République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 10638-A-I
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi de constitutionnelle Mmes et MM. Olivier Jornot, Jean-Michel Gros, Antoine Barde, Beatriz de Candolle, Fabienne Gautier, Ivan Slatkine, Nathalie Fontanet, Renaud Gautier, Pierre Weiss, Daniel Zaugg, René Desbaillets, Alain Meylan, Francis Walpen, Edouard Cuendet modifiant la Constitution de la République et canton de Genève (A 2 00) (Incompatibilités)
Rapport de majorité de M. Miguel Limpo (Ve)
Rapport de minorité de Mme Nathalie Schneuwly (R)

Premier débat

M. Miguel Limpo (Ve), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, comme nous l'avons dit auparavant, le projet de loi libéral a été fait en réaction à celui des socialistes. Il n'a donc pas été possible d'avoir un débat serein sur la question en commission. Ce projet de loi libéral interdirait donc à plusieurs milliers de fonctionnaires d'accéder au parlement, au risque de devoir faire un choix entre leur emploi et leur charge politique. Il faut souligner que peu de problèmes de conflits d'intérêts ont surgi jusqu'à présent, puisque tous les fonctionnaires doivent s'abstenir dans les votes où ils ont un intérêt personnel. Tout comme les autres députés, les fonctionnaires sont soumis à l'article 24, qui leur fait perdre une partie de leurs prérogatives. L'article 24, comme je l'ai dit au point précédent, doit être renforcé et respecté par l'ensemble des députés ici présents. Cet article exige des députés qu'ils se récusent ou s'abstiennent lorsqu'ils ont un intérêt particulier à l'objet débattu. Contrairement à ce qui a été dit en commission, les députés qui s'abstiendront d'intervenir de manière ponctuelle n'en deviendront pas pour autant des demi-députés. En effet, si chacun des députés devait être libre de tout lien d'intérêts, il serait certainement difficile de trouver dans notre canton cent personnes répondant à ces conditions.

Les fonctionnaires sont élus aussi bien à gauche qu'à droite, et ce n'est pas pour autant qu'ils votent de manière similaire, on le voit fréquemment dans cette enceinte. Cet argument sur le rééquilibrage des forces a notamment été repris à Neuchâtel, où la Constituante avait décidé de ne pas trancher sur cette question. Il existe autant de solutions que de cantons. Genève a quant à lui opté pour une solution ouverte et pragmatique, qui empêche la garde rapprochée des conseillers d'Etat et les hauts cadres du petit Etat de siéger dans cette enceinte.

Notre parlement doit veiller à ce que toutes les citoyennes et tous les citoyens soient équitablement représentés dans l'arène politique. Le corps électoral genevois a, tout comme pour les policiers, souhaité avoir des fonctionnaires, et ce en toute connaissance de cause. Tout comme les agriculteurs, les avocats ou les chefs d'entreprises, les fonctionnaires ont certes un devoir de fidélité auprès de l'Etat, mais évidemment que toutes ces professions que j'ai citées ont aussi un devoir de fidélité auprès de leur employeur, et c'est également un conflit d'intérêts qui existe.

Il serait donc malheureux que ce Grand Conseil décide ce soir de rétrécir les droits populaires d'un nombre important de Genevoises et de Genevois, qui ne pourraient ainsi plus jouir de leur droit d'élection ici dans ce parlement. Par conséquent, pour toutes ces raisons, et pour les mêmes que j'ai citées lors du traitement des projets de lois précédents, je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à suivre le rapport de majorité.

Mme Nathalie Schneuwly (R), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, le statut de fonctionnaire est-il compatible avec le mandat de député ? Cette question posée par le PL 10638 n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. On l'a vu ces derniers temps, elle a utilisé pas mal de salive, notamment à la Constituante, et fait couler beaucoup d'encre.

Ce qui est cocasse, c'est que les socialistes qui ont voulu exclure les policiers du parlement n'ont pas voulu entrer en matière sur ce projet qui aurait permis de les exclure avec d'autres. Mais il est vrai, cela a déjà été dit, qu'en rédigeant leur projet ils ont réalisé un peu tard qu'ils avaient ouvert la boîte de Pandore.

