République et canton de Genève

Grand Conseil

La séance est ouverte à 17h, sous la présidence de M. Bernard Annen, président.

Assistent à la séance : Mmes et MM. Carlo Lamprecht, président du Conseil d'Etat, Micheline Calmy-Rey, Guy-Olivier Segond, Gérard Ramseyer, Martine Brunschwig Graf, Laurent Moutinot et Robert Cramer, conseillers d'Etat.

Exhortation

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées

Personnes excusées

Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance : Mmes et MM. Blaise Bourrit, Marie-Françoise de Tassigny, Erica Deuber Ziegler et Ivan Slatkine, députés.

Discussion et approbation de l'ordre du jour

Le président. Pour des raisons d'organisation et d'absence, à 20h, du chef du département, le Bureau a exceptionnellement décidé, en accord avec l'ensemble des chefs de groupe, de ne pas traiter ce soir les points 25 à 34 figurant sous le département de l'économie, emploi et affaires extérieures. Ces points sont reportés à la séance de 8h - j'ai bien dit 8h - du vendredi 14 décembre.

Communications de la présidence

Le président. Je vous rappelle, comme je vous l'avais dit hier, que nous arrêterons nos débats à 18h30 de manière à pouvoir rendre hommage aux deux conseillers d'Etat sortants. Vous êtes ensuite invités à la verrée organisée en leur honneur dans la salle des Pas Perdus. Vous êtes enfin invités par le président de la Course de l'Escalade, M. Bottani, à vous rendre à la traditionnelle «Pasta party» qui se tiendra sous le chapiteau du parc des Bastions.

Correspondance

Le président. Nous avons diffusé aux chefs de groupe et à la commission des finances le courrier suivant:

Réponse du Grand Conseil au Tribunal fédéral au recours formé par M. IVANOV Christo contre la loi 8438 en vue de l'achat de bâtiments et de terrains propriété de Battelle Memorial Institute at Colombus à Carouge (voir corresp. 1403) ( C-1432)

Annonces et dépôts

Le président. M. René Ecuyer nous annonce qu'il retire le projet de loi suivant:

Projet de loi de M. René Ecuyer modifiant la loi générale sur les contributions publiques (D 3 1) (déductions pour mariés). ( PL-5752-B)

Suite à la dissolution de la commission ad hoc BCGe, la motion suivante est renvoyée à la commission de contrôle de gestion:

Proposition de motion de Mmes et MM. Loly Bolay, Bernard Clerc, Anita Cuénod, Jeannine De Haller, Erica Deuber Ziegler, René Ecuyer, Magdalena Filipowski, Christian Grobet, Rémy Pagani, Salika Wenger sur les affaires "Stäubli" et Sécheron de la BCG ( M-1234)

E 1100-A
Prestation de serment de Mme Corinne CHAPPUIS BUGNON, élue substitut du Procureur

Mme Corinne Chappuis Bugnonest assermentée. (Applaudissements.)

IU 1137
(Réponse du Conseil d'Etat)Interpellation urgente de M. Thomas Büchi : Comment le CE opère-t-il son choix dans la répartition des annonces qu'il fait paraître dans la presse ? (Réponse du Conseil d'Etat)

M. Carlo Lamprecht, président du Conseil d'Etat. Dans son interpellation urgente, M. le député Thomas Büchi s'est inquiété de la politique de parution des annonces de l'Etat dans la presse, en partant de deux exemples.

Le premier: la campagne du DASS incitant les assurés à changer de caisse d'assurance-maladie.

Le deuxième: les annonces du service des votations et élections du DJPT incitant les citoyennes et les citoyens à voter.

Voici comment les choses se sont passées dans le cas du DASS.

Première question: qui s'est chargé de cette parution?

La décision a été prise par le chef du département de l'action sociale et de la santé. Elle a été mise en oeuvre par la direction générale de l'action sociale et par son service de l'assurance-maladie.

Deuxième question: quelle a été la procédure suivie par le département, respectivement la DGAS pour faire paraître ces pages d'annonces dans les journaux?

Le DASS a demandé une offre aux principaux journaux de la place, offre sur la base de laquelle le chef du département a pris sa décision.

A la troisième question - êtes-vous passé par l'économat cantonal? - la réponse est non, du moins pas pour la commande.

Quatrième question: dans quels journaux la DGAS a-t-elle fait paraître ces pages d'annonces?

Voici la liste exhaustive des journaux: l'annonce a paru le jeudi 8 novembre 2001, dans le «Genève Home Information», le samedi 10 novembre 2001, dans «Le Courrier», «Le Temps» et la «Tribune de Genève», et le dimanche 11 novembre 2001, dans «Le Matin».

Cinquième question: selon quels critères le choix a-t-il été fait? La volonté a été d'assurer un impact maximal de l'annonce. Le choix opéré répond à cet objectif, puisque l'on y trouve les principaux journaux genevois.

Au total, l'annonce a été publiée dans 570123 exemplaires de journaux: le «GHI» 211404 numéros, «Le Courrier» 9954 numéros, «Le Matin» 215819, «Le Temps» 53526, la «Tribune de Genève» 77420.

Pour le département de justice et police et des transports, respectivement le service des votations et élections, la décision de publier des annonces incitant les citoyennes et citoyens à voter a été prise dans l'urgence, suite à une convention passée avec les partis politiques en raison du contexte.

Il s'agissait d'envoyer au plus vite la documentation de vote. La maison Publicitas a été contactée par le service des votations et élections et, au vu de l'urgence, seuls les journaux «Le Temps» et la «Tribune de Genève» ont été en mesure de passer l'annonce, les délais étant trop courts pour les autres journaux.

A propos d'annonces, il importe de mentionner une autre source importante, celle de l'office du personnel de l'Etat chargé de faire passer des annonces pour le recrutement du personnel. Des dispositions ont été arrêtées à ce propos par le Conseil d'Etat, le 17 janvier 2001.

De l'évocation des deux premiers cas, il apparaît effectivement que des situations difficilement prévisibles et, partant, urgentes, conduisent à des campagnes de publication définies, le moment venu, en fonction de la recherche du meilleur impact possible.

Le Conseil d'Etat est conscient qu'il serait judicieux de trouver une solution égale pour tous les départements, s'inspirant des principes retenus par l'office du personnel. Il va s'y employer dès le début de la prochaine législature.

Cette interpellation urgente est close.

IU 1139
(Réponse du Conseil d'Etat)Interpellation urgente de M. John Dupraz : Le pont sur l'Allondon nécessite une réfection : n'est-il pas préférable d'aménager un passage sous voie ? (Réponse du Conseil d'Etat)

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. M. le député Dupraz s'inquiète des conséquences de travaux, au demeurant nécessaires et qu'il ne conteste pas, de réfection du pont sur l'Allondon entre Russin et Dardagny.

La circulation, en raison de ces travaux, devra être interrompue pendant douze à quinze mois et le service des ponts envisage la construction d'un pont provisoire pour permettre le maintien de la circulation.

M. Dupraz fait état d'un préavis négatif à l'égard de ce projet de la part de la commission pour la pêche.

Il faut vous dire que nous en sommes au début du processus et qu'il conviendra de trouver une solution qui, à la fois, garantisse la qualité de ce site et, notamment, l'heureuse vie des poissons qui s'y reproduisent.

Mais la solution que vous proposez, Monsieur le député, a quelques défauts majeurs parce que si la circulation, comme vous le proposez, doit passer par Aire-la-Ville et Cartigny, j'imagine, sans trop de risques de me tromper, que les habitants d'Aire-la-Ville et, a fortiori, ceux de Cartigny ne seront pas enchantés d'une telle solution.

Je puis vous dire, mais c'est forcément ce tour-là qui doit être fait pour arriver au pont sous la voie ferrée que vous proposez d'aménager, que ces travaux d'aménagement seraient fort coûteux et, par conséquent, assez inopportuns.

Bien entendu, nous sommes sensibles à la problématique de l'Allondon, M. Cramer certainement plus que moi encore. Mais nous allons tâcher de trouver une solution qui évite celle que vous proposez comme alternative parce qu'elle comporte plus d'inconvénients que d'avantages.

Je vous remercie d'avoir attiré mon attention sur ce dossier que je ne connaissais pas avant votre intervention et je vais dorénavant y vouer mes meilleurs soins.

Cette interpellation urgente est close.

IU 1143
(Réponse du Conseil d'Etat)Interpellation urgente de M. Charles Beer : Fermeture de Tati : licenciements collectifs ? Mesures prises ? (Réponse du Conseil d'Etat)

M. Carlo Lamprecht, président du Conseil d'Etat. Les questions de M. le député Charles Beer, relatives à la fermeture de la Maison Tati à Genève et au licenciement du personnel induit étaient à peu près celles-ci:

Premièrement, y a-t-il eu ou non annonce à l'OCE? Quand? Combien d'emplois ont-ils été annoncés? Quelles sont les mesures qui sont prises par l'office cantonal de l'emploi?

En date du 9 novembre 2001, l'office cantonal de l'emploi a été contacté téléphoniquement par la société Unitextile SA, à laquelle appartient Tati SA, qui lui a demandé quelles étaient les procédures à suivre en ce qui concernait les licenciements collectifs.

L'office cantonal de l'emploi a envoyé, le même jour, toutes les précisions nécessaires à la société. Je rappelle à cet égard que la loi genevoise sur le service de l'emploi et la location des services impose à chaque employeur d'annoncer à l'OCE tous les licenciements collectifs, dès qu'ils touchent au moins six travailleurs, et ce dans une période d'un mois civil.

Par ailleurs, selon le code des obligations, aux articles 365 d et f, l'employeur doit organiser une procédure formelle de consultation dès que dix collaborateurs sont congédiés dans les entreprises qui comptent au moins vingt collaborateurs et moins de cent collaborateurs.

Par fax du 16 novembre 2001, Unitextile SA a envoyé à l'OCE une liste de dix-neuf collaborateurs licenciés sur un effectif total de dix-neuf. La société a précisé que les lettres de congé seraient signifiées aux employés le 21 novembre 2001, et qu'une réunion d'information de tout le personnel avait eu lieu le 8 novembre 2001.

