République et canton de Genève

Grand Conseil

La séance est ouverte à 20h30, sous la présidence de M. Bernard Lescaze, président.

Assistent à la séance: M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat, et Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat.

Exhortation

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.

Personnes excusées

Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes et MM. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat, Robert Cramer, Carlo Lamprecht, Micheline Spoerri et Charles Beer, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Bernard Annen, Thierry Apotheloz, Luc Barthassat, Blaise Bourrit, Renaud Gautier, Nicole Lavanchy, Georges Letellier, Jacqueline Pla et Louis Serex, députés.

Annonces et dépôts

Néant.

PL 8642-A
Rapport de la commission fiscale chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Janine Berberat, Claude Blanc, Nicolas Brunschwig, Gilles Desplanches, Daniel Ducommun, Pierre Ducrest, Pierre Froidevaux, Janine Hagmann, Michel Halpérin, Jean-Marc Odier, Micheline Spoerri, Stéphanie Ruegsegger, Jean Rémy Roulet modifiant la loi sur les droits de succession (D 3 25) (Exonération du conjoint, des parents en ligne directe et des partenaires)

Premier débat

M. Jacques Jeannerat (R), rapporteur de majorité. Comme vous avez pu le lire dans le rapport, ce projet de loi prévoit la suppression des impôts sur les droits de succession pour les conjoints, les ascendants et les descendants en ligne directe. Tel qu'il a été voté par la majorité de la commission, ce projet de loi, selon les calculs que le département des finances a pu nous fournir, a comme incidence une diminution financière de recettes de l'ordre de 48 millions de francs. C'est un calcul qui a été effectué sur une moyenne des années 1997 à 2001 au niveau des droits de succession. La diminution de recettes, selon le projet de loi initial, était beaucoup plus élevée, puisqu'elle atteignait 92 millions de francs. S'agissant des droits de donation, l'estimation que le département nous a fournie sur la diminution de recettes atteint environ 17 millions. Là aussi, il s'agit d'une moyenne sur plusieurs années.

Si la diminution de recettes pour l'Etat est plus faible dans le projet de loi que nous avons ce soir sous les yeux par rapport au projet de loi initial, c'est parce que la majorité de la commission a décidé de ne pas supprimer l'impôt sur les droits de succession pour les personnes qui sont déjà au bénéfice d'un forfait fiscal.

La diminution des rentrées fiscales engendrée par ce projet de loi n'est, selon la majorité de la commission, pas déterminante pour l'avenir des finances de l'Etat de Genève, notamment au regard des avantages apportés par la suppression de cette loi. La suppression de l'impôt sur les droits de succession évitera notamment le changement de domicile fiscal pour les personnes qui atteignent l'âge de la retraite. Il faut savoir, par exemple - peut-être que certains d'entre vous le savent déjà - que des communes valaisannes écrivent aux retraités qui possèdent une résidence principale à Genève et une résidence secondaire en Valais, pour leur rappeler les avantages qu'il y aurait s'ils transféraient leur domicile fixe dans une commune valaisanne. Je vous laisse apprécier ce genre d'attitude de la part de certaines communes valaisannes !

Il faut en outre préciser que ce projet de loi constitue un véritable outil de promotion économique, puisqu'il facilitera la transmission d'entreprises familiales. Il contribuera à la pérennité d'une partie importante du tissu économique de notre canton.

Ce projet de loi va en quelque sorte moderniser la fiscalité genevoise, c'est-à-dire la rendre un peu plus compétitive par rapport aux autres cantons. Il faut savoir qu'il n'y a que deux autres cantons en Suisse qui connaissent encore une imposition complète des droits de succession. S'agissant des pays voisins, la plupart d'entre eux connaissent un impôt successoral, mais ils n'ont pas d'impôt sur la fortune. L'impôt successoral genevois constitue en fait une ponction de trop.

Voilà, Monsieur le président, j'en ai terminé pour l'instant !

Mme Michèle Künzler (Ve), rapporteuse de minorité. Si la minorité a jugé bon de faire ce rapport et de s'opposer au projet de loi tel qu'il est sorti de commission, c'est parce qu'il nous laisse sur notre faim. Effectivement, il manque totalement ses objectifs. On se retrouve avec un projet de loi qui conserve le texte tel qu'il a été voté dans les années 60, avec des déductions datant de l'époque - par exemple une déduction de 500 F qui représentaient peut-être un salaire à l'époque, mais qui ne représentent aujourd'hui plus grand-chose. Autre exemple: les associations qui peuvent être exonérées ne sont pas du tout à jour. Cela reste en l'état dans cette loi ! Tout ce que l'on a fait en commission fiscale, c'est de découper des petits trous partout où l'on parle de conjoints et de descendants. Le reste demeure en l'état. Il faudra donc soumettre cette loi au vote populaire si cela passe comme vous l'espérez, mais il faudra aussi revoter peu après la même loi, modernisée, parce qu'il y a effectivement des choses à moderniser.

En commission, il n'a pas été répondu aux véritables questions philosophiques qui se posent. Pourquoi ce revenu devrait-il être taxé autrement qu'un revenu ordinaire ? On ne le sait pas ! Quant au défunt qui laisse quelque chose, l'a-t-il acquis lui-même ou s'est-il inscrit dans une société qui lui a permis de faire fructifier sa fortune ? (Exclamations.)Il a certainement payé des impôts...

J'entends à nouveau le mot «spoliation». Dans la presse aussi, les personnes interrogées précisent qu'elles ne veulent pas se faire «spolier». J'aimerais simplement prendre un exemple. Le conjoint qui hériterait d'une villa d'un million ne payerait que sur 500 000 F, puisque la première tranche lui appartient déjà, mais il payerait 30 000 F, soit 6%; si ce conjoint a des enfants, ceux-ci ne payeront que 4%. Ce n'est vraiment pas grand-chose. C'est cela qu'il faut dire, il ne s'agit nullement d'une spoliation.

Il s'agit par ailleurs du meilleur moment pour taxer. Les ultra-libéraux américains pensent d'ailleurs que c'est là qu'il faudrait taxer un maximum pour que tout le monde reparte à zéro... Votre vision est une vision d'ancien régime !

Certains seraient nés pour s'enrichir. Dans un autre projet de loi vous voulez aussi limiter l'impôt sur la fortune. Cela coûterait 220 millions à l'Etat. Et vous voulez en plus que rien ne se perde au moment de la transmission ! On aurait donc simplement des gens qui s'enrichiraient de leur vivant et l'on ne ponctionnerait plus rien à la transmission. Quelle société visez-vous ? Quant aux Valaisans, qui appellent les Genevois à venir s'installer chez eux, le résultat s'avère flagrant : ils comptent à peu près le même nombre de personnes imposées au forfait que Genève, mais, il faut le savoir, cela leur rapporte dix fois moins, soit 7 millions seulement ! Est-ce une vision très dynamique de la société que d'appeler des retraités pour venir les ponctionner chez soi ? Cela ne va pas créer des entreprises, ni créer un quelconque dynamisme. C'est vraiment une vision de société qui se tasse. En tout cas, c'est celle-là que vous promouvez avec ce projet de loi et que nous rejetons évidemment !

Le président. Merci, Madame la rapporteuse. Il y a déjà douze orateurs inscrits dans ce débat... Je les prie d'être brefs!

M. Jean Rémy Roulet (L). Le groupe libéral a proposé à ses partenaires de l'Entente, il y a deux ans de cela, c'était au cours de la précédente législature, un projet de loi visant à exonérer les conjoints et les parents en ligne directe à l'occasion d'une succession. Pourquoi avons-nous déposé ce projet de loi ? Pour deux raisons essentielles. Première raison : notre canton n'est absolument pas compétitif en matière de fiscalité successorale. Nous sommes le dernier canton, Mesdames et Messieurs, ou peut-être l'avant-dernier, à taxer les conjoints en matière de droit successoral. Nous sommes dans les cinq ou six derniers à imposer les parents, qu'ils soient descendants ou ascendants.

Nous sommes entourés de cantons qui, au fur et à mesure que passe le temps, exonèrent définitivement les deux catégories que je viens de citer. Qui plus est, autour de nous, en France voisine, en Italie, en Angleterre, l'impôt sur la succession diminue, pour ne pas dire est supprimé. Vous avez fait allusion, Madame Künzler, aux Etats-Unis, qui, eux, taxent effectivement la masse successorale. Mais eux ne connaissent pas d'impôt sur la fortune ! C'est un élément qu'il faut prendre en compte lorsqu'on situe un canton ou un pays en matière de compétitivité fiscale. Il paraît dès lors évident, comme l'a d'ailleurs indiqué le rapporteur de majorité, M. Jeannerat, que notre canton, par ce projet de loi, gardera sa capacité fiscale attractive. C'est une condition sine qua non pour que nous puissions développer toutes les infrastructures sociales nécessaires dans ce canton.

La deuxième raison est toute simple, c'est qu'il existe à Genève des personnes, qui n'ont pas les moyens de régler les impôts successoraux, ce qui est tout à fait condamnable. Je m'étonne d'ailleurs que l'on n'ait pas saisi l'opportunité, sur les bancs d'en face, de pointer le doigt sur ce phénomène, cette ponction, qui est, sur le plan social, tout à fait injustifiée !

Alors qu'est-il sorti de la commission ? Il est sorti un projet de loi remanié. Force est de constater - nous l'avouons avec humilité - que notre projet de loi contenait un certain nombre d'imperfections. La première imperfection, et c'est Mme Calmy-Rey, M. Vanek ou M. Pagani - qui n'est pas là - qui... Je vous prie juste d'écouter les propos de Mme Calmy-Rey : «Il est inacceptable d'exonérer les contribuables au bénéfice d'un forfait.» Nous avons écouté Mme Calmy-Rey et lui avons dit: «Taxons donc ces forfaitaires et laissons-leur cet impôt de succession!» Qu'a répondu Mme Calmy-Rey ? «Mes juristes me disent que cela crée une différence de traitement entre deux contribuables, et c'est totalement inexcusable et inacceptable.» Autrement dit, Mme Calmy-Rey était totalement opposée au fait que nous exonérions de façon définitive les conjoints et les parents en ligne directe de ce canton alors que cela se fait partout ailleurs. Nous avons donc fait un pas en direction des Socialistes. Nous avons aussi fait un pas en direction des Verts; ceux-ci n'ont malheureusement pas voulu nous suivre. En commission, vous avez voté pour l'imposition sur les forfaits.

Deuxième point, au niveau des barêmes. La même Mme Calmy-Rey a sorti de son chapeau une imposition par paliers, expliquant que les masses successorales d'un million seraient imposées, les masses de 2 millions le seraient encore plus, etc. C'est en fait utiliser la fiscalité à des fins de redistribution, de justice sociale. Le peuple genevois, il n'y a pas plus tard que le 17 mai dernier, a clairement dit non à cette façon de gérer la politique fiscale cantonale ! Là aussi, une majorité de droite, composée de l'UDC et de l'Entente, a refusé une imposition par paliers. Je crois que c'est une bonne chose pour la suite de nos débats.

Dernière innovation apportée par la commission, mais elle est de taille, c'est de jumeler la suppression des droits de succession avec la suppression des droits de donation entre vifs. Il est bien clair que les entrepreneurs qui cherchent à léguer leur outil de production à leur famille sont pour l'instant grevés de cet impôt. Dans la situation économique que nous connaissons, nous jugeons cela inacceptable. C'est avec grand intérêt que nous avons donc écouté les experts fiscaux auditionnés, qui nous ont suggéré d'intégrer dans ce projet de loi la suppression de l'imposition entre vifs.

Encore un dernier point : la charge pour l'Etat de ce projet de loi, comme l'a dit M. Jeannerat, est à nos yeux pleinement supportable. Elle s'élève à moins de 50 millions, soit, à peu près, à peine plus d'un pour cent du budget total de l'Etat au niveau des chiffres 2002. C'est une impulsion, dans une situation politique donnée, que le canton doit donner. C'est prioritaire.

Je vous prie donc, Mesdames et Messieurs les députés, pour la suite des débats, d'accueillir favorablement cette baisse d'impôt qu'une grande partie de la population attend depuis fort longtemps ! (Applaudissements.)

Présidence de M. Pascal Pétroz , vice-président

Mme Morgane Gauthier (Ve). En préambule, je tiens à rappeler une chose qui figure à la page 18 du rapport de majorité sur les incidences financières. On nous précise qu'il y a 48,5 millions de francs concernant les droits de succession et 16,9 millions de francs pour les droits de donation. On en est donc à un peu plus que les 50 petits millions dont on nous a parlé. C'est la chose que je voulais dire en préambule.

En ce qui concerne le fond, je suis très étonnée, parce que ce rapport ne contient pas de fond. Il n'y a pas d'explications ! Pourquoi fait-on cela, pourquoi maintenant et dans quel but ? Il n'y a rien dans le rapport de M. Jeannerat qui explique la philosophie néo-libérale. Peut-être faudrait-il nous le rappeler lorsqu'on dépose un rapport de majorité là-dessus ! Il n'y a pas de chiffres, il n'y a pas de statistiques qui indiquent que les gros contribuables genevois déménagent pour aller «mourir» ailleurs. Excusez-moi, Monsieur Jeannerat, mais c'est une philosophie que vous auriez peut-être mieux fait de développer ! On aurait au moins pu parler du fond et pas uniquement des chiffres !

En parlant de chiffres, ce n'est pas le moment. On nous dit que l'on a de la peine à boucler l'année 2003, que l'on a de la peine à mettre sur pied le budget 2004, que l'Etat a des responsabilités qu'il doit honorer. On a voté des crédits, des crédits d'investissement, on veut de nouvelles écoles, de nouvelles structures, on veut des transports publics performants. C'est là-dedans que l'on s'est engagé, Mesdames et Messieurs, en votant depuis deux ans des projets de lois d'investissement ! On veut un Etat qui fonctionne et un Etat qui fonctionne bien ! Pensez-vous que c'est vraiment le moment de priver l'Etat de plus de 70 millions de francs par année ? Par année ! Ce n'est pas juste une fois, c'est chaque année ! Et l'on sait très bien que les successions sont aléatoires; 70 millions représentent une moyenne. Ce n'est donc absolument pas responsable de voter cela aujourd'hui.

On a entendu parler, par la voix d'un certain conseiller fédéral, d'un impôt fédéral sur les droits de succession; on nous présente un nouveau paquet fiscal, un report de charges sur les cantons; on diminue les rentrées ficales des cantons au même moment. Dites-nous juste comment vous allez faire cela ! Dites-nous justes comment... (L'oratrice est interpellée.)Economiser, Monsieur Kunz ? Merci, vous êtes vraiment le chantre du libéralisme ! Dites-nous où ! (Brouhaha.)Dites-nous où ! On n'attend que cela ! (L'oratrice est interpellée.)

Le président. S'il vous plaît, Monsieur Hiler, calmez-vous !

Mme Morgane Gauthier. Nous savons actuellement que les besoins de la population augmentent et que le nombre de personnes augmente. Il faut investir dans les EMS, dans les crèches, dans les écoles, dans les transports. Dites-nous ce que vous voulez faire et quelle société vous voulez aujourd'hui, Mesdames et Messieurs de l'Entente et de l'UDC ! Dites-nous ce que vous voulez et dites-le-nous clairement, au lieu de présenter ce genre de chose !