En ce qui concerne la Constituante, le président de la commission 3 nous a expliqué qu'il y avait deux tendances, celle qui consistait à dire que les fonctionnaires devaient être traités comme les autres et celle qui préconisait une incompatibilité totale au vu du risque de conflits d'intérêts et d'un déséquilibre des pouvoirs, estimant que les fonctionnaires affaiblissent le pouvoir législatif face à l'exécutif. En premier lieu, la commission 3 a fait preuve de sagesse et a décidé de maintenir le régime actuel, notamment au vu du risque de faire échouer la constitution. L'histoire nous a démontré que la plénière n'avait pas la même vision des choses.

Quant à la commission des droits politiques, nous pensions dans un premier temps que ce sujet devait être traité par la Constituante. Cependant, au vu des réactions épidermiques provoquées par le débat à la Constituante et de l'enjeu, il serait préférable de renvoyer ce projet de loi en commission pour qu'il soit traité sereinement, épargnant un sujet trop risqué à la Constituante.

La minorité que je représente espère bien être entendue aujourd'hui, notamment par les groupes qui ont refusé l'entrée en matière en commission et dont certains constituants se sont montrés les fers de lance de ce projet. Je pense notamment au MCG; il faut être cohérent: on ne peut pas dire «blanc» dans une enceinte et «noir» dans l'autre !

Sur le fond, je rappellerai brièvement les points suivants de mon rapport. Premièrement, le principe de la séparation des pouvoirs qui a prévalu jusqu'en 1998 et qui prévaut encore dans huit cantons est juste; en tous les cas, il n'est pas faux. En comparant les cantons, on l'a vu, la réponse est plus subjective qu'objective. Il s'agit plutôt d'appréciation et de sensibilité. M. Béguin en a reconnu l'importance, mais nous a suggéré d'en garder l'esprit, ceci aussi parce que, à Neuchâtel, le sujet n'est pas aussi brûlant. Chez eux, la question des policiers au parlement n'a même pas été débattue, tant il était clair que ce n'était pas compatible. Genève est toujours un peu différent.

Deuxièmement, après douze ans d'expérience, il est temps de tirer les conséquences d'une décision que l'on a crue bonne. Le fait que le peuple a voté pour que les fonctionnaires puissent être éligibles au Grand Conseil ne nous empêche pas de réexaminer la situation avec du recul; ce n'est en aucun cas aller à l'encontre de la volonté populaire - sinon on ne ferait plus rien - ce d'autant moins que l'on voit bien que ce n'est pas si simple; des cas indéniables posent problèmes.

Pas moins de douze cantons en Suisse prévoient des incompatibilités pour certains fonctionnaires. On retrouve le plus souvent: les fonctionnaires exerçant une fonction hiérarchique, les juges et greffiers, les membres des autorités d'organismes autonomes, les policiers, le personnel des offices des poursuites et des faillites, le personnel du contrôle des finances. Ne nous voilons donc pas la face, et c'est une femme radicale qui vous le dit: reconnaissons qu'il y a des soucis et essayons d'améliorer le système. Personnellement, depuis que je suis entrée dans ce parlement, je suis frappée par le nombre de fois où il y a des récriminations de part et d'autre, tous partis confondus, sur des votes effectués par certaines personnes, que ce soient des fonctionnaires ou certains représentants d'associations. Osons crever l'abcès une fois pour toutes !

Troisièmement, le projet de loi libéral apporte une solution simple et sans équivoque, puisqu'il exclut de la députation tous les membres du personnel de l'administration cantonale. Il prévoit également l'incompatibilité pour le personnel du secrétariat général du Grand Conseil et du pouvoir judiciaire, ainsi que pour les administrateurs et cadres supérieurs des établissements publics et fondations de droit public cantonaux.

Toutefois, il faut l'admettre, cette solution n'est pas forcément réaliste aujourd'hui, car c'est un retour en arrière trop important. Une telle solution reviendrait en effet à exclure 30% des députés du Grand Conseil. Ceci n'est pas envisageable. Il faut trouver une solution médiane, qui va dans le sens des autres cantons qui n'ont pas interdit tous les fonctionnaires. (Brouhaha.)