Lorsqu'il a appris, par l'article de la «Tribune de Genève» du 28 novembre dernier, qu'il y avait peut-être vingt-deux collaborateurs concernés, l'OCE a immédiatement pris contact par écrit et par téléphone avec Tati pour lui demander ce qu'il en était et lui rappeler les règles prévues en matière de consultation du personnel.

La responsable du dossier chez Tati a confirmé téléphoniquement que dix-neuf personnes avaient été licenciées.

Le même jour, l'OCE a pris contact avec le syndicat Actions UNIA, cité dans l'article de la «Tribune de Genève», pour lui expliquer la situation. Elle lui a demandé de lui apporter toutes les informations qui pourraient être en sa possession en ce qui concerne le nombre exact des licenciements, afin de pouvoir traiter ce dossier de manière satisfaisante pour les partenaires sociaux. Ce matin, suite à cette interpellation urgente, nous avons recontacté... (Brouhaha.)...s'il vous plaît ! ...Unitextile SA qui nous a confirmé, par écrit - je tiens le document à votre disposition - que l'effectif de Tati est bien de dix-neuf personnes. Elles ont été informées de la décision de la fermeture du magasin Tati le 8 novembre 2001. Les lettres de licenciement ont été envoyées le 19 novembre 2001 à ces dix-neuf personnes.

Il va de soi que notre département suit cette affaire avec attention et a commencé à prendre toutes les mesures en ce qui concerne le replacement professionnel des personnes licenciées. Je tiens à disposition cette réponse si vous l'acceptez.

Cette interpellation urgente est close.

IU 1144
(Réponse du Conseil d'Etat)Interpellation urgente de Mme Loly Bolay : Est-il exact que 300 macarons de stationnement ont été distribués à des non-résidents en ville de Genève pour une durée limitée, alors que de nombreux résidents sont sur une liste d'attente ? (Réponse du Conseil d'Etat)

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Le département a effectivement eu connaissance de la situation que dénonce Mme la députée Bolay, il y a environ un mois. Il a de suite pris les dispositions pour apporter les correctifs nécessaires, afin que la vente des macarons reste ciblée sur les destinataires prévus par les dispositions législatives en vigueur en la matière.

Dans la mesure où les macarons contestés n'ont été délivrés que pour des périodes très courtes, parfois un ou deux jours, les choses sont rapidement rentrées dans l'ordre.

A noter que, exceptionnellement, des macarons de durée inférieure à un an sont délivrés dans des situations exceptionnelles à des habitants à l'appui de justificatifs éprouvés. Je vous engage, Madame la députée, à ne pas hésiter à interpeller M. Philippe Matthey, secrétaire adjoint de mon département, mais au DIAE, dès mardi, si vous avez connaissance du retour de semblables événements.

Cette interpellation urgente est close.

IU 1145
(Réponse du Conseil d'Etat)Interpellation urgente de M. Alain-Dominique Mauris : Des informations sont-elles données aux communes lorsqu'une intervention est faite sur leur territoire ? (Réponse du Conseil d'Etat)

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. M. le chef de la police m'informe de la manière suivante:

A la différence du SIS, les rapports de la police ne se limitent pas à la relation factuelle d'un sinistre, mais comportent nombre de données personnelles qui sont à l'évidence protégées par la loi contre toute divulgation à des tiers, à des seules fins de renseignements. D'une façon plus générale et donc en tous les cas si, pour rester dans la comparaison avec le SIS, le sinistre est susceptible d'une origine criminelle, l'intervention de la police aura des fins d'investigations répressives.

Or, ce domaine-là est totalement soustrait à la connaissance du public en vertu du secret de l'enquête voulu par le code de procédure pénale. Une information est naturellement toujours possible en des termes généraux par notre service de presse, lequel le fait d'office. Cependant, en cas d'événements d'un certain retentissement, qu'ils soient d'origine criminelle ou accidentelle, il n'en demeure pas moins que cette pratique en l'état de la législation ne saurait être généralisée.

Cette interpellation urgente est close.

Le président. Il nous reste une réponse à l'interpellation 1142 de M. Thierry Apothéloz, qui aurait dû recevoir cette réponse de Mme Brunschwig Graf. Celle-ci vient de nous faire savoir qu'elle était bloquée dans un bouchon. Cela ne vous étonnera pas ! C'est donc son suppléant qui devrait vous répondre, mais M. Segond n'est pas là non plus. Je vous propose donc, si vous êtes d'accord, Monsieur Apothéloz, de reporter la réponse dans quinze jours ou, si jamais, que Mme Brunschwig Graf puisse vous donner sa réponse par écrit.

M 1423
Proposition de motion de Mmes et MM. Anita Cuénod, Jeannine De Haller, Gilles Godinat, Christian Grobet, Rémy Pagani, Jean Spielmann, Pierre Vanek, Jacques Boesch, Cécile Guendouz, Erica Deuber Ziegler pour une application stricte de la loi sur les archives publiques, plus particulièrement en ce qui concerne les documents produits par la police, et pour doter Genève d'Archives d'Etat mieux adaptées aux besoins de la recherche historique et aux attentes du public

Débat

M. Christian Grobet (AdG). Notre députation a été contactée par deux ou trois historiens qui ont soulevé le problème de l'accès à un certain nombre de dossiers relevant d'anciens rapports de police. Pour ne citer qu'un exemple que je donne d'entrée de cause pour illustrer le propos de cette motion, le dossier concernant l'assassinat de Sissi d'Autriche, qui remonte à la fin du XIXe siècle, est un fait d'histoire particulièrement intéressant. Le dossier ne pourra cependant être consulté qu'en l'an 2023, alors même que l'assassin est décédé en 1912 ou 1913 sauf erreur ! Il y a un délai de cent ans pour la consultation de ces dossiers par les historiens. Je ne sais d'ailleurs pas comment l'on en arrive à cent dix ans dans ce cas particulier, c'est encore un autre mystère !

Je ne voudrais pas être trop long, puisque, pour ne rien vous cacher, l'exposé des motifs de cette motion a été écrit par l'un de ces historiens. Nous avions donc déposé un projet de loi sur cette question pour demander une modification de la loi sur les archives. Ce projet de loi a été renvoyé en commission, sauf erreur devant la commission législative. Je vous suggère, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette motion à la même commission, afin que les députés qui examineront, certainement avec beaucoup d'intérêt, cette loi sur les archives, que nous avions du reste traitée voici deux ans, disposent des deux textes en même temps. Je pense que les indications figurant dans cet exposé des motifs sont intéressantes et permettront de guider les travaux de la commission saisie du projet de loi. J'aurais dû vérifier à quelle commission ce projet de loi a été renvoyé lors de la dernière ou de l'avant-dernière séance... Il faudrait renvoyer cette motion à la même commission. Je crois qu'il s'agissait, sauf erreur, de la commission législative.

Le président. A votre demande, Monsieur Grobet, nous avons vérifié ! C'est la commission des affaires communales, régionales et internationales qui traite de cette question.

M. Jean-Claude Dessuet (L). Voilà à peine une année que nous avons mis en place une nouvelle loi sur les archives de l'Etat. Ce n'est pas sans peine que nous avons trouvé un consensus après plus de dix séances de commission. Nous avons déjà longuement parlé de cette proposition de motion en commission et nous avons d'ailleurs auditionné en son temps le responsable des archives de la police, ainsi que le Procureur général. C'est à l'unanimité que ces derniers nous ont demandé de ne pas accepter cette proposition. En effet, il semble important de maintenir un délai avant la consultation des dossiers, afin de veiller au respect des descendants de personnes interpellées ou jugées.

Nous tenons tout de même à préciser ici qu'il est regrettable de renvoyer en commission une proposition qui a déjà été traitée et refusée en son temps. Néanmoins, nous acceptons de renvoyer cette motion en commission des affaires communales, régionales et internationales.

M. Bernard Lescaze (R). Le mieux est parfois l'ennemi du bien, nous le savons tous. Si cette motion part d'un bon sentiment, les personnes qui, très bien informées, l'ont rédigée, n'ont peut-être pas toujours bien compris qu'en voulant conserver et ouvrir à un très vaste public les archives de la police, elles risquaient en réalité de provoquer bien plus de destructions qu'elles ne l'imaginaient. Si elles avaient lu attentivement la nouvelle loi à laquelle M. Dessuet vient de faire allusion, elles auraient constaté que ces destructions, même si elles sont soumises à autorisation et à contrôle, ne peuvent être faites qu'à partir du moment où un certain laps de temps s'est déjà écoulé. Or, certaines archives de la police sont des archives purement administratives.

Le problème est bien réel, mais la loi sur les archives ne concerne pas les archives de la police. C'est bien ce que savent les motionnaires, tout en imaginant pourtant que le règlement sur les archives publiques pourrait s'appliquer aux archives de la police, ce qui est erroné. Je pense qu'un prompt renvoi à la commission des affaires communales est nécessaire pour que le conseiller d'Etat chargé du département de l'intérieur explique une nouvelle fois la situation. Cette situation n'est peut-être pas idéale, mais elle ne pourra pas être modifiée aussi facilement que cela sans de graves conséquences, non pas pour la recherche historique de ces prochaines années, mais pour celle qui aura lieu dans une ou deux générations.

Dans ce domaine, malgré ma formation d'historien, je dois dire que nous sommes placés, sinon entre l'enclume et le marteau, du moins entre les exigences de l'Etat, sans parler de raison d'Etat, et celles de la recherche historique. Je tiens à souligner que le but poursuivi par les motionnaires et par les historiens qui ont pu les conseiller est légitime, il est noble, mais les solutions ne paraissent pour l'instant que très peu praticables. En tout cas, celles qu'ils ont l'air de formuler ne le seront pas. Je pense donc qu'un débat pourra s'ouvrir en commission, mais je n'attends pas de miracle à ce sujet.

M. Alain Etienne (S). Le groupe socialiste s'associe aux préoccupations des motionnaires. En effet, le problème évoqué ici a été longuement débattu en commission des affaires communales lors de l'étude du projet de loi sur les archives. Nous avons pu nous rendre compte à l'époque de certaines entorses. Les exemples cités dans l'exposé des motifs sont éloquents. Il n'est pas normal que l'on fasse à Genève ce qui ne se fait plus depuis longtemps à Berne. Il n'est pas normal non plus que les services du DJPT appliquent, face à l'histoire, des règlements spéciaux. Il faut reconnaître que les dossiers de police constituent une source précieuse pour les recherches historiques. Il s'agit de la connaissance de notre histoire contemporaine à laquelle les historiens demandent accès. Il faut donner aux historiens les moyens de faire leur travail et donner aux archives de l'Etat des moyens nouveaux pour accomplir leur mission.