Maintenant, pourquoi choisir de vivre à Genève ? Parce que l'on ne paie pas d'impôt de succession ? Mais ce que l'on a à Genève, c'est une qualité de vie incroyable ! Est-ce que vous l'avez oublié ? (Brouhaha.)Les vitrines du G8, on les payera une fois, pas chaque année. Et même si c'est une fois de trop, ce n'est pas 70 millions de francs par année !

Je vous remercie, Monsieur le président, et j'espère que ce parlement fera preuve d'un petit peu plus de responsabilité ce soir ! (Applaudissements.)

M. Jean-Marc Odier (R). Enfin ! «Enfin!», c'est ce que nous pourrions dire, Mesdames et Messieurs les députés ! Pourquoi demandons-nous l'urgence sur ce projet de loi ?

M. David Hiler. Parce qu'il y a des élections fédérales ! (Rires et applaudissements.)

M. Jean-Marc Odier. Non, Monsieur Hiler ! Voyez-vous, en 2000... (Brouhaha.)Vous m'entendriez mieux si vous vous taisiez un peu !

Le président. Monsieur Hiler, cessez de perturber le bon déroulement des débats, s'ils vous plaît ! Merci ! (Exclamations.)Je vous ai fait taire tout à l'heure, Monsieur Hiler, afin de pouvoir entendre votre collègue de parti. Je dois en faire de même pour pouvoir entendre le représentant du parti radical. (Exclamations.)

M. Jean-Marc Odier. J'expliquais simplement pourquoi nous demandions l'urgence. En l'an 2000, les rapports de force étaient un peu différents dans ce parlement. Et lorsque le parti radical a déposé le projet de loi concernant la suppression des impôts sur les successions entre conjoints, vous avez mis plus d'un an pour daigner vouloir en parler en commission fiscale ! Vous comprendrez ainsi qu'il est légitime aujourd'hui que nous essayions de faire avancer nos idées. D'autant plus que l'examen de ce projet a nécessité plus de 50 heures de commission et qu'il devra encore être soumis au peuple pour obtenir sa totale légitimité. J'aimerais donc simplement dire qu'il y a une urgence, ne serait-ce que pour cela.

Par contre, je constate avec satisfaction que le projet du parti radical, même s'il était minimal à l'époque, a tout de même permis d'ouvrir le débat, non seulement dans nos rangs, mais dans les vôtres aussi. Si je me souviens bien, et je suis certain de ne pas me tromper, les Verts étaient plutôt favorables, à l'époque, à un réhaussement de l'exonération de base, qui est de 5 000 F, à environ 20 ou 25 000 F. Mais je suis content de constater que les Verts, notamment, mais probablement aussi d'autres partis, comme le parti socialiste, sont aujourd'hui favorables aux donations entre vifs. Cela va tout à fait dans le sens que nous souhaitons. Quant à l'AdG, il est vrai qu'elle s'est montrée très discrète. Lorsque le parti radical a déposé son projet de loi, une partie de l'AdG, par la voix de certains groupes de personnes retraitées par exemple, était particulièrement favorable à cette idée-là.

Si la loi est compliquée - c'est vrai qu'elle comporte pratiquement 80 articles - les rapports sont simples; ils sont particulièrement intéressants. Je remercie donc les rapporteurs, de majorité comme de minorité. Ce n'est pas tellement sur certains articles que nous allons débattre ce soir; nous n'allons pas modifier certains articles de cette loi, mais probablement débattre sur le fond, contrairement à ce que Mme Gauthier disait. Elle a certes critiqué le projet de loi, mais elle a aussi suggéré un débat de fond.

La question de fond pour les opposants à ce projet de loi, Mesdames et Messieurs les députés, c'est le fait de posséder, de posséder plus que les autres, ce qui est injuste, et il faudrait remettre le compteur à zéro à chaque génération. C'est une formule que vous avez volontairement reprise, Madame Künzler, avec votre style, sympathique, toutefois un peu ironique ! Il faut partager la richesse, supprimer la thésaurisation, particulièrement lorsqu'il n'y a pas d'effort contributif du bénéficiaire de l'héritage. Ce que nous voulons, nous, c'est une société qui responsabilise l'individu, pour qu'il puisse être indépendant vis-à-vis de la collectivité. Il doit être... (Exclamations. L'orateur est interpellé.)Christian... Monsieur Brunier, pardon ! Vous parlerez après ! Merci !

Le système de prévoyance encourage à prévoir l'avenir et à épargner. Dans ce sens, les personnes qui peuvent épargner, et ce n'est de loin pas le cas pour tout le monde, je vous le concède, mais, puisque l'on encourage des personnes à épargner, il faut bien savoir que ces efforts sont imposés sur les revenus, ils sont imposés sur la fortune et, au décès, l'Etat voudrait se servir une troisième fois... (L'orateur est interpellé.)C'est faux, ce que vous dites !

Deuxième question, pourquoi la famille au premier degré et pas, plus largement, le partenariat notamment ? (Exclamations. Remarque de M. Dupraz.)Ce n'est rien, John !

Certains vous diront, par rapport au partenariat, qu'il n'y a pas encore de bases légales au niveau fédéral. Je vous le dis franchement, le partenariat ne me gêne pas, mais la normalité, dans la société, c'est la famille ! Et c'est la famille que je soutiendrai et encouragerai. Le débat aura donc lieu, c'est un avis totalement personnel.

J'aimerais reprendre certaines affirmations dans ce rapport qui exprime bien, Madame Künzler, ce que vous souhaitiez dire, à savoir qu'une succession taxée représente forcément un gain pour l'Etat et non une perte. C'est une vision à court terme. Pour une succession taxée, combien de contribuables s'en vont ou ne viennent pas ? De combien d'années de manque de recettes fiscales de ce contribuable l'Etat devra-t-il se passer ? Faites le calcul, je suis certain que l'Etat n'est pas gagnant en agissant comme cela ! Vous dites aussi dans votre rapport qu'il n'y a pas de preuves que des contribuables genevois quittent le canton et que ce ne sont que des allégations de notre part. En ce qui me concerne, sans parler du contexte familial, je connais dix personnes qui vont quitter le canton ou l'ont déjà fait, pour s'installer en Valais ou ailleurs, puisqu'elles sont désavantagées à Genève.

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !

M. Jean-Marc Odier. Maintenant, si l'héritage servait à loger une jeune famille ou à transmettre une entreprise à un jeune entrepreneur, d'accord ! Mais il ne s'agit en fait que de successions de retraités en retraités. Je vous concède que cette situation n'est pas favorisée par le droit actuel. Si l'on accorde de la facilité pour les donations, cela aidera. Je crois que nous pouvons nous rejoindre à ce propos.

J'ai entendu au passage Mme Gauthier se demander...

Le président. Vous avez dépassé votre temps de parole, Monsieur le député ! Il serait temps de conclure !

M. Jean-Marc Odier. De se demander si un montant de 50 à 70 millions était raisonnable actuellement. A quel moment sera-t-il raisonnable pour l'Etat, Madame Gautier, de se passer de 50 à 70 millions, surtout au vu de la manière dont les finances ont été gérées ? Il n'y aura pas une période où ce sera raisonnable.

Il y a deux points où ce projet semble particulièrement important : c'est, comme nous l'avions annoncé dans notre projet initial...

Le président. Monsieur le député Odier, je dis pour la troisième fois que vous avez dépassé votre temps de parole. Il serait donc vraiment temps de conclure !

M. Jean-Marc Odier. Je vous remercie, Monsieur le président, je ne vous avais pas entendu me l'annoncer déjà deux fois !

Le président. Je sais, le volume était insuffisamment fort !

M. Jean-Marc Odier. Je voudrais simplement dire, s'agissant du logement, que cela devient un réel problème lorsque le conjoint décède. En ce qui concerne les entreprises, et c'est véritablement incroyable, l'héritier doit souvent emprunter pour simplement poursuivre l'exploitation d'une entreprise !

La dernière chose que j'aimerais dire, qui concerne tout le monde et qui sera votée par le peuple, c'est que le fisc se sert au troisième passage à partir d'une somme de 5 000 F. C'est ce que nous voulons éviter. Cette loi concerne un grand nombre de contribuables.

Mme Mariane Grobet-Wellner (S). La proposition des députés de droite visant l'exonération totale d'impôts sur les successions et les donations, les héritages en ligne directe n'est pas acceptable pour les Socialistes. La variante qui nous est proposée aujourd'hui n'est qu'un bricolage inconsistant qui ne correspond à aucun besoin réel. Elle ne fait aucune distinction entre un héritage portant sur plusieurs centaines de millions de francs et un héritage d'un montant modeste, ce qui est socialement indéfendable. De plus, elle privera la collectivité de ressources entre 50 et 100 millions de francs par année, soit un demi-milliard, voire un milliard en dix ans, indispensable pour faire face aux besoins grandissants de la population sans se soucier de savoir où nous allons prendre l'argent en lieu et place.

Rappelons tout d'abord que Genève connaît un impôt sur les parts successorales et non pas sur la masse successorale. Cet impôt obéit aux mêmes règles que celles concernant les donations entre vifs. Il s'agit d'un impôt spécial sur ce qui est un revenu pour les bénéficiaires, réalisé par un transfert de fortune. Son taux est progressif, tenant aussi bien compte de la capacité contributive du bénéficiaire que du degré de parenté. La masse successorale est déterminée après liquidation du régime matrimonial attribuant en général la moitié de l'acquêt en commun au conjoint survivant. Le conjoint survivant est actuellement classé dans la même catégorie que les enfants et les parents du défunt, à condition d'avoir des enfants vivants, issus du mariage, etc. Je vous passe les détails. Le taux d'imposition est extrêmement modeste, puisqu'il est globalement inférieur à 6% et que les premiers 5 000 F sont exonérés de tout impôt.

Pour les autres gains, le conjoint survivant est classé dans la deuxième catégorie. Le taux d'imposition est également modeste, allant de 7 à 11% au maximum pour la part excédant 300 000 F. Les premiers 5 000 F sont également exonérés de tout impôt.

Les Socialistes l'ont déjà dit, ils sont tout à fait ouverts à une révision totale de la loi sur les successions et sur les donations. Pour les successions, il conviendrait notamment de réduire l'impôt du conjoint survivant tout en prévoyant un plafond et des taux progressifs par tranches, pour ne pas le placer dans une situation financière difficile. Ainsi, on pourra également augmenter la part exonérée en la fixant à un montant beaucoup plus important qu'aujourd'hui, par exemple à 50 000 F. Par contre, nous estimons qu'il n'y a aucune raison d'exonérer les autres héritiers en ligne directe, ce d'autant moins que l'imposition actuelle est très modeste, comme je viens de le rappeler. L'impôt prélevé sur l'héritage est certainement moins douloureux à payer que l'impôt sur le revenu. Il faudra également, et c'est aussi un autre point important, inciter et favoriser les donations entre vifs par un taux d'impôt plus favorable que celui appliqué au pacte successoral, afin d'encourager ces donations. J'attire votre attention sur le fait que ceci devient mathématiquement impossible avec un taux d'imposition de 0%, à moins que vous n'ayez envisagé de faire une donation supplémentaire des deniers de l'Etat pour encourager les donations.

En conclusion, le groupe socialiste est résolument opposé à cette proposition telle qu'elle figure dans ce projet de loi. Nous sommes particulièrement navrés de voir que la droite continue à nous faire perdre notre temps... (Protestations.)...aux frais des contribuables, en continuant à accomplir du travail, que je considère comme bâclé, en commission et à faire du forcing pour voter des lois qui ne tiennent manifestement pas la route. C'est la raison pour laquelle je vous suggère d'essayer de reprendre vos esprits et de vous contenter de vos derniers flops - «Casatax», «Un toit pour soi» - et de demander au Conseil d'Etat de nous présenter un projet de loi révisant les lois sur les successions et les donations de manière moderne et efficace. C'est dans cet espoir que je vous remercie de votre attention ! (Applaudissements.)

Présidence de M. Bernard Lescaze, président

M. Claude Blanc (PDC). Je vais essayer de recentrer - c'est le mot juste ! - le débat. Je me suis en effet rendu compte qu'il déviait à droite et à gauche sur des problèmes relevant purement de l'économie générale, de l'évasion fiscale, et de choses qui sont en soi tout à fait légitimes, des arguments qui existent, mais vous me permettrez peut-être d'en développer d'autres.

Je voudrais d'abord, une fois n'est pas coutume, remercier nos cousins radicaux...

Des voix. Ohhhh ! (Exclamations et applaudissements.)

M. Claude Blanc. Oui, Mesdames et Messieurs ! Lorsque les Radicaux sont bons, je sais le reconnaître ! Vous me direz que c'est rare, mais ce n'est pas ma faute ! Je voudrais donc remercier les Radicaux d'avoir suscité ce débat en présentant un projet de loi qui visait, à l'origine, à exempter des droits de succession le conjoint survivant. Ce projet de loi répondait effectivement à une situation souvent très difficile pour le conjoint survivant.

Mme Künzler a fait allusion tout à l'heure à ce couple qui aurait une villa estimée à un million... Admettons que le mari meurt en premier - c'est l'habitude, me direz-vous, et pas forcément une obligation, mais il arrive souvent que le mari meurt en premier ! Ces gens qui avaient construit ou acheté une villa, qui avaient placé toutes leurs économies, qui s'étaient arrangés pour que cette villa soit franche d'hypothèque au moment de leur retraite, de manière à alléger leurs charges, eh bien, chez ces gens qui avaient peut-être une pension de 60 à 80 000 F qui leur permettait de vivre, la veuve, au moment où son mari meurt, voit sa pension, si c'est une caisse de retraite, diminuer, de même pour l'AVS ! Elle doit engager à peu près la moitié de sa pension annuelle pour payer les droits de succession. Trouvez-vous que c'est juste ? En ce sens-là, les Radicaux avaient raison, ils avaient vu juste. Après, on s'est rendu compte que ce n'était pas suffisant et que l'on devait aller plus loin. En ce qui nous concerne, nous avons estimé que la transmission du patrimoine familial avait droit à quelques égards. Vous savez que mon parti rappelle, chaque fois qu'il en a l'occasion, qu'il est le parti de la famille... Mais il ne s'agit pas seulement de le dire, Mesdames et Messieurs, il s'agit de temps en temps de le faire ! Or si nous nous efforçons de soutenir la famille, notamment la famille dans ce qu'elle a de classique, en ce sens qu'il faut évidemment, pour bénéficier des effets de ce projet de loi, être une famille «normale»... (Brouhaha.)

On rit beaucoup, Mesdames et Messieurs, de cette expression ringarde quant à la notion de famille, mais si l'on en rit, c'est peut-être que l'on oublie un peu, si la famille est considérée aujourd'hui comme ringarde, que cela a des conséquences ! La violence juvénile à laquelle on fait face et tous les problèmes d'une jeunesse complètement déboussolée ! Je ne voudrais pas vous faire un sermon ici, Mesdames et messieurs, mais rappelez-vous que, si les jeunes dont vous avez peur aujourd'hui se déchaînent tel qu'ils le font, c'est que notre société a malheureusement démonétisé la famille et que les jeunes sont trop rapidement livrés à eux-mêmes. Vous pouvez rigoler tant que vous voulez, mais réfléchissez-y quand même un petit peu !

