République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 10604-A
Rapport de la commission fiscale chargée d'étudier le projet de loi de Mme et MM. Eric Stauffer, Mauro Poggia, Roger Golay, Jean-François Girardet, Pascal Spuhler, Sandro Pistis, Henry Rappaz, Dominique Rolle, Fabien Delaloye, André Python, Florian Gander modifiant la loi sur l'imposition à la source des personnes physiques et morales (LISP) (D 3 20)
Rapport de majorité de M. Jean-Michel Gros (L)
Rapport de minorité de M. Pascal Spuhler (MCG)

Premier débat

Le président. J'appelle à la table le rapporteur de majorité, qui est remplacé par M. le député Olivier Jornot, et M. le rapporteur de minorité Pascal Spuhler. C'est un débat de catégorie II: quarante minutes. J'imagine que les chiffres cabalistiques que je vois sur mon écran indiquent que M. Spuhler souhaite avoir la parole, que je lui céderai volontiers. J'imagine aussi que l'autre chiffre cabalistique représente M. le député Jornot, à qui je cède la parole.

M. Olivier Jornot (L), rapporteur de majorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi porte sur l'impôt à la source. Je remplace au pied levé notre ancien collègue Jean-Michel Gros, à qui je rends hommage, parce que son rapport est non seulement pertinent et complet, mais léger et drôle, sur un sujet à vrai dire assez rébarbatif, à savoir celui de la commission de perception que les autorités fiscales restituent aux employeurs qui ont l'obligation de prélever l'impôt à la source.

Tout cela, comme vous le savez, est à peu près entièrement réglé par le droit fédéral. Ce dernier va précisément prévoir l'obligation pour les cantons de déterminer le taux de cette commission de perception. Ce droit fédéral va dire que les cantons doivent fixer ce taux entre 2% et 4%. Cela signifie donc que les employeurs reçoivent une indemnité, destinée à couvrir le travail administratif qui résulte de leur obligation de procéder à des décomptes et de prélever l'impôt à la source. Les cantons disposent donc de cette unique marge consistant à fixer le taux entre 2% et 4%. Comme l'indique le rapport, la majorité d'entre eux a choisi la variante maximale, soit de fixer le taux à 4%. Douze cantons l'ont fait. Onze ont fixé le taux à 3%, ce qui est notre cas. Et seuls trois cantons l'ont fixé au minimum, à savoir 2%. Nous sommes donc dans la moyenne; plus exactement, nous ne sommes pas parmi les cantons qui restituent le montant le plus élevé.

En commission, la discussion a porté, en premier lieu, sur la question de savoir si cette commission de perception couvrait réellement les frais que supportent les employeurs, ou bien si elle allait au-delà et constituait en quelque sorte un revenu pour ces employeurs, pour ces entreprises qui doivent prélever l'impôt à la source. Nous sommes arrivés à la conclusion, majoritairement, après avoir procédé à des auditions, que, dans l'ensemble, cette commission de perception couvrait les frais. On ne pouvait évidemment pas exclure que, dans une entreprise X ou Y, particulièrement bien organisée, on puisse avoir une commission qui dépasse les frais réels; mais on ne pouvait pas exclure non plus que ce soit le contraire. En tout cas, il était certain que les PME n'allaient pas s'enrichir et, au contraire, que l'obligation de procéder à des décomptes et de prélever l'impôt à la source constituait pour elles une charge que la commission de perception ne suffit pas toujours à dédommager.

Les débats ont également porté sur un autre thème. Ce thème, c'est celui qui sous-tend ce projet de loi. Les auteurs de ce dernier estiment en effet que la commission de perception constitue une subvention de l'Etat visant à encourager les entreprises à engager des travailleurs frontaliers. En quelque sorte, en réduisant cette commission, on supprimerait un encouragement à procéder de la sorte.

Mesdames et Messieurs, vous le savez parfaitement, lorsque les entreprises recrutent, elles recrutent en fonction de toute une série de critères. Et si elles engagent des travailleurs frontaliers, c'est en appliquant ces critères et parce qu'elles n'arrivent pas à trouver, sur le marché local, des collaborateurs dans une série importante de domaines. Imaginer...

