République et canton de Genève

Grand Conseil

M 2005
Proposition de motion de Mmes et MM. Pierre Weiss, Fabiano Forte, Antoine Barde, Daniel Zaugg, Francis Walpen, Edouard Cuendet, Olivier Jornot, Beatriz de Candolle, Christiane Favre, Serge Hiltpold, Fabienne Gautier, Nathalie Fontanet, David Amsler, Alain Meylan, Renaud Gautier, Christophe Aumeunier, Claude Aubert, Eric Leyvraz, Patrick Saudan, Anne Marie von Arx-Vernon, François Gillet, Stéphane Florey, Frédéric Hohl, Christo Ivanov, Patricia Läser, Gabriel Barrillier, Jacques Jeannerat, Michel Ducret, René Desbaillets, François Haldemann, Charles Selleger, Christina Meissner, Philippe Morel, Jean Romain, Nathalie Schneuwly, Serge Dal Busco, Mathilde Chaix, Bertrand Buchs, Eric Bertinat, Antoine Bertschy, Jacques Béné, Pierre Losio, Pierre Conne, Ivan Slatkine, Céline Amaudruz, Michel Forni, François Lefort, Guy Mettan, Roger Golay, Olivier Norer, Catherine Baud, Esther Hartmann, Patrick Lussi, Mauro Poggia, Emilie Flamand, Morgane Gauthier, Christian Bavarel, Sophie Forster Carbonnier, Jacqueline Roiz, Manuel Tornare, Marie Salima Moyard, Vincent Maitre : ad majorem linguae latinae et culturae classicae gloriam respectu scriptorum et verborum septuumviri genevensis coram populo atque senatu

Débat

Le président. Nous sommes au point 140 de l'ordre du jour; il s'agit d'une urgence, la proposition de motion 2005 intitulée: «Ad majorem linguae latinae et culturae classicae gloriam respectu scriptorum et verborum septuumviri genevensis coram populo atque senatu». Ce qui signifie en langue vulgaire: «A la très grande gloire de la langue latine et de la culture classique, eu égard aux écrits et aux paroles du Conseil d'Etat genevois vis-à-vis du peuple et du Grand Conseil». La parole est à M. le député Pierre Weiss.

M. Pierre Weiss (L). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il y avait l'armée des ombres; mercredi prochain à 16h, il y aura l'armée des signataires d'une pétition en faveur du maintien du latin en septième année du cycle d'orientation. Ils seront 12 000, ce qui représentait quatre légions du temps de la République. Ceux-ci chanteront: «Rosa, rosa, rosam cum spina». Avec épines ! Et ils chanteront «Rosa, rosa, rosam cum spina» parce qu'ils entendent que soit respectée la volonté populaire.

Le 75% des Genevois a approuvé le contreprojet qui concernait la structure du cycle d'orientation. Le 75% des Genevois a donc approuvé ce que disait à l'époque le Grand Conseil qui, notamment, entendait que soit maintenu le latin en septième année. Je cite les propos du rapporteur, mon collègue M. Barrillier: «De plus, il est encore précisé que l'enseignement du latin dans les 3 regroupements de 7e sera adapté en fonction des efforts et de la demande des élèves par des dotations-horaires appropriées de façon à permettre une meilleure progression des élèves qui se destinent à la section LS.» C'est-à-dire la section latine-scientifique.

A l'époque, le département de l'instruction publique était celui qui était à l'initiative de cette introduction du latin pour tous. Aujourd'hui, il ne veut le latin pour personne ! Il y a quand même une petite incohérence. Là, il faudra que le chef du département qui avait proposé cette réforme, qui l'avait soutenue et défendue, qui avait obtenu un plébiscite populaire, nous explique pourquoi il a retourné sa veste ! Il a retourné sa veste, c'est-à-dire qu'il ne veut plus que soit maintenu le latin en septième du cycle; au contraire, il souhaite abaisser de deux heures la dotation horaire pour le latin sur l'ensemble du cycle d'orientation, en faisant passer l'enseignement de douze à dix heures, alors que celui-ci était de quinze heures avant les années 2000.