C'est pourquoi nous avons été tout à fait d'accord d'étendre les effets de ce projet de loi aux héritiers en ligne directe, de façon que la famille soit aussi protégée dans la transmission de son patrimoine.

Un journaliste m'a posé la question, l'autre jour, de savoir combien de personnes allaient être atteintes : à vrai dire, Mesdames et Messieurs, je n'en sais rien, parce que je n'ai pas les statistiques ! Mais tout ce que je sais, c'est que... (L'orateur est interpellé.)C'est que les droits de succession commencent à être perçus à partir d'un actif net, après inventaire, de 5 000 F. Si un pauvre type laisse 5 000 F à son fils, ce dernier devra payer 100 balles. Vous me direz que ce n'est pas grand chose, 100 balles... (L'orateur est interpellé.)5 000 F, ce n'est pas exonéré ! On paye 2% à partir de 5 000 F, c'est-à-dire que l'on paye 100 balles à partir de 5 000 F. Ces gens-là, Mesdames et Messieurs les députés, n'ont pas payé d'impôts jusque-là. Ils gagnaient en effet trop peu. Mais au moment où ils meurent, il faut que le peu de patrimoine qui leur reste soit encore amputé... Nous pensons donc que l'amputation du patrimoine au moment de la transmission à la famille est une chose totalement anachronique. La preuve, c'est que très peu de cantons suisses la maintiennent. Un certain nombre de cantons maintiennent les droits de succession dans certains cas, mais très peu sont ceux qui les ont maintenus en ligne directe. Cela veut bien dire qu'il y a un problème.

Maintenant, en ce qui concerne les discussions que nous avons eues en commission, je voudrais quand même rappeler que Mme Calmy-Rey, chargée à l'époque du département des finances, s'était à l'origine déclarée d'accord sur le principe, mais elle voulait y poser des limites, ce que je peux facilement comprendre - si j'étais ministre des finances, j'essayerais, lorsqu'on me propose une diminution des recettes, d'y poser des limites. Elle a, par exemple, attiré notre attention sur un problème réel, qui est celui des gens bénéficiant de ce que l'on appelle un forfait fiscal. On a consacré plusieurs séances de commission à la question du forfait fiscal; j'ai expliqué qu'il ne fallait pas encore faire de cadeaux, à leur mort, aux personnes bénéficiant de facilités de leur vivant. Nous avons donc consulté un certain nombre d'experts, qui ne sont d'ailleurs pas d'accord entre eux, qui nous disent que cela pourrait constituer une violation de l'égalité de traitement. C'est possible ! On prend le risque et on verra ! Certains auraient voulu que l'on aille jusqu'à exempter ces gens-là. Je pense quand même que si l'on n'a pas payé la totalité de ce que l'on doit pendant que l'on est vivant, on doit au moins acquitter les droits de succession après la mort. Ensuite...

Le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, Monsieur le député ! Veuillez conclure !

M. Claude Blanc. Juste pour dire que Mme Calmy-Rey voulait aussi que l'on introduise un plafond, c'est-à-dire que l'on paye, par exemple, des droits de succession à partir de 5 millions. Cela, nous ne l'avons pas voulu non plus parce que c'est une épicerie ! Avec ce système, celui qui hérite de 5 100 000 F aurait payé des impôts et celui qui hérite de 4 900 000 F n'en aurait pas payé.

Voilà, Monsieur le président, je ne croyais pas avoir été aussi long et je m'en excuse ! Mais je vous invite fermement à accepter ce projet de loi qui va dans le sens de la politique de la protection de la famille et de son patrimoine. (Applaudissements.)

Le président. La parole est à M. le député Vanek pour sept minutes.

M. Pierre Vanek (AdG). Dix minutes ?

Le président. Sept minutes !

M. Pierre Vanek. J'ai cru que, par souci d'égalité de traitement avec votre coreligionnaire, tout à l'heure, vous alliez m'octroyer exceptionnellement dix minutes !

Le président. Ce n'est pas moi qui présidait !

M. Pierre Vanek. Quel dommage ! Pour être sérieux, j'aimerais d'abord dire que nous étions évidemment prêts à entrer en matière concrètement sur une élévation des montants planchers à partir desquels on paye un impôt sur la succession, prêts à examiner les problèmes posés concernant les successions dans le cadre de petites ou moyennes entreprises. Tout cela a été balayé du revers de la main par une droite doctrinaire que l'on a entendu ici... (L'orateur est interpellé.)On me suggère des compléments. Peut-être que «doctrinaire» n'est pas très bon ? Je le retire, vous verrez pourquoi tout à l'heure.

Au profit d'une loi qui est parfaitement anti-sociale quant à ses effets, comme Mme Grobet-Wellner l'a décrit, on supprime l'impôt sur la succession pour certaines catégories de contribuables, quel que soit le montant de cette succession. Ceci est parfaitement inadmissible ! Mais c'est une constante du côté du parti libéral. M. Roulet, dans son intervention initiale, a plaidé contre la progressivité des impôts. Il glisse systématiquement dans toutes ses interventions cette idée que la progressivité des impôts, qui est un principe élémentaire de notre fiscalité, un principe de justice fiscale élémentaire, serait illégitime...

Maintenant, j'ai retiré l'idée que la droite, en votant ce projet de loi, était doctrinaire. Si l'on voulait se placer du point de vue d'une doctrine libérale, je ne dirais pas «saine», car cela sonnerait, dans ma bouche, un peu ironiquement, mais du point de vue du libéralisme tel que certains le conçoivent, on pourrait, par exemple, se fonder sur ce que dit à l'occasion d'une interview à l'«Hebdo» - et il dit parfois des choses intelligentes - M. Carlo Poncet, que vous connaissez pour l'avoir porté...

M. John Dupraz. Ce n'est pas une référence !

M. Pierre Vanek. Ce n'est pas une référence, mais il dit parfois des vérités ! La vérité sort de la bouche des enfants et parfois de celle de Carlo Poncet ! Interrogé sur cette question, il s'est déclaré favorable à un impôt de succession à 100%. Déclaration de M. Carlo Poncet d'un point de vue libéral. Il est vrai que c'est logique. On remet les compteurs à zéro. Ensuite, avec un discours méritocratique, chacun se bat pour arriver à s'enrichir dans cette société. Les meilleurs, ceux qui travaillent le plus, qui sont les plus doués, y arrivent ! Pour que cela fonctionne comme cela, il faut effectivement remettre les compteurs à zéro, et Carlo Poncet est d'avis qu'il faudrait un impôt sur les successions à 100%. Alors, si la droite était doctrinaire, elle aurait peut-être proposé un «amendement Poncet»... Elle veille évidemment à défendre, non pas les intérêts de la doctrine libérale, mais les intérêts de sa clientèle la plus aisée ! De ce point de vue-là, Mme Künzler a relevé au début de la discussion que ce projet de loi manquait ses objectifs. Je ne crois pas. Ce projet de loi atteindra effectivement son objectif qui est de faire des cadeaux fiscaux, surtout aux plus riches, à hauteur de 70 millions de francs, mais potentiellement doublés du fait du risque - que M. Blanc disait être prêt à courir sans problème, et ce risque est fort - que ce montant-là soit augmenté de 50 ou 70 millions. Mme Brunschwig Graf nous dira, je l'espère, quelle est l'ampleur de ce risque et quel est le montant sur lequel il porte. De ce point de vue-là, les travaux de la commission ont été marqués par un basculement intéressant.

M. Roulet disait tout à l'heure qu'il nous fallait écouter Mme Calmy-Rey. Il l'a écoutée en partie. Il a cessé de l'écouter de son oreille droite au moment où elle se faisait l'avocate d'un certain nombre de juristes qui indiquaient que les dispositions introduites dans cette loi concernant les bénéficiaires de forfaits fiscaux et leurs héritiers ne tenaient tout simplement pas la route. Alors, on nous propose un projet de loi avec une facture posée sur la table, mais, ensuite, la facture risque d'être augmentée d'un montant considérable !

J'ai parlé de libéralisme en évoquant la personnalité de M. Poncet, mais on peut parler de radicalisme aussi en évoquant celle du conseiller fédéral Kaspar Villiger, qui a défendu à juste titre un impôt fédéral sur les successions. M. Dupraz s'en distance en disant que c'était une mauvaise idée... (Exclamations.)J'estime pour ma part que cette idée-là est très bonne, puisque le seul argument un peu sérieux qui est avancé est celui de la concurrence fiscale intercantonale. La réponse par rapport à celle-ci est évidemment une harmonisation fédérale et un impôt fédéral sur les successions, c'est cette idée-là qui devrait être examinée. M. Kaspar Villiger précisait il y a quelque temps, dans une interview au «Tages Anzeiger», que : «L'impôt sur les successions, à l'inverse de l'impôt sur le revenu, ne pénalise pas la performance. C'est pourquoi il a les faveurs du doctrinaire libéral Milton Friedman. Il est efficace puisqu'il procure d'importantes recettes, même avec des taux modestes, et c'est un impôt juste.» Voilà ce que disait un radical que vous désavouez ce soir, après avoir voté l'autre jour aux Chambres le paquet fiscal que j'évoquais tout à l'heure, ce qui n'était pas forcément une bonne idée...

Le président. Il est temps de conclure !

M. Pierre Vanek. Ce qui n'était pas forcément une bonne idée ! Là, vous avez suivi votre conseiller fédéral.

Le président. Il est temps de conclure, Monsieur Vanek !

M. Pierre Vanek. Alors je vais conclure, en relevant simplement qu'il y a d'autres facteurs éludés par les bancs d'en face. En comparaison internationale, je pourrais vous citer des taux qui sont des multiples des chiffres genevois en matière d'imposition fiscale dans d'autres pays. Vous avez indiqué qu'il fallait voir l'image d'ensemble et qu'il y avait d'autres impôts. Vous évoquez la date du 17 ou du 18 mai. Et bien, le 17 mai, dans la «Tribune de Genève» , on lisait que Genève était, du point de vue global de la charge fiscale, sur les marches du paradis fiscal. Vous avez l'intention, avec ce projet de loi parfaitement anti-fiscal, d'accéder - M. Roulet confirme mes propos - au paradis fiscal pour certains qui est un enfer évidemment pour d'autres et pour la majorité de la population, parce que tout se paye. Cette politique irresponsable de cadeaux fiscaux se payera en dernier lieu par des baisses de prestations qui péjoreront radicalement, Monsieur Dupraz, les conditions de vie de la majorité de la population ! (Applaudissements.)

M. Souhail Mouhanna (AdG). C'est en assemblant correctement les pièces d'un puzzle que l'on voit plus nettement l'image qui se cache derrière. On nous a parlé de ce projet de loi sur les droits de succession; diminution de l'impôt; M. Blanc s'est évertué à nous sortir un ou deux exemples, que l'on peut d'ailleurs citer chaque fois qu'il y a une proposition ou un projet de diminution d'impôt; on prend les cas pour lesquels on pourrait être d'accord à gauche, mais l'on dissimule les cas qui sont vraiment les plus représentatifs de ceux à qui l'on veut rendre service ! Je vais vous donner un ou deux éléments qui prouvent que les pièces du puzzle, que nous avons eues les unes après les autres, vont en réalité dégager une toute autre image que celle que vous essayez de décrire ici ce soir.

Vous avez fait voter une diminution des impôts de 12%.

Une voix.Le peuple !

M. Souhail Mouhanna. Le peuple, oui bien sûr ! Mais lorsque vous n'êtes pas d'accord avec un projet soumis en votation populaire, vous dites que le peuple s'est trompé. Cette fois-ci, je vous sers la même chose ! Le peuple s'est trompé parce que vous avez réussi à le tromper ! Vous êtes un spécialiste, Monsieur Lüscher, par la manière dont vous arrivez à convaincre juges et autres. Je n'entre donc pas en polémique avec vous !

Les 12%, Mesdames et Messieurs les députés, cela représente une diminution de recettes de 350 millions ! Ils figurent d'ailleurs dans le rapport sur les comptes, vous trouverez le relevé fourni par le département des finances.

Et le projet de diminution de l'impôt sur la fortune est d'un peu plus de 200 millions. Celui-là, c'est 50 millions. La diminution de l'impôt sur le capital, cela représentera quelques dizaines de millions. Si j'ajoute encore les résultats de la spéculation immobilière effrénée - que vous représentez peut-être ici globalement ou partiellement au niveau des partis de l'Entente - cela a coûté, comme vous le savez, 300 millions. Vous avez vu cela dans les comptes de l'Etat. Si j'aditionne tout cela, Mesdames et Messieurs, j'arrive à plus d'un milliard dans l'hypothèse où tous vos projets passeraient ! Qu'est-ce qu'un milliard ? Tout à l'heure, un député du parti libéral - M. Desbaillets, je crois - a interpellé la rapporteure de minorité en parlant de 40 élèves par classe... On commence à savoir ce que vous voulez ! 40 élèves par classe ? J'espère que Mme Brunschwig Graf, ancienne présidente du département de l'instruction publique, dira à certains membres de son parti ce que cela signifie et quelles en sont les conséquences ! Certains voudront peut-être aussi mettre deux malades par lit ? Mais est-ce que vous savez, Mesdames et Messieurs les députés, que le milliard en question représente à peu près l'équivalent de la totalité du coût du personnel du département de l'instruction publique, du département des finances, du Palais de justice et de la police ? Un milliard, c'est l'équivalent de la totalité des charges salariales... (L'orateur est interpellé.)Pardon ? Je lis ici qu'il y a, au département de l'instruction publique par exemple, 6 800 postes au budget 2002... (L'orateur est interpellé.)Bien, au lieu de 12 000 personnes, mettons 10 000 personnes ! Cela fait 10 000 personnes, puisque l'on compte, à la commission des finances, environ 100 000 F par poste. C'est donc l'équivalent de 10 000 personnes à la rue !

Maintenant, Mesdames et Messieurs les députés, on sait ce que vous voulez ! Il est trop facile d'invoquer chaque fois la concurrence intercantonale. Lorsque je regarde un peu ce qui se passe dans les autres cantons, qu'est-ce que j'observe ? Vous êtes, les partis de l'Entente, avec l'UDC, majoritaires dans tous les cantons; vous êtes majoritaires aux Chambres fédérales, vous êtes majoritaires au Conseil fédéral. Mais qu'est-ce qui vous empêche alors d'en finir avec ce dumping fiscal ? S'il s'agit vraiment d'une chose affreuse, comme vous le prétendez - je prétends pour ma part que c'est quelque chose d'absolument affreux - il faut alors que vos partis, Mesdames et Messieurs qui détenez la totalité des leviers du pouvoir économique, politique et tout le reste, fassent le nécessaire pour que l'on cesse de pratiquer ce dumping fiscal! Mais en réalité, ce dumping fiscal est la martingale que vous avez trouvée pour systématiquement faire des cadeaux à ceux qui n'en ont pas besoin, parce que, pour vous, les riches ne sont jamais assez riches et les autres le sont toujours trop ! C'est la réalité, vous le démontrez quasiment tous les jours. Mais savez-vous ce qui va se passer avec tout cela ? Si l'on continue dans cette voie, ce que vous essayez de faire si vous parvenez à faire accepter tous vos projets, c'est de mettre en place les instruments, non pas d'un démantèlement, mais d'une guerre sociale ! Mais oui, Mesdames et Messieurs ! Un milliard, essayez de voir ce que cela signifie ! Parce qu'une guerre sociale, on sait bien comment cela commence, mais on ne sait jamais comment elle se termine. Ce que nous avons vécu dernièrement avec l'histoire du G8 et cet Etat policier que vous essayez de mettre en place, c'est ce qui va se passer bientôt ici ! Je vous souhaite beaucoup de plaisir et l'on verra bien ! (Applaudissements.)