Le président. Il vous reste quinze secondes, Monsieur le rapporteur.

M. Olivier Jornot. Imaginer que c'est à cause de la commission de perception qu'une entreprise engagerait un travailleur frontalier, c'est méconnaître totalement le fonctionnement des entreprises. Une majorité écrasante de la commission vous recommande de rejeter ce projet de loi. Je vous recommande donc de ne pas entrer en matière.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de majorité. Le rapporteur de minorité ne demande pas la parole... (Remarque.) Il vous faut appuyer sur le bouton. Vous avez appuyé sur le bouton ? Alors je vous cède la parole, Monsieur le rapporteur de minorité.

M. Pascal Spuhler (MCG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, le but du projet était double.

D'une part, c'est pour avoir des rentrées fiscales supplémentaires. Il ne faut pas oublier que cette rétribution sur le prélèvement rapporte quand même entre 24 et 30 millions à ceux qui l'appliquent, donc aux PME et autres entreprises. En supprimant 1%, on pouvait récupérer dans les mannes de l'Etat à peu près 10 millions par année, ce qui n'est quand même pas négligeable. Ces 10 millions pourraient très bien se retrouver dans les EMS, par exemple.

D'autre part, c'est évidemment pour écarter une espèce de favoritisme à l'emploi - à l'engagement, sur des candidatures éventuelles - à l'égard d'un frontalier ou d'une personne soumise à l'impôt à la source, par rapport à un candidat ordinaire, puisqu'un éventuel gain pouvait découler de cet engagement.

La droite a émis des arguments concernant les PME qui risqueraient de péricliter, puisque le pourcentage diminué ne rapportait plus assez pour couvrir les frais relatifs à ce prélèvement. On a prétendu qu'elles n'étaient pas forcément équipées des outils informatiques... A ce jour, celles qui ne sont pas équipées d'informatique restent peut-être à la maison... Cela me semble difficile ! Ou alors, elles s'adressent directement à des fiduciaires, puisque les frais comptables sont parfois un peu compliqués. Les fiduciaires proposent souvent des forfaits en incluant ce genre de prestations. Une société ne périclitait pas en perdant 1% sur ce montant, et cela ne risquait en tout cas pas de la mettre sur la paille.

Les arguments de la gauche. Elle avait tendance à pouvoir comprendre le but, mais elle avait un peu de peine avec nos arguments. Quand même, il faut juste savoir que Mme Calmy-Rey - elle l'a dit il y a quelques mois - incitait les sociétés à engager le cru local. Encore hier, dans le «20 Minutes», M. Uehlinger dit que les sociétés étrangères sont priées d'engager des Suisses, ce que l'on peut comprendre, et cela s'inscrit tout à fait dans notre objectif. Or, quand on engage des Suisses, il n'y a justement pas de prélèvement à source, donc pas ce pourcentage.

M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, soyons clairs ! Pour les partis du centre-droit, PLR, Entente, il s'agit d'appliquer le minimum fédéral lorsqu'on parle d'allocations familiales: il ne faut surtout pas donner 20 F supplémentaires ! Par contre, quand on doit donner une rétrocession à vos milieux, que vous défendez, alors le minimum fédéral n'est pas assez: il faut donner plus ! J'en veux pour preuve que, aujourd'hui, ce sont 3% que l'on rétrocède aux entreprises sur la retenue des impôts à la source, c'est-à-dire pour les frontaliers, alors que le minimum fédéral est à 2% ! Voilà la belle politique de franchise que vous pratiquez vis-à-vis du peuple genevois ! Eh bien, je vous le dis: non !

Chers collègues de la gauche, vous qui êtes contre les privilèges fiscaux, nous allons voir maintenant ce que vous allez voter. Car aujourd'hui, c'est l'Etat qui paie les entreprises plus que le minimum fédéral ! Alors on va voir si vous voulez octroyer aux entreprises une prime à l'engagement de frontaliers ! En effet, il n'y a pas de retenue des impôts à la source sur les résidents, à l'exception des permis B, mais il y en a très peu. On a 70 000 permis G, ce qui signifie: impôt à la source. Quand on sait que les programmes informatiques sont amortis depuis belle lurette par les grands groupes - comme Migros - qui touchent un million par année ! Donc plus ils engagent de frontaliers, plus ils encaisseront de l'argent.