En conclusion, et vu tout ce que je viens de vous dire, la minorité vous invite à renvoyer ce projet de loi en commission pour un nouvel examen, afin de trouver une solution satisfaisante pour tous, qui tienne compte des difficultés, mais qui n'exclut bien évidemment pas tous les fonctionnaires.

M. Stéphane Florey (UDC). Comme je le disais tout à l'heure, trop de députés ont des liens d'intérêts certains dans ce parlement. De plus, j'aimerais quand même rappeler que, il n'y a pas si longtemps que cela, il y avait eu confusion dans un vote et que, finalement, l'objet en question a été accepté. Pourquoi ? Parce qu'un député ici présent, qui aurait dû, selon l'article 24, se récuser - eh bien non ! - a retourné sa veste et a, sous pression de son groupe, voté en faveur de l'objet en question. Cela démontre bien que, finalement, trop de députés ne respectent pas cet article 24.

Maintenant, concernant le renvoi en commission, si le projet de loi n'est réellement pas abouti, eh bien, renvoyons-le en commission ! Et si le renvoi est refusé, nous voterons en faveur du projet.

M. Patrick Saudan (R). Si l'on s'en tient à une interprétation rigoureuse de l'article 24, je ne devrais pas m'exprimer. Alors souffrez que je le fasse, pour une raison très simple: comme ma collègue, qui siège avec moi dans la commission des droits politiques, est une rapporteuse de minorité, je dois donner la position du groupe radical.

Le sort qui a été réservé à ce projet de loi en commission a quand même révélé un certain malaise, que l'on peut résumer très simplement, par une phrase: est-ce que l'on peut travailler pour un exécutif et siéger dans le législatif qui va contrôler cet exécutif ? Il a aussi révélé une autre situation, qui a été abordée par mon collègue, le député Stauffer, et par le rapporteur de majorité: la représentativité des fonctionnaires, qui constituent une partie importante de la population genevoise. Si l'on s'en tient aux statistiques de l'OCSTAT, il y a 24,5% de personnes travaillant dans la fonction publique à Genève; or 33% des personnes qui siègent dans cette assemblée travaillent dans la fonction publique, petit et grand Etats confondus. Donc vous voyez que le fait d'être fonctionnaire est un certain avantage électoral. On pourra me rétorquer qu'être en plus médecin est un sacré autre avantage électoral. (Rires.)

Le sort réservé à ce projet de loi en commission a aussi révélé un certain manque de courage politique. Il y a un problème, et la plupart des groupes se sont réfugiés derrière le vote populaire de 1998, en passant sous silence que, à quatre reprises auparavant, le peuple avait refusé à ces mêmes fonctionnaires de pouvoir siéger dans cette assemblée.

Le parti radical aurait préféré l'entrée en matière de la commission sur le projet de loi libéral, pour deux raisons. Même si nous trouvons ce projet de loi un tantinet excessif, deux pistes méritaient d'être étudiées. La première était le renforcement de l'article 24, bien que le rédacteur de ce projet de loi nous ait expliqué que, selon un arrêté du Tribunal fédéral, cette piste était plus ou moins sans issue. Mais la deuxième possibilité, qui avait été évoquée par M. Béguin lors de son audition, était de dresser une liste détaillée des incompatibilités, comme cela est mentionné dans l'article 33 de la loi neuchâteloise sur les droits politiques.

C'est pour toutes ces raisons que le parti radical va soutenir le renvoi de ce projet de loi à la commission des droits politiques et que, si cela ne passe pas, nous soutiendrons ce projet de loi et voterons l'entrée en matière.

Une voix. Très bien !