Mme Janine Hagmann (L). Mme Künzler, rapporteure de minorité, a commencé son exposé en parlant d'objectifs qui n'étaient pas atteints. Cela a d'ailleurs été repris par l'avant-dernier préopinant. Mais de quels objectifs voulez-vous parler ? Je crois que vous rêvez un peu, Madame Künzler, en affirmant que les objectifs ne sont pas atteints avec ce projet de loi ! La preuve, c'est que même les médias s'en sont mêlés. Qu'annonçait l'affichette de «La Tribune» aujourd'hui ? Elle titrait : «La fin des droits de succession?» C'est donc ce qui intéresse vraiment la population ! Je peux vous dire une chose, c'est que je n'ai jamais reçu autant de téléphones, lorsque j'avais encore une fonction communale, de personnes qui me demandaient quand nous arriverions à faire accepter ce projet de loi qui concerne tout le monde ! (Brouhaha.)

J'aime bien m'intéresser à l'éthymologie des mots. Savez-vous d'où vient le mot «fisc» ? Il vient de «fiscus». Cela veut dire «panier». Cette image me plaît, parce que ce panier est fait pour récolter quelque chose, il est fait pour récolter puis pour distribuer. Mais il faut que ce panier, premièrement, ne soit pas percé; deuxièmement, qu'il ait le bon poids; troisièmement, qu'il ne soit pas trop pesant. Car lorsqu'il devient trop pesant, ce n'est alors plus possible de le soutenir ! Chacun cite ses propres sources. J'ai aussi les miennes, Messieurs les préopinants ! La chambre de commerce a publié une étude tout à fait valable, qui explique que Genève paye toujours trop d'impôts. Il faut vraiment savoir où l'on veut aller ! Les libéraux préconisent de baisser les impôts.

Au moment de l'application de ce projet de loi, trois situations peuvent se présenter : premièrement, on a amassé une petite fortune, même pas une fortune, mais un peu d'argent. Cet argent a été taxé pendant toute notre vie. Deuxièmement, on a pu constituer un bien immobilier. Ce bien immobilier est frappé d'une taxe inique, qui s'appelle la valeur locative. Cela, vous le savez bien. Troisièmement, on a peut-être une entreprise. Cette entreprise est affreusement taxée pendant toute son existence; au moment où l'on voudrait la donner, elle est encore taxée. Vous savez très bien que trop d'impôt tue l'impôt ! Vous rigolez lorsqu'il est question des autres cantons plus attractifs... Mais moi aussi j'ai mes sources ! Dans une enquête de l'«Hebdo» on pouvait lire : «Jusqu'à présent, le Valais n'a pas suffisamment mis en valeur ses atouts fiscaux, l'imposition forfaitaire et l'exonération d'impôts sur les successions en ligne directe. Or, le potentiel est énorme. Imaginez qu'une partie seulement des propriétaires de résidences secondaires décide d'élire leur domicile principal en Valais au moment de leur retraite : les retombées fiscales seraient extraordinaires. Nous devons exploiter un tel créneau.» Souhaitons-nous cela à Genève ? Laisser partir tout cela ? Non, Mesdames et Messieurs ! A Genève, il faut un Etat fort, un Etat riche, pour qu'il puisse rester social, ce qui n'est pas contesté. Et pour qu'il reste riche, nous devons aussi renforcer l'apport de gens qui ont de l'argent. Pour cela, il faut les attirer.

Vous prenez un gros risque en refusant ce projet de loi. En le refusant, vous préférez sacrifier l'attractivité fiscale à long terme à une gestion budgétaire déficitaire sur le court terme. Vous préférez la solidarité étatique imposée à la solidarité familiale naturelle. Vous privez la femme du résultat de ses sacrifices au sein de la famille et les enfants du résultat de la prévoyance parentale. Votez le projet de loi de la majorité ! (Applaudissements.)

Mme Maria Roth-Bernasconi (S). J'espère que j'aurai de la voix jusqu'à la fin de mon intervention.

L'excellent rapport de Mme Künzler pose les bonnes questions, qui ne trouvent malheureusement pas de réponse dans le projet de loi adopté par la majorité de la commission. Le projet de loi, tel qu'il provient des travaux de la commission fiscale, montre bien que la droite genevoise est prisonnière de son idéologie sans permettre une réflexion allant un peu plus loin que le bout de son nez. Aucune citoyenne, aucun citoyen ne paye des impôts pour le plaisir d'en payer ! Payer ses impôts est un acte de solidarité et de responsabilité. Pour nous, les Socialistes, le mot «solidarité» veut encore dire quelque chose : les impôts servent à financer les besoins collectifs et individuels que l'économie de marché ne peut satisfaire. Il s'agit de financer la formation des générations futures, les soins à l'hôpital, les infrastructures routières et les transports publics, les prestations sociales pour les personnes qui en ont besoin et bien d'autres obligations encore.

En 1999 déjà, lors d'un débat au Grand Conseil, les Libéraux ont prétendu que la baisse des impôts allait attirer des contribuables fortunés, Mme Hagmann vient de le répéter. Or, depuis que l'initiative de baisse d'impôts a été acceptée, est-ce qu'une évaluation a été faite pour confirmer cette thèse ? Y a-t-il des chiffres dans le rapport de M. Jeannerat ? (Exclamations.)Je n'ai rien vu! Nous ne sommes pas à l'église, Monsieur Blanc ! Il ne s'agit pas de croire en quelque chose, mais de prouver les faits !

Revenons maintenant aux propositions de ce projet de loi qui concerne les droits de succession. Quelles sont les raisons d'être de ces droits ? Hériter est une chance qui ne touche pas tout le monde. Et lorsqu'on reçoit de l'argent sans que l'on ait fait le moindre effort, uniquement parce que l'on est né avec une cuillère en or dans la bouche, il est normal que l'on donne un peu de cet argent à la collectivité ! Je ne vois pas la raison justifie que tout ce que nous acquérons par notre travail doive être taxé et rien de ce que nous recevons gratuitement. En supprimant les droits sur les successions, on installe une inégalité de traitement entre les salariés et les personnes qui héritent, lesquelles n'ont à la rigueur pas besoin de faire un effort pour recevoir de l'argent. Ils ne pénalisent guère que celles et ceux qui doivent le payer. S'il y a des exceptions, tel l'héritage de biens immobiliers que l'on ne peut pas vendre ou de l'entreprise familiale, des règles peuvent être édictées pour ces cas-là.

Le contexte démographique a également changé, ce que Mme Künzler rapporte avec justesse. L'héritage, aujourd'hui, ne connaît plus la même réalité qu'il y a 100 ans, les héritiers font souvent déjà partie du troisième âge. Les dernières études ont démontré que la nouvelle pauvreté touche les jeunes familles et les familles monoparentales. Et ce sont ces dernières qui souffriront le plus des coupes budgétaires nécessaires pour équilibrer les comptes suite au cadeau fait aux riches héritières et héritiers.

Le groupe socialiste aurait été d'accord de réviser cette loi très complexe et assez compliquée, une révision s'impose en effet. Il faut éviter qu'une veuve, qui hérite de la maison qu'elle a acquise avec le défunt, ne doive la vendre pour pouvoir payer les droits de succession ou qu'une entreprise familiale ne puisse pas continuer à fonctionner parce que les impôts successoraux sont trop élevés. Mais de là à exonérer tout le monde, celles et ceux qui n'en ont pas vraiment besoin, qui reçoivent ainsi un oreiller de paresse puisqu'ils n'ont, à la rigueur, même plus besoin de travailler pour vivre, il y a un pas que le groupe socialiste n'est pas prêt de franchir !

Notons juste, Mesdames et Messieurs des bancs d'en face, que les Américains, qui d'habitude ne sont pas nos modèles, mais les vôtres, préfèrent également abolir l'aristocratie de l'argent, un système où la gestion des ressources de la nation est transmise en fonction de l'hérédité et non du mérite. Vous, par exemple, les Libéraux, vous voulez le salaire au mérite pour les salariés, mais pas pour celles et ceux qui sont riches sans mérite ! Ce n'est pas très cohérent.

En dernier lieu, nous sommes absolument choqués que vous fassiez une différence entre les personnes liées par un lien de sang et les autres. Mme Künzler relève avec justesse le fait qu'il n'y a pas de raison d'exonérer le petit-fils qui n'a rien fait pour sa grand-maman, alors que l'ami qui s'est dévoué jusqu'à la mort de la grand-maman serait taxé. C'est injuste, inégalitaire et inacceptable ! Et cela n'a rien à voir avec la famille et la préservation de la jeunesse.

J'aimerais quand même répondre à M. Blanc à ce sujet: si les jeunes ont aujourd'hui des problèmes, c'est parce que les pères ne prennent pas leur rôle au sérieux... (Exclamations.)

Une voix.c'est du sexisme, je suis mis en cause !

Une autre voix.C'est du vrai sexisme !

Mme Maria Roth-Bernasconi. Nous soutenons donc les quatre objectifs énumérés par Mme Künzler, qui sont d'entrer en matière sur la suppression des droits de succession entre les époux, de valoriser les donations afin de favoriser la solidarité entre les générations, de sécuriser les donations afin que la nouvelle loi ne permette pas d'échapper à des obligations par des dons fictifs et de réévaluer les taux dus par les proches qui ne sont pas de la famille et liés par les liens de sang. Par là même, nous vous invitons à refuser l'entrée en matière de ce projet de loi.

Le président. Je vous rappelle que les orateurs ont sept minutes au maximum et que vous n'êtes pas obligés d'épuiser tout votre temps de parole !

M. Claude Marcet (UDC). Trois systèmes économiques coexistent glogalement sur cette terre. Il y a le système traditionnel, dont je ne parlerai pas parce qu'il est peu utilisé. Il y a ensuite le système de l'économie de marché ou système capitaliste, qui permet à certains d'imaginer, de créer, d'entreprendre et de pouvoir ensuite profiter des fruits de leur travail. C'est le système que nous connaissons. Le troisième système enfin, appelé par les voeux secrets de certains sur les bancs d'en face, est le système dit autoritaire, qui voit l'Etat tout décider, tout vouloir créer et qui, à terme, ne permet plus à personne de pouvoir imaginer ou entreprendre quoi que ce soit d'autre, puisque ce faire équivaut également à ne rien faire. Ce qui permet de dire que mieux vaut ne rien faire plutôt que faire. Ce système a conduit là où il est, c'est-à-dire nulle part !

Cela, si vous me permettez, est un préalable pour dire que l'Etat est, dans le cadre de notre système, un intervenant au même titre qu'un certain nombre d'autres intervenants. Dans un territoire donné, il y a également un intervenant par rapport à d'autres intervenants qui peuvent être considérés comme les Etats que nous connaissons et qui ont le même système que nous. Or dans cette économie de marché, Mesdames et Messieurs, l'Etat se doit de faire deux choses : premièrement, régulariser les systèmes économiques de manière à permettre à l'économie de fonctionner; deuxièmement, et ceci est très important, ne l'oubliez pas: mettre en place un cadre qui permette de promouvoir et de maintenir la richesse sur ce territoire, richesse qui permet la redistribution sociale. L'imposition est l'un des paramètres que doit gérer l'Etat.

Je me permets de vous dire que tout Etat qui met en place un système fiscal trop onéreux pour ses membres voit ses membres partir ailleurs. Or, que se passe-t-il actuellement en ce qui concerne les droits de succession, puisque nous y revenons ? La majorité des cantons, pour ne pas dire la totalité de ceux-ci, a aboli le système dit des successions. Bien évidemment, ce système permet actuellement en Suisse le tourisme fiscal, que d'aucuns décrient et disent qu'il n'existe pas. Je me permets de leur rappeler ma profession et, à ceux qui le décrient, je raconterai comment l'on fait pour envoyer des gens en Valais planifier leur succession et revenir ensuite sur le territoire genevois ! Je le ferai même gratuitement, si vous le voulez bien... (Exclamations.)

Autre chose. A titre d'exemple, je me permets de rappeler à ceux qui prônent ce système socialiste, où la ponction fiscale est manifestement énorme: la Suède. Sur les dix plus grosses fortunes de Suède, Mesdames et Messieurs, il n'y en a plus que deux dans le pays. Toutes les autres ont quitté la Suède ! L'une d'entre elles, puisque vous voulez des exemples, se trouve dans le canton voisin, dans le canton de Vaud. Ne l'oubliez pas !

C'est la raison pour laquelle l'UDC votera en bloc, sans amendement, ce qui pour nous est considéré comme une amélioration dans un cadre général permettant d'attirer sur ce territoire des fortunes qui, comme l'a justement dit Mme Hagmann, engendrent un revenu de nature à favoriser ensuite une redistribution sociale.

Pour aller dans le sens de ceux qui prétendent qu'il s'agit d'un milliard perdu à terme et qu'il faudra chercher ailleurs, je vais vous dire où nous allons chercher. Nous allons faire un bilan, avec vous si vous le voulez bien, de la totalité de ce que verse «l'arrosoir social» non maîtrisé dans ce canton, et bientôt non maîtrisable... (Brouhaha.)Eh oui, eh oui ! Subventions comprises ! Cela permettra peut-être, à terme, de donner ce à quoi ils ont droit à ceux qui le méritent et d'éviter de donner à ceux qui en profitent ce dont manifestement ils n'ont plus droit ! (Applaudissements.)

M. Jacques Baud (UDC). Mes éminents collègues ont tellement bien parlé, chiffres contre chiffres, pourcentages à l'appui, que je ne vais pas me lancer là-dedans. Non pas que je n'aie pas les capacités, mais parce que je pense qu'il y a des choses plus importantes.

Je parlerai par contre d'un principe. Le droit de succession est un impôt sur la mort. Et lorsqu'on regarde ces orphelins, à la télévision, tous les soirs... Je vous imagine pleurer à chaudes larmes et vous dire : «Le salaud qui vient leur piquer leur pognon !» et vous, qui allez sortir votre colt pour le descendre... Parce que c'est cela, l'Etat, lorsqu'il vient voler l'argent des pauvres ! Parce qu'il y a aussi des pauvres qui héritent, il ne faut pas l'oublier !

