas qu'il le révèle à une commission de levée du secret médical, il ne le révèle pas directement...

Le président. Il vous reste trente secondes.

M. Philippe Morel. ...aux autorités. Cette loi permet donc au médecin, non sans un filtre important, de révéler ce qu'il ressent et non pas des cas extrêmes.

On a beaucoup parlé du thérapeute; j'ai beaucoup de respect pour les médecins qui s'occupent de ces malades, mais je suis désolé de vous dire que la thérapie, malheureusement, échoue souvent. Alors parler de thérapeute, oui, je loue et je soutiens l'effort de mes collègues; mais malheureusement, ils sont souvent mis en situation d'échec et, dans cette situation d'échec, il n'y a plus de relation médecin-patient...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Philippe Morel. ...il y a une relation entre un thérapeute et une personne qui peut être dangereuse et avoir un problème.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, c'est terminé. Je passe la parole à M. le député François Baertschi.

M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Je suis un peu atterré d'entendre que l'on protège les criminels dangereux, que l'on passe un temps considérable à s'occuper de leur situation alors que, dans le même temps, le secret médical est quotidiennement violé. J'en veux pour preuve que tout récemment encore, les données d'un laboratoire médical se sont retrouvées sur Google - c'est un exemple parmi tant d'autres. Les gens n'y accordent aucune importance, s'en fichent complètement, et c'est regrettable, c'est le gros problème.

L'autre problème, c'est qu'il y a une confusion totale dans le cadre de cette problématique. Il ne s'agit pas d'un médecin et d'un patient, il s'agit de médecins qui protègent la société, qui s'occupent de criminels dangereux. Le groupe MCG est pour la protection de la société contre les criminels dangereux, c'est notre ligne, nous sommes contre la faiblesse et le laxisme qui se sont développés et dont l'un des symptômes a été l'affaire de La Pâquerette - mais pas uniquement. C'est un signal, mais c'est uniquement un signal, ce n'est pas quelque chose qui doit être aboli. Ce qui doit être changé, c'est notre vision de la criminalité dangereuse. Au groupe MCG, nous regrettons qu'un alinéa 4 ait été ajouté, qui oblige le thérapeute à demander l'accord du criminel dangereux pour transmettre des informations, alors que son but est de protéger la société et non pas de soigner de manière directe, comme un médecin ordinaire, le criminel dangereux. Nous regrettons qu'on ait laissé cette possibilité parce que ça revient en fait à enlever une partie du bénéfice de ce dispositif: on empêche le thérapeute d'agir, de fournir des éléments nécessaires à la protection de la société.

Ce qui nous importe particulièrement, c'est la protection de la société, voilà l'élément important. C'est pour ça qu'on enferme ces personnes, ce ne sont pas des gens qui sont venus de manière libre et arbitraire - et heureusement du reste, car si c'était le cas, si on entrait dans cette logique-là, ce serait tout notre système qu'il faudrait réformer, et je ne le souhaite pas. Non, ces gens ont été enfermés sous la contrainte, on les met là pour protéger la société, et cette notion de protection de la société échappe apparemment à beaucoup de monde alors que c'est un élément déterminant dans la tâche des médecins. Au pire, changeons de système, mais ne protégeons pas les criminels dangereux de manière excessive alors qu'on laisse Monsieur et Madame Tout-le-monde, c'est-à-dire les patients ordinaires, dans des situations inacceptables, où le secret médical est violé quotidiennement.

Une voix. Bravo !

Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Thomas Bläsi, il vous reste quarante secondes de parole.

M. Thomas Bläsi (UDC). Merci, Monsieur le président. Mes chers collègues, ce projet de loi est apparu comme un texte opportuniste suite au drame de La Pâquerette. Très rapidement, les autorités se sont affranchies en disant que le secret médical n'avait aucune influence, mais le problème persiste malgré tout, il persiste du reste dans les propos de mon préopinant, qui a expliqué que La Pâquerette était liée mais qu'elle n'était pas liée - enfin, tout ça n'était pas très clair. Le risque que je vois, à titre personnel et en tant que professionnel de la santé, concerne les thérapies et la prise en charge des patients. Pourquoi ? Parce que ces patients, qui sont des criminels dangereux, vont un jour se retrouver dans la société et, en supprimant le secret médical, on s'expose à ce que les traitements ne soient pas pris en charge, ne soient pas suivis, et il s'ensuivra une augmentation et non pas une diminution de la dangerosité de ces personnes pour la société. Je ne comprends pas cette position, alors que nos textes de lois sont très clairs, que le procureur général lui-même...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Thomas Bläsi. ...s'est exprimé là-dessus, et je pense qu'un médecin n'est pas un expert en dangerosité. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je donne la parole à M. le député Pierre Conne pour trois minutes.