Je vous le dis, Mesdames et Messieurs, soyons cohérents, favorisons l'emploi des résidents genevois, et acceptez le rapport de minorité.

M. Michel Forni (PDC). Il est coutume, à Genève, de réhabiliter l'impôt et de dissiper les faux-semblants. C'est un enjeu dans notre système de prélèvement d'impôts, qui peut être comparé à un vaste gruyère, où coexistent des taux d'impôt, des cotisations, des assiettes réduites, et finalement toute une stratégie qu'il faut savoir bien utiliser. Cela prend du temps et a un coût.

Dès lors, il peut être tout à fait louable de réduire une commission de perception, elle-même secondaire dans le champ d'application d'une loi fédérale, ce en fonction de dispositions fédérales. Que l'on ne se trompe pas; nous sommes face à une ristourne d'environ 3%. Comme cela a été dit, c'est une superbe indemnité - 3% ! - qui couvre des frais généraux, mais qui peut aussi ouvrir une voie à l'inégalité de traitement, en sous-estimant très lourdement les frais de fonctionnement, comme l'a indiqué le rapport de minorité, ce qui permet, d'un autre côté, de punir certains citoyens entrepreneurs qui ne sont pas forcément de superspécialistes de l'informatique. Finalement, comme cela a été relevé également, cette démarche conteste un taux de 3% qui correspond exactement à ce qui est utilisé en Suisse.

Il y a donc dans la proposition de ce soir une logique très particulière, puisqu'elle suggère l'austérité des uns, pour qu'elle soit le meilleur garant du soutien de la croissance des finances de l'Etat, alors que, comme tout le monde le sait, le prix des biens et des services augmentent et que le robinet des crédits est fermé. Il s'agit donc d'une forme de «détricotage» tout à fait utopique qui polarise une logique erronée entre le mélange du rationnel et du raisonnable.

Nous pouvons citer ceci: plutôt qu'à ce qui est vrai, on devrait s'intéresser à ce qui nouveau. Eh bien, ce n'est pas le cas dans cette dictature du chiffre, qui est un véritable adversaire. Certes, il n'y a pas de têtes à couper ni de symboles à abattre, mais cela permet d'agresser certains frontaliers et certains électeurs. Alors il convient peut-être de réfléchir, car notre fiscalité n'est pas faite pour punir ceux qui osent produire et doivent faire preuve aussi de talent, mais pour que les courroies de transmission entre les intentions idéalisées, les outils et les moyens soient réellement à disposition à travers les budgets.

Je rappellerai au rapporteur de minorité que notre système fiscal a trois fonctions: financer les biens publics, favoriser le développement économique, et surtout corriger les inégalités. Eh bien, la chimie neutre économiquement ne peut pas pénaliser les entreprises ni attiser la bataille des impôts.

Dans ces conditions, le scénario qui nous est proposé et qui n'a jamais été validé empiriquement reste purement spéculatif. Pour le PDC, il faut tordre le cou aux arguments fallacieux, qui concluent que, partout et toujours, l'innovation financière, les spéculateurs, mais surtout les illusionnistes, finiront par triompher. Nous sommes en faveur de certaines réformes de la fiscalité, mais pour autant qu'elles servent correctement les acteurs de l'économie et les besoins de l'Etat. C'est la raison pour laquelle nous suivrons le rapport de majorité.

Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Je vais d'abord féliciter M. Buchs pour son intervention, qui m'a fort impressionnée...

Des voix. M. Forni ! (Brouhaha.)

Mme Sophie Forster Carbonnier. Je voulais dire «M. Forni», désolée ! (Commentaires. Rire de l'oratrice. Brouhaha.) J'avais moi-même préparé quelque chose d'assez bref, jugeant qu'il n'y avait pas là matière à énormément parler, mais je vous félicite de votre intervention très éloquente.