M. David Hiler (Ve). L'ensemble des problèmes qui sont soulevés par les motionnaires existent bel et bien et concernent, nous semble-t-il, beaucoup plus largement le public que les seuls historiens. On a pu voir au cours des années passées à quel point certains problèmes historiques pouvaient avoir des conséquences immédiates sur la vie politique et économique de notre pays. Les archives dont il est question sont des archives extrêmement importantes, en particulier pour l'histoire de la vie politique de certaines périodes.

Lorsque nous avons élaboré une nouvelle loi sur les archives, qui représente un grand progrès par rapport aux moutures précédentes, nous n'avons pas remis en question un certain nombre de lois ou de règlements particuliers, probablement comme toujours pour pouvoir aller de l'avant et ne pas surcharger le bateau. Il reste que les problèmes soulevés par la motion, qui sont d'ordres divers, doivent trouver des solutions. Contrairement à M. Lescaze, je pense que nous les trouverons. Nous les trouverons d'autant plus facilement qu'une partie des problèmes est en fait liée à l'application de la loi et du règlement. Une autre partie dépend du statut légal. Nous les trouverons parce que nous avons adopté entre temps, il faut peut-être le rappeler, une loi sur la transparence et que nous disposons d'un ensemble qui nous donne aujourd'hui la possibilité de nous assurer que l'on peut transmettre dans des délais raisonnables un certain nombre d'informations aux archives sans risquer la destruction. Ce que nous dit M. Lescaze, c'est que si nous allons trop loin, nous aurons des destructions illégales. Je suis tout de même assez surpris que l'on puisse dire, comme argument principal, dans un Etat de droit, que la police se comportera de manière illégale si l'on édicte tel ou tel règlement. Je ne crois pas que ce soit un argument recevable, outre qu'il est fort désagréable pour la police.

De ce point de vue, nous entendons donc étudier très sérieusement cette motion et nous souhaitons que les transformations législatives qui pourraient contribuer à résoudre une partie des problèmes posés nous soient effectivement soumises par le Conseil d'Etat dans un délai raisonnable, après l'étude de cette motion.

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. La motion qui est déposée est bienvenue à bien des égards. Elle est tout d'abord bienvenue parce qu'elle donnera l'occasion à l'administration de s'expliquer sur un certain nombre de faits mis en évidence dans cette motion, qui sont rappelés régulièrement à travers un certain nombre de correspondances et à travers un certain nombre d'interventions parlementaires. Cela nous permettra de répondre précisément, si tant est que des réponses soient possibles et, si elles ne le sont pas, d'essayer de nous en expliquer.

Cette motion est également bienvenue pour une seconde raison, qui a été indiquée avec assez de précision tout à l'heure par M. Hiler. Lorsqu'on a refait la loi sur les archives, après quatre-vingts ans, il est un point que l'on s'est bien gardé d'examiner, parce qu'on allait probablement y consacrer des années et qu'on n'allait pas arriver à trouver des réponses satisfaisantes. C'était la question des archives de la police. On a dès lors rédigé une loi qui doit s'appliquer à toute l'activité de l'administration et régir tous les documents que détient l'administration, tout en sachant dans le même temps qu'il existe une autre loi, une loi qui s'appelle loi sur le fichier de police et les certificats de bonne vie et moeurs. Cette dernière loi prescrit que l'on doit détruire immédiatement un certain nombre de renseignements récoltés lorsqu'ils ne sont plus utiles à l'activité policière. On se trouve ainsi devant cette contradiction de vouloir d'une part, par la loi sur les archives, conserver la mémoire historique, et de vouloir d'autre part préserver la personnalité par une autre loi, qui demande à l'administration de détruire les renseignements dont elle n'a plus besoin.

Au-delà de ces deux lois, on est également confronté, c'est un troisième point, à une pratique qui fait que la police garde un certain nombre de renseignements, dont le statut est indéfini.

Je suis heureux que l'on puisse examiner ces questions en commission, parce que je ne crois pas que le Conseil d'Etat soit, en l'état, en mesure de répondre directement à cette motion. Il est donc nécessaire qu'elle soit renvoyée en commission, que l'on puisse procéder aux auditions nécessaires et que la commission, au terme de ses travaux, puisse faire un certain nombre de choix et que vous puissiez demander au Conseil d'Etat de préparer les modifications législatives ou réglementaires nécessaires, en indiquant précisément ce que vous souhaitez. J'ajoute, pour ne rien vous cacher, que nous avons d'ores et déjà évoqué cette motion à la commission que préside M. Dessuet. Il serait souhaitable que vous communiquiez le nom des historiens qui vous ont conseillés pour rédiger cette motion, de sorte que nous puissions peut-être commencer nos travaux en les auditionnant. Ils nous permettront de mieux cerner l'objet de nos débats.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des affaires communales, régionales et internationales.

M 1428
Proposition de motion de MM. Roger Beer, Thomas Büchi, Hervé Dessimoz pour la création d'un prix du développement durable à Genève

Débat

M. Thomas Büchi (R). Mesdames et Messieurs les députés, beaucoup d'entre vous le savent, le développement durable est un sujet clé en ce début de millénaire pour l'avenir de l'humanité. Ce thème, avec mes anciens collègues et amis Roger Beer et Hervé Dessimoz, nous le défendons avec volonté et conviction depuis plusieurs années. Nous avons d'ailleurs rédigé plusieurs motions et projets de lois, qui ont déjà été votés dans l'enceinte de ce Grand Conseil. Nous pensons aujourd'hui qu'une nouvelle étape doit être franchie et qu'une prise de conscience généralisée doit se manifester face aux enjeux incontournables que représente le développement durable. Cette prise de conscience ne peut pas avoir lieu sans une médiatisation convaincante. C'est donc en toute logique que nous avons pensé que la création d'un prix du développement durable était tout à fait conforme à la diffusion du message du développement durable.

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler, avant de préciser ce qu'est ce prix du développement durable, quelques principes essentiels du développement durable. La notion de développement durable a été mise en place lors du Sommet de Rio en 1992. La plupart des pays se sont réunis et retrouvés pour engager une réflexion par rapport à la situation alarmante de la détérioration des conditions de vie économiques, sociales et environnementales auxquelles nous sommes confrontés. La question fondamentale qui est ressortie du Sommet de Rio et qui est empreinte d'une certaine noblesse, la seule question véritablement noble que l'on peut se poser aujourd'hui, est de savoir comment je peux satisfaire à mes besoins de vie sans mettre en péril le fait que les générations futures devront aussi satisfaire à leurs besoins. Une fois que cette question est posée, force est de constater qu'il s'agit de trouver un équilibre subtile entre une économie performante, une société solidaire et un environnement intact. Il est vital, à la suite de l'impulsion donnée par le secteur public - le secteur public a déjà donné une très forte impulsion au développement durable - que le secteur privé lui emboîte le pas.

Il faut bien comprendre qu'il ne peut y avoir de progrès social sans croissance économique, mais sans préservation de l'environnement, il ne peut y avoir de croissance économique durable. Notre défi et notre pari consistent à harmoniser les besoins d'une population humaine en croissance et d'une économie gourmande en ressources, avec un écosystème intrinsèquement limité. Nous sommes donc dans l'obligation de créer des conditions économiques qui tiennent compte des aspects environnementaux et sociaux lors de l'utilisation des matières premières, lors de la production de biens, nourriture, prestations, etc. Il faut utiliser les énergies renouvelables et non renouvelables avec parcimonie. Il faut également introduire dans les entreprises et dans les sphères décisionnelles des systèmes de management de qualité de l'environnement. Cela contribuera à améliorer la gestion des ressources d'une manière efficace sur le plan économique.

C'est en raison des aspects évoqués ci-dessus que nous pensons qu'une impulsion soutenue et dynamique dans ce domaine est indispensable. Quoi de plus logique donc que de créer à Genève un prix du développement durable? Il ne faut pas le confondre, Monsieur le conseiller d'Etat, avec le prix de l'environnement. On donne une impulsion dans un secteur complètement différent. Ceci dans le but de changer les habitudes dans le secteur privé et parmi tous les acteurs économiques de notre société. Nous désirons que ce prix soit annuel et organisé par le Conseil d'Etat. Cela donnera l'occasion au Conseil d'Etat de communiquer, et de sensibiliser le secteur privé à l'Agenda 21 et aux différents aspects incontournables du développement durable. Nous sommes convaincus que la qualité de notre avenir en dépend. De ce fait, c'est à vous également de détailler de façon extrêmement précise les modalités d'organisation de ce prix.

La responsabilité et la capacité à donner cette impulsion initiale incombent au monde politique. C'est pourquoi nous vous sollicitons ce soir et vous demandons de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat !

M. Alain Etienne (S). Le groupe socialiste est favorable à cette motion, car, comme les motionnaires, nous voulons voir s'appliquer les principes du développement durable à Genève. Parler du développement durable à Genève est certes une bonne chose et nous avons déjà eu plusieurs fois l'occasion de nous prononcer à ce sujet.

Cependant, j'aimerais rappeler, en ce qui concerne plus particulièrement le prix annuel du développement durable, qu'un prix analogue existe déjà, décerné sauf erreur par le Conseil de l'environnement. De plus, nous avons déjà eu cette discussion lors de l'étude du projet de loi 8365 sur l'action publique en vue d'un développement durable, à l'article 8, sous le titre «Action de la société civile». Si je me souviens bien, c'est un député radical qui disait à l'époque en commission qu'il ne croyait pas à l'utilité de ces prix. Il avait même proposé la suppression de l'alinéa ! (L'orateur est interpellé.)Si, il est encore là ! Alors, je m'interroge. Il ne suffit pas de parler du développement durable, mais il faut aussi chercher à l'appliquer. On ne peut pas faire d'un côté des déclarations de bonnes intentions et agir différemment de l'autre. Il n'y a qu'à voir les prises de position des associations des milieux économiques, par exemple, sur le thème des transports ou sur l'aménagement du territoire, pour douter quelque peu d'une réelle volonté de changement.