En d'autres termes, les considérants et les invites s'adressent d'abord au Conseil d'Etat et au chef du département de l'instruction publique, pour lui demander de respecter la volonté du peuple, pour lui demander de se souvenir de sa parole.

Mais il n'y a pas que cela ! Il y a aussi le respect de la culture latine. Ce n'est pas une culture «Astérix» qu'il s'agit d'introduire pour tous. J'étais, à titre personnel, assez sceptique par rapport à ce qui était proposé pour une généralisation du latin en première année du cycle d'orientation, pour ce que l'on appellera maintenant les regroupements 1 et 2. Mais enfin, cela a été voté et cela doit correspondre à quelque chose qui a été préparé par les professeurs de latin pour l'année prochaine. Pour l'année prochaine, je dis bien ! Il y a donc la place du latin et celle de la culture. Il y a le respect du peuple et celui de sa parole. Il y a le respect du droit, aussi. Le respect du droit et de la loi votée !

Je conclurai par ceci, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés: si aujourd'hui cette motion sur le respect et sur la culture n'est pas acceptée, demain un projet de loi viendra, afin de modifier l'article 53A de la loi sur l'instruction publique. Et que dira-t-il ? Il sera très simple...

Le président. Il vous faut conclure !

M. Pierre Weiss. Je conclus par cela. Il dira que, au cours de la première année, les mêmes disciplines, dont le latin, seront enseignées dans les trois regroupements. Voilà tout simplement ce qui se passera si on méprise les quatre légions qui, la semaine prochaine, seront dans la rue !

Une voix. Oh là là, tu es pire que Stauffer !

Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur le député Jean Romain, fiat verbum.

M. Jean Romain (R). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, 12 000 signatures, pour une pétition, ce n'est pas rien ! J'ai de la peine à calculer en légions, mais en milliers, ça en fait beaucoup, et je vous propose un amendement. Il est faux de dire que le latin est élitiste. Il est à tel point faux de dire cela - comme on a pu le lire récemment dans certains journaux - que, en définitive, aussi bien l'ancienne commission de l'enseignement que notre assemblée et le Conseil d'Etat prévoyaient de distribuer cet élitisme à tous. Alors moi, l'élitisme pour tous, ça me convient assez, d'autant que celui-ci est porteur de structure et d'une histoire, et il est important que nos jeunes comprennent que le monde ne commence pas avec eux et avec Astérix !

Ce que demande l'amendement que je vous propose et qui se trouve sur vos tables est très simple. Cet amendement est d'une simplicité biblique, il est d'une simplicité... Je cherche le mot ! (Remarque.) Voilà qu'il me vient: il est d'une simplicité romaine ! Merci, Monsieur Barrillier. Parce qu'en définitive, ce qui risque de se passer, c'est qu'on nous dise oui au latin, mais qu'avec la nouvelle grille du primaire le cycle d'orientation ne puisse dégager quelques heures qu'aux alentours de 2015, puisque l'allemand va descendre dans le primaire. Donc on fera ça en 2014 ou 2015...

Une voix. Après la traversée ! (Rires.)

M. Jean Romain. La traversée du latin ! Non, Mesdames et Messieurs, nous ne voulons pas renvoyer le latin aux calendes grecques, «ad Graecas calendas», et je vous propose, si vous êtes d'accord, d'ajouter cette cinquième invite, qui demande soit de commencer dès cet automne avec la nouvelle grille, soit, si nous ne pouvions pas le faire - ce que nous comprendrions - de ne pas mettre en place de nouvelle grille au cycle d'orientation et de prendre une année de réflexion. Un moratoire d'une année: après tout, c'est le mot qu'utilisent les 12 000 personnes qui ont signé cette pétition. On commencerait seulement à l'automne 2012 avec la nouvelle grille horaire, de façon à pouvoir faire de la place au latin. Et si le département ne trouvait pas ces quelques heures, je m'engage à travailler avec lui pour essayer de les lui dénicher.

