République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9920-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Laurence Fehlmann Rielle, Françoise Schenk-Gottret, Alain Charbonnier, Roger Deneys, Véronique Pürro, Christian Brunier, Virginie Keller Lopez, Alberto Velasco, Anne Emery-Torracinta, Alain Etienne, Carole-Anne Kast instituant un régime d'assurance indemnité journalière obligatoire en cas de maladie
Rapport de majorité de M. Gilbert Catelain (UDC)
Rapport de première minorité de Mme Laurence Fehlmann Rielle (S)
Rapport de deuxième minorité de Mme Mathilde Captyn (Ve)

Premier débat

M. Gilbert Catelain (UDC), rapporteur de majorité. J'aimerais simplement préciser que le projet qui vous est soumis ce soir s'inscrit dans la lignée des projets de lois présentés par l'extrême-gauche - dont nous avons eu l'occasion de discuter en commission par le passé - qui visent principalement à pénaliser le travail et à réduire le pouvoir d'achat des salariés. Ainsi, ce projet participe finalement à la tendance qui consiste à travailler autant ou plus pour gagner moins.

Comme vous le savez, l'ensemble des salariés de ce canton est assuré contre les accidents et les maladies professionnelles.

Ce projet de loi, qui n'est certes pas dénué de tout fondement, vise à transformer en droit une prestation accordée par de nombreuses entreprises. Il prévoit un droit à des indemnités journalières à raison de 80% du gain assuré dès le troisième jour de la maladie non professionnelle, pendant au moins sept cent vingt jours sur neuf cents jours consécutifs, et pour autant que l'incapacité atteigne 25%.

Cette couverture obligatoire dépasse largement le taux de couverture appliqué dans ce canton et en Suisse, si l'on prend comme référence l'échelle de Berne. Il s'agit de cotisations paritaires dont au moins 50% seraient à charge de l'employeur, c'est une prestation qui va donc essentiellement reposer sur ce dernier.

Je vous signale par ailleurs qu'il n'y a aucune information sur les incidences de ce projet de loi sur le budget de l'Etat pour ce qui est de la fonction publique, ce qui le rend non conforme à la loi.

D'autre part, ce texte présente une menace pour l'importance et la confiance que nous devons placer dans le dialogue paritaire entre les partenaires sociaux. Il contrevient en outre à l'esprit de la loi fédérale, car c'est à dessein que le législateur fédéral n'a pas voulu rendre obligatoire une assurance perte de gain pour les employés.

La majorité de la commission vous recommande de rejeter ce projet de loi pour les motifs suivants: premièrement, l'assurance perte de gain ne relève pas de la compétence cantonale.

Deuxièmement, le législateur fédéral n'a pas souhaité rendre obligatoire l'assurance perte de gain en cas de maladie non professionnelle.

Troisièmement, il n'est pas du ressort de l'entreprise d'assumer les conséquences des maladies non professionnelles, pas plus qu'il n'est du ressort des employés d'interférer dans le choix contractuel entre un employeur et son assureur.

Quatrièmement, ce projet de loi instaure une obligation de s'assurer sans prévoir d'exceptions, notamment pour les indépendants.

Cinquièmement, ce texte présente une probable incompatibilité avec l'assurance-accident.

Sixièmement, ce projet de loi va à l'encontre du dialogue paritaire prôné par le Conseil d'Etat.

Septièmement, les incidences financières sur le budget de l'Etat ne sont pas établies.

En résumé, après les hausses vertigineuses des cotisations sociales ces vingt dernières années, après l'assurance-maternité d'hier, dont le financement s'est en partie reporté sur l'employé, et avant le congé parental de demain, ce projet de loi a comme principal défaut de fragiliser la santé des PME, en particulier des plus récentes, qui aujourd'hui se battent déjà à armes inégales par rapport aux entreprises des cantons voisins.

La présidente. Mesdames les rapporteures de minorité, vous ne souhaitez pas vous exprimer ? Si ? Comme vous n'avez pas appuyé sur le bouton, j'ai cru que vous ne vouliez pas prendre la parole. Mais vous êtes prioritaires par rapport aux autres ! Je vous passe donc la parole, Madame Fehlmann Rielle !

Mme Laurence Fehlmann Rielle (S), rapporteuse de première minorité. Madame la présidente, excusez mon étourderie ! Bien sûr que je souhaite m'exprimer, notamment pour contrer un certain nombre d'arguments avancés par notre collègue M. Catelain.