Les Verts sont opposés à ce projet de loi et n'adopteront donc pas l'entrée en matière. Les auditions que nous avons menées en commission fiscale ont en effet démontré que ce taux, le taux de la commission de perception de l'impôt à la source, a fort peu d'influence - même aucune influence - sur l'engagement ou pas de personnel frontalier. Cela nous a été dit non seulement par le patronat, mais également par les syndicats, lesquels représentent donc des travailleurs, qui nous ont indiqué que cela n'avait pas d'incidence. Il n'y a donc aucune raison de modifier ce taux pour ce motif-là.

Ensuite, les auditions nous ont aussi montré que, contrairement à ce que nous annonce le MCG, la procédure qui vise à prélever cet impôt est complexe et nécessite un peu plus de travail que ce que nous avance le MCG. Certains petits employeurs en particulier, qui n'ont pas encore complètement informatisé leur procédure, passent un certain temps à le faire.

La révision de ce taux tomberait également au mauvais moment, puisque l'Etat est actuellement en train de demander au patronat, c'est-à-dire aux entreprises, de revoir le système de perception et d'envoyer électroniquement les données qu'il reçoit. Ainsi, en ce moment, nous demandons aux entreprises de faire un effort; il serait alors extrêmement malvenu, maintenant, d'abaisser le taux.

Pour toutes ces raisons, nous n'entrerons pas en matière sur ce projet de loi dont nous n'aimons absolument pas, de plus, le relent anti-frontaliers assez nauséabond.

M. Pierre Conne (R). De quoi parlons-nous ? Nous parlons de rémunérer le travail de percepteur qu'effectuent les entreprises qui engagent des frontaliers, pour lesquels un prélèvement à la source doit être fait. Ce travail doit être rémunéré. Et la manière dont cette rémunération serait opérée a été effectivement convenue. Ces 3% de prélèvement sur le total de l'impôt dû correspondent à la moyenne suisse, donc rien ne nous permet de dire que nous sommes en dessus ou en dessous du coût réel de ce travail de percepteur.

On aurait pu effectivement imaginer d'autres solutions pour calculer exactement le coût que représente ce travail de percepteur. Mais d'abord, ce projet de loi ne le propose pas, et puis personne ne souhaite compliquer la façon dont on procède à l'heure actuelle et construire une usine à gaz administrative.

Je rappellerai en plus de cela que l'on parle de l'impôt à la source, qui concerne évidemment les frontaliers, parmi lesquels il y a 20 000 Suisses - les doubles nationaux ne sont pas comptés à l'heure actuelle. Et sont également prélevés à la source les impôts des personnes qui ont des autorisations annuelles, les permis L et les permis B.

Ainsi, pour toutes ces raisons, les radicaux n'entreront pas en matière sur ce projet de loi.

M. Christo Ivanov (UDC). L'impôt à la source est prélevé sur toutes les détentrices et tous les détenteurs d'un permis de travail autre que le permis C. Ce travail est effectué par leur employeur, qui bénéficie donc d'une rétrocession, comme cela a été dit, de 3%. Le PL 10604 propose de réduire cette rétrocession de 3% à 2% - je rappelle que la loi fédérale prévoit une fourchette entre 2% et 4% pour cette rétrocession - et c'est une véritable aberration et une méconnaissance totale de la manière dont fonctionnent les entreprises dans notre canton. A titre personnel, je fais ce travail pour deux de mes employés et il me prend plus de temps que ce que représentent ces quelques émoluments que je perçois. (Remarque.)

Il existe un service sur internet, au niveau de l'Etat... (Commentaires.) ...pour aider les entreprises, ce qui permet un gain de temps pour tout le monde; et il y a aujourd'hui plus de 50% des entreprises qui sont déjà en ligne, ce qui offre un gain de temps pour l'Etat et pour les entreprises.

Par conséquent, ce projet de loi est un coup d'épée dans l'eau, lequel visait à pénaliser les employeurs qui ont des salariés frontaliers. Or l'impôt à la source touche également les permis B ou G, par exemple. (Remarque.) Genevois, exactement ! Quelle méconnaissance du monde de l'entreprise ! Le groupe UDC refusera donc l'entrée en matière de ce projet de loi.