Le président. Merci, Monsieur le député. Madame la députée Mathilde Captyn, fiat verbum.

Mme Mathilde Captyn (Ve). Je vous remercie, Monsieur le président, même si je n'ai pas tout à fait compris la fin de votre intervention ! En ce qui me concerne, le latin, je l'ai apprécié - je dis bien «apprécié» - grâce à Jacques Brel, plutôt qu'au cycle à l'époque. Ça vous laissera peut-être présager de ma position par rapport à cette motion. Enfin, je suis là pour parler de celle du groupe, ce qui est un peu compliqué, parce que certains sont d'accord avec cette motion et l'ont même signée, estimant que c'est important d'avoir du latin en septième année, en particulier pour les classes les plus défavorisées de notre société. Ils pensent aussi que le latin ouvre certains horizons et que, en ce sens, il est important de le maintenir en septième année.

D'autres se demandent, au contraire, pourquoi le latin serait si fondamental et pourquoi il le serait plus que d'autres branches, dans le fond. Pourquoi maintenir le latin en septième année, alors qu'on sait qu'à cet âge les élèves ne sont pas si réceptifs à ce type de savoir ?

En tout cas, les Verts sont certains d'une chose, c'est qu'ils sont d'accord de renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement. Nous formulons donc la demande de renvoi de cette motion à la commission de l'enseignement.

M. François Gillet (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, dans cette importante réforme du cycle d'orientation qui nous occupe depuis quelques années déjà, les démocrates-chrétiens ont toujours été convaincus d'un certain nombre de principes, en particulier s'agissant de la première année du cycle d'orientation, appelée aujourd'hui la nouvelle neuvième HarmoS. Nous avons toujours pensé qu'à cet âge, lorsqu'on change de niveau d'enseignement, il était fondamental de permettre un maximum de perméabilité entre les différents regroupements et filières. A ce niveau, il était essentiel pour nous - et nous l'avons toujours défendu - que les mêmes disciplines puissent être enseignées à l'ensemble des regroupements au cours de cette première année du cycle d'orientation.

Il est vrai qu'il n'est pas facile de contenter tout le monde quand nous élaborons une grille horaire. Je rappelle, à ce sujet, que les démocrates-chrétiens avaient aussi défendu l'idée qu'il fallait davantage de sport et davantage de sciences humaines, mais il est vrai que la question du latin nous interpelle également, comme les autres signataires de cette motion. Pourquoi ? Parce que dans la première version soumise à la commission de l'enseignement, il y avait du latin dans tous les regroupements, mais à nos yeux existait une disparité excessive entre la dotation horaire du regroupement 3 et les autres. Du coup, la perméabilité que nous avons toujours défendue n'était plus respectée. Maintenant, passer d'un extrême à l'autre, en renonçant au latin en neuvième HarmoS, c'est abandonner l'un des fondements du contreprojet, celui de permettre un choix de l'une ou l'autre des sections de deuxième année du cycle d'orientation. La notion de choix est effectivement l'un des éléments importants du contreprojet. Or, pour pouvoir en opérer un, encore faut-il que tous les élèves accèdent à l'ensemble des disciplines. Cependant, aujourd'hui, ils n'abordent plus le latin du tout en première année du cycle d'orientation, ce qui est regrettable. Nous le déplorons d'autant plus que le latin en première année du cycle d'orientation - le latin pour tous, comme on l'avait dénommé, et comme M. Beer l'avait appelé de ses voeux à l'époque - avait aussi des vertus par rapport au français. En effet, personne ne niera que les bases du français se trouvent aussi dans la langue latine. Il est donc important à nos yeux de le maintenir pour tous, sous une forme ou sous une autre.

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.