M. Pierre Conne (PLR). Merci, Monsieur le président. Je crois qu'il faut être bien clair: l'un des problèmes existant en milieu carcéral aujourd'hui, c'est que les professionnels travaillent de manière cloisonnée, sans communiquer, et cette absence de coopération est nuisible d'une part au processus de réinsertion, d'autre part à la société s'agissant du danger. J'aimerais rappeler très simplement que ce projet de loi a pour but de favoriser la coopération et la communication interpersonnelles en milieu pénitentiaire, de préciser les procédures d'évaluation de la dangerosité des détenus condamnés pour promouvoir leur réinsertion et d'assurer par ce biais-là une meilleure sécurité de la société et des professionnels qui travaillent en milieu carcéral. Tout cela, Mesdames et Messieurs, en respectant le secret médical dû au patient détenu comme à n'importe quel autre patient. Souvenez-vous: qui peut délier un médecin du secret médical ? C'est très simple: le patient lui-même ou la commission du secret professionnel. Il est proposé d'appliquer exactement cette procédure dans le projet de loi dont il est question aujourd'hui.

Certains m'ont dit que cette commission du secret professionnel s'apparentait finalement à une chambre d'enregistrement; c'est faux, Mesdames et Messieurs, et je vous invite à prendre connaissance de son rapport d'activités 2013, qui comptabilise 378 demandes mais seulement 246 levées durant cette année. Déjà là, on voit que la levée du secret professionnel n'est pas automatique et qu'une sélection importante est effectuée par cette commission. Je cite à présent ledit rapport: «Toutefois, il faut relever que dans de nombreux cas, la levée a été accordée pour seulement une partie des informations détenues par les demandeurs sur le patient et pour certains cas elle est limitée quant à la fonction de la personne pouvant recevoir l'information [...] ou est accordée partiellement. La CSProf considère que cette manière de limiter l'étendue des informations pour lesquelles le secret est levé est essentielle au respect du principe de la proportionnalité.» Voilà comment fonctionne cette commission, voilà à quelle commission les patients détenus pourraient éventuellement voir leur demande de levée du secret soumise.

On a beaucoup discuté sur le fait que le médecin a aujourd'hui une marge d'appréciation initiale lorsqu'il est sollicité pour une levée du secret médical, afin de déterminer s'il va interpeller la commission ou pas.

Le président. Il vous reste trente secondes.

M. Pierre Conne. Mais cela s'applique aux patients dans des situations cliniques actuelles, souvent avec des conflits intra-familiaux et, dans ces conditions-là, le médecin doit pouvoir utiliser ce pouvoir d'appréciation. En milieu carcéral, les médecins nous ont dit qu'ils ne voulaient justement pas que leurs rôles, entre thérapeutes et experts, soient confondus...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Pierre Conne. Ce projet de loi, qui prévoit qu'ils doivent solliciter la commission du secret professionnel en cas de refus du patient, les libère justement de ce devoir et leur permet vraiment de se concentrer sur leur rôle de thérapeute. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole revient à Mme Marie-Thérèse Engelberts, qui dispose de trois minutes.

Mme Marie-Thérèse Engelberts (HP). Vous avez dit trois minutes, Monsieur le président ?

Le président. Oui, trois minutes pour vous.

Mme Marie-Thérèse Engelberts. Merci. Pour ma part, je voulais dire qu'avec ce projet de loi, on assiste à un bel exemple de posture politique. Il s'est produit un événement grave; depuis, beaucoup d'analyses ont été faites, souvent contradictoires, quelquefois allant dans le même sens, et le Conseil d'Etat pense qu'il y a finalement lieu de prendre des mesures pour montrer que l'on est actif sur un dossier comme celui-ci. Je ne suis pas sûre que ce soit par ce biais-là qu'il faille prendre le problème, il faudrait plutôt travailler sur l'organisation, la gestion du milieu pénitentiaire, les nominations et la rotation incroyable du personnel et des directions dans ce secteur. Tout ça montre bien qu'il y a des dysfonctionnements majeurs qui ne sont pas forcément liés à la dangerosité des détenus.

Il y a aussi, comme deuxième point, une concurrence des genres avec d'un côté les médecins traitants, soignants, éducateurs, qui sont tenus au secret professionnel, et de l'autre les experts. On peut toujours faire appel à des experts, mais ils ont un statut différent. Pour avoir eu plus de cinq ans d'expérience en milieu pénitentiaire, que ce soit dans des prisons de haute sécurité ou ailleurs, et avoir travaillé avec des personnes éminemment dangereuses, je peux vous assurer que le secret de fonction des soignants était toujours respecté et considéré comme un élément consolidant au sein de cette communauté. Il était même valorisé parce que représentant le dernier refuge pour un détenu, la possibilité de pouvoir parler à quelqu'un en toute confidentialité.

Pensez-vous vraiment qu'on ait le droit, Mesdames et Messieurs, à un moment donné, pour une raison quelconque, de ne pas laisser à un prisonnier le seul interlocuteur qui gardera le secret professionnel par rapport à qui il est, à ce qu'il est devenu et à ce qu'il va devenir ? En termes de respect des droits de l'Homme, c'est insupportable, nous ne sommes pas autorisés à couper cette relation-là, nous n'avons pas le droit ni la compétence de le faire. Cela doit se jouer...

Le président. Il vous reste trente secondes.