Alors oui, encore une fois, nous vous soutiendrons, mais nous voulons aussi des actes ! En l'état, nous soutiendrons le renvoi au Conseil d'Etat !

Mme Morgane Gauthier (Ve). C'est toujours avec un grand plaisir que les Verts constatent que le thème du développement durable est repris pendant les campagnes électorales par beaucoup de partis. Nous sommes extrêmement contents de cela, c'est la preuve que les choses changent !

Mais c'est avec un certain amusement que les Verts ont examiné cette proposition de motion. En effet, comme l'a précisé M. Etienne, nous avons voté le 23 mars de cette année la loi sur le développement durable A 2 60, ou Agenda 21. Permettez-moi juste d'en rappeler l'article 8, alinéa 2: «A cette fin, il institue notamment un prix annuel distinguant un projet dont la réalisation a été particulièrement significative», cela sous le titre général de «Loi sur l'action publique en vue d'un développement durable». J'ai donc l'impression que l'on a là un doublon par rapport à cette motion, ce qui ne nous empêche cependant pas de la soutenir et de soutenir son renvoi au Conseil d'Etat.

Enfin, c'est un peu avec amusement et sur le ton d'une boutade que je vais vous dire ceci, Monsieur Büchi: faire imprimer à 650 exemplaires une motion dont le thème est déjà dans la loi, dont le prix a déjà été institué par la loi, ne me semble pas un bon exemple pour le prix du développement durable !

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Comme l'a rappelé Mme Gauthier, vous avez adopté, Mesdames et Messieurs, le 23 mars, une loi sur l'action publique en vue d'un développement durable, qui est entrée en vigueur et qui prévoit notamment que l'Etat institue un prix annuel distinguant un projet dont la réalisation a été particulièrement significative et d'autre part un concours annuel octroyant une ou plusieurs bourses en vue de la réalisation d'actions sur un thème précis. Mais il ne suffit pas qu'une loi institue un prix pour que cela soit organisé. Du reste, la loi poursuit en indiquant que le Conseil de l'environnement peut être chargé d'attribuer le prix et de mettre sur pied le concours. C'est dire que cette motion, si elle rejoint largement le texte de la loi en ce qui concerne le principe même du prix, est cependant bienvenue, dans la mesure où elle donne l'occasion au Conseil d'Etat de s'expliquer sur les mesures qu'il va prendre concrètement pour mettre en oeuvre cette disposition légale qui nous demande d'instituer un prix du développement durable. C'est dans ce sens que je l'accueille bien volontiers. Cela nous permettra de vous informer sur les travaux actuellement en cours au Conseil de l'environnement et peut-être même de vous remettre en annexe à notre réponse l'arrêté que pourrait prendre le Conseil d'Etat en vue d'instituer ce prix.

Mise aux voix, la Motion 1428 est adoptée.

R 412-A
Rapport de la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) chargée d'étudier la proposition de résolution de Mmes et MM. Marie-Paule Blanchard-Queloz, Loly Bolay, Jeannine De Haller, Luc Gilly, Dominique Hausser, Antonio Hodgers, Chaïm Nissim, Alberto Velasco demandant aux autorités judiciaires d'étudier la responsabilité de M. Henry Kissinger, ainsi que d'autres personnes, dans les crimes commis par le régime de M. Augusto Pinochet
Rapport de majorité de Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S)
Rapport de minorité de M. Michel Halpérin (L)
Proposition de résolution: Mémorial 2000, p. 506.

Débat

M. Michel Halpérin (L), rapporteur de minorité. Le sujet qui nous occupe ce soir est un peu récurrent dans ce Conseil, mais il a connu une évolution, puisque, depuis sa toute première apparition, il y a deux ans je crois, nous avons créé la commission des Droits de l'Homme. De sorte que la préoccupation des résolutionnaires a pu faire l'objet d'un examen en commission. Et en effet, la commission des Droits de l'Homme a reçu ce texte, elle l'a examiné ou, plutôt, elle l'a survolé, puisqu'elle a consacré de brefs instants à l'examen de la résolution qui lui était soumise. Le seul résultat de son travail a été d'amender le texte initial des auteurs essentiellement dans le sens de prendre la position qui était proposée tout en renonçant à publier dans les journaux, aux frais de la République, le contenu de la résolution. Il y a donc eu, en quelque sorte, un effort de la commission pour essayer de tirer les leçons de quelques dérapages antérieurs, où des publications avaient été faites et avaient atteint à peu près l'objectif inverse de ceux qui avaient été à l'origine des propositions, c'est-à-dire qu'au lieu de grandir la République elle avait été amenuisée au moins dans l'esprit de ses propres citoyens... (L'orateur est interpellé.)

M. Rémy Pagani. Pas du tout !

M. Michel Halpérin. Eh si ! Dans l'esprit de ses propres citoyens ! Vous savez bien, Monsieur Pagani, et vous, Madame de Haller, que ce genre de dérapage n'est pas très éloigné des raisons pour lesquelles une partie de votre propre public vous a boudés récemment ! Au lieu de protester, vous feriez mieux de vous interroger sur les raisons des échecs. C'est quelquefois très intéressant !

Cela étant dit, le fait que cette commission des droits de l'homme ait eu cette fois-ci la sagesse de réfléchir aux conséquences des publications pour la République, et notamment au fait que ces publications pouvaient présenter un impact négatif pour la République, dont nous sommes tout de même tous les serviteurs, ne l'a pas empêchée d'entrer en matière sur la résolution et d'approuver un dispositif qui consiste à proposer de faire connaître aux procureurs de la République et de la Confédération, dans le cadre des démarches introduites à l'encontre de M. Pinochet et à la lumière des nouveaux documents publiés par le gouvernement des Etats-Unis, notre volonté à nous, parlement genevois, de voir établir dans quelle mesure les agissements de celui-ci, c'est-à-dire le gouvernement des Etats-Unis, notamment de M. Henry Kissinger, peuvent être juridiquement qualifiés de complicité dans le complexe d'actes reprochés à M. Pinochet. Suit une deuxième invite, qui vise à introduire le plus rapidement possible dans notre législation fédérale le principe de crime contre l'humanité et de complicité de crime contre l'humanité, et enfin à intervenir auprès du gouvernement des Etats-Unis afin qu'il publie tous les documents relatifs aux faits entourant le coup d'Etat d'Augusto Pinochet et l'opération Condor dans le but de permettre à notre justice de s'en saisir.

Ce résumé, qui est pratiquement la lecture intégrale des invites, vous l'aurez constaté, se subdivise donc en trois parties. La première partie, j'y reviendrai, parce que c'est l'invite directe adressée à nos autorités judiciaires; la deuxième, c'est une invite au législateur fédéral concernant l'introduction dans notre législation du principe de crime contre l'humanité et de sa variante complicité. J'ai demandé à la commission des Droits de l'Homme si l'un d'entre nous savait si cette législation existait déjà ou si elle était en voie d'introduction. Ce qui nous a été dit par l'un des commissaires à cette occasion, c'est que l'introduction était en cours dans le droit fédéral. Je n'ai pas vérifié, mais j'ai suggéré que la commission se renseigne auprès des autorités fédérales de manière à ce que, si par hasard le crime contre l'humanité était déjà réprimé dans notre droit pénal, nous ne nous couvrions pas de ridicule en donnant l'impression que nous ignorions la loi ! La commission a passé outre, considérant qu'il n'était pas utile de savoir si, véritablement, le droit avait déjà changé ou non. Elle vous propose par conséquent, de manière superficielle à mon sens, d'adresser une invite dont nous ne savons pas si elle est nécessaire ou pas.

Quant à la troisième invite, qui consiste à intervenir auprès du gouvernement des Etats-Unis pour qu'il publie les documents qui concerneraient le coup d'Etat chilien, le rôle des Etats-Unis et l'opération Condor, je trouve que c'est assez amusant que nous ayons à en parler maintenant, immédiatement après le point 23 défendu par M. Grobet, à propos de la date à laquelle nous devrions nous-mêmes ouvrir nos archives de police. Nous en sommes à nous demander gravement, à Genève, si c'est cinquante, cent, cent vingt ans après la mort des gens que nous pouvons ouvrir nos archives de police et nos archives politiques, et voilà que nous nous proposons dans la foulée d'expliquer aux Américains qu'ils n'ont, eux, qu'à nous donner leurs archives de la CIA au bout de trente ans. Intéressant concept. Mais un peu accessoire. C'est même l'accessoire dans la pensée des auteurs de cette résolution, puisque le véritable objectif était au fond, nous disaient les résolutionnaires, de faire connaître aux procureurs genevois et fédéral notre volonté de savoir en quoi M. Kissinger avait été le cas échéant complice d'un complexe d'actes reprochés à M. Pinochet.

Alors, Mesdames et Messieurs les députés, j'ai jugé utile de vous donner connaissance de la publication récente d'un journal que je lis très régulièrement, vous aussi, «Le Courrier» du samedi 22 septembre - ce n'est pas très vieux - où, plutôt que de passer par la voie des résolutions, le journaliste a pensé qu'il était plus simple de téléphoner au procureur général de Genève pour savoir ce qu'il en pensait. Le procureur général de Genève a répondu à travers «Le Courrier» à notre Grand Conseil qu'il en pensait ceci: «Je suis perplexe. Ce texte, écrit le procureur général, est un geste éminemment politique. Je doute que les Etats-Unis publient des documents pouvant les impliquer directement» - (Je partage personnellement ce doute) - «et s'il se révèle que les Etats-Unis étaient au courant du plan Condor, cela n'entraînerait juridiquement aucune responsabilité pénale. Quant à convoquer comme témoin un ancien ministre en sachant pertinemment qu'il ne viendra pas, c'est faire de l'esbroufe.» Pis, dit le journaliste, «pour le procureur, vouloir impliquer les Etats-Unis risque d'être contre-productif. Il ne faut pas noyer les responsabilités. Celles-ci incombent d'abord aux autorités chiliennes de l'époque.» Donc, Mesdames, Messieurs les députés, ce n'est pas la peine d'écrire au procureur général pour lui demander ce qu'il en pense, puisque nous connaissons déjà sa réponse !