Que dire de plus ? Je pourrais citer des centaines d'exemples d'entreprises qui ont fermé leurs portes parce que les droits de succession étaient trop élevés, parce que la reprise n'était pas possible et que les employés, souvent présents depuis vingt ou trente ans, se sont retrouvés au chômage, ce qui coûte beaucoup plus cher à l'Etat.

En dire plus, ce serait en dire trop. Je préfère m'arrêter là et préciser que nous allons voter ce projet de loi, et sans amendement !

M. David Hiler (Ve). Le débat fait au moins clairement ressortir qu'il y avait deux manières d'approcher le problème de la modification de la loi. La première était d'apporter un certain nombre de correctifs dans le cadre d'une modernisation de la loi pour résoudre, par importance d'urgence, le problème de la transmission des entreprises familiales, les problèmes probablement liés à des planchers trop bas, même beaucoup trop bas, figurant dans la loi actuelle, pour se pencher et se prononcer sur la question d'un régime différencié en faveur des donations. Il y avait une deuxième voie, celle de l'abolition. C'est celle-ci que la majorité de ce parlement s'apprête à choisir. Il n'y a donc pas d'accord, Monsieur Odier, mais deux solutions différentes proposées pour résoudre un problème.

Nous ne pouvons évidemment pas être d'accord. Pour dire les choses crûment, abolir une taxe aussi légère sur les droits de succession, cela s'appelle la guerre des riches contre les pauvres, la lutte des classes menées d'en-haut ! C'est évident et cela ne fait pas de doute ! (Applaudissements.)

Le problème, Mesdames et Messieurs, et là je m'adresse particulièrement à mon collègue Blanc, c'est que M. Marcet veut la cohérence. M. Marcet veut bien mettre 2 000 ou 3 000 fonctionnaires à la porte, il n'a pas d'état d'âme. On en discutera demain, mais, vous le savez déjà, on a comme résultat des comptes un résultat opérationnel à moins 400 millions auxquels on va ajouter un certain nombre de dépenses planifiées et de mécanismes salariaux que vous connaissez. Et avec cela, on revient aux chiffres du début des années 90, en termes de déficit, auxquels s'ajoutera une insuffisance de financement, même en maintenant - j'en suis désolé, M. Barrillier ! - un taux d'investissement relativement prudent.

Alors, Monsieur Blanc, vous allez en assumer les conséquences avec vos amis ! Je vous le dis tout à fait clairement. C'est à vous maintenant de trouver les solutions qui, avec 350 millions - ce sont les 12%, 70 millions pour le moment, plus les trains d'après - nous permettront ou pas d'avoir un Etat qui fonctionne. Au pire moment, alors qu'on a une menace fédérale de report de charges et de diminution fiscale, vous venez supprimer 70 millions de recettes ! C'est une très grande responsabilité que vous prenez ! Vous pouviez facilement trouver, de façon consensuelle, des solutions pour les problèmes réels, tels que M. Desplanches les a exposés longuement en commission. Ce n'est pas ce que vous faites. On voit à peu près ce qui va se passer, on a déjà connu cela dans les années 90, soit une situation extrêmement tendue qui survient au moment où l'Etat entreprend, lentement, mais sûrement tout même, un certain nombre de réformes de fonctionnement. Vous allez également devoir procéder à des attaques sur l'emploi dans la fonction publique et sur les salaires, vous êtes en train de le décider maintenant. Ces réformes vont entraîner un climat qui, pour nos conseillers d'Etat, va singulièrement compliquer toute l'opération visant à créer un Etat plus efficace à moyens égaux. On l'a vu, tout, dans ces situations de tension, devient prétexte à conflit. Vous prenez cette responsabilité. Vous convaincrez peut-être le peuple, mais le peuple, contrairement à vous, Mesdames et Messieurs, n'a pas pour prétention de gouverner ! C'est donc à vous et à vous seuls qu'il faudra s'adresser pour trouver des solutions à vos élucubrations électoralistes ! (Applaudissements.)

M. Pierre Froidevaux (R). Dans ce débat, je constate que les personnes qui soutiennent ce projet de loi sont traitées d'antisociales par ceux qui font partie de la bonne minorité. Tous les discours tenus par les gens de gauche disent que l'on touche à l'Etat. Or, nous touchons, chers collègues, à l'individu ! Nous répondons aux besoins de chacun. Notre vision sociale ne passe pas qu'à travers l'Etat, mais passe aussi à travers les besoins individuels.

Lorsque ce projet de loi a été travaillé à travers l'esprit radical, nous avons reçu un soutien très important de la part de nombreuses personnes qui venaient demander un peu plus de justice fiscale. Ces sommes, souvent non monétaires, ont été fiscalisées de nombreuses fois. Lorsque j'avais demandé au département quel était le taux fiscal lié aux droits de succession - c'est-à-dire quel impôt était payé par une succession - le montant s'était avéré incalculable. Il était impossible de savoir quelle était la part d'impôt déjà payée.

Lorsque nous avons commencé à parler du droit de succession, nous n'avions pas la majorité. Vous étiez majoritaires et vous avez, gens de gauche, accepté l'entrée en matière. Sur le principe de la justice sociale, tout le monde était d'accord, raison pour laquelle ce projet a ensuite été accepté. Vous y avez travaillé et l'on n'a jamais relevé un sentiment d'injustice ! Je suis convaincu, chers collègues, que les membres de la commission fiscale se montrent à tout instant extrêmement attentifs au principe d'injustice et le corrigent à chaque fois. Or, nous n'avons eu à aucun moment un sentiment d'injustice fiscale.

En marge de ce projet consistant à ne plus fiscaliser les droits de succession, nous avons aussi décidé que cet impôt persisterait pour les forfaits fiscaux. Vous voyez bien l'esprit ! Lorsque l'impôt sur le revenu est suffisamment élevé, il n'y a pas de droits de succession; lorsqu'il y a un forfait fiscal, nous souhaitons le maintien de ces droits de succession.

Il faut rappeler pour ceux qui, comme Mme Künzler, estiment que cet impôt doit être de 100%, qu'il s'agit d'un droit féodal. C'est l'un des impôts les plus anciens. Il n'y avait, auparavant, pas d'impôt sur le revenu. On ne pouvait prélever qu'au moment de la succession. C'est un droit que l'on souhaiterait abolir ce soir. Je vous propose dès lors de voter d'accepter le projet sans amendements. (Applaudissements.)

M. Robert Iselin (UDC). Beaucoup de choses ont été dites. Quelqu'un a récolté des applaudissements mérités et bien marqués de cette assemblée, en l'occurrence Mme Hagmann, qui a fort bien résumé un point de vue que l'UDC partage. Je n'aurai que quelques brèves observations à faire. Le système de l'imposition des successions équivaut à une double imposition, le défunt ayant déjà payé sur le revenu et la fortune. On taxe une nouvelle fois un capital qui l'a déja amplement été une première. On a parlé de «Genève, un paradis fiscal»... mais, s'il vous plaît, lisez la brochure de la Chambre de commerce ! Vous verrez alors quel genre de paradis fiscal nous avons par rapport à d'autres cantons comme Zurich. C'est une plaisanterie de dire des choses pareilles ! L'impôt sur les successions détruit les biens familiaux et, par ce canal, détruit une cellule qui est encore, j'espère qu'elle reviendra à la mode, le support de notre société. On détruit aussi les petites entreprises au moment où elles doivent être transmise du chef de famille à ses successeurs.

Enfin, quant aux arguments avancés par certains, et notamment par Mme Morgane Gauthier transformée en Erinye - les Erinyes, dans le panthéon romain, poursuivaient les défunts... Eh bien, d'après ce que Mme Gauthier ou certains disent, on supprimerait des moyens financiers dont l'Etat aurait besoin. S'il vous plaît ! Plus on assure de revenus à l'Etat, plus il dépense ! Il y a beaucoup à économiser, par une meilleure organisation, notamment dans le ménage de l'Etat, et la suppression de revenus représentant 60 à 70 millions peut être rapidement compensée par une organisation efficace.

Enfin, on a parlé de guerre sociale... Mais laissez-moi rigoler ! On s'éloigne d'une guerre sociale à mesure que l'on baisse les impôts. Plus les impôts sont bas, moins il y a de chômage. Il n'y a qu'à étudier l'histoire économique, c'est clair et net !

L'UDC votera en bloc le projet de loi. (Applaudissements.)

M. John Dupraz (R). J'aimerais déjà faire une remarque d'ordre général. Entre 1982 et 2002, le budget de la République et canton de Genève a triplé, alors que l'inflation n'a été que de 51% et que la population a augmenté de 17%. Cela veut dire que nous avons assuré, tous partis confondus dans ce parlement, de meilleures prestations à la population, que l'Etat de Genève a investi plus pour de meilleures infrastructures, de meilleures conditions-cadres pour l'économie et pour les habitants de ce canton. Si nous avons pu réaliser ces augmentations de dépenses, c'est avant tout grâce à notre économie, au travail des habitantes et des habitants de ce canton, mais ce n'est pas dû aux discours que nous prononçons ici !

J'ai entendu beaucoup de choses, Mesdames et Messieurs ! Mme Künzler, notamment, a expliqué, si je vous ai bien compris, que le conjoint survivant devait payer 60  000 F sur 500 000 F de succession s'agissant d'une villa d'un million. Ce n'est pas une somme énorme? Mais, Madame, vous habitez sur la planète Mars?! 60 000 F, pour moi qui suis paysan - vous avez beau sourire, et c'est grave que vous souriiez - c'est le revenu moyen de deux familles paysannes dans ce pays! Allez dire aux paysans que 60 000 F, ce n'est rien du tout! Il faut travailler deux ans pour les gagner! Vous ne manquez pas de culot de dire de telles aberrations!

Deuxièmement, on a parlé d'inégalité de traitement. Inégalité de traitement ? Très bien ! Inégalité de traitement parce que l'on va exonérer les droits de succession... Or les droits de succession - je ne suis ni fiscaliste ni juriste - sont un impôt sur la fortune. Et qu'est-ce que la fortune? Ce n'est jamais que le fruit du travail, qui a été constitué par des revenus sur lesquels on a payé des impôts ! Ce sont des maisons pour lesquelles on paye des impôts sur la valeur locative. Et nous payons encore un impôt sur la fortune ! Tous les 25 ans, vous dites que nous sommes des privilégiés et vous nous ponctionnez encore un petit quelque chose! C'est génial! Il y a, dans ce pays, les rongeurs qui veulent enlever la proporiété de ceux qui ont travaillé et qui ont quelque chose et il y a les écureuils qui aimeraient bien pouvoir faire profiter leur entreprise et leur famille du fruit du travail de générations... (Brouhaha.)Vous pouvez rire ! Je vais vous citer l'exemple de ma famille. J'ai eu le malheur de perdre mon père au mois de février. Mon grand-père est mort en 1959. Mon père a payé des droits de succession sur la maison que j'habite, construite par le grand-père dans les années 60. Mon père a réglé ses affaires de famille en 1982. On a repayé des droits de succession. Je m'apprête maintenant à transmettre le patrimoine familial, qui n'est pas une valeur spéculative. On va payer une troisième fois. Et vous parlez d'inégalité de traitement? Mais de qui se moque-t-on, Mesdames et Messieurs? C'est la cellule de base que nous protégeons, la cellule familiale, en exonérant les successions de cette fiscalité injuste et indigne d'une République comme Genève! (Applaudissements.)On peut bien sûr pérorer éternellement en disant que c'est injuste pour les locataires par rapport à ceux qui n'ont rien. Mais je rappellerais que l'Etat fait un effort considérable pour l'aide au logement et que nous y contribuons tous par nos impôts. Ne parlez donc pas d'inégalité de traitement!

Je touve que ce projet de loi est nécessaire. Il était grand temps qu'il arrive, car certains patrimoines familiaux ne pourront bientôt plus se transmettere. Les gens n'auront pas les moyens de payer ces droits de succession et devront vendre leur propriété familiale. Ce serait profondément injuste. Il arrive donc au bon moment. Les gens l'attendent et nous le voterons, tel qu'il est présenté et tel qu'il ressort des travaux de la commission ! (Applaudissements.

Le président. Bien que la liste des orateurs soit close en vertu de l'article 78A, je donne, pour une minute, la parole aux deux rapporteurs, Mme Künzler, puis M. Jeannerat.

Mme Michèle Künzler (Ve), rapporteuse de minorité. Si M. Dupraz avait lu le rapport, il aurait constaté que nous demandons la suppression des droits de succession entre époux. Par ailleurs, les droits sont actuellement faibles, entre 2 et 6%. Vous terrorisez tout le monde en prétendant que nous spolions les gens. Il faut donc le répéter, c'est entre 2 et 6%!

D'autre part, il faut valoriser les donations. Nous trouvons qu'il s'agit d'une bonne chose. Mais ce projet de loi ne les sécurise absolument pas. Il n'y aura plus aucun contrôle. Les personnes pourront donner et reprendre par la suite. C'est clairement ce qui va se passer, à un moment opportun lors d'une liquidation de régime matrimonial ou d'une affaire de justice. Beaucoup de gens donneront à gauche et à droite sans contrôle. Vous n'avez pas réfléchi à ce point.

Quant aux forfaits, il y en a peut-être certains parmi vous qui sont naïfs, je soupçonne les autres d'être cyniques, parce que cela ne tiendra jamais la route ! Je vous l'ai déjà dit plusieurs fois en commission : la personne qui est imposée, ce n'est pas le défunt! Les droits de succession sont dus par ceux qui, à la suite d'un décès ou d'une déclaration d'absence, acquièrent des biens. Ce n'est pas le mort qui paye des droits de succession, c'est la personne vivante! Dans ce contexte-là, il y aura une inégalité de traitement pour le citoyen qui bénéficie d'une succession d'une personne imposée au forfait, mais qui est un citoyen suisse tout à fait ordinaire et qui est taxé normalement. Vous le savez pertinemment, cette position ne résistera pas à l'analyse et nous aurons 40 millions de pertes en plus.

Je vous propose donc de moderniser vraiment ce droit de succession et de l'envoyer au Conseil d'Etat. Nous sommes encore avant la tempête, vous avez encore le choix. Demain, les comptes seront mauvais. L'année prochaine, il sera très difficile de faire tourner la machine. Le choix que vous faites maintenant porte à conséquence. C'est encore le moment de réfléchir. (Applaudissements.)

M. Jacques Jeannerat (R), rapporteur de majorité. On a beaucoup parlé ce soir d'exode fiscal. Il est vrai que l'exode fiscal est d'autant plus facile si l'on a un revenu ou une fortune élevés. C'est l'exemple des résidences secondaires en Valais. Mais les personnes aux revenus modestes ont par contre beaucoup plus de peine à quitter fiscalement Genève d'un jour à l'autre et à s'installer ailleurs. Je prends l'exemple de la grand-maman qui, toute sa vie, a économisé franc après franc pour... (Brouhaha.)Pour avoir 30 000 balles sur un carnet d'épargne... (Brouhaha. Exclamations.)

Le président. Madame Wenger, je vous prie de vous taire! Votre attitude n'est pas acceptable! Je vous en prie, ce débat a été digne, tous vos collègues se taisent, veuillez rester calme!