Je vous rappelle qu'environ 15% des salariés ne sont pas au bénéfice d'une couverture par une assurance perte de gain en cas de maladie. Il y a donc une inégalité de traitement, et cette situation touche les plus fragiles des salariés. Cela a été clairement dit à plusieurs reprises en commission, notamment par les syndicats, qui sont bien placés pour en parler. En effet, ces derniers ont reçu des témoignages de travailleurs plongés dans la détresse, parce qu'ils n'étaient pas couverts par une telle assurance et qu'ils se retrouvaient donc finalement dans une situation extrêmement précaire.

On ne conteste pas du tout la protection en cas d'accident professionnel et non professionnel, alors pourquoi n'accepterait-on pas une protection en cas de maladie ? En effet, le travail peut aussi provoquer des maladies et précipiter les travailleurs dans la précarité.

Je ne répéterai pas le contenu de mon rapport de minorité, mais j'aimerais quand même relever un certain nombre de points qui ont été soulevés par le rapporteur de majorité. Selon lui, une assurance perte de gain n'aurait aucun rapport avec les entreprises. Cela me laisse pantoise, parce qu'il y a au contraire une relation directe entre le bien-être des salariés et la prospérité d'une entreprise. De plus, il omet de dire dans son rapport que les cotisations ne reposeraient pas seulement sur l'employeur mais qu'elles seraient paritaires.

Et je profite de l'occasion, puisqu'il a mentionné l'assurance-maternité, pour rappeler que celle-ci était une genevoiserie, qui a ensuite été étendue au niveau fédéral, et que l'assurance genevoise, qui était plus généreuse, a été tout à fait admise. En outre, son taux de cotisation est extrêmement bas. On peut imaginer que celui concernant l'assurance perte de gain en cas de maladie serait plus élevé, mais l'argument de l'assurance-maternité irait plutôt dans notre sens.

Pour nous, finalement, c'est donc la responsabilité sociale de l'entreprise qui est en jeu. De plus, si 15% des salariés ne sont pas couverts, cela veut dire que l'immense majorité des entreprises assure sans problème cette couverture. Par conséquent, on ne voit pas pourquoi il faudrait laisser sur le carreau 15 à 20% des travailleurs.

Par ailleurs, M. Catelain souligne l'importance du dialogue paritaire entre les partenaires sociaux. Alors ça, c'est quand même le comble ! En effet, quand cela vous arrange, vous faites l'éloge des conventions collectives de travail et du dialogue entre partenaires sociaux, et vous estimez qu'il faudrait même étendre les conventions collectives; mais, lorsque l'été dernier - cela fait bientôt une année - les milieux patronaux n'ont pas hésité à dénoncer la convention collective dans le bâtiment, on ne vous a pas beaucoup entendus ! Nous aimerions donc qu'il n'y ait pas deux poids deux mesures: quand cela vous arrange, vous invoquez les bienfaits des conventions collectives mais, pour le reste, vous n'êtes pas là pour soutenir les travailleurs. Votre crédibilité est donc très limitée.

Enfin, Mesdames et Messieurs de l'Entente et de l'UDC, vous devriez peut-être vous rappeler que nous vivons actuellement au XXIe siècle et plus au XIXe, et qu'il faudrait quand même se diriger enfin vers un progrès social, qui sera assez modeste, comme on l'a vu.

Je rappelle aussi que notre projet de loi n'est pas tombé du ciel, mais s'est inspiré d'une initiative valaisanne, tout comme l'amendement général que les Verts avaient proposé au moment où nous avions discuté du projet de l'Alliance de gauche. En outre, contrairement à ce qui a été avancé en commission, notamment par le département, cette initiative valaisanne n'a pas été abandonnée ni invalidée, elle a simplement été mise au frigo quelque temps. Par conséquent, son traitement est en cours, et elle reste donc tout à fait d'actualité.

On croit savoir aussi qu'il y a, dans le canton de Vaud, une proposition de motion qui va un peu dans le même sens. Vous voyez donc que Genève n'est pas le seul canton à se préoccuper de ce genre de problématique, d'autres y pensent aussi et c'est bien légitime.

Enfin, je déplore la façon dont ce projet de loi a été traité en commission. A l'époque du projet de l'Alliance de gauche, auquel les Verts avaient proposé un amendement général, on s'était entendu dire - c'était à la commission de l'économie - qu'il ne fallait pas discuter d'un tel amendement, que c'était trop compliqué, et qu'il fallait plutôt revoir cela à la lumière d'un nouveau projet de loi. C'est ce que nous avons fait, et nous avons donc déposé un nouveau texte qui, lui, a été étudié par la commission des affaires sociales. Or, à ce moment-là, on a trouvé tous les arguments pour éviter d'en discuter et, surtout, de procéder à toutes les auditions qui auraient justement permis de clarifier un peu ce projet et d'en examiner de plus près la faisabilité. Je déplore donc fortement le traitement qui a été réservé à ce texte en commission et vous propose d'entrer en matière sur ce sujet.