M. Mauro Poggia (MCG). Chers collègues, Genève n'a pas son pareil pour faire les choses à l'envers ! Nous sommes le canton qui a le plus grand nombre de chômeurs, nous sommes le canton qui a le plus grand nombre de frontaliers. Et lorsque le MCG propose aux collectivités publiques et aux régies publiques de donner une priorité au marché de l'emploi local, sa proposition est rejetée... Lorsque nous demandons d'enlever cet incitatif - aussi petit soit-il, pour qu'il y ait un signe - de réduire de 3% à 2% cette commission de perception pour l'impôt à la source, afin que les employeurs ne soient pas, en plus, gratifiés pour engager des frontaliers, voilà que, à l'unanimité, ce parlement dit qu'il faut soutenir ce patronat - les Verts en tête, merci ! - pour considérer que ce serait inadmissible de réduire de 1% cette commission que l'on donne à ce pauvre patronat genevois, qui a l'obligation d'engager des frontaliers, comme chacun sait !

Nous parlons ici de 10 millions de francs par année: c'est peu mais c'est beaucoup. Ce que le MCG demandait simplement, c'est que l'on respecte le droit fédéral, sans en faire plus. C'est-à-dire que l'on accorde 2%, et non pas au-delà.

Je suis très intéressé à voir la réaction de ce parlement. A croire que, parce que la proposition vient du MCG, elle mérite d'être rejetée. Eh bien, ce que vous faites aujourd'hui, c'est simplement dire à la population qui nous regarde que, finalement, nous considérons que notre patronat doit être en plus récompensé d'engager des frontaliers, plutôt que de donner une priorité à la main-d'oeuvre locale. C'est bien triste. (Applaudissements.)

M. Christian Dandrès (S). Mesdames et Messieurs les députés, selon l'expression chère au MCG, ce projet de loi est une vraie fausse bonne idée. C'est une vraie bonne idée parce qu'elle attaque une forme de subvention indirecte aux entreprises via le système de prélèvement de l'impôt à la source. La commission de perception, si effectivement elle a le mérite de la simplicité, pose un certain nombre de problèmes, dont le principal me semble être que l'indemnité se calcule selon un pourcentage et que, du coup, il varie en fonction du montant du salaire, alors que le travail de perception reste le même pour l'entreprise. Il y a ici quelque chose d'étrange.

En ce sens, le projet de loi MCG peut avoir son intérêt, même s'il ne résout pas le problème, puisque le principe est ancré dans le droit fédéral. La solution serait sans doute de prévoir une indemnisation forfaitaire pour chaque personne soumise à l'impôt à la source, ce qui aurait évidemment le mérite de pouvoir clarifier ce point.

Mais alors, prétendre que diminuer le taux de 3% à 2% pourrait servir d'encouragement à l'embauche locale ou servir de lutte contre le dumping salarial relève de la plaisanterie, Mesdames et Messieurs les députés ! On voit là le sérieux dont fait preuve le MCG dans la défense des conditions salariales de nos concitoyens ! Il propose des mesurettes inutiles, alors qu'il refuse de soutenir l'initiative en faveur d'un salaire minimum, qui est le prérequis d'une véritable politique anti-dumping. C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste refusera ce projet de loi.

M. René Desbaillets (L). Chers collègues, ce soir, je suis à la fois malheureux et heureux. Je suis malheureux de voir que nous sommes un nombre très restreint de petits patrons et de chefs d'entreprise dans l'enceinte de ce Grand Conseil, pour pouvoir discuter pratiquement de ce problème de l'imposition à la source. Par contre, je suis quand même heureux et consolé de voir que, parmi le MCG, il y a un professionnel du fisc, le député Jeannerat... (Remarque.) ...qui a une fiduciaire, et il n'a pas signé ce projet de loi.

Des voix. Jeanneret !

M. René Desbaillets. C'est le député Jeanneret, pardon ! Il n'a pas signé ce projet de loi, il a compris où était le problème.