M. Jacques Jeannerat. Et qui, au moment de son décès, laisse 30 000 F sur un carnet d'épargne. Avec ce projet de loi, elle aurait pu léguer dignement cet argent à ses descendants. Ce projet de loi a finalement une haute dimension sociale!

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je ne pense pas que des avis aussi irréconciliables, s'agissant de la vision que l'on a des successions, puissent trouver un chemin de conciliation dans ce parlement. Je suis arrivée dans une commission où j'allais presque dire que la messe était dite d'une certaine façon. J'ai constaté que tant de mois de travaux n'avaient finalement pas permis d'arriver à une solution.

J'aimerais en préambule relever une chose s'agissant des successions. On peut avoir deux visions. Je dirais à M. le député de l'Alliance de gauche - je ne le nomme pas, ainsi il ne se sentira pas mis en cause! - que la citation néolibérale de la vision des successions est une interprétation que je ne crois pas pouvoir partager. Nous vivons dans un pays et dans un système dont font partie la tradition de transmission et la constitution de patrimoine. D'ailleurs, tout le régime fiscal, en dehors de ce système de succession, est construit de telle façon que personne n'est encouragé à recommencer et à partir de zéro. J'aimerais le rappeler puisque vous avez regretté la réflexion philosophique, indépendamment de ce que vous pouvez penser du résultat de ce projet.

Toute la construction de notre système, en Europe et en Suisse en particulier, fait qu'il n'y a pas, pour les autres incitations fiscales, de quoi penser que l'on abandonne son patrimoine à l'Etat et que l'on recommence avec facilité. Malheureusement, tout le système est construit différemment. Il est construit avec l'idée que la génération suivante vit un peu de la transmission de la précédente, C'est vrai pour les patrimoines, mais c'est aussi vrai pour d'autres éléments. C'est la raison pour laquelle je crois que ce débat, en terme philosophique, ne peut pas être réconcilié facilement. Si l'on veut adapter le raisonnement sur les successions, ce que certains défendent, à l'idée que la justice voudrait que l'on ne transmette rien, cela veut dire que l'on devrait revoir tout notre système fiscal pour voir de quelle manière, dans le système fiscal de base, on pourrait faciliter et encourager ceux qui partent de rien. Ce n'est pas vraiment la construction qui a été pensée, notamment à l'égard de celles et ceux qui prennent des risques.

J'inviterai la commission fiscale à y réfléchir lorsqu'on entamera une révision peut-être plus fondamentale que celle-ci.

La messe est dite pour différentes raisons, Mesdames et Messieurs les députés ! Mais je ne crois pas que ce soit à l'impôt sur les successions qu'il faille attribuer les difficultés financières que nous allons connaître. J'aimerais vous dire que les cigales étaient relativement nombreuses au cours des trois dernières années et que l'espoir, l'efficacité de l'administration fiscale et la conjoncture ont conduit à précipiter l'accélération des dépenses. Indépendamment des recettes fiscales que vous pouvez regretter, les problèmes que nous avons devant nous sont autant la maîtrise des dépenses que l'acquisition des recettes.

Aujourd'hui, c'est un pari ! Et le peuple pourra finalement en décider. Mais nous avons - vous devez aussi vous en souvenir - c'est ce qui rend la chose encore plus difficile, une pyramide fiscale qui montre qu'un certain nombre de personnes, relativement peu nombreuses en définitive, assument plus d'un cinquième des recettes fiscales des personnes physiques. Cette réalité ne doit pas être ignorée ! Et lorsqu'on doit prendre des décisions en matière fiscale, on ne peut pas envoyer en même temps un message négatif à l'égard de ces catégories de contribuables. Parce que l'on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre ! C'est ainsi qu'est faite notre économie, c'est ainsi qu'est construite notre pyramide fiscale. Nous ne pouvons pas l'ignorer à l'heure où nous prenons des décisions, que cela plaise ou non.

Je n'ai pas souhaité poursuivre dans la proposition du plafonnement parce qu'elle aurait conduit à deux effets. C'est l'injustice par rapport au plafond. Vous le savez, dès que l'on franchit un palier, il est toujours difficile de le justifier. Au-delà de cela, c'est une autre façon de perdre - nous perdrions de toute façon et cela n'aurait pas de sens. Aussi, je préfère de loin que l'on fasse cette tentative sur les forfaits. Bien sûr, Madame Künzler, que c'est un pari! Mais comme vous le savez : un avis, un juriste! Le pari des uns et le pari des autres se rencontreront peut-être un jour dans un tribunal...

J'espère tout de même - ma naïveté m'honorera peut-être et l'on m'entendra alors - que l'esprit civique poussera certains à comprendre que l'on devrait avoir le souci, lorsqu'on bénéficie d'un forfait, de faire en sorte que ce contrat soit rempli par rapport à ses successeurs. J'ai constaté jusqu'à présent qu'il y a eu en matière de forfait, et dans le comportement et dans l'engagement civique, davantage de signes positifs que négatifs. Je souhaite par-dessus tout que le système des forfaits puisse être maintenu et cette solution me paraît la moins mauvaise, du point de vue juridique comme du point de vue politique! (Applaudissements.)

Une voix.Je demande l'appel nominal (Appuyé.)

Le président. L'appel nominal a été demandé, nous allons y procéder. Celles et ceux qui acceptent l'entrée en matière de ce projet de loi répondront oui, celles et ceux qui le refusent répondront non.

Mis aux voix à l'appel nominal, ce projet est adopté en premier débat par 50 oui contre 35 non.

Appel nominal

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les articles 1 (souligné) à 2 (souligné).

Troisième débat

Une voix. Monsieur le président, je demande l'appel nominal ! (Appuyé.)

Le président. L'appel nominal a été demandé, nous allons y procéder. Celles et ceux qui acceptent le projet de loi 8642-A en troisième débat répondront oui, celles et ceux qui le refusent répondront non.

La loi 8642 est adoptée article par article.

Mise aux voix à l'appel nominal, la loi 8642 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 50 oui contre 37 non.

Appel nominal

PL 8844-A
Rapport de la commission de l'enseignement supérieur chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat autorisant le Conseil d'Etat à adhérer à la convention intercantonale relative à la Haute Ecole de Théâtre de Suisse Romande (HETSR) (C 1 23.0)

Premier débat

Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse de majorité. Pour commencer, ce n'est pas un point très important. S'il y a du bruit, tant pis! Je dois juste apporter une petite correction à la page 5, troisième paragraphe, de mon rapport...

Le président. S'il vous plaît, Madame, attendez! Messieurs ! Le petit groupe de députés libéraux et PDC au fond de la salle, vous laissez parler Madame le rapporteur de majorité! Nous devons faire ce débat ce soir, parce que la convention entrera en vigueur le 1er septembre. Pour le surplus, Mme Hagmann, M. Mouhanna, ainsi que Mme Brunschwig Graf sont présents ce soir!

Mme Janine Hagmann. A la page 5, paragraphe 3, j'avais prévu deux solutions. Je pensais que nous recevrions une note des enseignants du théâtre du Conservatoire de musique de Genève, si bien que j'avais prévu une alternative : «Elle est jointe au présent rapport» ou «Elle n'est pas jointe au présent rapport». Vous êtes donc gentils de biffer «Elle est jointe au présent rapport» puisque je n'ai pas reçu la note incriminée. Je vous remercie!

Deux mots, parce que je pense que la Haute école de théâtre de Suisse romande, après ce long débat sur les droits de succession... (L'oratrice est interpellée.)Non ? Nous allons faire un peu de théâtre pour lui donner de l'importance ! C'est donc la première fois... Non, ce n'est pas la première fois que je suis assise à cette table pour présenter à cette assemblée une adhésion à une convention, convention qui permettrait une participation à une haute école spécialisée. C'est cependant la première fois qu'il y a un rapporteur de minorité à cette table. C'est donc une première, Monsieur Mouhanna, pour une adhésion à une haute école spécialisée!

Vous connaissez mon attachement aux hautes écoles spécialisées. Pour moi, la création des HES a été un grand moment, un moment où les cantons se sont montrés visionnaires. Fédérer des écoles professionnelles pour en faire des HES a représenté un défi très ambitieux. Ce soir, si nous sommes là, c'est pour concrétiser l'un de ces défis, c'est-à-dire une adhésion à une convention qui permettra à notre Conseil d'Etat d'adhérer à la Haute école de théâtre de Suisse romande.

Pourquoi avons-nous demandé l'urgence ce soir ? C'est parce que nous désirons tous ici qu'elle puisse ouvrir ses portes dans de bonnes conditions à la rentrée et qu'une première volée d'étudiants puisse y entrer dès cet automne. C'est pourquoi il était nécessaire de pouvoir traiter ce projet de loi ce soir. Nous disposerons ainsi d'un résultat dans quelques instants.

La majorité de la commission, qui a travaillé avec beaucoup d'intérêt sur ce dossier, s'est évidemment montrée intéressée par l'adhésion de Genève à la convention permettant de créer cette haute école de théâtre. Pourquoi ? Parce que la majorité de la commission reconnaît l'intérêt de fédérer des sujets qui en valent la peine, de mettre ensemble des objectifs de valeur. Genève doit adhérer à cette convention. Dans un article de la convention, il est en effet stipulé que la Haute école de théâtre ne peut pas ouvrir ses portes si Genève et le canton de Vaud n'adhèrent pas à cette convention. Comme vous avez d'ailleurs pu le lire dans le rapport, quatre cantons ont déjà exprimé un oui et le Grand Conseil de deux autres cantons doit siéger en ce moment. D'ici la fin de l'été, je pense que tout le monde aura dit oui.

Pourquoi y a-t-il eu des abstentions à ce rapport ? Parce que la Haute école de théâtre est construite avec une structure un peu particulière. Il s'agit pour une fois d'une structure de fondation de droit privé. Pourquoi est-ce une fondation de droit privé? (L'oratrice est interpellée.)Non, Monsieur Grobet, mais parce que c'était une création beaucoup plus facile à envisager! La création d'une fondation de droit privé offrait plus de souplesse. C'était plus facile à constituer. C'est la décision qui a été prise par les milieux concernés.

Un deuxième avantage de la fondation de droit privé, c'est celui de recevoir plus facilement des fonds extérieurs, ce dont la Haute école de théâtre fait actuellement l'expérience, puisqu'elle est soutenue par la Loterie romande. Par ailleurs, pour contester ce que vous dites, Monsieur Grobet, il faut rappeler que les cantons ont la majorité au sein du conseil de fondation et qu'ils disposent d'une clause de sauvegarde par rapport au budget.

Il n'est pas utile que je donne plus d'explications sur le fait que la majorité de la commission désire que nous votions ce projet de loi ce soir. Je reprendrai éventuellement la parole après le rapporteur de minorité, pour m'assurer que ses propos sont justes, parce qu'il y a, dans votre rapport de minorité, Monsieur Mouhanna, quelques contrevérités que nous ne pouvons pas accepter!

Le président. Il y a de nombreux orateurs inscrits, la soirée est assez avancée. Le bureau a donc décidé de clôre la liste. Nous entendrons M. Mouhanna, M. Baud, M. Rodrik, Mme Leuenberger, M. Weiss, M. Grobet et enfin Mme Brunschwig Graf. Vous avez la parole pour sept minutes, Monsieur le rapporteur de minorité!

M. Souhail Mouhanna (AdG), rapporteur de minorité. Mme Hagmann s'est étonnée qu'il y ait, pour la première fois semble-t-il, un rapport de minorité sur un objet comme celui-ci. Quoi de plus naturel, Madame Hagmann! Je n'appartiens pas à la majorité que vous représentez, mais à une minorité. J'espère que vous aurez un jour, devant vous, un rapporteur de majorité!

Cela étant, vous avez mentionné un certain nombre de contradictions qui se trouveraient dans mon rapport de minorité. J'aurais aimé que vous les souligniez!

J'aimerais tout d'abord rappeler, contrairement à ce que prétend Mme Hagmann lorsqu'elle s'adresse à moi comme si j'étais opposé à la création des HES, que j'étais, elle ne le sait peut-être pas, parmi les personnes qui ont travaillé dès le début des années 90 à la création des HES. Là où nous nous étions opposés, Madame Hagmann, avec vous et avec les groupes politiques que vous représentez ici, c'était sur la question d'une HES unique pour la Suisse romande. Pour notre part, nous en voulions plusieurs pour la Suisse romande. C'est toute la différence. En fait, ce que vous avez voulu avec cette HES romande, c'était tout simplement de soustraire au contrôle parlementaire, au contrôle démocratique, un pan très important de la formation professionnelle. Comme vous le savez, il n'y a pas de droit d'initiative, ni droit de référendum sur le plan romand. Le contrôle parlementaire que vous avez prétendu avoir mis en place, c'est un contrôle tout à fait léger qui n'a strictement rien à voir avec un véritable contrôle parlementaire. Preuve en est : nous allons assister à un certain nombre de suppressions de filières de formation, pas seulement à Genève, mais un peu partout en Suisse romande et ailleurs. Le résultat final n'est pas le développement de la formation professionnelle. Au contraire, c'est la restrction des possibilités de formation offertes aux jeunes de notre pays.

Je voudrais maintenant revenir sur cette Haute école de théâtre de la Suisse romande. Je vous cite quelques lignes de la plaquette de présentation de cette école, qui nous a été distribuée par le directeur et par le président du conseil provisoire de la Fondation : «La Haute école de théâtre de Suisse romande a pour but de répondre démocratiquement aux besoins de formation et d'insertion professionnelle des comédiens et des comédiennes, ainsi que des metteurs en scène.» Quelle déclaration ! Répondre démocratiquement aux besoins! Alors qu'en est-il de cette réponse démocratique?

Tout d'abord, ce qui nous est présenté aujourd'hui, c'est un projet de convention, une convention entre un certain nombre de cantons romands, et cette convention ne peut être qu'acceptée ou refusée par notre parlement. Aucune possibilité d'amendement! C'est donc très démocratique!

Quand il s'agit d'une convention de ce genre, la moindre des choses, si l'on voulait suivre une voie démocratique, Madame la rapporteure de majorité, c'est qu'il y ait au minimum une consultation du parlement. Or Mme Brunschwig Graf a regretté lors de son audition qu'il n'ait pas été possible de procéder à cette consultation. Il n'y a donc pas eu de consultation. Est-ce très démocratique d'après vous? Très démocratique : il n'y a pas eu de consultation! Très démocratique : c'est à prendre ou à laisser!

Il s'agit d'une école destinée à recevoir quinze étudiants une fois tous les deux ans. Quel est le budget de cette école ? Plus de deux millions ! Vous savez, Madame Hagmann, que j'ai moi-même été auditionné plusieurs fois par la commission de l'enseignement et la commission de l'enseignement supérieur avant de devenir député. Combien de fois n'ai-je pas entendu de la part des représentants des partis de droite les critiques les plus sévères à l'égard des formations professionnelles, expliquant que les élèves et les étudiants coûtaient trop cher. Or comme vous le savez, les étudiants genevois étaient, à cette époque-là, et j'en avais les preuves, ceux qui coûtaient le moins cher de toute la Suisse. Qu'est-ce que l'on voit ici? Plus de 2,1 millions pour quinze étudiants tous les deux ans! Tous les deux ans! Là, manifestement, cela ne vous dérange nullement... J'en prends note pour l'avenir, lorsqu'il s'agira de parler des besoins de l'enseignement genevois, à tous les niveaux, et des besoins de la formation professionnelle.