Mme Mathilde Captyn (Ve), rapporteuse de deuxième minorité. Comme l'a dit ma collègue, la CGAS estime à 85% les employés et employeurs de ce canton qui cotisent à une assurance perte de gain. C'est dire si la pratique est courante. Pourtant, rien n'oblige aujourd'hui les employeurs à se protéger et à protéger leur personnel salarié contre la perte de gain en cas de maladie, alors même que le licenciement pour maladie est interdit.

Pour les 20% restants non couverts par une assurance perte de gain, c'est en dernier recours l'Etat, par le biais de l'assistance publique, qui assume aujourd'hui les coûts liés aux personnes victimes d'une maladie qui ne peuvent subvenir à leurs soins.

Les Verts sont tout à fait conscients que l'Etat-providence genevois a un véritable prix, qu'il n'est possible d'assumer que dans la mesure où l'activité économique est génératrice de richesses et n'est contrainte que raisonnablement par le cadre légal. Cela implique bien évidemment que les entreprises ne soient pas assommées par des charges et des contraintes de toutes sortes.

Le régime d'assurance perte de gain vise justement à délivrer l'employeur de la charge du salaire en cas de maladie de son employé, et à assurer au salarié un revenu décent lors d'une situation difficile. Il est donc dans l'intérêt des employeurs, tout comme dans celui des employés, de souscrire à une assurance perte de gain. Cet argument est d'ailleurs prouvé par l'étendue de l'utilisation du régime perte de gain dans l'économie genevoise, alors même qu'il est la seule assurance non obligatoire de l'ensemble des assurances sociales perçues sur les salaires.

On peut par conséquent penser que l'inscription de son caractère obligatoire dans la loi n'aurait pas les effets craints par la majorité de ce parlement. L'obligation de souscrire à une assurance perte de gain confirmerait simplement une pratique largement répandue. Nous engageons donc la majorité à changer d'avis et à voter en faveur de ce projet de loi.

M. Pierre Kunz (R). Pour nous, radicaux, le PL 9920 n'est intéressant que pour une seule raison: il est révélateur d'une forme d'activisme politique particulièrement détestable. Ceux qui, en quelques mots, cherchent à expliquer le rôle du législateur dans la vie démocratique, le résument en général ainsi: contrôler l'exécutif et, le cas échéant, le sanctionner. Mais les observateurs de la pratique genevoise savent depuis longtemps qu'au bout du lac on s'est fortement éloigné de ce fonctionnement. Il y a en effet bien longtemps qu'une bonne partie des députés se sont érigés en penseurs et en acteurs de ce qu'ils appellent le «progrès social», sans pourtant qu'aucun d'entre eux n'ait jamais expliqué, sérieusement en tout cas, ce qu'est ce progrès, ni comment on doit le mesurer en termes économiques, philosophiques et éthiques, pour les individus comme pour la société dans son ensemble.

Les défenseurs des avancées sociales, comme ils disent aussi, n'ont jamais été capables de proposer d'autres critères que ceux d'ordre volumétrique. Le progrès social, selon eux, c'est moins d'heures de travail hebdomadaires, plus de congés annuels, l'abaissement de la retraite, plus de garanties et d'assurances sociales, des salaires minimaux plus élevés, davantage d'allocations de toutes natures, le tout, bien entendu, sans égard pour la question du financement à long terme de ces exigences illimitées et, je le répète, sans considération pour les conséquences de l'Etat-providence - auxquelles même Mme Captyn s'est référée - sur les comportements individuels et sociaux.

Mesdames et Messieurs les députés, le PL 9920 s'inscrit exactement dans ce contexte. Que veulent ses auteurs ? Ils entendent instituer une nouvelle assurance et la rendre obligatoire. Et qui veulent-ils faire payer ? D'une part, bien sûr, les entreprises et, d'autre part, les employés, de qui on ne demande même pas l'avis, parce que - c'est évident selon les auteurs de ce texte et les syndicalistes qui sont derrière eux - ces derniers ne sont tout simplement pas capables de savoir ce qui est bon pour eux !

Et, selon les promoteurs de cette nouvelle avancée sociale, il est tout aussi évident qu'il faut passer par la loi, car les employés en question, les 15 à 20% seulement, mais quand même, dont parlait Mme Fehlmann Rielle, ne sont pas assez intelligents pour contracter eux-mêmes individuellement, s'ils le désirent et le pensent utile et nécessaire, une assurance perte de gain en cas de maladie.