M. Vincent Maitre (PDC). J'aimerais tout d'abord saluer l'attitude du député Borloz qui s'est tout à l'heure abstenu sur le vote. Certains autres députés de cette enceinte auraient été bien inspirés de faire de même et de faire preuve d'une telle loyauté et d'une telle intégrité, puisque le noeud du débat est finalement là. Nous avons un article 24, cela a été dit, qui interdit le conflit d'intérêts. Pour nous, le groupe PDC, s'agissant des deux premiers projets de lois comme de celui-ci, c'est-à-dire le PL 10638, il convient de ne surtout pas céder à la «légiférite aiguë». C'est un problème typiquement de précision d'une loi qui doit être apportée dans le cadre de l'article 24. Il n'y a pas lieu de créer des projets de lois, au sens formel, de lois cantonales donc, et encore moins de projets de lois constitutionnelles. L'article 24 est ce qu'il est. Certains députés, manifestement, ne l'appliquent pas. Cela pose beaucoup moins de problèmes dans d'autres cantons - le canton de Neuchâtel a été cité. Il en découle une certaine responsabilité de chaque député. Si, par impossible, ces députés qui seraient en conflits d'intérêts continuaient à ne pas tenir compte de l'article 24, j'encouragerais vivement les membres du Bureau nouvellement élus à sanctionner, puisqu'il cela relève de leur compétence.

Pour ces raisons-là, j'aimerais aussi rappeler que, sur ce sujet comme le précédent, les députés du groupe démocrate-chrétien qui sont fonctionnaires s'abstiendront. Et le PDC dans son ensemble refusera ce projet de loi.

Le président. Merci, Monsieur le député. Avant de passer la parole à M. Stauffer, je vous dois une petite explication, Mesdames et Messieurs les députés. Dans son rapport de minorité, Mme le rapporteur proposait de renvoyer le projet en commission. Elle vient, à la fin de sa présentation, de redemander le renvoi en commission. J'ai jugé opportun, dans la mesure où cette proposition figurait dans son rapport de minorité, de laisser ceux qui sont inscrits continuer ce débat jusqu'à la fin, ce après quoi nous nous prononcerons effectivement sur le renvoi en commission et ensuite, en cas de refus, sur l'entrée en matière, bien évidemment. Voilà, j'espère que cette explication vous satisfait. La parole est à M. le député Stauffer.

M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues. Il faut que nous soyons cohérents avec nos travaux législatifs. Je m'explique. Je remercie déjà le député Saudan, qui a annoncé que, d'après l'article 24, il n'aurait pas pu prendre la parole. Eh bien moi, je trouve qu'il a bien fait de la prendre, et je vais vous expliquer pourquoi.

A vous écouter, chers collègues, les fonctionnaires ne devraient pas voter ou s'exprimer. Alors laissez-moi vous démontrer l'absurde de ce que nous sommes en train de faire. Demain, le MCG va déposer un projet de loi pour interdire aux socialistes, aux Verts, aux PDC, aux radicaux, aux libéraux et à l'UDC de siéger ! (Commentaires.) Vous allez devoir vous abstenir et ne pas participer au débat parce que vous serez confrontés à l'article 24. (Exclamations.) Mais oui, c'est exactement ce que l'on est en train de faire, Mesdames et Messieurs ! Si demain un groupe décide de déposer un projet de loi, pour faire comme ce le fut dans le canton d'Appenzell - Rhodes-Intérieures, je crois - où les femmes n'avaient pas le droit de vote.... Demain, un groupe complètement loufoque, mais qui siégerait ici, dépose un projet de loi...

Des voix. Le MCG ?!

M. Eric Stauffer. ...dépose un projet de loi pour interdire aux femmes d'être éligibles, comme c'était le cas dans le canton d'Appenzell, Rhodes-Intérieures ou Extérieures... Bref, peu importe: à Appenzell. (Commentaires.) Cela veut dire que les femmes ne pourront pas prendre la parole parce qu'elles ont un intérêt direct - article 24 !