La sélection des étudiants est effectuée par un jury. Comme on le sait, dans ce domaine-là, le jugement que l'on peut porter sur les candidats est généralement assez subjectif: vous changez de jury et vous pourrez choisir d'autres profils, des gens aussi capables que les autres. Et réduire les candidats à quinze tous les deux ans, c'est véritablement démocratique d'après Mme Hagmann... C'est cela la formation démocratique? Je m'inscris en faux là-contre! Il s'agit tout simplement d'une formation extrêmement sélective, et pas du tout basée sur un critère de qualité, mais simplement sur un certain nombre de critères décidés par quelques-uns et qui ne donnent aucune garantie que ceux qui ne sont pas retenus manquent de qualités pour pouvoir suivre cette formation. Ce n'est donc pas démocratique au niveau de la consultation; ce n'est pas démocratique au niveau du projet de loi tel qu'il nous est présenté; ce n'est pas démocratique en tant que fondation de droit privé, parce que, justement, nous avons une structure financée à 100% par les collectivités publiques et que c'est une fondation de droit privé ! Les parlements n'ont aucun contrôle, on nous dit simplement, à un moment donné - c'est une déclaration de Mme Brunschwig Graf - que le parlement recevra un rapport tous les ans. On sait ce que c'est, mais que peut faire le parlement, que peut-il décider? Absolument rien dans cette structure-là! Par conséquent, il n'est ni démocratique, ni acceptable, dans la mesure où une formation de ce type, destinée à un minuscule nombre d'étudiants, est une formation qui coûte trop cher par rapport à ce qu'elle représente, par rapport aux besoins, par rapport aux désirs d'un certain nombre de personnes de suivre cette filière...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député!

M. Souhail Mouhanna. Je dirais simplement que l'Alliance de gauche s'oppose à cette convention, aux statuts de cette fondation, aux restrictions instituées à l'entrée de cette école, à ce prix exorbitant qui nous est demandé et à l'absence de contrôle parlementaire. C'est par conséquent complètement antidémocratique. C'est la raison pour laquelle nous voterons non!

Le président. La parole est à M. le député Baud... Ce dernier n'étant pas là, la parole est à M. Rodrik.

M. Albert Rodrik (S). Nous avons entendu un réquisitoire violent dans lequel je ne retrouve pas les travaux de la commission. Je tenais à commencer mon intervention par là. Nous avons exprimé nous-mêmes nos regrets par rapport à deux points qui ne nous ont pas paru satisfaisants. Le premier est que, pour des raisons formelles - millions de francs de dépenses engagées - l'on n'ait pas pu procéder à la consultation interparlementaire sur un sujet aussi délicat où, pour la première fois, la Suisse francophone, se dote d'un lieu de formation pour l'ensemble de ses comédiennes et de ses comédiens. Il y a eu une deuxième maladresse, qui, je l'espère, ne constituera pas un écueil juridique, c'est de baptiser «fondation de droit privé» une entreprise qui allie six collectivités publiques, donc des collectivités du même type, et qui ne crée d'engagements que pour des collectivités publiques. Entendons-nous bien, les cantons ont le droit de créer des fondations de droit privé, ils peuvent choisir de le faire, mais que signifie mettre une étiquette «privé» sur une affaire qui ne concerne que des collectivités publiques? Je l'ai dit et je le répète ici comme en commission... (L'orateur est interpellé.)Un instant! Pas de procès d'intention!

Simplement, s'il y a un litige à propos d'un contrat de travail, par exemple, et qu'une autorité judiciaire doive évaluer le type de contrat en présence duquel on se trouve, nous allons tout droit vers une requalification du lien juridique entre les deux parties. Je ne vois pas de malignité là-derrière, Monsieur Grobet...

Une voix.Nous, on en voit!

M. Albert Rodrik. Eh bien, vous voyez!

Une voix.Comme pour le Rhuso!

M. Albert Rodrik. Comme pour le Rhuso...

Le président. On s'adresse à l'assemblée ou au président!

M. Albert Rodrik. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, il est dommage que l'on ait pris ce risque de constituer une fondation de droit privé parce qu'il est, semble-t-il, trop compliqué de créer une fondation de droit public... (L'orateur est interpellé.)

Le président. Monsieur Grobet! N'interrompez pas M. Rodrik!

M. Albert Rodrik. Tout simplement les formalités de constitution d'une fondation de droit public ne sont guère plus compliquées, Mesdames et Messieurs, en cela M. Grobet a raison, que de faire ratifier cette affaire par six parlements cantonaux !

Ces deux réserves étant faites, et quels que soient les grognements de M. Grobet, nous devons dire ici que les comédiennes et les comédiens de Suisse romande, que les hommes et les femmes de théâtre de ce pays, de la partie francophone de Suisse, ont besoin d'une véritable haute école de formation, reconnue, réputée, dont les diplômes ont une valeur sur l'ensemble européen du théâtre. Ne nous gargarisons pas de mots, Mesdames et Messieurs! Ni une école de théâtre, ni un spectacle, ni l'édition d'un journal ne sont une entreprise démocratique en autogestion, cela n'existe pas ! Une école de théâtre, un spectacle qui se monte et un journal qui sort tous les jours ou tous les mois ont un patron et quelqu'un qui les dirige. Et c'est à tort que l'on a écrit «démocratiquement» dans ce «foutu» prospectus! La démocratie vient dans la chance que l'on donne à ceux qui choisissent ce métier de pouvoir avoir, dans un aussi petit pays que la Suisse romande, un endroit où se former avec des lettres de créances ayant une valeur en Europe. Cette affaire est une entreprise périlleuse, c'est un risque que nous encourons, mais les gens de théâtre de ce pays en ont besoin. Nous n'avons pas été contents que l'on ait escamoté une consultation interparlementaire. Nous ne sommes pas heureux d'avoir une fondation de droit privé, pas plus que vous, Monsieur Grobet! Mais nous pensons que, sur les plateaux de la balance, la création de ce lieu de formation, pour une profession sinistrée où le chômage est à plus de 90%, est un impératif majeur qui dépasse de beaucoup nos mécontentements et nos déplaisirs.

Revenons-en à ces quinze personnes formées qui seront sur le marché du travail tous les deux ans ! Je souhaite à ces quinze personnes de trouver du travail et de pouvoir travailler. Parce qu'aujourd'hui la destinée des travailleurs du théâtre dans ce pays, c'est de rentrer et sortir du chômage en permanence ! C'est cela leur destinée tout le long de la vie! Lorsque j'étais comédien professionnel, on était très peu payé, mais nous avions la chance de faire de la radio, de la télévision. Nous avions des journées infernales qui, pour arrondir les angles, commençaient à 9h du matin et se poursuivaient jusqu'à midi. On répétait l'après-midi et on jouait le soir, mais on avait la chance d'avoir des troupes, des patrons et des formateurs, ce qui n'existe plus aujourd'hui !

Nous avons besoin d'une entreprise de ce genre et nous avons besoin de prendre ce pari pour les travailleurs du métier du théâtre, quel que soit notre déplaisir à l'égard de la fondation de droit privé, quel que soit notre déplaisir à l'égard de la non-consultation interparlementaire ! Le métier de théâtre, l'art dramatique, si difficile à assumer quand on l'a choisi, a besoin de cet investissement ! Mesdames et Messieurs, deux tragédies de Racine commencent par «oui»: il y a Athalie - «Oui, je viens dans son temple adorer l'éternel» - et il y a Iphigénie - «Oui, c'est Agamemnon, c'est ton roi qui t'éveille». En dépit de nos restrictions, nous voulons dire «Oui», ce soir, à ce lieu de formation pour les gens de théâtre de la partie francophone de Suisse, et je vous remercie de ne pas céder à ces grognements! (Applaudissements.)

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Je ne mettrai peut-être pas autant de force dans mon discours, mais en tout cas autant de conviction ! Les Verts ne suivront pas le rapport de minorité, car les questions soulevées par celui-ci et les doutes que nous avons exprimés en commission quant à la fondation de droit privé nous paraissent trop mineurs pour empêcher l'adhésion à la convention intercantonale qui va permettre l'ouverture de cette haute école de théâtre à la rentrée 2003. Nous pensons que les HES en général sont des écoles de qualité qui ont permis d'améliorer le développement de filières de haut niveau parallèlement à l'université. Beaucoup de jeunes vont y trouver des possibilités diversifiées de formation et élargir leur horizon professionnel. Les criètres de mobilité, de confrontation de pratiques intercantonales, voire internationales différentes, les relations étroites avec les monde professionnel ne peuvent être que bénéfiques et valent largement les quelques réticences émises dans le rapport de minorité.

De plus, il est clairement prévu dans la convention, comme l'a déjà rappelé Mme Hagmann, que les cantons garderont majoritairement le contrôle de ces écoles, ce qui devrait prévenir des dérapages.

Et je voudrais quand même rappeler que des cantons plus pauvres que nous, comme le Jura, Neuchâtel ou le Valais, acceptent de donner leurs deniers pour participer à la culture. Genève serait bien malvenu de ne pas le faire! Enfin, le vrai débat n'est-il pas de savoir si l'argent dépensé pour la culture en vaut la peine? Nous pensons que oui et voterons ce projet de loi! (Applaudissements.)

M. Pierre Weiss (L). On ne badine pas avec le théâtre, et je crois que la conviction un brin courroucée de notre collègue Rodrik était tout à fait à sa place pour dire l'importance qu'il faut mettre dans la création de cette nouvelle institution supérieure en Suisse romande. Je comprends les craintes de M. Mouhanna et j'entre dans son système de valeur qui voudrait qu'il n'y ait qu'une seule norme régissant l'organisation des HES en Suisse romande. Je comprends aussi qu'il souhaite davantage de contrôles. En même temps, rendons-nous à l'évidence! Au nom de cette norme idéale, il y aurait alors, si nous entrions complètement en matière, la non-réalisation de l'école de théâtre. Faut-il sacrifier l'école de théâtre à l'idéal qui est présenté ici? Comme il le dit dans son rapport de minorité, nous n'avons que deux possibilités de choix : soit accepter la convention, soit la refuser. Nous pouvons la refuser parce qu'elle ne correspond pas à notre idéal, et je comprends que M. Mouhanna veuille refuser la création d'une école de théâtre parce qu'elle ne correspond pas à son idéal. Pour ma part, je me satisfais d'une solution pragmatique, qui a ses inconvénients, on peut l'imaginer, et qui a d'autres avantages, comme la possibilité pour ladite école de recevoir des fonds de la Loterie romande, chose que ne permettrait pas, par exemple, une fondation de droit public. C'est un point que vous pourrez juger mineur, mais qui, du point de vue des recettes de cette école, dont on a souligné qu'elles devraient s'élever à quelque chose comme 2 millions par année, n'est pas négligeable.

Il y a aussi autre chose dans le rapport de minorité qu'il vaut la peine de relever. Peut-être parce que je ne le comprends pas assez bien! C'est la phrase qui concerne le «caractère élitiste de la sélection des candidats poussée à l'extrême». J'aimerais simplement demander si, au nom d'un idéal de non-sélection poussé à l'extrême, de sélection non-maximaliste, l'on aurait plus d'étudiants. Mais que ferait-on, comme l'a relevé M. Rodrik toujours, que je cite avec plaisir, de ces non pas 15, mais 30, 45 ou 60 étudiants diplômés qui se trouveraient au chômage après la fin de leur cycle d'étude...

Une voix.On construirait des théâtres !

M. Pierre Weiss. On construirait peut-être des théâtres! Nous en avons beaucoup à Genève, avec des comédiens de qualité, mais je crois que, là-aussi, nous devons avoir un peu le sens des responsabilités. Il y a d'un côté l'idéal, de l'autre le sens de la responsabilité, le sens de ce qui est praticable. En d'autres termes, ce concours d'entrée est légitime, parce qu'il permettra au bout du compte de minimiser les risques et de maximiser la satisfaction des spectateurs que nous sommes et les possibilités d'emploi des étudiants qui se formeront là!

C'est pour ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, pour la confiance aussi que nous devons donner dans la situation présente au Conseil d'Etat des différents cantons qui nous représenteront qu'il convient de voter ce projet de loi. C'est en tout cas ce que feront les députés libéraux!

M. Christian Grobet (AdG). J'aimerais d'abord dire à notre collègue, M. Rodrik, que ce ne sont pas des grognements que nous sommes en train d'exprimer, mais simplement notre indignation quant au fait que la procédure mise en place pour traiter les conventions intercantonales n'a pas été respectée! J'avoue que cela ne m'étonne pas de la part du Conseil d'Etat, qui persévère dans les pratiques anciennes!

Comme plusieurs l'ont dit, on se trouve devant un texte à prendre ou à laisser. J'ai crû naïvement que nous étions d'accord sur un point dans ce parlement, à savoir que la procédure d'adoption des conventions intercantonales, sous la forme de devoir accepter ou refuser, était inacceptable. Je pensais que nous étions tous soucieux de trouver une procédure. Cette procédure a été mise en place entre-temps, Mme Hutter me l'a ressortie. Il s'agit de la convention relative à la négociation, à la ratification, à l'exécution et à la modification des conventions intercantonales et des traités des cantons avec l'étranger, du 23 février 2001. Ce projet de concordat ou de convention - on peut l'appeler comme on veut, puisque c'est «kif-kif bourricot» - aurait donc dû être soumis à ces procédures intercantonales, ce qui aurait laissé la possiblité aux députés formant la commission étudiant ce projet de concordat de formuler des propositions d'amendements, comme cela a été fait de manière tout à fait positive récemment encore pour une ou deux conventions intercantonales.

Mais la réalité, je m'excuse de vous le dire crûment, Madame Brunschwig Graf, c'est que le Conseil d'Etat n'en a visiblement pas voulu! On se retrouve, que vous le vouliez ou non, Monsieur Rodrik, avec, il est vrai, une dimension beaucoup moins importante, dans le cas de figure du Rhuso. Vous vous étiez du reste associés à nous pour lancer un référendum, voté par le peuple, parce que celui-ci n'a pas été dupe de ces pseudo-conventions intercantonales conclues entre des pouvoirs exécutifs, qui ont pour seul but de supprimer tout pouvoir d'intervention des parlements. Parce que c'est de cela dont il s'agit! Je comprends, Monsieur Blanc, que vous vouliez intervenir, parce que vous aviez pris une grosse baffe à l'époque avec le Rhuso en étant désavoués par le peuple! Je comprends qu'il s'agisse pour vous d'un mauvais souvenir, mais je pense, comme vous êtes un parlementaire aguerri, que vous devriez un peu écouter la voix du peuple et pas persévérer dans des procédures qui ne sont pas acceptables!