M. François Gillet. Je vais le faire tout de suite ! La motion qui vous est présentée ce soir réinstaure ce latin pour tous, mais évite toute disparité excessive entre les différents groupements, raison pour laquelle, Monsieur le président, nous la soutenons et proposons de la renvoyer directement au Conseil d'Etat.

M. Eric Leyvraz (UDC). Le groupe UDC soutient cette motion et refuse le renvoi en commission. En effet, si l'on renvoie cette motion en commission, son traitement prendra pas mal de temps, ce qui signifierait simplement qu'on ne pourrait pas enseigner le latin en septembre, à la rentrée.

Je me permets une petite remarque à M. Weiss: la légion classique, ce n'est pas 3 000 hommes, mais 5 000 !

M. Pierre Weiss. Sous l'Empire !

M. Eric Leyvraz. Sous la République, c'était 5 000, parce que le 2 août 216...

Le président. Messieurs les députés, on va vous laisser, si vous voulez !

M. Eric Leyvraz. Le 2 août 216 avant J.-C., lors de la fameuse bataille de Cannes, les historiens nous disent que les Romains et leurs alliés avaient rassemblé seize légions, soit 80 000 hommes. Voilà ! (Applaudissements.)

Le président. Merci pour cet éclairage historique ! La parole est à Mme la députée Marie Salima Moyard.

Mme Marie Salima Moyard (S). Merci, Monsieur le président. Ne sentant nul besoin de prouver que je sais le latin par des locutions ou autres expressions latines, c'est en français que je vous présenterai les raisons du vote partagé du groupe socialiste sur l'objet de cette motion.

L'objet de cette motion est double et il s'agit d'être bien au clair. D'une part, il y a ce qui a été appelé LCL, langue et culture latines - latin pour tous - c'est l'initiation en neuvième HarmoS. D'autre part réside la question de la filière latine, à partir de la dixième et de la onzième, c'est-à-dire pour les deux dernières années du cycle. Ce n'est pas la même chose.

Une partie du groupe socialiste s'oppose à cette motion pour les raisons suivantes. D'une part, parce que cette motion est extrêmement précise et qu'elle formule des demandes dans un domaine normalement du ressort du Conseil d'Etat. En outre, la mise au point d'une grille horaire est un exercice de haute précision, car les contraintes sont innombrables. C'est un exercice nullement facile, tout le monde en conviendra. On peut aussi saisir l'intérêt de ce nouveau cours - je vous expliquerai en quoi - mais on peut peut-être se demander s'il doit primer sur la dotation des disciplines désormais appelées «fondamentales», qui l'ont toujours été dans nos têtes: le français, les mathématiques, l'allemand, pour ne citer que celles-ci. De plus, les changements d'orientation pourraient être rendus plus difficiles avec un nombre d'heures différencié entre les regroupements, point dont faisait état M. Gillet tout à l'heure. Le regroupement le plus élevé aurait en effet plus d'heures, ce qui rendrait le changement d'orientation plus difficile. Enfin, certaines personnes du groupe considèrent que défendre le latin au cycle d'orientation serait une position élitaire voire élitiste. Or, pour le groupe socialiste, la filière latine en est une comme les autres, qui doit être tout autant accessible, ni plus, ni moins.

A l'inverse, une courte majorité du groupe estime que c'est un bon projet, pour les raisons suivantes. La première tient dans le fait que ce cours - LCL - presque déjà entièrement préparé, est axé sur trois points forts: un aspect de langue, d'étymologie, de dérivation, pour faire comprendre ce que sont les cas, sans les apprendre pour autant, afin d'améliorer l'allemand, et travailler l'étymologie pour améliorer l'orthographe et le vocabulaire français. Le deuxième aspect concerne l'histoire romaine et la romanisation, ce qui permet de comprendre le bagage culturel commun, partagé par une très grande partie des élèves, en provenance des anciennes terres romaines. Enfin, il y a l'aspect de la mythologie gréco-romaine, avec une ouverture humaniste et culturelle, pour comprendre les expressions que nous aimons tant, comme par exemple «ouvrir la boîte de Pandore».