Je tiens maintenant à vous dire ce que moi j'en pense et ce que j'en pense avec le plus grand sérieux. Je n'ai pas besoin, je crois, d'expliquer à cette assemblée à quel point je suis personnellement soucieux de promotion des droits de l'homme. Je trouve en effet que notre société industrielle occidentale, à laquelle appartient naturellement la République de Genève, se distingue par le fait qu'elle est à la recherche d'une amélioration constante des droits de l'homme. Je pense que la prise de conscience des droits de l'homme est un des seuls grands événements spirituels de ce dernier demi-millénaire. Nous avons une responsabilité formidable comme communauté genevoise, du fait de nos responsabilités internationales, d'assurer la promotion et le développement des droits de l'homme. Par conséquent, je ne supporte pas qu'on les trahisse.

Or, cette résolution est un semblant de résolution pour les droits de l'homme et constitue en réalité une trahison des droits de l'homme. Pourquoi? Parce qu'elle vous propose d'ouvrir un débat, un débat douloureux dans la mémoire de ceux qui ont mon âge, qui est le débat sur la révolution chilienne, son coup d'Etat et les exactions qui s'en sont suivies, que personne ne saurait traiter avec indifférence, mais qui est probablement un événement maintenant un peu vieux pour la mémoire de la plupart d'entre vous, un événement qui, en tout cas, si douloureux qu'il soit dans nos mémoires, ne permet pas aujourd'hui de faire autre chose que de chercher les responsabilités directes, politiques et para-politiques de ces exactions. En revanche, s'emparer de ce que nous avons fait ensemble, et j'étais parmi vous, s'agissant de la reddition de comptes que l'on pouvait demander aux bourreaux des Chiliens du général Pinochet, pour essayer, comme dans une partie de billard à trois bandes, de s'en prendre politiquement aux Etats-Unis d'Amérique, comme le procureur général l'a relevé lui-même, c'est une manoeuvre politicienne, que je comprends. Je comprends que l'on n'aime pas les Etats-Unis d'Amérique, je comprends que le désir pour la grenouille de s'adresser au boeuf sur un ton d'égal à égal pour lui demander des comptes sur sa gestion du monde est tentant, qu'il faut parfois céder à cette tentation, mais je ne comprends pas que l'on prenne le risque de démonétiser les droits de l'homme, en s'en emparant comme l'on s'empare d'un otage, pour engager une opération politique de ce type. Lorsque je dis que l'on s'en empare, c'est parce que le seul motif qui justifie que nous nous adressions aux autorités genevoises, c'est l'assassinat, probable, d'un ressortissant genevois, Alexei Jaccard, dans des conditions qui n'ont pas été élucidées, qui permettent à ce moment-là de saisir la justice genevoise pour arriver par un triple ricochet à l'opération Condor, de là à Pinochet, de là au gouvernement des Etats-Unis, à travers le gouvernement des Etats-Unis à la responsabilité éventuelle du secrétaire d'Etat Henry Kissinger, dont on vient nous dire qu'il a finalement trop bien servi son pays.

Je vous dis, Mesdames et Messieurs les députés, si nous voulons faire avancer la cause des droits de l'homme, qu'il faut que l'on s'en serve soigneusement en ciblant ce que nous voulons faire pour préserver à Genève sa réputation de lieu du dialogue international, pour préserver à Genève sa réputation de lieu où les autorités publiques s'abstiennent de balancer à tout propos des jugements sur le monde. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas juger le monde et cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas exprimer nos jugements sur le monde. Cela veut dire que nous devons le faire à bon escient. Et cela veut dire, si nous devons nous scandaliser d'un certain nombre d'exactions qui se passent aujourd'hui sous nos yeux, que nous n'avons pas à nous ériger en tribunal révolutionnaire, historique, rétroactif, parce que c'est inutile, que c'est dangereux pour la République et son avenir de centre de négociations, de discussions et de pacification internationale, et surtout parce que c'est dangereux pour les droits de l'homme.

Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, c'est parce qu'il faut défendre les droits de l'homme qu'il faut refuser la résolution 412. (Applaudissements.)

M. Guy Mettan (PDC). Le parti démocrate-chrétien soutiendra le rapport de minorité que M. Halpérin vient de présenter, mais pour des raisons un peu différentes. A titre personnel, je comprends tout à fait les motifs qui ont inspiré cette motion, parce qu'il se trouve que j'ai moi-même été étudiant à l'époque d'Alexei Jaccard et que j'ai participé aux pétitions et aux manifestations de soutien lors de sa disparition, dans les années 1975, 1976, 1977. Il se trouve aussi, par le hasard des choses, que j'ai moi-même eu à souffrir des exactions de l'une de ces dictatures sud-américaines, celle d'Argentine en l'occurrence, celle qui a enlevé Alexei Jaccard, puisque j'ai été arrêté, emporté dans la campagne, déshabillé et fouillé sous le canon des fusils par ces militaires. Mais je trouve que ce n'est pas une raison suffisante pour soutenir cette motion. Cela pour au moins quatre raisons.

La première de ces raisons, comme il a déjà été exposé, c'est que l'on ne peut pas rechercher des responsabilités indirectes, indirectes, indirectes, sans fin. Il se trouve que si l'on a des choses à reprocher, et l'on a des choses à reprocher, il faut d'abord s'en prendre à M. Pinochet, puisqu'il est toujours en vie, et non pas aux supposés complices indirects. D'autre part, il se trouve que j'ai eu l'occasion de rencontrer il y a une année exactement le président chilien, M. Lagos, qui est un socialiste. Nous avons évoqué cette question. Les Chiliens eux-mêmes ne souhaitent pas que l'étranger se mêle de leurs affaires. En tout cas plus maintenant. Ils souhaitent pouvoir se faire justice et, le cas échéant, juger eux-mêmes leurs bourreaux. Je pense qu'il faut prendre en compte ces avis.

Deuxième raison, si l'on veut faire le procès de M. Kissinger, ce qui pourrait être au fond respectable, il faut que l'instruction soit complète. Or, il se trouve, c'est maintenant avéré, que le nombre de victimes de la dictature au Chili est de 3000, alors que le nombre officiel de victimes en Argentine est de 30000. Le régime argentin est directement issu de la même politique que celle qui avait inspiré le coup d'Etat au Chili. Si l'on veut s'en prendre à M. Kissinger, il faudrait y inclure le Cambodge, où les victimes sont au nombre de 3 millions. Il faudrait donc faire un procès complet. Je ne comprends pas pourquoi l'on devrait juger M. Kissinger, si on devait le juger, sur la seule base du Chili, alors que ses responsabilités pourraient être beaucoup plus larges et que les victimes cambodgiennes valent bien les victimes chiliennes. De ce point de vue là, la motion est tout à fait incomplète.

Troisième raison, un peu plus légère, c'est que M. Kissinger est déjà jugé par le tribunal de l'Histoire. Il vient de commettre deux tomes de 1200 pages. Je ne sais pas si vous les avez lues, j'ai essayé de les lire, mais c'est très difficile parce que ce sont des milliers de pages d'autojustification qui ont été tout à fait mal accueillies, parce qu'elles ne sont justement pas tout à fait de bonne foi. Il se trouve que M. Kissinger est donc maintenant lui-même en train de passer dans les poubelles de l'Histoire et il me semble qu'il ne convient pas de tirer sur une ambulance.

Quatrième raison, les erreurs de M. Kissinger, auxquelles nous devrions tous être sensibles en tant qu'hommes ou femmes politiques, ces erreurs peuvent être reprochées à beaucoup de gens, y compris peut-être un jour à nous-mêmes. Je pense notamment, pour prendre l'exemple d'un Vert, à M. Joschka Fischer, ministre des affaires étrangères allemand, ou à M. Tony Blair, ministre socialiste de Grande-Bretagne, qui se sont vu reprocher des crimes ou des complicités de crimes contre l'humanité dans les bombardements de l'OTAN en Yougoslavie, et cela pas par n'importe qui, puisque c'est par M. Ramsey Clark, ancien procureur général des Etats-Unis. Tôt ou tard, même des gens bien sous tous rapports, comme MM. Fischer et Blair, qui sont bien-pensants et politiquement corrects, pourraient se voir un jour appliquer les mêmes normes que M. Kissinger. J'estime donc qu'il faut être aussi prudent sur ce chapitre-là et que M. Kissinger, en l'occurrence, ne mérite pas la motion telle qu'elle nous est présentée. (Applaudissements.)

M. Pierre Kunz (R). Comme vous tous, je suis totalement acquis aux missions et aux activités du Tribunal international de La Haye, chargé de débusquer les criminels de guerre et leurs complices. Comme vous tous, je déplore et je condamne non seulement les crimes de guerre, mais aussi toutes les atteintes aux droits fondamentaux des êtres humains. Ce sont là des sujets graves. Aussi, je déplore sur ces sujets l'utilisation, l'instrumentalisation de ce parlement par son ex-majorité, à des fins que je qualifie purement et simplement de propagande politicienne. Je le déplore d'autant plus que nous, députés, avons été élus pour nous occuper des problèmes de nos concitoyens, des problèmes de la Cité, et non pas pour nous faire valoir, pour flatter notre ego en prenant des initiatives aussi spectaculaires que provocatrices, aussi prétentieuses qu'inutiles comme celle qui nous occupe. Des initiatives qui de surcroît nuisent aux intérêts de Genève et de notre pays, tant la crédibilité de ce parlement, comme en d'autres occasions, Mesdames et Messieurs les députés de l'ex-majorité, se trouve gravement atteinte par ce genre d'exercice.

M. Alberto Velasco. De la majorité !

M. Pierre Kunz. Ex-majorité !

Mesdames et Messieurs les députés, certains à Genève ont critiqué l'ampleur internationale que le procureur général, M. Bernard Bertossa, a donnée à son combat contre la criminalité. Je ne partage pas leur avis. En agissant comme il l'a fait, lui, au cours de la dernière décennie, il a certes dérangé, et il était là pour ça, il est d'ailleurs toujours là pour ça, mais il a surtout servi son canton et son pays, parce qu'il s'est attaqué à de vrais et dangereux ennemis. Ses objectifs étaient essentiels, ils étaient nobles et ils participaient du nécessaire engagement, plus profond, de notre pays dans le monde et dans sa marche. Ce n'est pas le cas de la résolution 412, dont les buts sont velléitaires, prétentieux et irresponsables. Les radicaux vous invitent à rejeter cette résolution !