Vous avez eu, Madame Hagmann - j'allais parler de culot - en tout cas l'audace de dire que M. Mouhanna proférait des contrevérités. Je ne sais pas comment qualifier votre affirmation selon laquelle il serait plus simple de créer une fondation de droit privé qu'une fondation de droit public. C'est totalement faux! Il n'y a rien de plus simple que de créer une fondation de droit public. Il suffisait d'ajouter un ou deux articles dans la convention qui nous est soumise ce soir et la fondation était privée. Et l'on se dispensait même, puisque vous cherchiez tout à l'heure des économies, Madame Brunschwig Graf - ou était-ce M. Marcet ? je ne me souviens plus... On aurait économisé les frais de notaire pour créer cette fondation de droit privé.

Ce n'est pas du tout, Madame Hagmann, et vous le savez, pour des raisons de simplicité que l'on a choisi une fondation de droit privé au lieu d'une fondation de droit public ! C'est parce que vous ne voulez pas de contrôle du Grand Conseil sur ces institutions. Avec une fondation de droit privé, vous obtenez ce que vous voulez. C'est un petit gremium. On ne sait même pas qui va diriger cette fondation de droit privé. Ce sera l'affaire des petits copains, pour reprendre les termes de M. Dupraz, pour vous faire plaisir. Finalement, cette fondation fera ce qu'elle voudra. Bien entendu, on pourra toujours, si cela va mal, supprimer notre subvention à cette fondation ! C'est une vue de l'esprit et vous le savez très bien. Vous nous mettez tout simplement devant le fait accompli. Il n'y a aucune urgence, cette école existe. On pourrait très bien voter ce soir à partir de l'article 4, en précisant que les élèves de Genève iront à l'école de Lausanne. La création de la fondation peut donc fort bien être reportée.

En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas d'accord de nous faire emmener dans ce genre de procédure, qui confine finalement, avec cette fondation de droit privé, à une privatisation de la formation scolaire... Voilà, Madame, vous pouvez sourciller comme vous voulez, mais avez-vous créé une fondation de droit privé pour l'Ecole d'ingénieurs lorsqu'elle est devenue HES? Est-ce que vous avez créé une fondation de droit privé pour les différentes écoles publiques qui font partie de la HES romande? Non ! Il n'y avait aucune nécessité à ce que l'Ecole d'ingénieurs, par exemple, soit transformée en fondation de droit privé. Si cela avait été fait sur le plan cantonal, vous pouvez être sûr que vous auriez eu le référendum! On ne va pas lancer un référendum pour 15 étudiants, mais cette procédure n'est pas acceptable et nous ne sommes pas d'accord de nous faire forcer la main! Nous voterons contre cette pseudo-organisation démocratique qui n'en est pas une!

M. Souhail Mouhanna (AdG), rapporteur de minorité. J'aimerais quand même réagir à l'intervention de M. Rodrik. Il a souligné, avec une envolée lyrique, l'importance d'une fondation de droit privé pour répondre aux besoins de la formation théâtrale, la formation de quinze étudiants tous les deux ans apparaissant comme quelque chose d'essentiel, alors que la question de la fondation de droit privé s'avérant secondaire. Je suis très - très !- surpris par cette déclaration de M. Rodri! Il n'y a aucune raison pour que le même raisonnement ne soit pas tenu concernant d'autres objets. Pourquoi ne pas dire que l'on a des besoins essentiels dans le domaine de la santé et qu'il faut créer en conséquence des fondations de droit privé pour l'Hôpital cantonal, pour l'Université, etc. ? C'est une argumentation que nous ne pouvons suivre en aucune manière.

M. Weiss a par ailleurs prétendu que j'attaquais le fait que la sélection était poussée à l'extrême et que je voudrais par conséquent que les personnes formées soient d'une moindre qualité. C'est à peu près la signification de ce qu'il a dit. Je lui ai déjà répondu lorsque j'ai expliqué qu'il suffisait de changer de jury, afin qu'un jury aussi compétent que le premier se prononce, en choisissant peut-être pour partie les personnes retenues par le premier jury et pour partie d'autres candidats. S'agissant de l'accès à l'emploi par ce biais-là, les auditions auxquelles il a été procédé en commission et les explications apportées ont montré que l'obtention de ce diplôme ne garantissait en aucune manière l'accès à un emploi. Si le diplôme constituait une chance supplémentaire, il aurait alors absolument fallu donner à d'autres cette possibilité et cette chance supplémentaire. C'est donc le contraire de ce qu'a prétendu M. Weiss!

Pour conclure, je constate, en écoutant les interventions des uns et des autres, que l'on me fait exactement le même procès que par le passé par rapport aux HES, prétendant que j'étais opposé aux HES, alors même que j'étais favorable à plusieurs HES en Suisse romande, dont une à Genève! Je vais simplement lire, Mesdames et Messieurs, la fin de mon rapport : «Sans attendre la ratification de la Convention par les parlements cantonaux, la HETSR a déjà été mise en place. Des contributions financières ont été versées par les cantons, le directeur de l'école a été nommé en juillet 2002 - cela fait un an - le concours d'entrée vient d'avoir lieu... Il est donc possible de refuser cette convention sans mettre en péril l'existence de la HETSR. Le délai supplémentaire ainsi obtenu permettrait d'établir une nouvelle convention réellement démocratique - cela signifie, Mesdames et Messieurs, que nous ne sommes pas contre la Haute école de théâtre de Suisse romande - portant sur une fondation de droit public soumise à un contrôle parlementaire, assurant une formation de haut niveau accessible à un plus grand nombre de candidats. Il convient à ce sujet de souligner que la convention et le projet de loi 8844, soumis à notre Grand Conseil, n'ont pas suscité l'enthousiasme de la commission de l'enseignement supérieur. De nombreuses critiques de gauche et de droite, souvent très sévères, ont été formulées à leur encontre. Le score réalisé au moment du vote - soit 4 pour, 1 contre, 5 abstentions - est particulièrement éloquent. Pour toutes ces raisons, la minorité vous recommande, Mesdames et Messieurs, de refuser le projet de loi 8844.»

En le refusant, on pousse les gouvernements cantonaux à négocier une autre convention qui tienne compte de ce que nous avons dit sans mettre en péril l'existence de cette école, puisqu'elle existe déjà avant que l'on ait voté quoi que ce soit ici, puisque le concours a déjà lieu, que les structures administratives sont là et que le conseil de fondation provisoire est déjà en place. Que l'on cesse alors de nous faire un mauvais procès! La vérité, Mesdames et Messieurs, c'est que vous êtes prêts à faire passer n'importe quoi, absolument n'importe quoi, pourvu que vous fassiez ce que souhaitent certains milieux! Un point, c'est tout!

Le président. La parole est à Mme le rapporteur de majorité. Madame, vous êtes priée de ne pas lire des extraits de votre rapport, comme M. Mouhanna. On vous a lu, Monsieur Mouhanna !

Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse de majorité. Les élèves comédiennes et comédiens qui entreront cet automne dans la Haute école de théâtre sont reconnaissants aux différents intervenants qui ont plaidé en faveur de l'ouverture de cette école, plaidoyers qui nous ont fait plaisir. Je voudrais juste ajouter que quinze élèves commenceront cet automne et qu'il y aura de nouveau quinze élèves l'année d'après pour que cela fasse trente élèves en tout. Le coût ne doit pas être divisé par quinze, comme vous l'avez fait, Monsieur Mouhanna, mais il faut le diviser par trente! Vous comparez - je crois que c'est M. Grobet - la fondation de droit privé avec la gestion de l'école d'ingénieurs en insistant sur la différence de statut des enseignants. C'est une comparaison ridicule, puisque vous savez très bien que le statut des enseignants n'est pas du tout le même pour les deux écoles ! Est-ce que ce sont des fonctionnaires qui vont enseigner dans une haute école de théâtre, alors que ce sont des personnes qui auront d'autres activités? La HETSR a besoin de gens d'expérience, de gens de valeur!

Quant au coût de l'école de théâtre, j'aimerais juste dire qu'il faudrait peut-être le comparer au coût d'autres écoles auxquelles je pense, Monsieur Mouhanna... Suivez mon regard !

Pour terminer ce soir, parce que j'espère bien que l'on va finir en souhaitant bon vent à cette école, j'aimerais vous dire quelles sont les deux priorités choisies, parce que cela me paraît important. La première, c'est de favoriser l'identité suisse romande au sein de l'école, la deuxième, c'est de placer l'école au niveau des grandes écoles européennes. Rien que pour cela, Mesdames et Messieurs, votez ce projet de loi, je vous en conjure!

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Beaucoup de choses ont été dites au sujet de cette Haute école de théâtre de Suisse romande. Il convient tout d'abord d'en souligner une, comme l'a rappelé l'un des intervenants. Il s'agit d'une école de théâtre, pas d'une école d'ingénieurs, ni d'une école d'architectes, ni d'une école d'économistes, mais d'une école qui forme des artistes. Lorsque vous aurez la curiosité de consulter le petit dépliant de cette école, vous constaterez que les premiers intervenants prévus s'appellent Philippe Morand, Hervé Loichemol, François Rochaix et d'autres encore. Pensez-vous qu'il y a un véritable problème à imaginer que ces personnes seront engagées par une fondation de droit privé? Pensez-vous sérieusement que les intervenants de cette école ne rêvent que d'obtenir un statut public ou parapublic, ou est-ce que vous pensez, comme les milieux culturels de l'ensemble de la Suisse romande, que la culture, dans ce pays, répond peut-être à des lois et à des exigences qui ne sont pas nécessairement les mêmes que celles des milieux économiques ou des milieux professionnels intéressés par une formation d'ingénieur ou par une formation d'économiste?

Si les conseillers d'Etat en charge du dossier ont choisi cette forme de fondation de droit privé, c'est pour plusieurs raisons, y compris celle de la souplesse, et par volonté aussi de s'assurer des fonds provenant d'autres fondations privées. C'est aussi parce que la plupart des institutions sont créées, dans les milieux culturels, sous une forme privée. Ceux qui s'élèvent aujourd'hui contre cette fondation privée se sont-ils inquiétés une seule fois, au cours des dix ans durant lesquels je suis dans ce parlement, de savoir que l'Ecole de théâtre de Genève, qui appartenait au Conservatoire de musique, était rattachée à une fondation de droit privé? Cela a-t-il gêné quiconque durant ces dix ans de voir fleurir l'école de théâtre genevoise? Non, pas du tout! C'est donc la preuve qu'il est parfaitement possible de considérer comme un bien commun, financé par les deniers publics, une institution de droit privé sans que cela soit un crime de lèse-majesté!

J'ai eu l'honnêteté de vous faire part en séance, Mesdames et Messieurs les députés, de mes regrets concernant la procédure habituelle de concordance interparlementaire ! Je dois quand même vous rappeler, Monsieur Grobet, lorsque vous dites que cela ne vous étonne pas du Conseil d'Etat qu'il n'ait pas mis en place cette procédure, que c'est tout de même ce même Conseil d'Etat genevois qui a piloté, avec les députés, la mise en place de cette fameuse «convention des conventions» que vous citez ! Nous nous préoccupions d'une autre convention à l'époque, qui nous a pris beaucoup de temps et d'énergie, puisque nous avons mené simultanément la «convention des conventions» et la mise en place de la convention intercantonale sur la haute école spécialisée n°2. En plus de cela, il a fallu gérer la convention postconcordataire de la HES-SO. Celle-ci m'a échappé, comme il m'a échappé dans un premier temps la disposition qui prévoyait le contrôle postconcordataire et qui limitait l'intervention interparlementaire à des montants supérieurs à un million. Je n'ai pas vu à ce moment-là, dans la concertation préliminaire, qu'il y aurait eu lieu de mettre en place cette concertation. Je l'ai indiqué à la commission de l'enseignement supérieur et j'ai expliqué les raisons pour lesquelles cela s'est passé. Mais je ne peux laisser dire ici que le Conseil d'Etat l'a fait volontairement et encore moins que c'est dans ses habitudes!

Deuxièmement, vous me pardonnerez quand même de vous signaler que le Rhuso est le strict exemple contraire de ce que vous voulez défendre! Le Rhuso a bénéficié d'une structure interparlementaire qui a travaillé avec le Canton de Vaud et le Canton de Genève. Le résultat qui en a découlé n'était certes pas à la hauteur des ambitions de chacun, mais le travail de concertation a bel et bien été fait, même si le résultat n'est pas réussi!

Troisièmement, je pense que c'est un mauvais procès que vous faites à cette Haute école de théâtre. Peu importe en définitive de savoir quel est son statut juridique ! Celles et ceux qui sont intéressés par ce dossier auront vu que les cantons sont représentés chacun par un fonctionnaire dans le conseil de fondation pour assurer le lien. Ils auront vu que des dispositions existent pour maîtriser les dépenses; ils auront vu que c'est le Conseil d'Etat qui est responsable de l'application de la convention. Il y a donc bel et bien des responsabilités clairement établies et il y a une volonté de maîtrise. Je n'ai pas le moindre souci à ce propos, puisque tout cela se fait sous l'égide de la Conférence intercantonale de l'instruction publique. Il n'y a aucune raison de penser que cela échappe à quiconque. La seule chose à laquelle j'aspire, c'est que l'on souhaite, comme on l'a dit ici, bon vent à cette école! Je souhaite que celles et ceux qui seront formés - qui, il est vrai, seront sélectionnés, et je l'espère au gré de leur talent, c'est finalement la seule aune qui nous importe - trouvent à s'employer et à faire rayonner la culture dans ce pays. C'est le mieux que l'on puisse souhaiter à chacun. C'est le pari de cette école!

Votez cette convention, Mesdames et Messieurs, elle en vaut la peine! Et souhaitez bon vent à cette Haute école de théâtre! (Applaudissements.)

Le président. La parole n'étant plus demandée, je mets aux voix l'entrée en matière de ce projet de lois. Le vote est lancé !

Des voix.Appel nominal, Monsieur le président !

Le président. Vous l'aurez pour le troisième débat !

Une voix.Je demande l'appel nominal. (Appuyé.)

Le président. Le vote est déjà lancé. Vous aurez l'appel nominal au troisième débat.

Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.

M. Christian Grobet (AdG). Je demande que l'on vote à l'appel nominal l'article 1 de ce projet de loi. (Appuyé.)

Le président. Nous procédons à l'appel nominal. Celles et ceux qui l'acceptent répondront oui, celles et ceux qui le refusent répondront non.

Mis aux voix à l'appel nominal, l'article 1 est adopté par 49 oui contre 7 non et 7 abstentions.

Appel nominal

Mis aux voix, les articles 2 à 16, alinéa 9 sont adoptés.

Troisième débat

M. Pierre Weiss. Je demande l'appel nominal sur le vote d'ensemble. (Appuyé.)

Le président. L'appel nominal a été demandé, nous allons y procéder. Celles et ceux qui acceptent le projet de loi en troisième débat répondront oui, celles et ceux qui le refusent répondront non.

La loi 8844 est adoptée article par article.

Mise aux voix à l'appel nominal, la loi 8844 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 49 oui contre 7 non et 8 abstentions.

Appel nominal

Le président. Avant de lever la séance, je vous rappelle que nous nous voyons demain à 8h pour l'examen des comptes 2002.

La séance est levée à 23h10.