Ce qui a plu à la majorité du groupe socialiste, c'est le fait que ces éléments, dont je viens de vous dresser rapidement le portrait, soient ouverts à tous les élèves...

Le président. Il va falloir conclure, Madame la députée.

Mme Marie Salima Moyard. Absolument, je vais conclure, Monsieur le président. ...à tous les élèves et pas seulement aux plus forts, à ceux qui en ont les capacités d'apprentissage. Or, et ce sera le dernier élément, si on différencie ces heures et qu'on en met davantage au regroupement le plus fort, cela permet de faire du renforcement intégré pour les plus faibles, ce qui fait d'une pierre deux coups.

Enfin, sur la question de l'amendement, le matériel est prêt, ce n'est donc pas une question de temps. Cet amendement avait pour vocation que le Conseil d'Etat puisse dire oui ou non, mais oui ou non maintenant, et non pas oui peut-être, plus tard.

Le président. Eh bien, maintenant ça va être terminé, Madame la députée !

Mme Marie Salima Moyard. C'est pour ces raisons que je vous prie de prendre acte du vote dispersé du groupe socialiste.

Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le député Gabriel Barrillier, à qui il reste vingt secondes.

M. Gabriel Barrillier (R). Je ne renonce pas, mais je rappelle que l'objectif de la réforme du cycle d'orientation est quand même d'assurer l'égalité des chances et d'éviter que 30% des jeunes filles et des jeunes gens ne se cassent la figure, comme c'est arrivé ces dernières années. Donc j'ai signé cette motion, parce que «pacta sunt servanda»... C'est bien ça ? Pour cette raison, je ne peux me déjuger. Mais que l'arbre de l'enseignement du latin ne cache pas la forêt des objectifs de cette révision en profondeur du cycle d'orientation, je vous en supplie.

Une voix. Bravo !

Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur le député Weiss, en tant qu'auteur de ce texte, vous avez épuisé votre temps de parole, mais je pense que vous allez parler au nom du groupe libéral ?

M. Pierre Weiss (L). Merci, Monsieur le président, c'est effectivement le cas. Je n'entends nullement ouvrir une controverse sur le nombre de soldats dans les légions, puisqu'il a varié. (Commentaires.) Je préfère toutefois avoir quatre légions de 3 000 soldats, plutôt que deux de 5 500 soldats ! Deuxièmement, je préfère ne pas avoir de légions étrangères et, surtout, je préfère ne pas avoir de légions dans lesquelles il y aurait de jeunes soldats. A ce propos, je crois utile de préciser que les pétitionnaires ont très bien su exclure du décompte du nombre de signataires ceux qui seraient des élèves de classe, parce que cela les mettrait dans des situations évidemment très difficiles, raison pour laquelle, souhaitant garder tout son sérieux à la pétition, le nombre sera fait d'adultes et non d'enfants. Donc une armée sans légionnaires étrangers et sans légionnaires de moins de 16 ou 18 ans, probablement.

Je voulais terminer par le fait qu'effectivement le groupe libéral-radical s'opposera au renvoi en commission pour les raisons énoncées par notre collègue Gillet. Si nous ne décidons pas aujourd'hui, on nous mettra devant le fait accompli, c'est pourquoi nous soutiendrons la proposition de la cinquième invite déposée par notre collègue Jean Romain, avec des signatures issues de différents groupes. Il s'agit d'éviter le fait accompli et les excuses qu'on nous présentera: «Ah, mais on y reviendra peut-être par la suite, avec quelques heures d'enseignement, d'explications, en fin de septième année.» Non ! Cela n'est pas responsable. Cela n'est pas respectueux, comme je l'ai dit tout à l'heure, de ce qui a été proposé au peuple et accepté par celui-ci, quoi qu'on en pense. Il y a un moment où il faut que le peuple sache que ce qui est voté est ensuite appliqué par le Grand Conseil, par le Conseil d'Etat. Il en va de sa crédibilité.