Le problème n'est pas de savoir si c'est 2%, 3% ou 4%, mais concerne le travail que l'on demande aux petits patrons d'effectuer pour remplir les impôts à la source. Il ne faut pas s'imaginer que les entreprises ont toutes pour des centaines de milliers ou pour des millions de francs de salaire: on examine les impôts et on prend 3% sur cette somme d'impôts. Et de nombreuses entreprises ont beaucoup de personnel, mais des journaliers qui ne sont pas là toute l'année. Donc vous avez tout d'un coup, par exemple pour mon cas, une vingtaine d'employés au cours de l'année, mais cela représente 500 F d'impôts. Donc 3% de 500 F, je vous laisse faire le calcul: cela ne paie même pas l'électricité pour l'ordinateur !

Et puis, si tout se passe très bien, vous remplissez votre déclaration à la fin de l'année, vous payez ce que vous devez et le sort est réglé... Ce serait bien ! Mais le problème de l'administration est que, en trois ou quatre ans, on a eu trois programmes informatiques différents ! De plus, au département des finances, tout d'un coup, on arrondit les chiffres aux décimes ! C'est-à-dire que ce n'est plus 45, cela n'existe pas, c'est 50 ou 40. Mais ce n'est pas 50 ou 40 comme dans les mathématiques ! A partir de 41, vous devez arrondir à 50 ! Et ce n'est écrit nulle part ! Vous devez faire dix téléphones et attendre une demi-heure pour avoir une réponse... Ensuite, il y a le dossier. Vous le remplissez, c'est génial. Mais tout d'un coup, un mois après, on vous écrit ceci: «Nous vous rappelons que vous avez encore vingt-quatre heures pour envoyer le dossier, autrement on va vous imposer de force»... Alors vous devez ressortir vos dossiers, faire des photocopies et prouver que vous avez déjà envoyé le dossier ! Le comble - et je suis heureux que le conseiller d'Etat Hiler soit de retour pour entendre - c'est que, l'année passée, après que mon dossier a été perdu trois fois, j'ai envoyé un mot en disant que je le porterais directement au Grand Conseil ou au Conseil d'Etat ! Là, je n'ai plus rien reçu en retour.

Donc, la situation est grave. Les petits patrons en ont marre de passer des heures et des heures à leur bureau pour remplir des clopinettes qui ne rapportent quasiment rien à l'Etat. C'est pourquoi je vous propose de ne pas entrer en matière sur le projet de loi.

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Eric Stauffer, à qui il reste vingt-cinq secondes.

M. Eric Stauffer (MCG). Merci, Monsieur le président, ce sera largement suffisant. Simplement, Mesdames et Messieurs les députés, nous prenons acte, au MCG, que le signe que nous voulions donner pour favoriser l'emploi des résidents genevois, vous le balayez avec dédain et arrogance. Je prends à témoin la population qui nous regarde. (Exclamations.) Aujourd'hui, nous avons voulu descendre à 2%, soit le minimum fédéral, cette ristourne...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.

M. Eric Stauffer. Je conclus, Monsieur le président ! ...la population est témoin. Vous voulez changer les choses: votez MCG ! Merci.

Une voix. Bravo ! (Applaudissements. Exclamations.)

Le président. Soit ! La parole est à Mme la députée Lydia Schneider Hausser.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). On parle de permis, de permis B. (Remarque.) Mais il faut savoir que beaucoup de gens habitant Genève sont aussi sous ce statut. Que ce soient des permis A, B ou L, leurs détenteurs résident aussi à Genève et, souvent, sont d'accord de prendre des petits jobs qui rendent bien service à tout le monde. Là, le MCG vise prétendument une population, mais il faut rétablir les faits et dire qu'il y a des gens avec un permis B ici, à Genève, et aussi de l'autre côté de la frontière !

Pour le groupe socialiste, voici ce qui est important: que les détenteurs de permis B soient ici ou ailleurs, ce sont des gens qui travaillent, qui ont droit à notre respect... (Remarque. Le président agite la cloche.) ...qui ont des compétences et les mettent au service de la population et du canton. L'important est qu'il y ait de bonnes conditions de travail, que les gens soient capables, que le travail se fasse et que Genève avance. On peut ensuite trouver des conflits et des boucs-émissaires... Nous ne sommes pas d'accord, au parti socialiste, de travailler sur cela et sur ce projet de loi. C'est pourquoi nous le refuserons.