Mesdames et Messieurs les députés, le PL 9920 est fondé sur l'idée que les travailleurs de ce canton sont des zombies. Eh bien nous, radicaux, sommes convaincus que ce n'est pas le cas, raison pour laquelle nous refuserons l'entrée en matière.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Mesdames et Messieurs les députés, vous savez tous ici que je suis une activiste d'extrême-gauche, et donc la révolutionnaire toute habillée de rouge que je suis va tenter de répondre aux arguments de MM. Catelain et Kunz. Je parlerai d'abord du fond, puis de la forme, c'est-à-dire de la manière dont les travaux se sont déroulés en commission.

Sur le fond, et sans aller dans les détails, je crois qu'il y a fondamentalement derrière ce projet de loi une question éthique. Qu'est-ce qui, dans notre société, doit être du ressort de la collectivité et qu'est-ce qui relève de la responsabilité individuelle ?

Historiquement, la mise en place de l'Etat social a reposé sur l'idée que le handicap, la maladie et les aléas de la vie ne sont pas forcément la faute de l'individu, et que ces épreuves doivent être partagées par la collectivité. C'est pour cela que l'on a mis petit à petit en place des systèmes d'assurances, qui fonctionnent selon le principe de la solidarité, notamment, et de l'universalité, c'est-à-dire des prestations pour tous, indépendamment des revenus, et chacun doit participer à cela.

Le projet qui nous est soumis ce soir vise au fond à réparer une des erreurs ou un des trous dans les mailles du filet social, à savoir que des gens peuvent tomber malades - ce n'est pas leur faute - perdre par conséquent un moyen de gagner leur vie, et se trouver au bout du compte à l'assistance publique. Ce projet est donc fondamentalement éthique, et il aurait mérité un traitement autre que celui extrêmement sommaire que lui a réservé la commission des affaires sociales.

J'en viens à la deuxième partie de mon intervention, c'est-à-dire la façon dont ce texte a été traité. On nous a reproché tout d'abord qu'il était beaucoup trop proche du projet de l'Alliance de gauche, mais ce n'est pas vrai, Monsieur Catelain ! Deux points avaient notamment été soulevés lors des débats de la commission de l'économie sur le projet de l'Alliance de gauche, à savoir la question des indépendants et celle de la gestion d'une telle assurance par des structures étatiques. Le projet socialiste a revu ces éléments et vous propose quelque chose, si j'ose dire, de beaucoup plus soft, et qui répond notamment aux demandes du groupe démocrate-chrétien. En effet, concernant le projet précédent, M. Gillet avait déclaré en plénière: «Le groupe démocrate-chrétien est prêt à examiner toute autre proposition moins complexe, moins lourde et moins coûteuse, qui s'appuiera sur les compagnies qui assurent déjà aujourd'hui la majeure partie des risques des employés du canton.» Eh bien c'est exactement ce que l'on a fait, et nous sommes donc très étonnés de voir ce projet balayé d'un revers de main.

Il est vrai, à votre décharge, Mesdames et Messieurs les députés de la majorité de ce parlement, que le département ne nous a pas beaucoup, je dirai, éclairés dans ce domaine, puisque les informations qu'il nous a fournies étaient tout à fait erronées. En effet, lors du travail en commission, il nous a dit que rien de semblable n'était prévu dans d'autres cantons et qu'en Valais, d'après le téléphone que le département avait fait à son homologue valaisan, rien de similaire n'était en cours. Deuxièmement, on nous a indiqué que c'était totalement incompatible avec le droit fédéral, ce qui est apparemment faux.

Je voudrais revenir sur le cas du Valais pour vous dire qu'il y a bien une initiative, comme l'a dit Mme Fehlmann Rielle, et que cette dernière a effectivement été oubliée dans les tiroirs de l'administration cantonale. Elle aurait dû être traitée par le Conseil d'Etat pour fin 2007; les syndicats, ne voyant rien venir, sont revenus à la charge, et une décision a été prise récemment au niveau du Conseil d'Etat valaisan de nommer un groupe de travail sur ce sujet, et de demander un rapport au professeur Gabriel Aubert sur la compatibilité avec le droit fédéral, rapport qui devrait être rendu d'ici à quelques jours. Il y a donc une volonté de débloquer le dossier.

Je voudrais aussi vous dire qu'en 2003 le canton du Valais, au moment où cette initiative avait été lancée par les syndicats, s'était adressé à l'OFAS - l'Office fédéral des assurances sociales - concernant la compatibilité avec le droit fédéral et avait reçu en décembre 2003 une lettre que j'ai ici et dont je vous lis un extrait: «Ainsi, d'un point de vue matériel, telle que cette assurance est réglée aujourd'hui au niveau fédéral, la compétence des cantons à légiférer en la matière ne peut pas être niée. Il leur est donc loisible de combler les lacunes laissées volontairement par le législateur fédéral et, par voie de conséquence, de la rendre obligatoire au niveau cantonal.» Je n'invente rien, Mesdames et Messieurs, quelques téléphones d'une simple députée de milice ont suffi à obtenir ces informations.