Je vous remercie par conséquent d'accepter cette motion et de réserver aussi bon accueil à la cinquième invite, arrivée comme une surprise, comme un dernier pétale sur la rose, que nous espérons sans épines, du latin pour nos têtes blondes, noires, châtaines et d'autres couleurs. (Rires.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Vous ne serez donc pas le Catilina de ce Bureau ! La parole est à M. le conseiller d'Etat M. Charles Beer.

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, que d'émotions ! Si vous me le permettez, j'aimerais d'abord vous dire que le Conseil d'Etat partage avec vous l'attachement à une éducation dont les valeurs doivent être humanistes, l'attachement à une culture générale dont le lien avec le passé, notre histoire, nos racines et l'Antiquité est un point incontournable. Je voulais déjà vous dire cela.

Egalement, au-delà de l'émotion, nous avons eu l'occasion de considérer de très près nombre de points pouvant la susciter. Je me suis évidemment intéressé à la question des heures de latin et de la place de cette matière dans notre système éducatif. J'ai découvert, avec grand intérêt, que 33% des élèves entrant au cycle d'orientation choisissent aujourd'hui le latin en option. Ils sont encore 16% à la sortie du cycle. Cependant - surprise ! - au moment d'entrer au collège et de choisir les points forts, les options fondamentales avec lesquelles ils vont évoluer, sur le total des quatre ans, ils ne seront plus que 8% des collégiens à le sélectionner et 2% de l'ensemble des élèves suivant une scolarité postobligatoire. C'est là où, pour moi, les choses sont intéressantes ! Cela veut dire que nous passons - et c'est la règle de notre système - de la contrainte à la réorientation par l'échec vers d'autres sections, puis enfin au libre marché, installé à Genève, particulièrement avec la nouvelle maturité, il y a de cela dix ans. Genève s'est d'ailleurs distingué en permettant à chacune et à chacun, dans chaque établissement, de tout choisir, loin de tout profil et loin de toute section.

En réalité, aujourd'hui, sur quoi misons-nous ? L'obligation au départ, la réorientation, on écarte et ensuite on choisit. Et quand on choisit, il n'y a plus beaucoup de monde, contrairement au Valais. En effet - et j'attire votre attention sur ce point, Monsieur Romain - alors qu'il n'y a pas d'heures de latin au cycle d'orientation dans ce canton, 12% des collégiens y choisissent pourtant le latin. Comme quoi la contrainte de départ - et j'aimerais attirer votre attention sur ce fait, Mesdames et Messieurs les députés - ne crée pas l'adhésion à l'arrivée ! J'allais même dire, au contraire, que cela représente en réalité trop souvent un oreiller de paresse auquel il conviendrait de remédier. Mesdames et Messieurs les députés, si nous entendons démontrer, ce qui est le cas du Conseil d'Etat, notre attachement aux langues antiques, au latin comme au grec, il faut également s'interroger sur la méthode, autrement on risque de s'éloigner du but.

J'aimerais également vous indiquer que nous avons repris la lettre et l'esprit de la loi. Au premier motionnaire, M. le député Weiss, j'aimerais dire que le peuple a voté, effectivement, et il a voté un cycle d'orientation qui renonce à l'orientation dégoulinante, c'est-à-dire en perdant chaque année un certain nombre d'élèves, comme cela arrive du reste avec le latin. Il a aussi renoncé au système d'options, afin d'établir, en première année, les mêmes disciplines pour tous par des regroupements - 3, 2 et 1, selon les résultats de l'école primaire - avant d'entrer dans le système des sections. Alors vous dites que le peuple a voté le principe même du latin. Or pas une fois - pas une fois, Monsieur le député ! - dans la brochure destinée aux électrices et électeurs, le mot «latin» ne figure. Donc j'aimerais attirer votre attention sur la surinterprétation, tirée de quelques lignes d'un rapport parlementaire, aussi importantes soient-elles, avec les éléments directement votés par le peuple.