La solution devra être trouvée pour, peut-être, que l'imposition à la source soit payée à l'acte plutôt qu'au taux, ou que d'autres taux soient discutés. Car il est vrai que, quand le taux est pris sur l'imposition totale des travailleurs d'une entreprise ayant des permis B, A et L, cela peut prêter à discussion, et nous sommes prêts à avoir une discussion. Qui pourra rejoindre en partie celle du MCG, mais pas sur une discrimination des travailleurs.

Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. Pascal Spuhler, à qui il reste une minute et dix secondes.

M. Pascal Spuhler (MCG), rapporteur de minorité. Tout d'abord, je voudrais corriger ceci: précédemment, je parlais de M. Leuenberger, qui faisait un commentaire dans le journal.

Je compatis également pour M. Desbaillets, qui a des problèmes avec les impôts et l'administration fiscale. Mais la question a été posée à une commerçante qui a une employée soumise à l'impôt à la source: cela lui prend juste dix minutes pour faire la déclaration ! Or elle n'est pas une professionnelle de l'informatique ni une experte-comptable. Dix minutes ! On a entendu les auditionnés du SIT, qui eux avaient huit employés contributaires; le SIT touche 2190 F par année pour faire le travail !

Il faut juste arrêter de dire des bêtises ! Nous avons effectivement la moyenne nationale au niveau du pourcentage - 3% - mais nous avons le plus fort taux d'employés soumis à l'impôt à la source. Donc il faut revenir à la réalité. Et la réalité c'est 2%, c'est largement suffisant pour traiter ces dossiers.

M. Olivier Jornot (L), rapporteur de majorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, percevoir l'impôt est une tâche de l'Etat. Et lorsque l'Etat demande à des particuliers d'assumer l'une de ses tâches, eh bien il paie ! C'est normal, ce n'est que justice. Tout à l'heure, en des propos extrêmement policés, on vous a fait un magnifique sophisme, celui qui consiste à nous faire croire que, en dédommageant simplement pour une tâche déléguée, on chercherait à encourager l'engagement de personnes qui donnent lieu à la ristourne: c'est absurde, vous l'avez bien compris.

Dans ce débat, pas une seule fois on n'a rappelé qu'il ne s'agissait pas seulement de rémunérer le travail administratif mais également la responsabilité fiscale. En effet, les employeurs qui prélèvent l'impôt à la source sont les débiteurs de l'impôt vis-à-vis de l'Etat. Et cela a aussi un coût; cette responsabilité a un coût.

Mesdames et Messieurs, tout à l'heure, certains ont dit que ce projet de loi méprisait les frontaliers. Je dois dire que, sur ce point, je suis assez d'accord avec le MCG. Je ne crois pas que ce projet de loi méprise les frontaliers; ce projet de loi, Mesdames et Messieurs, méprise les employeurs, les entreprises, les PME et les indépendants. C'est cela qu'il faut dire ce soir en lui disant non !

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

M. David Hiler, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat avait indiqué en commission son opposition actuelle à ce projet de loi. Cette opposition avait plusieurs motifs, dont certains ont été développés de façon polémique par M. Desbaillets, mais ils correspondent quand même à une réalité. Le dernier module qui a été mis en place au niveau informatique est bel et bien celui de l'impôt à la source. En 2010, il n'était utilisé que par la moitié des contribuables. En outre, je vous rappelle quand même que l'administration fiscale, Monsieur Desbaillets, avec moins 5% des effectifs globaux, a dû traiter exactement deux fois plus de dossiers à la source, puisque l'on arrive aujourd'hui à 100 000 dossiers par année.