Je vous signale aussi que d'autres cantons y réfléchissent également, par exemple le canton de Vaud, comme l'a dit Mme Laurence Fehlmann Rielle; cela figure même dans le programme de législature de l'actuel gouvernement. Parmi les vingt-huit mesures, l'une consiste à renforcer les systèmes d'assurances, pour éviter que les gens touchent le revenu d'insertion, et un postulat demandant exactement la même chose a été renvoyé en commission par le Grand Conseil vaudois et y est traité actuellement.

Enfin, puisqu'on parle de droit fédéral, sachez que l'Office fédéral de la santé publique a mis en place un groupe de travail chargé d'étudier cette question. Il est donc tout à fait faux de croire que rien ne se fait ailleurs et que rien n'est possible.

Compte tenu de ces informations, que nous n'avions pas au moment où la commission a «travaillé» sur ce projet, je vous demanderai, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer ce rapport PL 9920-A en commission des affaires sociales.

La présidente. Comme il y a eu une demande de renvoi en commission des affaires sociales, chaque groupe dispose maintenant de trois minutes pour s'exprimer, mais uniquement sur ce renvoi en commission, à raison d'un député par groupe.

M. Edouard Cuendet (L). Je voudrais juste m'assurer que je pourrai reprendre la parole sur le fond, une fois que le renvoi aura été refusé.

Demander un renvoi en commission est une tactique habituelle: quand un projet n'est pas adopté par une commission, on le fait étudier par une autre, c'est une stratégie dont on commence à avoir l'habitude.

Je relèverai que, dans ce dossier, j'ai moi-même été rapporteur de majorité du projet de loi de l'Alliance de gauche. Quoi qu'en disent les bancs d'en face, ce projet et le texte qui nous est soumis aujourd'hui se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Or, à cette occasion, toutes les auditions nécessaires ont été faites avec diligence par la commission de l'économie; je ne vois donc pas pourquoi ce projet devrait être renvoyé à la commission des affaires sociales, raison pour laquelle je vous invite à refuser ce renvoi.

M. Christian Bavarel (Ve). Les Verts vont accepter ce renvoi en commission et je vais vous expliquer pourquoi. Peut-être ces arguments vous suffiront-ils pour le voter !

Aujourd'hui, à Genève, on ne laisse pas mourir les gens. Lorsqu'une personne se retrouve dans une situation précaire, l'Etat la prend en charge. Et ce qui est proposé dans ce projet de loi, c'est de faire comme 80% des employés, à savoir d'avoir une assurance perte de gain. Cela représente un avantage pour les indépendants, dans la mesure où cela résout les problèmes de concurrence. En effet, si l'on dit que la règle du jeu est ainsi, et que tout le monde paie cette assurance, cela permet aux petits indépendants cherchant à se différencier ou à obtenir des prix plus intéressants qu'un autre d'être sur un pied d'égalité. Oui, vous mettez tout le monde sur un pied d'égalité en disant qu'il faut payer cette assurance et que tout le monde le fait.

Ainsi, si vous êtes menuisier et que votre voisin paie la même assurance, les prix seront les mêmes, et vous serez donc dans une meilleure situation de concurrence que si vous avez le choix de le faire ou non.

Nous vous invitons par conséquent à renvoyer ce projet en commission, de sorte que les indépendants puissent payer cette assurance et que cela ne soit pas à la charge de l'Etat. En effet, il est beaucoup plus logique que ce soient les privés qui paient pour ce qui les concerne plutôt que de vouloir systématiquement collectiviser ces frais et de demander à la collectivité publique, par le biais des impôts, de payer des sommes qui auraient dû être réglées par l'assurance et les cotisations privées.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9920 à la commission des affaires sociales est rejeté par 47 non contre 32 oui.

La présidente. Cette proposition ayant été refusée, nous reprenons le cours normal du débat.

M. Edouard Cuendet (L). Comme je l'ai dit, je voudrais revenir sur le fond.

On nous fait de nouveau des leçons de morale, d'éthique - on commence à en avoir l'habitude ! - mais je crois qu'en commission personne n'a sous-estimé la souffrance des gens qui pouvaient se trouver dans une telle situation. En revanche, dans les bancs d'en face notamment, on s'est posé très peu de questions sur les chiffres avancés par les syndicats. On nous a dit lors d'une séance que 15% des gens pourraient être dans une telle situation. Mais ce chiffre, on ne sait pas d'où il provient, il n'y a aucune enquête statistique sérieuse sur ce point ! Or cela nous est souvent reproché, lorsque nous énonçons des chiffres, et je ne vois pas pourquoi cela ne vaudrait pas pour les bancs d'en face également ! Les statistiques présentées ne sont donc pas pertinentes.