Mme Marie-Thérèse Engelberts. ...au niveau de la réflexion sur l'organisation, les structures, les modèles de fonctionnement, au niveau de la politique qui est menée, de l'engagement du Conseil d'Etat, de notre responsabilité, mais nous n'avons pas le droit de détruire le seul lien qui peut maintenir en vie - même si on n'apprécie pas ces personnes-là - un être humain qui pourrait être votre frère, votre mère ou nous-mêmes, à un moment donné de notre existence. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. le député Roger Deneys, à qui il reste quatre minutes et sept secondes.

M. Roger Deneys (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je crois qu'il faut rappeler que ce ne sont pas les lois qui protègent nos concitoyens et la société, mais bien les moyens que nous y consacrons. Une réinsertion sans assistants sociaux, sans thérapeutes et experts en nombre suffisant, sans personnel adéquat au SAPEM, au TAPEM et au sein de toutes les instances qui prennent en charge le processus de réinsertion des détenus, ne sert à rien, Mesdames et Messieurs les députés ! Vous pouvez voter toutes les lois que vous voulez, si vous n'avez pas les moyens humains pour vérifier que le travail est fait, que des erreurs ne sont pas commises, que vous avez pris les bonnes décisions avec toutes les précautions requises, c'est tout simplement inutile.

Le problème principal de ce projet de loi, dans sa version initiale comme actuelle, c'est qu'il sombre dans un procédé ma foi très franco-français, pratiqué notamment par M. Sarkozy mais que les socialistes ont malheureusement tendance à reproduire aujourd'hui, à savoir de voter des lois supplémentaires simplement pour rassurer l'opinion, alors que ce sont bien les moyens que nous accordons au moment des budgets aux politiques de réinsertion et de sécurité qui comptent pour que ça fonctionne. Vouloir rassurer en votant une nouvelle loi, Mesdames et Messieurs les députés, c'est tout simplement faire un très mauvais calcul parce qu'en réalité, la sécurité n'est pas davantage assurée.

Quant à la question spécifique de la levée du secret médical, nous avons eu l'occasion d'en parler à la commission des visiteurs: il faut savoir que dans d'autres cantons, il existe des établissements où la levée du secret médical est une condition pour participer à certains projets spécifiques de réinsertion, mais cela ne concerne pas les détenus de l'ensemble des établissements pénitentiaires, c'est pour certains projets, certains établissements, certaines thérapies. Alors oui, ça pourrait être envisagé pour des projets spécifiques, ça pourrait être le cas pour la sociothérapie, mais généraliser ce procédé en faisant croire que la population sera mieux protégée alors que, dans le même temps, on supprime des moyens, c'est opérer un très mauvais calcul, donc il faut refuser ce projet de loi. (Quelques applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et cède la parole à Mme Sarah Klopmann pour une minute dix.

Mme Sarah Klopmann (Ve). Merci, Monsieur le président. Si le secret médical est violé assez souvent pour des raisons administratives, comme on l'a entendu, alors c'est un gros problème et il faut le régler, mais cette question n'est absolument pas en lien avec ce projet de loi, lequel ôte aux détenus le droit d'être traités. Contrairement à ce que certains ont dit et à ce que d'autres pensent, le rôle du médecin est fondamentalement de soigner son patient, pas autre chose ! Le rôle du médecin est de soigner son patient, et peu importe qui est le patient. Il s'agit de droits humains fondamentaux, et il est hors de question pour nous d'y déroger.

Nous parlons ici beaucoup de sécurité et de récidives; je vous rappelle encore une fois que l'unique façon de procéder à une réinsertion réussie, c'est de traiter les patients détenus, d'être à leur écoute et de faire en sorte qu'ils se réinsèrent correctement. Vous voulez améliorer la sécurité, vous voulez protéger les gens, mais vous faites tout l'inverse et ça conduit à des dérives qui ne protègent personne et ôtent des droits fondamentaux...

Le président. Il vous reste trente secondes.

Mme Sarah Klopmann. Alors j'ai terminé, parce que sinon ce serait trop long ! (Rires.) Je vous appelle vraiment à voter non à ce projet de loi et à soutenir les droits humains. Merci. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. La parole va à M. le député Eric Stauffer, qui dispose de deux minutes et cinquante-six secondes.

M. Eric Stauffer (MCG). Merci, Monsieur le président. Voici la confrontation entre deux visions différentes s'agissant de la médecine pénitentiaire: d'un côté les fervents défenseurs des patients détenus, de l'autre les fervents défenseurs des détenus patients. Cette petite inversion dans les mots est très significative car nous n'avons pas affaire à des patients standards, à des citoyens normaux, nous avons affaire à des criminels qui ont commis pour la plupart d'horribles méfaits et pour qui, malheureusement, la récidive est beaucoup plus fréquente que la réinsertion. La question de société à se poser est la suivante: faut-il limiter les droits à la confidentialité d'un détenu patient ou faut-il le considérer comme un citoyen normal, qui a juste besoin de soins et pas d'incarcération pénitentiaire ? Tout le débat est là, Mesdames et Messieurs !