Mesdames et Messieurs, nous sommes représentatifs de la population. Lors des élections, les gens savent pour qui ils votent. Alors légiférez peut-être pour obliger de marquer la profession ou si la personne est fonctionnaire, et l'électeur, en toute connaissance de cause, va porter à la fonction que nous occupons les gens qu'il aura envie d'y voir ! Mais arrêtez, avec cette «légiférite aiguë», de dire: «Les fonctionnaires, cela ne va pas.» Parce que, finalement, même parmi les signataires de ce projet de loi, il y a quelqu'un qui ne devrait pas s'exprimer et qui a pourtant demandé la parole. En effet, dans l'article 24, il est marqué: «Dans les séances du Grand Conseil et des commissions, les députés qui, pour eux-mêmes, leurs ascendants, descendants, frères, sœurs, conjoint, partenaire enregistré, ou alliés au même degré, ont un intérêt personnel direct à l'objet soumis à la discussion, ne peuvent intervenir ni voter, à l'exception du budget et des comptes rendus pris dans leur ensemble.» Or nous avons un député ici qui travaille pour l'Université; sa femme travaille pour l'Université. Donc il est fonctionnaire à part entière, et deux fois ! (Remarque.) Eh bien, c'est l'un des signataires du projet de loi, c'est donc un membre du parti libéral. Mais mon éducation ne me fera pas dire son nom. (Commentaires.)

Mesdames et Messieurs... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Mesdames et Messieurs, c'est pour vous démontrer l'absurde de ce que nous sommes en train de faire ! Encore une fois, nous sommes des parlementaires de milice. Nous sommes là par vocation, par envie, par conviction. Nous ne devons pas limiter une partie de la population sous prétexte que ce sont des fonctionnaires, parce que, demain, ce sera autre chose, et encore autre chose... Et où s'arrêtera-t-on ? Que vous-voulez faire ? Enlevez les fonctionnaires ? Très bien ! Laissez-moi vous rappeler ce qui s'est passé avant la votation de 1998 pour l'autorisation de l'éligibilité des fonctionnaires. Cela ne jouait pas non plus ! C'est bien pour cette raison qu'il y a eu par quatre fois des votations ! C'est un peu comme l'histoire du tram, à Genève. Dans les années soixante, il y avait des trams partout. Ensuite, on les a enlevés. Maintenant, on les remet.

Alors je vous en prie, gagnons du temps, refusons l'entrée en matière de ce deuxième projet de loi, qui a peut-être été fait sur un coup de tête. Ne le renvoyons pas en commission. Nous avons d'autres sujets bien plus importants à traiter ! Je vous propose de ne pas accepter l'entrée en matière.

Une voix. Bravo, très bien !

M. Olivier Jornot (L). Mesdames et Messieurs les députés, de coup de tête, il ne saurait être question, puisque la position du parti libéral sur cette question a été constante au fil des années, notamment lors des diverses votations, à l'occasion desquelles le peuple a pu se prononcer sur cette question. Finalement, ce que les projets de lois précédents, ceux du parti socialiste, nous ont donné l'occasion de rappeler, c'est précisément cette position constante, réclamant tout simplement le retour à la situation qui précède la votation de 1998. Et pourquoi cela ? Parce que nous sommes confrontés à un résultat insatisfaisant depuis que le peuple a accepté, en 1998, de changer les règles du jeu.

Ce n'est pas parce que cela entraînerait un problème de qualité que la situation est insatisfaisante. En aucun cas. A cet égard, je rends hommage à l'hommage que le président a tout à l'heure rendu à la fonction publique. Le problème n'est évidemment pas là. Le problème n'est pas non plus, comme parfois ont tendance à caricaturer les adversaires des incompatibilités, que l'on reprocherait aux députés de se voter à eux-mêmes des salaires, des subventions, ou que sais-je encore. Ce n'est pas cela le souci. Nous estimons - nous espérons, d'ailleurs - que, sur ce point, l'éthique qui a été évoquée auparavant par notre ancien président fait son travail.

En revanche, c'est ce que MM. Saudan et Broggini disaient tout à l'heure à propos du cas bien spécifique des policiers qui constitue un problème: le conflit d'intérêts, parce que l'on ne peut pas simultanément rendre des comptes à deux pouvoirs. A cet égard, la Constituante, comme vous le savez, qui, à la majorité, a accepté d'introduire cette incompatibilité, a eu des débats extrêmement intéressants. Raymond Loretan, par exemple, le constituant du parti démocrate-chrétien, disait: «Il est évident que l'on ne peut pas partager sa loyauté entre les pouvoirs exécutif et législatif. Les députés en question seraient en situation de conflits d'intérêts permanents.» Cette position est partagée par tous les groupes de la Constituante qui ont formé une majorité pour soutenir cette incompatibilité.