Ensuite, contrairement encore à ce que disent les partis d'en face, on tombe à nouveau dans une situation où Genève ferait cavalier seul, parce qu'en Valais, soyons sérieux, c'est gelé et, dans le canton de Vaud, cela en est à un stade moins qu'embryonnaire. Genève aurait donc une fois de plus une longueur d'avance.

D'autre part, qui serait visé par ces mesures ? Ce seraient les PME ! Les PME, qui ont déjà un marché concurrentiel extrêmement difficile - ce n'est pas le MCG qui me contredira si je dis qu'elles subissent une concurrence française ! Dans le canton de Vaud, elles seraient désavantagées et, de plus, ce sont souvent des petites entreprises qui ne sont pas en mesure d'assumer le coût administratif lié à une assurance. En effet, on nous dit qu'il suffit d'instaurer cette pratique, mais cela implique à chaque fois des formulaires et de la paperasse dont on abreuve les PME genevoises. Ces problèmes-là constituent donc déjà un bon motif de refuser ce projet.

On nous rabâche aussi souvent la responsabilité sociale, mais il me semble que les PME genevoises l'assument déjà de manière exemplaire, en engageant des apprentis, en créant des emplois et en payant des impôts ! On ne va donc pas encore leur rajouter une couche avec des assurances qui, comme l'a indiqué très justement mon collègue Kunz, dépendent de la responsabilité privée et personnelle des collaborateurs. N'étatisons pas tout, ainsi que l'a dit mon collègue Bavarel !

Pour tous ces motifs, je vous invite donc à refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Je voudrais rajouter un ou deux éléments, puisque le renvoi en commission a été refusé.

Je crois qu'il y a une confusion, Monsieur Cuendet ! On ne parle pas d'un ancien projet qui a été traité à la commission de l'économie et pour lequel nous avons auditionné des syndicats ! On parle d'un projet différent, sur en tout cas deux aspects, je l'ai dit tout à l'heure, à savoir la question des indépendants et celle de la gestion de cette nouvelle structure, et je dois dire que j'ai beaucoup de mal à comprendre ! Il faudrait donc que vous commenciez, Mesdames et Messieurs de la majorité, à oser dire les choses clairement ! Mesdames et Messieurs du PDC, vous devez oser dire que vous trompez votre électorat, quand vous affirmez défendre les petites gens, car ce n'est pas vrai ! En effet, en commission, vous réclamiez des auditions, vous étiez prêts à entrer en matière, mais quand on vous propose aujourd'hui le retour en commission, vous refusez.

Et, Mesdames et Messieurs du parti radical ou libéral, je crois qu'il faudrait que vous assumiez pleinement ce qui a été dit par un de vos représentants en commission, je le cite sans le nommer: «Il est donc globalement moins cher pour la société de continuer à agir de cette façon que de vouloir toujours introduire de nouvelles lois sociales.» Nous sommes donc vraiment dans un choix de société, et je crois que les citoyennes et les citoyens de ce canton sauront s'y retrouver. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

M. Alain Meylan (L). J'aimerais tout d'abord indiquer mes «légers» liens d'intérêts avec les employeurs, puisque j'ai l'honneur de travailler pour leur service, et également apporter une précision à ce que vient de dire M. Bavarel - c'est la raison de mon intervention - à savoir que les systèmes d'assurances-cadres perte de gain existent, ils sont à disposition de tous les employeurs qui appartiennent à certaines fédérations, et le petit indépendant a tout à fait la possibilité d'adhérer très facilement à ces contrats-cadres. Il est donc faux de dire que rien n'est fait pour les indépendants, bien au contraire !

Comme cela a été dit aussi à plusieurs reprises par les initiants de ce projet de loi, 85% des employeurs et des employés ont choisi de couvrir et de se couvrir par une assurance perte de gain en cas de maladie. On n'a pas attendu ni l'Alliance de gauche ni les socialistes pour faire des avancées dans ce domaine, et je crois qu'il faut le relever.

Pour le reste, M. Cuendet a très bien exprimé tout ce que le groupe libéral pense de ce projet de loi, et nous le refuserons.

M. Christian Bavarel (Ve). On ne va pas prolonger davantage le débat, mais j'aimerais juste répondre à deux de mes préopinants.