Compte tenu de ce qui s'est hélas passé avec l'affaire Adeline... (Remarque.) Bien sûr, certains diront que ça n'a rien à voir, mais on est là au coeur du problème, Mesdames et Messieurs, car si le secret médical avait été plus transversal, peut-être aurait-on pu éviter que ce criminel dangereux puisse sortir seul avec une sociothérapeute ! (Exclamations.) Mais oui, on en est exactement là, Mesdames et Messieurs ! Alors au lieu de vouloir faire des criminels des victimes, pensez plutôt aux vraies victimes et réfléchissez à la façon de protéger la population, car telle est votre mission de député du Grand Conseil. Je vous invite, Mesdames et Messieurs, avec un bon sens qui ne devrait pas vous faire défaut, à voter ce projet de loi tel que sorti des travaux de commission.

Des voix. Bravo ! (Quelques applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Monsieur Pistis, il vous reste cinquante-neuf secondes.

M. Sandro Pistis (MCG). Oui, Monsieur le président, je voudrais juste demander le vote nominal pour tous les amendements éventuels et le vote d'ensemble en troisième débat.

Le président. J'en prends note et ferai la demande au moment voulu. La parole revient à M. le député Bertrand Buchs pour vingt-six secondes.

M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président, ce sera vite fait. Je prends la parole après ce que j'ai entendu de la part du député Stauffer - vous transmettrez. Ça n'a strictement rien à voir, et un détenu dangereux ou quelqu'un qui a fait quelque chose de mal a le même droit que n'importe qui à être défendu par le secret médical, tout comme par celui des avocats et des ecclésiastiques, c'est un minimum. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Stauffer, vous disposez encore de cinquante-sept secondes.

M. Eric Stauffer (MCG). C'est largement suffisant, merci, Monsieur le président. J'ai un petit problème d'appréciation, Mesdames et Messieurs, quand j'entends des gens appartenant au corps médical venir nous donner des leçons...

Une voix. Et les policiers ! (Brouhaha. Le président agite la cloche.)

M. Eric Stauffer. Je répète une fois encore, Mesdames et Messieurs, que nous avons affaire ici à des criminels dangereux, ce projet de loi ne concerne pas des gens détenus pour des délits mineurs. Je réitère donc mes propos: le bon sens doit primer, et je vous invite à voter ce projet de loi tel que sorti des travaux de commission. (Commentaires.)

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Monsieur le rapporteur de première minorité, vous n'avez plus de temps de parole, et donc je donne le micro au rapporteur de seconde minorité, M. Mizrahi, à qui il reste quasiment trois minutes.

M. Cyril Mizrahi (S), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, j'aimerais tout d'abord répondre à propos du prétendu devoir d'abstention des médecins dans cette discussion. J'aimerais rappeler que lors d'autres débats...

Une voix. Je n'ai pas dit ça !

M. Cyril Mizrahi. Peut-être n'avez-vous pas dit exactement ça, mais j'aimerais quand même rappeler que lors d'autres débats, des policiers se sont exprimés, y compris sur la loi sur la police. Personnellement... (Remarque.) Laissez-moi finir ! Personnellement, ça ne me pose pas de problème parce qu'on parle d'une loi abstraite... (Commentaires. Le président agite la cloche.)

Le président. S'il vous plaît !

M. Cyril Mizrahi. ...et le professeur Bellanger, dans un avis de droit que je vous invite à relire...

Le président. S'il vous plaît, laissez le rapporteur s'exprimer ! (Commentaires.)

M. Cyril Mizrahi. ...a clairement spécifié que la question de l'article 24...

Le président. Monsieur Baertschi !

M. Cyril Mizrahi. ...ne se posait pas dans ce cas-là, alors arrêtez d'enfumer les gens ! (Commentaires.)

Le président. Monsieur Baertschi ! Monsieur Spuhler ! Le rapporteur de minorité peut-il s'exprimer ?

M. Cyril Mizrahi. Je me permets simplement d'inviter mes collègues à relire l'avis de droit du professeur Bellanger - je ne connais pas ses honoraires mais ce qu'il a dit est très intéressant.

Maintenant, j'en reviens au sujet. Bien sûr qu'il s'agit d'une question de droits fondamentaux, Mesdames et Messieurs ! Je sais que ça ne vous plaît pas qu'on parle des droits fondamentaux de personnes détenues ou en situation irrégulière, mais ce n'est pas parce qu'elles sont détenues ou en situation irrégulière qu'elles sont privées de droits. Pour paraphraser mon collègue Thomas Bläsi, la sanction pour le criminel, c'est la peine de prison, pas la privation des droits fondamentaux. Je pense que cette précision méritait d'être faite. Mais ce n'est pas qu'une seule question de droits fondamentaux, c'est également une question de sécurité car, ne vous en déplaise, ces personnes vont sortir un jour, et il s'agit de s'assurer qu'elles ne constitueront pas un danger à leur sortie. J'ai la ferme conviction, avec mes collègues de la minorité, que c'est en n'affaiblissant pas le secret médical que l'on garantira au mieux la sécurité.