M. Antonio Hodgers (Ve). Les débats qui ont entouré le renvoi de cette résolution en commission ont vu ce parlement s'étaler sur toute une période historique et sur des faits qui concernent cette résolution, mais qui ne concernent pas le sens de cette résolution. Ces débats ont vu deux blocs s'affronter à propos d'une guerre qui est finie, une guerre qui s'appelle la guerre froide et qui fait aujourd'hui partie de l'Histoire.

Je crois pour ma part que cette résolution garde aujourd'hui tout son sens. C'est pourquoi j'aborderai ce thème en trois points. Premièrement, la pertinence ou plutôt l'opportunité d'une telle résolution, deuxièmement, la crédibilité du sujet et, troisièmement, le sens de cet acte politique.

Pourquoi rédiger ce type de résolution? Cela a été évoqué, notre parlement n'a effectivement pas pour mission principale de s'occuper des affaires de la planète. Il doit avant tout gérer les affaires de la République. C'est vrai. C'est pourquoi ce genre de texte, que ce soit aujourd'hui ou sous l'ancienne majorité, n'a tout au plus occupé qu'un point sur cent de notre ordre du jour. Vous avez raison, Mesdames et Messieurs les députés, lorsque vous dites que cela ne doit pas être les affaires principales de notre parlement. Elles ne le sont pas. Mais, comme nous, vous avez voté la résolution sur Pinochet en son temps, en 1998, parce que cet aspect-là de la justice internationale vous paraissait important. Comme nous, vous avez voté la résolution proposée il y a deux mois par le groupe libéral, et notamment M. Halpérin, concernant les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, qui ne concernaient pas les affaires de la République. Comme nous, vous admettez qu'il est normal que notre parlement élargisse de temps en temps un peu ses vues et se préoccupe d'autres problèmes que ceux relevant strictement de la gestion de la République.

Sur la crédibilité du sujet, deux choses, à la forme et au fond. A la forme, nous avions eu l'opportunité, au moment du dépôt de cette résolution, de la voter immédiatement. Nous avons cependant fait le choix de la renvoyer en commission. Nous avons également fait le choix, vu que la commission des Droits de l'Homme n'était pas encore créée, de patienter avant de la renvoyer en commission des Droits de l'Homme. Nous avons également amendé cette résolution pour que l'Etat américain soit placé, dans l'ordre des responsabilités, avant M. Henry Kissinger. Nous avons également renoncé à la publication de cette résolution. Nous avons encore remplacé le mot «condamner» par le mot «juger». Tout cela sur proposition de ce qui était à l'époque la minorité de cette commission des Droits de l'Homme, qui comptait alors quatre élus de l'Entente. Tout cela pour vous dire que nous avons été de bonne foi et que nous aurions pu, par un coup de force, la voter directement en plénière. Je trouve donc un peu léger de la part du rapporteur de minorité de dire que nous avons survolé ce thème en commission, alors que nous avons tout fait pour vous donner l'opportunité de vous exprimer sur celui-ci.

Sur les aspects juridiques maintenant, vu que cela a été évoqué par M. Mettan et par M. Halpérin. Aujourd'hui, le droit suisse ne contient pas la notion de crime contre l'humanité. Nous l'avons dit en commission, Monsieur Halpérin, vous pouvez relire les procès-verbaux, même si vous faites aujourd'hui semblant de croire que cela n'a pas été précisé. Par conséquent, la demande d'extradition de M. Pinochet, déposée en 1998 par le procureur Bertossa, n'est pas basée sur la notion de crime contre l'humanité. Elle est basée sur un article du droit pénal qui permet au procureur de demander l'extradition de présumés assassins de citoyens suisses, quel que soit le lieu dans le monde où ce crime a été commis. C'est bien là-dessus que la procédure a été ouverte. Par conséquent, Monsieur Mettan, nous référant à cette demande d'extradition du procureur général, nous n'avons voulu nous concentrer que sur le cas du Chili. Car vous avez raison: si nous considérons toute la carrière politique de M. Kissinger, nous pouvons largement élargir le champ d'accusation. Sur ce sujet, encore une fois, nous avons voulu cibler notre action, car il nous paraissait important de ne pas nous éparpiller en essayant de retracer la carrière historique de M. Kissinger, en essayant, selon les cas, de trouver les preuves des crimes. Pourquoi sur le Chili? Parce que, Mesdames et Messieurs les députés, et là j'aimerais être clair, les documents publiés par le gouvernement des Etats-Unis établissent clairement une action très concrète, militaire, financière et d'instruction militaire au Chili par le gouvernement des Etats-Unis de l'époque. Nier ces documents aujourd'hui, c'est du révisionnisme. Nous avons eu des doutes, mais une loi américaine oblige justement les instances de l'Etat à publier ces documents classés secrets au bout de vingt-cinq ans. Je tiens à dire qu'énormément de nouveaux documents ont été publiés au sujet de l'affaire du Chili entre le moment du dépôt de notre résolution, en 1998, et aujourd'hui. Je pourrais très volontiers retirer cette troisième invite que vous évoquez, parce que le gouvernement des Etats-Unis a répondu de lui-même. Il existe aujourd'hui beaucoup plus de bases juridiques pour condamner M. Kissinger, que ce soit ici ou aux Etats-Unis mêmes. Un excellent ouvrage a été réalisé sur la question, comme la plupart d'entre vous le savent.

Sur la forme, il y a donc une réelle pertinence à ce sujet. Sur le fond, depuis le cas Pinochet, pour ceux qui s'intéressent réellement à la justice internationale, celle-ci s'est dynamisée. Nous avons eu le cas du général algérien qui a été accusé de crime de guerre à Paris; nous avons eu le cas de l'ancien président du Tchad, inculpé au Sénégal de complicité d'actes de torture; nous avons eu les cas au Chili et en Argentine de procès rouverts, notamment celui de M. Pinochet, qui montrent bien que cela peut provoquer, lorsque la justice internationale agit comme elle a agi à Londres en 1998, une réaction en cascade, positive pour l'évolution du droit international pénal ou plutôt ses balbutiements, car l'on ne peut pas encore appeler ce genre de cas du droit international pénal. Il y a donc une pertinence à entreprendre ce genre d'action. Le débat sur cette évolution-là du droit international pénal est actuel.

Sur l'impact actuel et historique, je regrette que M. Lescaze ne soit pas présent, car il avait expliqué en commission qu'il s'agissait d'événements qui avaient eu lieu il y a plus de vingt-cinq ans, qu'ils ne concernaient plus personne et que c'était de l'histoire. Non, Mesdames et Messieurs ! Nous avons vu en France, avec le cas Papon, ou encore avec le cas Aussaresses qui concerne aujourd'hui la justice française, l'impact que peuvent encore avoir, sur la population, des événements commis il y a plus de cinquante ans. Quel est l'impact qu'a eu chez nous, en Suisse, l'affaire des fonds juifs? Bien sûr qu'il y a une pertinence à traiter des événements qui se sont produits cinquante ans en arrière, qui sont des événements historiques. Ils ont encore un impact aujourd'hui sur les mentalités. Il est vrai que cela concerne peut-être moins notre parlement, mais toute l'évolution liée à l'affaire Pinochet a énormément aidé la démocratie au Chili et en Amérique latine. On ne peut donc pas dire que les événements évoqués relèvent simplement de l'histoire. Non, ils ont encore une pertinence politique !

J'en viens maintenant à la dernière partie, le sens politique de cette résolution. Je l'ai dit, je crois, le sens politique principal - c'est en cela que cette résolution vise le développement des droits de l'homme - c'est de soutenir le développement du droit international pénal. C'est son objectif principal, même s'il est vrai, et nous ne l'avons jamais caché, que le texte de cette résolution se base sur l'affaire Alexei Jaccard, qui a engendré l'ouverture dans notre République d'une procédure contre Pinochet, d'ailleurs aussi contre les dictateurs argentins. Dans ce sens-là, et vu les événements du 11 septembre, je crois qu'il y a un deuxième sens que nous pouvons donner à cette résolution. C'est de faire un signe aux Etats-Unis qu'il est dangereux de mettre en place, de former et de militariser des dictateurs locaux ou des hommes de pouvoir locaux, car ceux-ci deviennent par la suite incontrôlables. Malheureusement, au moment du dépôt de notre résolution, nous ne savions pas que les Etats-Unis allaient l'apprendre à leurs dépens...

Le président. Il vous reste une minute, Monsieur le député !

M. Antonio Hodgers. Je conclus, Monsieur le président ! C'est donc encore le sens qui est contenu dans cette résolution. Dans ce sens-là, contrairement à ce que vous dites, Monsieur le rapporteur de minorité, elle concerne vraiment une approche du niveau des droits de l'homme.

J'aimerais encore dire une chose, un conseil que vous suivrez peut-être, puisqu'il vient de M. Kissinger lui-même. Il déclarait le 11 septembre 2001: «Ceux qui aident, financent et inspirent les terroristes sont autant coupables que ces derniers.» C'est exactement ce que nous voulons dire. Nous avons ici unanimement condamné M. Pinochet. Mais ceux qui l'ont aidé, qui l'ont financé, qui l'ont inspiré doivent aussi être condamnés. (Applaudissements.)

Mme Loly Bolay (S). En lisant les deux rapports de majorité et de minorité, j'ai appris que certains députés avaient trouvé cette résolution anti-américaine, dépassée, un combat d'arrière-garde. Mesdames et Messieurs les députés, on ne construit pas le futur sans tenir compte du passé. C'était le 11 septembre 1973: cette date restera à jamais gravée dans la mémoire des Chiliens, tout comme le 11 septembre 2001 restera gravé dans la mémoire des Américains. Lors du renversement du gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende par la junte militaire, la répression fut d'une férocité extrême. Alexei Jaccard, mais aussi beaucoup d'Espagnols, beaucoup de Français, beaucoup de jeunes, très jeunes, beaucoup de Chiliens évidemment, ont été portés disparus. Il a fallu la pugnacité, le courage et la ténacité d'un juge espagnol, Baltazar Garzon, pour qu'enfin Pinochet, qui coulait des jours heureux, soit rattrapé par son destin. Cette arrestation a fait l'effet d'une bombe dans le monde entier, mais beaucoup, beaucoup de voix s'élèvent aujourd'hui pour dire qu'il n'y a pas que Pinochet, mais aussi tous ses complices, tout ceux qui l'ont aidé, notamment lors de l'opération Condor, qui doivent être traduits devant la justice.