Monsieur Cuendet, en quoi la responsabilité individuelle en cas de maladie est-elle fondamentalement différente de celle qui existe en cas d'accident ? En effet, lorsque vous vous cassez la jambe, vous êtes assuré, mais si vous attrapez un virus, vous ne l'êtes pas ! Si vous souffrez d'un cancer, vous n'êtes pas assuré contre les pertes de gain, mais si vous vous faites shooter par une voiture, vous l'êtes ! En quoi votre responsabilité individuelle est-elle prépondérante dans un cas ou dans l'autre ? On a simplement décrété que l'assurance-accident était obligatoire pour tout le monde.

Concernant l'étatisation, c'est justement un système étatique qu'on nous propose aujourd'hui, à savoir que c'est par l'impôt que, lorsqu'une personne est en situation dramatique, on va la financer, par le biais de l'Hospice général et de différentes aides. On lui permet ainsi de survivre, de bénéficier d'une aide, et c'est de cette manière qu'on la prend en charge à ce moment-là. Prônons un système qui fonctionne mieux, qui passe par l'assurance privée ! Effectivement, Monsieur Cuendet, je suis contre une logique d'étatisation; or, aujourd'hui, ce que vous nous proposez, c'est de garder un système où c'est l'Etat qui assume et non pas le privé.

Monsieur Meylan, vous dites vous-même que c'est une avancée - et nous en sommes contents - et vous reconnaissez que le fait que 80% des entreprises souscrivent déjà à cette assurance constitue un progrès; mais nous, nous aimerions poursuivre dans cette voie avec vous et les entrepreneurs, pour arriver à 100%. Et l'avantage, une fois que 100% des personnes auront fait cette avancée, c'est que la concurrence entre les différentes entreprises sera plus juste, parce que tout le monde aura le même niveau de charges. Il s'agit donc simplement d'un équilibre des charges, qui permet d'arriver à une concurrence plus équitable. C'est purement libéral comme type d'idées, et je suis donc très surpris que vous ne veniez pas sur notre terrain.

M. Gilbert Catelain (UDC), rapporteur de majorité. Sur le fond, dans la discussion que nous avons eue ce soir, je ne vois pas d'éléments nouveaux par rapport à ce qui a été traité en commission. Nous apprenons que le projet valaisan a été mis au frigo - donc rien de nouveau - et qu'il y aurait un problème éthique; en effet, Mme Emery-Torracinta considère que c'est le devoir de l'entreprise que d'assurer la justice sociale, alors que je crois que ce n'est fondamentalement pas son rôle, mais bien plutôt celui de l'Etat, raison pour laquelle il convient de ne pas mettre à la charge de l'entreprise l'assurance perte de gain en cas de maladie. En effet, la maladie n'est pas liée à l'entreprise, contrairement à la maladie professionnelle qui, elle, y est liée, et qui est donc prise en charge par cette dernière.

Concernant des règles du jeu identiques pour toutes les PME, comme le relève M. Bavarel, je crois qu'il faut surtout prendre en compte que ce projet de loi, s'il devait être mis en oeuvre, introduirait de graves inégalités de traitement entre PME de différents cantons, et qu'il pénaliserait principalement les PME genevoises.

Je vais vous donner un cas pratique: le gros client qu'est la Confédération vient d'adjuger des contrats à différentes entreprises pour un projet immobilier, dont plus des deux tiers ont été attribués à des entreprises extérieures à Genève. Et c'est une constante ! Alors si vous ne voulez pas entendre ce message et que vous continuez à matraquer nos PME avec des charges sociales supplémentaires, ce ne seront pas deux tiers des adjudications qui vont se faire au profit de PME d'autres cantons, mais 100% ! Voilà ce qui est en jeu, à savoir l'emploi, ainsi que la pérennité de nos entreprises !

Dans le cadre du débat sur le PL 9626 portant sur l'assurance obligatoire perte de gain, le MCG avait totalement discrédité les auteurs du projet et avait dit ceci lors des débats en plénière, je cite: «Nous nous opposons donc avec fermeté à ce projet de loi, et si vous voulez vraiment aider les travailleurs de ce canton, eh bien, il faut leur fournir un travail ! Il faut leur donner les moyens de lutter contre la concurrence dont Genève est victime.» Voilà quelle était la position du MCG il y a quelques mois.

Concernant la mise en oeuvre de ce projet de loi, les rapporteures de minorité nous disent que ce texte ne s'appliquera pas à l'Etat, ce qui est totalement faux, puisque ce projet ne prévoit pas d'exceptions; la pratique sera donc obligatoire pour l'ensemble des travailleurs salariés.