Le problème est là, Mesdames et Messieurs, dans notre rôle de surveillance. Il est dans le fait que, en acceptant d'avoir supprimé dans une très large mesure cette incompatibilité, nous avons accepté que les contrôlés et les contrôleurs puissent être exactement la même personne, ce qui n'est objectivement pas possible.

Nous sommes sensibles, nous les libéraux, aux arguments qui ont été évoqués par Mme la rapporteure de minorité, respectivement par M. Saudan, quant à l'opportunité d'examiner dans le détail la portée de l'incompatibilité proposée, qui n'est pas exactement la même que celle de la Constituante, même si elles se recoupent dans une très large mesure. C'est la raison pour laquelle, même si nous estimons que ce projet est en état d'être voté, nous soutiendrons le renvoi en commission.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Mesdames et Messieurs, avec ce projet de loi, le parti libéral se moque ouvertement des citoyens qui ont voté en 1998 à une forte majorité, près de 62%, le principe autorisant enfin les fonctionnaires à siéger comme députés. Historiquement, cette incompatibilité datait de 1901 et résultait de l'acceptation d'une initiative populaire. D'ailleurs, dans l'exposé des motifs de cette initiative, il était rappelé un très fort conflit politique, et le vote était un vote de sanction contre le gouvernement en place; ne pouvant pas s'en prendre au gouvernement lui-même, on s'en était pris à ses agents.

Mais peut-être que le parti libéral préférerait aller encore plus en arrière et répéter encore plus souvent les mêmes choses, car, dans le temps, au début du XIXe siècle, on avait un vote censitaire, c'est-à-dire un vote réservé uniquement aux citoyens fortunés. C'était peut-être plus simple ! Quand on sait qu'être député de milice ne permet pas de vivre ou de faire vivre une famille, cela veut dire que toute une partie de la classe moyenne de ce parlement serait éliminée; environ un quart des députés fonctionnaires actuels seraient sanctionnés, alors qu'ils représentent une partie beaucoup plus grande et importante de la population que la population des fonctionnaires, en prenant en considération leur revenu et leur classe.

Malgré les apparences, M. Jornot est quand même un censeur, à mon avis, et peut-être même un opportuniste.

Des voix. Oh !

Mme Lydia Schneider Hausser. Mais oui ! Parce que, quand on traite le parti socialiste de dogmatique et d'opportuniste, il faudrait peut-être quand même se regarder soi-même. Cela m'a fait penser, d'ailleurs, à quelques paroles d'une chanson de Jacques Dutronc, qui disait en parlant des opportunistes: «Je n'ai pas peur des profiteurs. Ni même des agitateurs. Je fais confiance aux électeurs. Et j'en profite pour faire mon beurre.» (Exclamations.)

Pour conclure, toute restriction des droits civiques doit être clairement et dûment motivée, et s'inscrire dans un principe de proportionnalité. Or les motifs évoqués par les libéraux n'ont convaincu ni les socialistes ni la majorité de la commission quant à soutenir ce projet de loi. Nota bene, pour terminer: la cheffe du groupe socialiste que je suis n'est pas la cheffe d'un groupe de députés fonctionnaires. Nous n'en avons pas plus dans notre groupe que le parti libéral ou que d'autres partis. Pourtant, il nous semble primordial de ne pas bafouer ce droit fondamental du citoyen. Mesdames et Messieurs, ce projet de loi ne mérite rien d'autre que son rejet, c'est ce que je vous prierai de voter, tant pour l'entrée en matière que pour le renvoi en commission, et je vous en remercie.

Une voix. Bravo !

Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le député Jeannerat, à qui il reste une minute et quinze secondes.

M. Jacques Jeannerat (R). C'est bien assez, Monsieur le président. Je ne vais pas m'exprimer sur le fond du projet de loi, puisque mon groupe l'a déjà fait, mais seulement sur la forme du vote. Il est beaucoup question ce soir de l'article 24. Alors je ne me contente pas d'inviter les fonctionnaires à ne pas prendre part au vote, je vous invite vous, Monsieur le président, à faire appliquer strictement le règlement, de façon que les députés fonctionnaires ne prennent pas part au vote.