A cet égard, j'aimerais dire, et c'est sans doute le point le plus important, que si le latin pour tous peut représenter un intérêt digne d'être repris en première année, c'est-à-dire pour les regroupements - je l'ai dit et je le maintiens clairement comme faisant partie de mes propos - jamais je n'ai défendu un système revenant à dire, comme cela a été proposé initialement: trois heures de latin pour les meilleurs et une heure pour tous. En effet, cela équivaut à remettre fondamentalement en cause le principe d'orientation qui veut qu'on aide à la réorientation durant la première année, au cours du premier comme du second trimestre. Pourquoi ? Parce que cela revient à faire en sorte qu'un élève, chargé non seulement de combler ses lacunes en français, en mathématiques et en allemand, pourra être réorienté vers le haut - ce qui est le point fort de ce nouveau cycle d'orientation - tout en étant contraint de rattraper deux heures de latin, transformant ainsi le principe de réorientation en véritable mirage.

Mesdames et Messieurs les députés, là on tromperait fondamentalement les personnes qui ont voté et qui se sont clairement exprimées pour le contreprojet et non pour l'initiative 134 que, Monsieur le député Romain, vous avez choisi à l'époque de défendre personnellement, ce qui est bien entendu votre droit le plus strict. Cette union est un peu particulière, puisque cela implique que de grands partisans du contreprojet, y compris à gauche, fassent alliance avec les personnes soutenant l'initiative 134, pour mettre de côté, dans les faits, un certain nombre d'élèves, ce qui est évidemment dommageable.

Mesdames et Messieurs les députés, pour terminer, je tiens à dire que j'ai toujours considéré la démocratie comme faisant partie des points forts de notre système politique, et la démocratie directe comme en étant le coeur. Le Conseil d'Etat ne s'abritera pas derrière des questions de délai de réponse à des motions, c'est-à-dire six mois, pour tarder à vous répondre. Le Conseil d'Etat entend vous répondre sur le fond, si possible dès la prochaine session, afin que vous puissiez disposer de tous les éléments fondamentaux.

Toutefois, dans cette optique, j'aimerais qu'on prenne le temps - et ce sera ma parole de conclusion - de repenser au principe d'orientation, tout comme à celui voulant faire de la formation professionnelle le coeur de la révision du cycle d'orientation, dans l'idée que les élites s'ancrent dans les métiers, et non seulement dans le latin et le collège de Genève. Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de prendre cela en considération. En effet, même si nous demeurons attachés à cette matière - du reste, même avec cette formule, Genève, avec le canton de Vaud, continue à être le canton offrant le plus de latin - nous avons toujours défendu la formation professionnelle comme centre du nouveau cycle d'orientation.

Mesdames et Messieurs les députés, avant de vous répondre, ce que nous entendons faire au plus vite, je saisirai dès demain matin par courrier - non, j'exagère, dès lundi matin - le Conseil interprofessionnel pour la formation, de manière que celui-ci, qui se bat pour la formation professionnelle, nous donne son avis. Merci beaucoup de votre attention. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons voter sur le renvoi de cette motion à la commission de l'enseignement. Si ce renvoi est refusé, elle sera à posteriori amendée et votée.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2005 à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport est rejeté par 62 non contre 17 oui et 6 abstentions.

Le président. Nous allons donc voter l'amendement déposé par un nombre impressionnant de signataires. Il demande l'ajout d'une invite, dont voici la teneur: «à instaurer un moratoire d'un an, se traduisant par le maintien de la grille-horaire actuelle au cas où sa révision, incluant l'enseignement de la langue et la culture latines en 9e année HarmoS, au sens des invites ci-dessus, ne pourrait entrer en vigueur dès la rentrée scolaire 2011-2012».

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 55 oui contre 16 non et 13 abstentions.

Mise aux voix, la motion 2005 ainsi amendée est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 67 oui contre 10 non et 7 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Motion 2005