Le secret médical, Mesdames et Messieurs, protège la société dans son ensemble, et quand j'entends mon collègue Morel dire que ce secret est foulé aux pieds parce que des documents traînent sur le bureau des secrétaires, je suis un peu choqué et je pense que, dans la majorité des cas, ce n'est pas vrai. Il y a probablement des problèmes de secret liés aux communications, par exemple avec les caisses maladie, mais on ne peut pas dire que le secret professionnel soit foulé aux pieds, en tout cas pas par les médecins ni leurs auxiliaires - et je ne pense pas que les médecins et leurs auxiliaires aient besoin qu'on les aide à révéler des secrets, comme l'a dit mon collègue lors de son intervention. En entendant cela, je pense que mon collègue Wicky a raison, lui qui disait tout à l'heure qu'il ne s'agissait pas d'un coup de canif direct; il faut donc comprendre qu'il s'agit à tout le moins d'un coup de canif indirect - nous en prenons acte. J'ai entendu tout à l'heure la rapporteuse de majorité dire que le procureur général était réservé sur le sujet; non, le procureur général y était opposé, et il demandait principalement aux membres de la commission et à ce parlement...

Le président. Il vous reste trente secondes.

M. Cyril Mizrahi. ...de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. Quand j'entends qu'on fait une confusion totale entre le rôle de médecin expert et celui de médecin traitant... Ici, on parle du médecin traitant, c'est très différent. Dans le domaine des assurances sociales, que je pratique plus que le droit pénal, je vous garantis qu'on fait la différence entre médecin traitant...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Cyril Mizrahi. ...et médecin expert. Je conclus, Monsieur le président, en appelant l'assemblée à refuser ce projet de loi et j'invite chacune et chacun dans ce parlement...

Le président. C'est terminé.

M. Cyril Mizrahi. ...à voter en son âme et conscience. (Quelques applaudissements.)

Le président. Je passe la parole à la rapporteure de majorité, Mme Nathalie Fontanet, qui dispose encore de vingt-trois secondes.

Mme Nathalie Fontanet (PLR), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi ne porte pas atteinte au secret médical, il permettra aux personnes appelées à se prononcer sur la sortie des détenus dangereux d'être pleinement informées et, partant, contribuera à la sécurité de notre canton. Merci, Monsieur le président.

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Exceptionnellement, Mesdames et Messieurs les députés, deux conseillers d'Etat vont s'exprimer sur le sujet, non pas que nos positions divergent - elles convergent évidemment - mais mon collègue fera dans un instant l'intervention principale, puisqu'on parle ici des personnes actives dans le domaine médical; pour ma part, si le projet de loi est voté, j'en serai l'un des bénéficiaires sous l'angle du carcéral.

Je voudrais vous remercier, Mesdames et Messieurs, pour la qualité du débat - essentiellement en commission, subsidiairement en séance plénière - et vous dire que, précisément aux antipodes d'une méthode française qui consisterait à balancer un projet de loi et à le faire voter dans les deux jours qui suivent, nous avons dans ce cas-ci pris le temps, à la faveur de circonstances exceptionnelles, d'un événement qui a bouleversé le canton de Genève il y a maintenant trois ans, de poser sur la table un certain nombre d'éléments. Au nom du Conseil d'Etat, je m'inscris en faux contre les arguments de celles et ceux qui disent que cela n'a rien à voir avec le drame de La Pâquerette; mais qu'en sait-on ? La commission d'enquête parlementaire a-t-elle rendu son rapport, a-t-elle pu éclairer les faits ? L'enquête pénale s'est-elle accomplie ? Ce serait faire injure aux quinze députés qui consacrent leurs vendredis midi - à tout le moins, voire davantage - à cette affaire délicate. Quant à ses conséquences directes et indirectes, vous allez quelque peu vite en besogne, Mesdames et Messieurs, en prétendant pouvoir exclure si facilement cette dimension.

Nous parlons d'une certaine catégorie de population, qui est certes à reconnaître comme toutes les autres, mais je ne peux pas laisser passer l'énormité énoncée il y a un instant par le député Mizrahi, à savoir que les détenus ont accès à la totalité de leurs droits fondamentaux: par définition, un détenu est privé de sa liberté, la société décide de le priver de l'un de ses droits fondamentaux dans le but de protéger le reste de la population. On ne peut pas être hémiplégique et ne se souvenir que d'une partie du code pénal ! Rappelons-nous que la peine de prison - il s'agit de l'article 75 - vise également à protéger la population, et que la question centrale - je vous invite à quitter la stratosphère théorique et à redescendre sur terre - est la protection de la population ! S'agissant de l'appréciation de la dangerosité, si nous devons tous la faire, si nous sommes tous co-responsables, en réalité, aujourd'hui, et vous savez que c'est une spécificité genevoise, il n'y a qu'un seul responsable, c'est moi. C'est moi qui décide des sorties et des allégements sur la base de préavis divers et variés, notamment médicaux. La commission a récemment statué là-dessus, le projet de loi reviendra devant cette assemblée pour décision et nous allons probablement changer de système, mais il faut tenir compte de cette réalité-là. Nous devons et vous devez aussi - de ce point de vue là, vous êtes co-responsables - vous interroger sur la responsabilité de la dangerosité, voilà ce qui se trouve au coeur du problème.