J'aimerais terminer en relevant l'incohérence du MCG, parce que c'est précisément l'un de ses représentants à la Constituante qui a demandé d'inscrire dans la nouvelle constitution l'incompatibilité entre les fonctionnaires et la députation.

Le président. Monsieur le député, vous m'interpellez, donc j'use de mon droit de réponse. Je ne peux pas, de quelconque manière impérative, forcer l'application de l'article 24. Cela dépend de chacune et de chacun d'entre vous. Je peux, à la limite, comme vous, remarquer qui suit ou ne suit pas cet article 24, mais je n'ai pas encore la capacité d'imposer l'application de l'article 24... (Remarque.) ...à part avec mon marteau ! La parole est à Mme la députée Baud.

Mme Catherine Baud (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, les Verts n'entreront pas en matière sur ce projet de loi et refuseront également le renvoi en commission, parce que la population a voté en 1998. Le résultat de cette votation est un compromis tout à fait correct, qui a bien fonctionné. Je vous rappelle que des incompatibilités existent pour les hauts fonctionnaires et que c'est appliqué. Je vous rappelle également que, lorsqu'un député siège au Grand Conseil, on observe s'il y a des incompatibilités. Et parfois, cela peut arriver.

Donc cela existe, mais l'étendre à tous les fonctionnaires, c'est éliminer d'un seul coup 30% du Grand Conseil. Alors est-ce que l'on veut une assemblée de retraités ? C'est bien, les retraités ! Mais peut-être faut-il aussi des gens actifs ! (Commentaires.) Les fonctionnaires ont tout à fait leur place, pour autant qu'ils sachent là encore se récuser lorsqu'il est question de sujets les concernant. Là, c'est une question d'éthique. Le président du Grand Conseil n'a rien à voir dans cette histoire et il ne peut pas l'imposer. C'est à chacun de faire cette propre réflexion en soi, et je crois qu'il faut en rester là.

Si la Constituante fait un pas en avant, un pas en arrière, c'est son problème. Ce n'est pas une raison, pour nous, de changer d'avis. Lorsque nous avons reçu les membres de la Constituante au moment de l'étude de ce projet de loi, ils disaient tout à fait le contraire. Ils disaient que le problème ne se posait pas, que ce n'était pas important, et que finalement les choses allaient très bien comme cela. Ils ont changé d'avis depuis, c'est effectivement leur problème, mais il n'y a pas de raison que nous changions nous aussi d'avis sur ce point. Donc nous n'entrerons pas en matière et nous ne souhaitons pas un retour en commission.

Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le député Weiss, à qui il reste une minute.

M. Pierre Weiss (L). Je crois qu'il a été dit ce soir que, quelle que soit la décision que nous prendrons, elle reviendra sur le tapis, puisque la Constituante veut introduire une disposition sur les incompatibilités. On verra à ce moment quel sera le résultat du vote populaire. C'est le premier point.

Deuxième point, s'agissant des incompatibilités personnelles, il est clair que, lorsque l'on a un avantage personnel, on doit s'abstenir. Lorsque l'on combat ses avantages personnels, on a même tout honneur à voter.

M. Vincent Maitre (PDC). Pour que les choses soient tout à fait limpides, le PDC ne remet pas en question le problème de fond, qui effectivement se pose. On vient d'en avoir la démonstration à l'instant, avec, ma foi, l'embarras de M. le président à pouvoir faire appliquer de façon contraignante cet article 24 lorsqu'un conflit d'intérêts survient. Il conviendra donc, le cas échéant, d'en préciser la portée, dans le cadre d'une révision de la loi portant règlement du Grand Conseil. Ou alors, comme cela a été dit, ce sera le cas dans le cadre de la Constituante, puisque cette dernière s'est emparée du sujet.

En résumé, pour le PDC, il ne s'agit donc pas d'un problème de fond, mais bien de forme. C'est pour cette raison que le projet libéral ne nous paraît pas convenir en la forme, et c'est pour cette raison uniquement que nous le refuserons, même si nous sommes évidemment largement ouverts à discuter du fond.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Stauffer, à qui il reste cinq secondes. (Exclamations.)