Donc nous avons indiqué qu'il nous paraissait peu délicat, à l'égard des PME en particulier, de changer le taux aussi longtemps que la routine informatique ne fonctionnait pas parfaitement. Pour les grandes entreprises, c'est le cas. Et à l'évidence - cela a été dit - le système fédéral n'est pas fondamentalement juste; il est forfaitaire, à savoir qu'une entreprise bien organisée envoie ses fichiers et que, vraisemblablement, cela lui rapporte plutôt que cela ne lui coûte. A l'inverse, pour des entreprises qui ont des journaliers - cela a été donné en exemple - les personnes qui ont simplement des employés domestiques imposés à la source ou les petites entreprises qui emploient périodiquement des collaborateurs imposés à la source, c'est vrai que l'ensemble du travail administratif, qui existe, n'est pas absolument gratuit.

Par conséquent, la position du Conseil d'Etat est, en substance, la suivante: à l'heure actuelle, refusez ce projet de loi. Si nous sommes amenés, à la suite d'un accord entre la Suisse et l'Union européenne, à devoir trouver des mesures compensatoires pour s'épargner trop de soucis en notre bonne république, nous n'aurons aucun état d'âme à mettre cette taxe à 2%, je vous le dis clairement. Et puis, comme à chaque débat - puisque l'on en aura quelques-uns aujourd'hui - je vous rappelle que le Conseil d'Etat n'entend pas entrer en matière sur un certain nombre d'arguments et désigner des boucs émissaires, qu'il s'agisse des frontaliers, des expatriés anglo-saxons ou d'entreprises multinationales présentes pour l'essentiel depuis quarante ou cinquante ans à Genève. Cette manière de voir le futur n'est pas la nôtre. Nous ne pensons pas - je le dirai à M. Stauffer - qu'il y a le moindre impact en termes d'incitation à engager des frontaliers plutôt que des résidents, suisses ou avec un permis C, par cette mesure.

En revanche, le Conseil d'Etat vous dit aujourd'hui - et vous le dira à de nombreuses reprises - que nous pensons qu'il y a d'autres solutions pour résoudre les angoisses, les inquiétudes légitimes, d'un certain nombre de résidents genevois concernant le chômage, particulièrement les personnes en fin de droit, celles qui sont en difficulté du fait d'un chômage de longue durée, qu'elles soient encore soutenues par le chômage ou qu'elles soient déjà à l'assistance. Nous constatons, qu'il s'agisse d'une partie du secteur public ou d'une partie du secteur privé, que les gens qui sont à la tête des entreprises publiques ou privées n'ont pas suffisamment manifesté, toutes unanimement, la nécessaire responsabilité sociale qui leur incombe dans le traitement de ces dossiers.

Mais ce n'est pas, Mesdames et Messieurs, en votant ce projet de loi ou d'autres que vous résoudrez ce problème. Ce problème est de l'ordre de la prise de conscience. Mais nous vous le dirons, et nous avons des éléments pour le démontrer, il est temps que tous ceux qui emploient dans ce canton aient une pensée particulière pour les personnes en difficulté. Or ce n'est, à ce stade, que médiocrement le cas ! Ce n'est pas parce que l'un ou l'autre dispositif marche ou a des dysfonctionnements que cela résoudra le problème. Il faut que la société civile, y compris son économie, se mobilise sur ce dossier.

Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, pour l'heure, il faut refuser ce projet de loi. Mais nous vous disons: c'est une porte qui est ouverte. Elle a été débattue, d'ailleurs, avec les personnes concernées. Mais ça, c'est une autre affaire; et cette affaire, vraisemblablement, ne commencera au niveau fédéral qu'après les élections fédérales. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes en procédure de vote...

M. Eric Stauffer. Vote nominal !

Le président. Etes-vous soutenu ? (Appuyé.) Donc nous sommes en procédure de vote - nominal. Nous nous prononçons sur l'entrée en matière... (Commentaires.) Il est soutenu ! Il faut onze voix, Monsieur le rapporteur de majorité, et ils arrivent péniblement à dix-sept, donc ils peuvent avoir le... (Remarque.) Parce que je vous voyais tressauter sur votre chaise et que je m'en inquiète ! Nous procédons au vote d'entrée en matière.

Mis aux voix à l'appel nominal, le projet de loi 10604 est rejeté en premier débat par 70 non contre 14 oui.

Appel nominal