Si l'on voulait se montrer extrême - c'est un peu ce qui a été esquissé par le groupe MCG, et je le remercie de ne pas l'avoir concrétisé par un amendement - on supprimerait l'alinéa 4 ou le dernier alinéa de ce projet de loi et, à ce moment-là, en effet, on abolirait le secret médical, d'une certaine façon. Or il n'est pas question de cela; il est question - et voilà pourquoi c'est un projet mesuré, équilibré - de placer, dans tous les sens du terme - vous comprendrez l'ironie - des garde-fous, de faire en sorte qu'il y ait un tampon entre le thérapeute et le détenu d'une part, et la société d'autre part. C'est là tout le système intelligent qui s'est développé, c'est l'occasion de le dire, à la faveur d'un travail de commission; oui, parfois le travail en commission se fait de façon intelligente et on aboutit si ce n'est à des compromis - on aimerait tant qu'il s'agisse de compromis ! - du moins à une solution pratique, concrète, extrêmement efficace.

En ma qualité de magistrat en charge de la sécurité, j'aimerais insister sur l'importance de concrétiser, à travers ce projet de loi - je rebondis sur les propos du député Deneys - une aspiration forte du canton de Genève à rejoindre les autres cantons. En effet, nous sommes le dernier canton à ne pas avoir statué sur cette question, à ne pas avoir harmonisé notre relation entre thérapeute et patient détenu. Ce n'est pas possible de fonctionner comme cela, c'est une Genferei de plus ! C'est d'ailleurs ce qui fait qu'aujourd'hui, nous faisons face à des difficultés pour placer des détenus dans d'autres cantons et que ceux-ci hésitent à en placer chez nous, c'est un problème très concret à Curabilis quant à la praticabilité d'une façon d'approcher cette relation, qui est différente à Genève. Or ce n'est pas le bout du monde ! De quoi s'agit-il ? Et c'est le point central sur lequel j'aimerais intervenir. On peut tout de même attendre du condamné patient qu'il concoure à la constatation par les autorités compétentes qu'il ne représente pas un danger pour la société, ce n'est pas le bout du monde ! A cet égard, je relève une petite confusion entretenue par Mme Klopmann tout à l'heure: ici, les autorités, ce n'est pas nous mais bien la commission spécialement dévolue à cette question, qui existe déjà et ne s'est pas vue instituée par cette loi. Il s'agit simplement que, pour cette catégorie très particulière de patients, qui sont des personnes condamnées, qui présentent des risques avérés et concrétisent un phénomène de dangerosité, on prenne une précaution, laquelle semble le minimum du minimum. Mesdames et Messieurs, du point de vue de la sécurité ainsi que du point de vue de la confiance - on a beaucoup parlé de la confiance entre le patient et son thérapeute mais il s'agit également de celle de la population envers son système carcéral et, plus globalement, son système politique - ce projet de loi est une évidence, une nécessité, un préalable, et c'est la raison pour laquelle nous vous invitons à le soutenir majoritairement. (Applaudissements.)

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, pour celles et ceux qui nous écoutent et auraient rejoint le débat en cours de route, je rappelle, comme l'a fait mon collègue Pierre Maudet, que nous parlons ici de collaboration entre équipes carcérales et équipes thérapeutiques pour des criminels dangereux condamnés. Je répète qu'il ne s'agit pas juste de criminels dangereux mais de criminels dangereux condamnés, c'est-à-dire qu'ils ne bénéficient pas de la présomption d'innocence - ce qui serait le cas s'ils étaient en détention préventive - et qu'ils ont été considérés comme coupables par la justice; ils ne sont pas que criminels, ils sont aussi considérés comme dangereux pour avoir commis des crimes qui sont les infractions sanctionnées le plus sévèrement par notre code pénal: nous parlons donc d'assassins, de violeurs. La société a considéré qu'elle devait se protéger contre ces individus et qu'il ne suffirait pas de prononcer une peine de réclusion leur permettant, à son échéance, de sortir. Non, la justice a estimé qu'ils devaient faire l'objet d'une évaluation médicale et que la population ne serait correctement protégée que si nous avions la conviction, lorsqu'ils regagnent la société, qu'ils sont guéris - même si, nous le savons malheureusement, les drames tragiques se répètent et la certitude à 100% n'existe pas dans ce domaine.

Ce qui est passé comme une lettre à la poste, à l'unanimité, dans les cantons de Vaud et Valais, fait aujourd'hui l'objet d'un large débat à Genève. Soit, nous avons toujours revendiqué notre différence, continuons sur cette lancée; mais cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux motifs qui ont amené nos collègues de ces deux cantons à admettre comme une évidence ce qui, pour nous, semble être problématique, alors même que notre loi est beaucoup plus stricte quant à une dérogation au secret médical que ne l'est par exemple la loi vaudoise, laquelle laisse au gouvernement le soin d'énoncer les conditions d'application, ce qui ne serait évidemment jamais admis ici vu la relation de confiance toute relative que nourrit votre parlement à l'égard du Conseil d'Etat - j'ai dû prendre conscience de cette réalité qui se manifeste malheureusement au quotidien, mais au changement de laquelle nous travaillons évidemment.