Dans un livre récent de Christopher Inckens, qui s'intitule «Le jugement d'Henry Kissinger», son auteur démontre, preuves à l'appui, pourquoi Henry Kissinger doit être poursuivi pour crime contre l'humanité. Il y a, à l'heure actuelle, deux juges, l'un Argentin - Rodolfo Canicoba - l'autre Français - Roger Laloire - qui conduisent justement des enquêtes concernant l'opération Condor sur les citoyens français ou argentins disparus, et qui ont clairement indiqué qu'ils voulaient entendre Henry Kissinger sur sa possible participation dans l'opération Condor. Christopher Inckens relate dans son livre qu'un homme orientait, encadrait, aidait Augusto Pinochet et cet homme n'est autre qu'Henry Kissinger. M. Inckens a pris ces documents de la CIA, des documents qui confirment bien évidemment ses propos.

A l'heure où les Etats-Unis se présentent comme la tête de file de la lutte contre le terrorisme, il faut affirmer qu'il ne saurait y avoir deux poids, deux mesures. Le terrorisme d'Etat qui a sévi en Amérique centrale dans les années 70 et 80 doit être clairement condamné et ses responsables directs, indirects, y compris ses instigateurs et complices, doivent répondre de leurs actes. Etrange, si vous me passez l'expression, serait la situation où la marionnette passerait devant le juge pendant que le marionnettiste, lui, serait épargné.

C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, ce que l'on vous demande ce soir, c'est de faire un geste symbolique important. Ce que nous avons fait lorsque nous avons débattu de la précédente résolution: les échos de cette résolution ont été entendus en Espagne, notamment par le juge Garzon. C'est pour cela, pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, si nous voulons être cohérents avec nous-mêmes, que je vous invite à voter cette résolution. (Applaudissements.)

Mme Jeannine De Haller (AdG). Nous sommes convaincus que Pinochet n'aurait jamais pu commettre toutes les exactions qu'il a commises sans l'aide des Etats-Unis. Henry Kissinger est un homme puissant parmi «les maîtres du monde». L'ancien secrétaire d'Etat américain est actuellement âgé de 78 ans. Il est en bonne santé et développe une intense activité politique, diplomatique et financière. Il dirige un bureau de consultants internationaux, spécialisés dans le conseil financier et stratégique à des Etats et des grandes compagnies multinationales. Il fait partie d'institutions a priori respectables: membre d'honneur du Comité international olympique, il dirige aussi le Comité pour la trêve olympique. Il est président du jury du Prix Houphouët-Boigny, attribué par l'Unesco. Il est aussi un membre influent du Think tankqui travaille sur l'élaboration de la politique internationale des Etats-Unis. Le Prix Nobel de la paix 1973 fut attribué aux deux co-négociateurs des accords de Paris sur le Viêt-Nam, Kissinger pour les Etats-Unis, Lê Duc Tho pour le Viêt-Nam du Nord. Deux membres scandinaves du comité Nobel ont démissionné en 1973 en raison de l'attribution du Prix Nobel de la paix à Kissinger. Le co-lauréat du prix, le Viêtnamien Lê Duc Tho, refusa la distinction en arguant que la paix ne régnait pas encore dans son pays. Kissinger n'avait pas ce genre de scrupule et l'accepta. Il s'est abondamment servi de ce titre par la suite, aussi bien pour couvrir ses activités politiques que pour accéder à des charges de haute portée morale.

En ce qui concerne l'intervention de Kissinger au Chili, les Etats-Unis se sont montrés dès 1962 très inquiets de constater le présence d'un ample mouvement populaire de gauche au Chili. Ne voulant pas que l'exemple de Cuba se répète là-bas, ils ont décidé d'appuyer, sur le plan financier, politique et publicitaire, l'élection du président Eduardo Frei contre la coalition de gauche de Salvador Allende. Lors de la campagne présidentielle de 1970, qui se termina par la victoire électorale de Salvador Allende, les Etats-Unis prirent une nouvelle fois parti contre celui-ci. Lorsque la victoire d'Allende fut certaine, le président Richard Nixon et son secrétaire d'Etat Henry Kissinger décidèrent de mettre sur pied un plan clandestin pour empêcher Allende de voir sa victoire confirmée par le congrès chilien. Plusieurs plans furent conçus et, comme le prouvent de multiples documents officiels du gouvernement états-unien, le maître d'oeuvre officiel de ces plans fut Henry Kissinger. Nixon avait quant à lui personnellement donné les ordres d'écraser Allende. Parmi ces différentes voies, Kissinger et son équipe conçurent le plan d'écarter le principal obstacle à leurs desseins: le commandant en chef de l'armée chilienne, le général René Schneider, un militaire constitutionnaliste plutôt conservateur dans ses idées et qui avait clairement annoncé qu'il ferait respecter la volonté des citoyens du Chili exprimée par le vote. Le général Schneider fut assassiné par le groupe lié à Kissinger. C'est un cas flagrant de son implication dans un assassinat et seules les protections dont il bénéficie jusqu'à présent ont empêché qu'il soit mis en question pour une aussi grave affaire.

Quant à l'opération Condor, le département d'Etat états-unien, qui était donc dirigé par Kissinger, a reçu en 1976 des informations des agents américains en Argentine décrivant les grandes lignes de l'opération Condor. Le gouvernement des Etats-Unis n'a pas réagi. En septembre 1976, l'ancien ministre des affaires étrangères du Chili, Orlando Lettelier, a été assassiné à Washington par une équipe de tueurs de la Dina chilienne, la police secrète dépendant directement de Pinochet, précisément grâce à l'aide du général Walters, ami de Kissinger et sous-directeur de la CIA. Tout ceci montre bien que la politique de l'époque était de permettre des déplacements clandestins, des achats de matériel et d'autres équipements aux agents de la Dina sur le territoire même des USA.

C'est parce que nous jugeons absolument nécessaire que non seulement les dictateurs, mais aussi ceux qui leur ont permis d'arriver au pouvoir et de perpétrer leurs actes criminels, c'est parce que nous estimons qu'il est absolument indispensable de les poursuivre aussi que nous vous demandons de voter le résolution 412. (Applaudissements.)

M. René Koechlin (L). A vous entendre, Mesdames, Messieurs, je suis conforté dans l'idée que ce Grand Conseil n'est pas un tribunal, mais un parlement. Que nous ne sommes pas des juges, ni même des juges d'instruction, mais des parlementaires, députés, chargés de débattre de questions politiques, de questions législatives et de produire des lois. Les auteurs de cette résolution, visiblement épris de justice - et là je les rejoins, je suis aussi épris de justice - nostalgiques des sacro-saints droits de l'homme - j'en suis aussi, je les rassure - s'érigent en juges. Là, je ne les suis pas. Ils demandent à ce Grand Conseil de s'instituer en tribunal. Là non plus, je ne peux pas les suivre.

Un ancien de ce Grand Conseil me disait, il y a déjà un certain temps, il était avocat et savait donc de quoi il parlait..

Une voix. Quoique !

M. René Koechlin. ...qu'il n'y a rien de plus injuste que la justice. S'il avait été ecclésiastique, il aurait probablement ajouté «des hommes», ce qui ferait plaisir à nos amis PDC, notamment à M. Blanc, qui n'est pas là ce soir ! Il n'y a rien de plus injuste que la justice des hommes. On pourrait aussi dire, pour citer un texte biblique, que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre. Or, je vous dirai, Mesdames et Messieurs, que nous pourrions commencer, à défaut d'être justes, par être équitables. C'est un premier pas. Or, l'équité ou l'égalité de traitement exigerait, par exemple, que l'on enquêtât non pas tant sur les agissements de M. Kissinger, mais d'abord sur le rôle et la responsabilité d'un certain nombre de personnages, et ils sont nombreux, qui, plus ou moins récemment, ont eu des comportements douteux ou condamnables. Si ce Grand Conseil avait été ce que les auteurs de cette résolution voudraient qu'il soit aujourd'hui, il aurait pu se demander quel était le rôle et la responsabilité, par exemple, de MM. Chamberlain et Daladier à Munich, qui ont livré les Sudètes et la Tchécoslovaquie à Hitler, avec tout ce qui s'en est suivi, et plus tard la Pologne indirectement, avec toutes les conséquences que nous connaissons. Il aurait pu se demander quel a été le rôle de MM. Roosevelt, Churchill, Truman, qui ont permis à Staline d'instaurer des régimes totalitaires dans les pays de l'Est européen, avec tous les crimes et les exactions qui en ont découlé. Il aurait pu se demander quelle était la responsabilité des dirigeants soviétiques dans la prise de pouvoir et les génocides de Pol Pot au Cambodge. Et enfin, plus récemment, le rôle des dirigeants qui, de Moscou, ont soutenu Milosevic, aujourd'hui inculpé de crime contre l'humanité.

Avec vous je déplore, Mesdames et Messieurs, tous les coups d'Etat, y compris celui perpétré par M. Pinochet au Chili contre le gouvernement de M. Allende. Je le déplore, mais je ne me sens pas pour autant capable de m'ériger en juge. Car nous ne sommes ni un tribunal, ni des juges, mais les représentants du plus petit canton de l'un des plus petits pays de cette planète. En tant que tel, nous pourrions bien sûr être tentés par le mythe de David et Goliath. Le David helvétique que nous serions, terrassant le Goliath américain. Et avec quelle arme? Avec le caillou d'une fronde qui s'appelle la résolution 412... Eh bien, Mesdames et Messieurs, je ne nous vois pas tenir ce rôle. Je reste petit, mais modeste. C'est pourquoi je vous invite à refuser cette résolution. (Applaudissements.)

Le président. Il y a encore sept personnes qui ont demandé la parole. C'est dire que même si nous allions jusqu'à 19 h, nous ne pourrions pas finir ce débat. Je prends donc, avec votre assentiment, la position suivante: puisque ce débat est quand même assez lourd, sérieux et important, je décide d'interrompre la séance pendant trois minutes de manière à ce que nous puissions faire ce que nous avons à faire d'ici 19 h...

Suite du débat: séance 7 du 30 novembre 2001

La séance est suspendue à 18h33.

La séance est reprise à 18h39.