Je vais vous donner un exemple: lorsque Genève a instauré l'assurance-maternité, qu'a fait l'employeur Confédération, qui assurait déjà ses salariés en cas de maternité ? Il a simplement reporté le 50% du coût de cette assurance sur ses employés, introduisant par là même une inégalité de traitement entre ces salariés. Que va-t-il faire demain, si ce projet de loi entre en vigueur ? Il mettra le 50% de cette assurance à la charge de l'employé et introduira une nouvelle inégalité de traitement au sein de ces salariés qui, pour la petite histoire, représenterait une perte de pouvoir d'achat d'environ 3%. Or je ne suis pas sûr que ce soit ce que souhaite la majorité des salariés de ce canton !

Pour ces motifs, je vous invite donc à refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi.

Mme Laurence Fehlmann Rielle (S), rapporteuse de première minorité. J'aimerais encore relever quelques éléments suite à cette discussion.

D'abord, je suis contente d'entendre de la part d'un UDC qu'il accorde quand même à l'Etat la compétence de rétablir la justice sociale; on en douterait parfois, mais c'est bien, on vous le rappellera à l'occasion !

Ensuite, je suis un peu surprise, si je puis dire, par la mauvaise foi dont fait preuve la droite dans tout ce débat. En effet, d'un côté, on nous dit que, de toute façon, 85% des entreprises assurent leurs employés contre les pertes de gain en cas de maladie; alors pourquoi oublier les 15% restants qui sont précisément les plus fragiles ? Allez comprendre la contradiction ! Et, d'un autre côté, on nous dit qu'on matraquerait les PME si on introduisait une telle loi qui, je vous le rappelle, implique simplement l'obligation de souscrire à une assurance.

Je me souviens également que certains nous avaient dit en commission que, de toute façon, il était très bon marché de s'affilier à titre individuel. Alors, si c'est le cas, pourquoi cela serait-il si cher pour les entreprises ?

Enfin, il y a quand même un aspect qui pouvait justifier que l'on retourne en commission, c'est le fait que le canton aurait tout à fait le droit de légiférer en la matière. C'est un élément nouveau qui n'a pas du tout été abordé en commission et au sujet duquel, Mme Emery-Torracinta l'a rappelé, les informations qui nous ont été livrées étaient erronées.

Mais puisque vous persistez à refuser ce genre de loi, qui rétablit justement une certaine égalité sociale, nous passerons peut-être par la voie de l'initiative. D'autres cantons vont le faire, nous ne serons donc pas les seuls, mais cette fois-ci nous serons peut-être les derniers, ce qui est un peu dommage.

La présidente. Vous avez entendu tout à l'heure l'alarme incendie, qui s'est déclenchée parce qu'il y a trop de fumeurs dans le local prévu à cet effet ! (Exclamations. Rires. Applaudissements.) Alors, je vous en prie, modérez-vous, Mesdames et Messieurs !

M. François Longchamp, conseiller d'Etat. Je viens ici vous confirmer des propos que j'ai déjà tenus au nom du Conseil d'Etat dans le cadre d'un projet précédent. Je vous confirme également ceux de la collaboratrice du département, qui a représenté le Conseil d'Etat lors des travaux parlementaires. La matière dont vous faites état ici, celle de la prévoyance sociale en matière de maladie, n'est pas de compétence cantonale. Il n'appartient donc pas au canton, selon le droit fédéral, de légiférer en la matière. Aucun autre ne l'a fait. Je vous confirme donc que les propos qui ont été tenus par ma collaboratrice étaient exacts et qu'ils engageaient sur ce point le Conseil d'Etat.

J'aimerais d'autre part vous indiquer que c'est le rôle des organes paritaires, des syndicats et des patrons, de devoir gérer cet élément dans le cadre des conventions collectives. Je souhaite le dire à l'intention notamment de tous ceux qui m'exhortent à intervenir pour faire en sorte - comme c'est le cas par exemple au point 36 de notre ordre du jour que nous traiterons tout à l'heure - que le système des conventions collectives fonctionne dans notre canton et notre pays, dans la construction comme ailleurs. C'est ainsi que le droit fédéral est organisé, et si un certain nombre de gens considèrent que ce système juridique est faux, imparfait, inexact, ou qu'il doit être amélioré, alors il faut le modifier là où il doit l'être, c'est-à-dire à Berne, et non dans un parlement cantonal.

J'aimerais enfin vous indiquer que le Conseil d'Etat est attaché au principe des conventions collectives - comme il aura l'occasion de vous le rappeler ce soir concernant le secteur de la construction. Il vous invite donc à ne pas entrer en matière sur ce projet de loi, qui ne relève pas de la compétence cantonale.

Mis aux voix, le projet de loi 9920 est rejeté en premier débat par 53 non contre 29 oui et 1 abstention.