Quoi qu'il en soit, nous avons ici une loi qui devrait vous rassurer s'agissant de la volonté d'atteindre le but que nous avons indiqué, soit celui de garantir ce secret médical auquel nous n'entendons pas déroger quant au principe tout en permettant néanmoins à celles et ceux qui doivent protéger la société, de par une injonction de justice, de faire leur travail. Il n'est pas du tout question de patients des HUG, comme on pourrait le croire en entendant une certaine brocante d'idées exprimées dans ce parlement sur la base de pétitions de principe assenées sur un ton péremptoire, apparemment sans connaissance suffisante du texte de loi qui vous est soumis. Celui-ci est particulièrement mesuré, ainsi que l'a souligné mon collègue Pierre Maudet, puisque l'alinéa 1 ne parle que de collaboration administrative, qui ne touche pas le secret médical.

L'alinéa 2, lui, concerne l'état de nécessité, ce qui est inutile puisque le code pénal l'évoque déjà en stipulant que la personne qui aurait connaissance d'un état de fait grave et imminent... (Commentaires.) Si mes collègues de parti pouvaient discuter un peu plus calmement, je pourrais poursuivre ! (Rires.) Qu'ils en soient ici remerciés ! S'agissant de l'état de nécessité, donc, le code pénal permet à une personne qui aurait connaissance d'une situation présentant un danger grave et imminent de violer le droit d'un tiers pour pouvoir sauvegarder des intérêts prépondérants. Il est question ici du droit au secret professionnel qui serait violé pour protéger les droits supérieurs à l'intégrité corporelle, physique, sexuelle, et à la vie. Cela dit, notre code pénal en dit peu, et la différence entre vous et moi, qui pouvons être confrontés à une situation dans laquelle nous ferions appel à l'état de nécessité du code pénal, et les thérapeutes côtoyant des criminels dangereux condamnés, c'est que ceux-ci ont reçu une mission de la société, par l'intermédiaire des HUG qui les emploient; il ne s'agit pas de médecins choisis librement par un patient qui souhaite se soigner, non, ils sont imposés par la justice. Il n'est donc ni logique ni acceptable que ces thérapeutes puissent se dire en leur for intérieur, avec une balance dont nous ne maîtrisons pas le fléau: «Je vais dire ceci, mais je ne vais pas dire cela, je le prends sur moi.» Cela revient à mettre sur les épaules de ces médecins un poids énorme que de leur dire qu'ils peuvent choisir entre parler et se taire. En l'occurrence, leur mission est de protéger la société, et ils n'ont pas le choix. Si une situation se présente qui relève de l'état de nécessité parce qu'il s'agit de préserver la vie et l'intégrité corporelle, les informations doivent parvenir à celles et ceux qui ont pour mission de protéger les membres de cette société. Voilà la différence entre cet alinéa et notre code pénal. Il s'agit ainsi d'une loi nécessaire, que nous devons accepter.

En ce qui concerne l'information en cours de thérapie, les autorités pénitentiaires doivent évidemment prendre des décisions. Je ne parle pas que de la décision finale, qui est d'autoriser la libération d'une personne, mais aussi de déterminations quant à des sorties accompagnées sous des conditions particulières. Pour cela, il est nécessaire que les autorités pénitentiaires obtiennent des renseignements de la part de celles et ceux qui s'occupent des criminels au quotidien. Ce que dit la loi, c'est que les personnes chargées de la thérapie ont le devoir de fournir des informations mais qu'elles doivent connaître les raisons pour lesquelles on les leur demande. Mieux encore, il faut qu'elles informent la personne traitée - leur patient, de leur point de vue, mais je rappelle qu'il s'agit d'un condamné - qu'elle fait l'objet d'une demande, du motif de cette demande et des raisons pour lesquelles elles vont répondre, voire des réponses qu'elles vont donner aux questions posées. Jusque-là, c'est exactement la même situation que celle de votre médecin traitant qui vous assigne un arrêt de travail, fait l'objet d'une demande de la part du médecin-conseil de votre assureur maladie ou perte de gain et, avant de fournir des renseignements à cette assurance, vous informe qu'il a été sollicité et demande si vous l'autorisez à donner ces informations. La différence entre la situation que je viens de décrire et celle que veut régler la loi, c'est que vous avez le droit d'interdire à votre médecin traitant de transmettre des informations vous concernant au médecin-conseil de votre compagnie d'assurance et qu'il a l'obligation de respecter votre décision - vous en serez sans doute pénalisés par la fin des indemnités journalières que vous pourriez obtenir, mais c'est encore votre droit d'assumer cette sanction.

Pour un criminel dangereux, c'est tout différent, surtout s'il s'agit d'un pervers. En effet, celui dont il est question dans cette tragique affaire maintes fois évoquée possédait à l'évidence des qualités de manipulation puisqu'il a réussi à convaincre un certain nombre de personnes de son entourage thérapeutique qu'il allait mieux - l'enquête nous apprendra jusqu'à quel degré les uns et les autres se sont fait manipuler dans le cadre des relations thérapeutiques. Quoi qu'il en soit, à un moment donné, certains ont considéré que cet homme était à même de sortir. Imaginez la situation contraire, dans laquelle des thérapeutes auraient parfaitement conscience qu'ils ont en face d'eux un manipulateur essayant de leur faire croire qu'il est guéri mais n'attendant en réalité rien d'autre que de sortir pour récidiver: ils lui demanderaient l'autorisation de fournir des renseignements à son sujet à l'autorité pénitentiaire et le condamné, se sachant démasqué, leur interdirait de parler ! Il est évidemment de l'intérêt de la société de savoir que nous nous trouvons face à un pervers manipulateur contre lequel nous devons nous protéger.