M. Eric Stauffer (MCG). Monsieur le président, vu que j'ai été mis en cause... (Remarque.) ...je suis vraiment désolé, mais il convient au moins que je puisse répondre sur ceci. Vous expliquerez, Monsieur le président, au député qui m'a fait une attaque frontale par rapport à la Constituante qu'il faudrait qu'il explique le tout. Ce que le groupe constituant MCG voulait, c'était ne plus avoir des parlementaires de milice, mais les rémunérer. Et ce qu'il voulait, c'était que les fonctionnaires suspendent leur traitement, puisqu'ils deviendraient des parlementaires professionnels, pour ensuite réintégrer leur poste.

Maintenant, je conclurai, si vous permettez, très brièvement...

Le président. Rapidement...

M. Eric Stauffer. ...Monsieur le président. Quand on veut donner des leçons, Mesdames et Messieurs radicaux-libéraux, je vous renvoie à la motion 1923 pour les agriculteurs genevois. Votre invite est celle-ci: «à prendre et à renforcer les mesures et actions adéquates pour maintenir...», etc., en faveur de l'agriculture genevoise. Elle est signée par vos députés, dont le président d'AgriGenève et des agriculteurs. Eh bien moi, je vous encourage à le faire, parce que vous êtes des professionnels et que vous savez de quoi vous parlez, comme les fonctionnaires ce soir dans ce parlement. Je vous invite à vous exprimer et à voter, parce que, dans cette enceinte, vous êtes des députés assermentés, élus légitimement... (Remarque.) ...et vous pouvez...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur Stauffer...

M. Eric Stauffer. ...vous exprimer.

Des voix. Bravo ! Très bien !

Le président. La parole est à Mme la députée Amaudruz. Elle dispose de deux minutes et cinquante secondes.

Mme Céline Amaudruz (UDC). Comme vous l'avez compris, le groupe UDC est assez indécis sur ce sujet. Je l'étais aussi, mais ma maigre expérience m'a permis de comprendre que l'article 24 n'est clairement pas respecté dans ce parlement. (Commentaires.) De ce fait, j'avais un mince espoir que le Bureau puisse sanctionner ou prendre position par rapport aux gens qui ne respectaient pas l'article 24. Vous venez d'éclairer ma lanterne; vous ne pouvez pas le faire. De ce fait, pour ma part, et j'espère que les UDC me suivront, je vais demander et soutenir le renvoi en commission. En cas de refus, nous voterons ce projet de loi.

M. Jean-Michel Gros (L). Je sais qu'il ne me reste pas beaucoup de temps, Monsieur le président, ce qui fait que je m'exprimerai très brièvement...

Le président. Trente secondes !

M. Jean-Michel Gros. C'est très gentil à vous. Vous avez exprimé votre impuissance vis-à-vis de l'article 24, mais vous avez exhorté les gens qui se sentiraient concernés à le respecter eux-mêmes. (Remarque.) Si j'ai bien entendu, il y a 30%, ici, de personnes qui ne devraient pas voter. Vous voyez donc l'absurdité - l'absurdité ! - d'avoir élu tant de fonctionnaires dans ce Grand Conseil, puisque 30% ne pourront pas voter. Le jour où nous en serons à 60%, je vous laisse imaginer tous les votes qui devront avoir lieu à la majorité qualifiée.

Une voix. Bravo ! (Commentaires.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Les députés rapporteurs ne demandent pas la parole... Non. Dans ce cas, nous allons dans un premier temps nous prononcer sur le renvoi à la commission, sauf erreur, des droits politiques. Madame la rapporteure de minorité, les droits politiques, c'était bien cela ? Oui.

Des voix. Appel nominal !

Le président. Etes-vous soutenus ? (Appuyé.)

Mis aux voix à l'appel nominal, le renvoi du rapport sur le projet de loi 10638 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 44 non contre 32 oui et 1 abstention.

Appel nominal

Mis aux voix, le projet de loi 10638 est rejeté en premier débat par 44 non contre 28 oui et 1 abstention.