Que dit simplement la loi - cela figure dans le dernier alinéa ? Dans le cas où un patient refuserait que des informations le concernant soient communiquées - cela sera sans doute l'exception puisque, la majorité du temps, le condamné a tout intérêt à ce que son thérapeute collabore et fournisse des renseignements favorables à son endroit afin d'obtenir ce qu'il a lui-même peut-être demandé, à savoir une sortie puis, in fine, une libération conditionnelle - nous irions au-delà de la situation du patient lambda que nous sommes, vous et moi. En effet, ce ne sera pas au médecin lui-même de faire la balance, en son for intérieur, entre l'intérêt de son patient et celui de la société, il devra transmettre ses préoccupations à la commission de surveillance, qui existe déjà aujourd'hui, laquelle tranchera s'agissant de ce qui doit prévaloir entre l'intérêt de la collectivité à obtenir des renseignements et celui du condamné à faire en sorte que ceux-ci ne soient pas donnés. Il ne peut pas y avoir de loi plus mesurée, Mesdames et Messieurs, et j'ai beaucoup de peine à voir un représentant de l'Union démocratique du centre, qui nous demandera de voter prochainement pour l'expulsion des criminels dangereux, exprimer tout à coup des états d'âme lorsqu'il s'agit de protéger notre société contre les criminels dangereux condamnés.

Mesdames et Messieurs, je vous demande de suivre ce projet de loi qui, une fois de plus, est l'expression du bon sens; et je voudrais rassurer celles et ceux qui ont dit - ou qui ne l'ont pas dit mais le pensent tellement fort que je l'entends jusqu'ici - qu'il s'agit d'une brèche dans l'institution du secret professionnel en général: il ne s'agit pas d'une telle brèche. Il y a des avocats dans cette salle, et j'imagine que, à l'idée de ce qu'ils considèrent comme une entorse au secret médical - ce que je considère pour ma part au contraire comme une fortification du principe même du secret professionnel puisque les conditions restrictives dans lesquelles ce secret médical peut être surpassé dans l'intérêt de la collectivité sont clarifiées - ils se sont demandé: à quand la levée du secret professionnel de l'avocat d'office, à qui on va demander de trahir son client en communiquant ses confessions à l'autorité ? Soyons raisonnables: j'ai trop de respect pour votre intelligence pour imaginer sérieusement que vous puissiez faire un amalgame entre les deux situations. Le thérapeute dont il est question ici est employé et rémunéré par la société dans le but de protéger la collectivité in fine, il n'a pas été choisi par le patient. L'avocat commis d'office n'a de rapport avec la collectivité qu'en termes de rémunération, il ne doit sa loyauté qu'à son client, lequel peut d'ailleurs l'avoir choisi, car vous savez que bon nombre d'avocats d'office pour les accusés qui n'en ont pas les moyens sont choisis librement par ceux-ci mais rémunérés par la collectivité. Il est donc évident que les situations ne sont pas les mêmes et que l'on ne peut pas faire d'amalgame.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que j'avais à dire s'agissant de ce projet de loi. Quant au petit manuel de gouvernance qui nous a été exposé par un député PDC avocat, selon lequel il est inutile de légiférer puisque la triste affaire Adeline n'aurait pas de relation avec le secret médical, je dirais, comme l'a très justement souligné M. Pierre Maudet, que nous devons encore attendre pour avoir le fin mot de toute cette histoire. Mais même à supposer que le secret médical ne soit pas en cause, est-ce à dire que si, à l'occasion d'un dysfonctionnement - et j'utilise volontairement un terme qui est un euphémisme - on se rend compte qu'il y a des lacunes dans notre législation, il faut tout simplement les mettre sous le tapis et attendre que ce dysfonctionnement ou cette lacune ait des conséquences sur la vie ou l'intégrité corporelle de nos concitoyens pour l'embrasser ? Au contraire, il en va de la responsabilité du gouvernement que nous sommes de faire en sorte que nous disposions d'un arsenal législatif nous permettant de répondre de manière responsable aux problématiques qui peuvent se poser. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je reviens maintenant à la demande de vote nominal de M. Pistis; est-elle soutenue par l'assemblée ? (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, c'est le cas. Nous allons donc passer au vote sur l'entrée en matière.

Mis aux voix, le projet de loi 11404 est adopté en premier débat par 51 oui contre 41 non et 2 abstentions (vote nominal).

Vote nominal

La loi 11404 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.

Mise aux voix, la loi 11404 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 47 oui contre 45 non et 2 abstentions (vote nominal). (Applaudissements et exclamations à l'annonce des résultats.)

Loi 11404 Vote nominal