RD 433
Hommage à M. Guy-Olivier Segond, Conseiller d'Etat sortant
RD 434
Hommage à M. Gérard Ramseyer, Conseiller d'Etat sortant

Le président. Veuillez reprendre vos places, s'il vous plaît !

Mesdames et Messieurs, il m'appartient de prendre congé, de remercier, de témoigner de la reconnaissance de Genève à deux magistrats sortants qui ont consacré une partie de leur vie au bien de nos concitoyennes et nos concitoyens. Gageure que cet exercice ! En effet, comment dire tout ce que l'on ressent en quelques minutes, alors que la rétrospective porte sur des années? Que l'un et l'autre relativisent donc mes propos et qu'ils soient assurés de ma sincère reconnaissance et de celle du parlement.

Tout d'abord, M. Guy-Olivier Segond. Permettez, Mesdames et Messieurs, un petit préambule sur Guy-Olivier Segond. Ce préambule, je l'ai repris des auteurs de la revue 2001, MM. Monnet et Sand. Il s'agit de la confession de M. Segond, jouée par Jo-Johnny, certainement beaucoup mieux que je ne pourrais le faire ! Tant pis, je me lance, accrochez vos ceintures ! Je cite: «Voilà, c'est fini pour moi. Je suis dégoûté, fatigué de tout ça. Plus personne ne veut m'écouter ! On ne me croit plus, mais je sais que j'ai raison ! J'ai toujours eu raison ! Je ne me suis jamais trompé, ah, sauf une fois. C'est quand je suis entré au parti radical !» Plus loin, il poursuit: «Si mon parti m'avait écouté, il n'en serait pas là. Et Genève non plus, d'ailleurs. Genève s'appellerait Smart Geneva, l'Hôpital s'appellerait le Rhuso, l'expo nationale «Le cerveau» et, avec moi, le parti radical aurait eu un vrai conseiller fédéral.»

M. Segond, conseiller administratif de la Ville de Genève de 1979 à 1989, en a été le maire en 1983 et 1988. Durant une législature, 1987-1990, il a été conseiller national. Enfin, conseiller d'Etat de 1989 à ce jour, chargé du département de l'action sociale et de la santé, il a été président du Conseil d'Etat en 1996 et en l'an 2000. D'aucuns le classent dans la catégorie des dinosaures de la politique. Ce qui est certain, c'est qu'il a consacré toutes ces années au seul service de la collectivité.

Vous aimiez dire, Monsieur le président, que la politique doit mettre l'homme avant toute chose. Durant douze ans, vous avez tenté de le faire dans un élan humaniste, remarqué et remarquable. Mais vous disiez également que la fin pouvait justifier les moyens. Ce qui n'était pas toujours apprécié par tout le monde. Quel que soit le jugement que portent les uns et les autres sur votre action gouvernementale, s'il est un domaine où vous excelliez, c'est bien celui de la santé, car vous saviez de quoi vous parliez. Le professeur qui vous a rendu hommage lors de vos adieux aux Forces-Motrices, celui qui doit certainement le mieux vous connaître, n'a laissé personne indifférent.

L'histoire locale reviendra certainement sur votre bilan politique et, comme dans tout bilan, figureront des éléments positifs et d'autres un peu moins. Il est fort à parier que les Genevois retiendront cette capacité que vous avez toujours eue d'être un serviteur de l'Etat en mettant tout votre poids en faveur des plus défavorisés, peut-être au détriment des autres, mais toujours dans l'intérêt général.

En nous quittant aujourd'hui, quelles que soient nos sensibilités politiques, quels que soient les agacements que vous avez pu susciter ici ou là, vous laisserez, dans tous les sens du terme, un grand vide politique d'un grand homme politique. Je souhaite, Monsieur le président, cher Guy-Olivier Segond, que votre nouvelle orientation vous apporte toute la satisfaction que vous pouvez désirer. Bonne chance pour le futur, bonne chance pour votre futur ! (L'assemblée, debout, applaudit longuement.)

Quant à M. Gérard Ramseyer, sa carrière a commencé dans la commune de Versoix comme conseiller municipal, puis conseiller administratif de 1979 à 1993. Il en a été le maire en 1983, 1988, 1991 et 1993. Il a été député au Grand Conseil de 1989 à 1993. Elu au Conseil d'Etat en novembre 1993, il en devient le président en 1998. La liste du bilan de ses deux législatures est véritablement remarquable, tant en ce qui concerne la sécurité, en développant la police de proximité, en traitant du délicat problème des dérives sectaires, qu'en ce qui concerne les transports, avec la mise en place du développement des lignes 16, 13 et de la troisième voie CFF entre autres.

Vous disiez, Monsieur le président, et vous le dites toujours, que les questions de circulation sont infernales à Genève. Ce n'est pas la Fédération des taxis qui vous démentira, ni bien sûr les associations défendant les transports privés. La leçon que vous retiendrez très certainement de l'ardue question de la complémentarité des transports, c'est que la critique est aisée, mais l'art est difficile. Vous avez également dû résoudre les problèmes délicats, mais néanmoins majeurs de la politique d'asile. Je crois que vous avez su maîtriser cette épineuse question de manière diplomatique et pragmatique.

Cher Gérard, tu quittes aujourd'hui tes fonctions certainement pas comme tu l'aurais souhaité. La vie politique est parfois impitoyable et peut ne laisser aucun droit à l'erreur. Tu me donnes l'impression d'être l'entraîneur de foot sur lequel on s'acharne dans le seul but d'obtenir sa démission et à peine a-t-il démissionné qu'on le regrette déjà. Tes ennemis, alors que nous ne devrions avoir que des adversaires, ne t'ont pas ménagé et certains ne doivent pas se sentir à l'aise dans leurs baskets.

Je suis de ceux qui croient à la destinée. La tienne était de rester huit ans au Conseil d'Etat. Cela se termine, mais ton action politique reste. Surtout celle à laquelle tu tenais et qui sera incontestablement reconnue un jour. Ta personnalité restera pour nous un exemple de droiture, de fidélité, de solidarité et surtout d'amitié. Mon cher Gérard, devant l'adversité, tu nous a donné une immense leçon de courage et de dignité tout à fait remarquable. Je suis fier de faire partie de tes amis. Le parlement reste et restera fier de toi ! Bonne chance pour l'avenir et surtout merci Gérard ! (L'assemblée, debout, applaudit longuement.)

M. Bernard Lescaze (R). Il m'appartient, au nom du groupe radical, d'adresser quelques mots à M. le conseiller d'Etat Guy-Olivier Segond. Après ce que vous venez d'entendre, je ne vais pas retracer ni sa vie, ni ses oeuvres. Chacun peut avoir en mémoire telle ou telle anecdote. M. Guy-Olivier Segond est probablement l'un des rares Genevois, par exemple, à avoir dormi dans la tête du bouddha de Bamian, chose devenue hélas, depuis quelques mois, définitivement impossible. Je vais en rester au domaine politique, où notre magistrat a eu un maître d'apprentissage truculent qui explique parfois sans doute certaines de ses orientations. Je veux parler du conseiller d'Etat André Chavanne. M. Guy-Olivier Segond a été ensuite élu conseiller administratif sans jamais avoir été conseiller municipal, puis conseiller d'Etat sans jamais avoir été député. Il ne connaît donc pas les délices de la vie parlementaire, du moins au niveau cantonal ou municipal, et c'est une expérience qui lui fera toujours cruellement défaut, mais dont je crois qu'il pourra aisément se passer.

En tant que conseiller d'Etat, M. Segond a connu trois législatures contrastées. Une législature que je ne saurais qualifier d'ordinaire, puisque plusieurs des gens qui y ont siégé, en tout cas deux, sont encore ici dans cette salle, entre 1989 et 1993. Une législature du siècle dernier, du XXe siècle donc. Puis une législature qui a été comme un objet volant non identifié dans le paysage politique genevois, celle du gouvernement homogène. Enfin, il a dû connaître une troisième législature encore plus étrange, car faisant une figure politique inédite jusqu'alors, celle où le gouvernement avait une certaine majorité et le parlement une autre majorité. Dans ces trois configurations, M. Guy-Olivier Segond a su déployer les traits de sa personnalité politique. Des traits que vous connaissez bien. La clarté de l'expression, très importante en politique, même si le discours y est la partie la plus facile. En politique, elle reste une partie nécessaire, même si elle n'est pas suffisante. La netteté de la vision, la force de la personnalité, et dans plusieurs domaines où s'est exercée au département de l'action sociale et de la santé son activité, on a pu voir ces qualités. Clarté de l'expression dans une analyse politique toujours limpide, précise et parfois un peu sèche, claquant parfois comme des coups de fouet. Netteté de la vision, il suffit de songer à l'Expo.01 sur le cerveau, qui malheureusement, vous le savez, a échoué, voire au Réseau hospitalo-universitaire de Suisse occidentale, dont la faculté de médecine, notamment, n'a pas voulu, mais que beaucoup de gens regrettent aujourd'hui, car c'eût été un véritable progrès. Force de la personnalité enfin, lorsque Guy-Olivier Segond a imposé la trithérapie à l'Hôpital cantonal universitaire de Genève.

Je tiens ici à saluer ce radical humaniste, ce représentant de Genève, ce Genevois, protestant, cultivé, dans la lignée de James Fazy, de Georges Favon, toujours soucieux de cette vieille devise inventée par Georges Favon, liberté humaine et justice sociale. A n'en pas douter, Guy-Olivier Segond aura marqué l'histoire de notre République et, au nom de notre groupe, et je pense en votre nom à tous, je tiens à vous dire, Monsieur le conseiller d'Etat: merci ! (Applaudissements.)

M. Thomas Büchi (R). C'est un honneur et en même temps une grande responsabilité qui m'incombent ce soir que de faire, au nom du groupe radical, l'éloge et l'hommage de Gérard Ramseyer. Je vais donc parler avec mon coeur. Je vais vous parler de l'homme au-delà de toute considération, c'est ce qui doit supplanter tout le reste.

Quelques mots d'abord sur sa trajectoire assez exceptionnelle. Gérard Ramseyer est né le 9 novembre 1941 sous le signe astrologique du Scorpion. De ce signe, dès le début, il en incarne quelques traits de caractère fondamentaux: une volonté inflexible lorsqu'il entreprend quelque chose, le sens de la responsabilité et un dévouement indéfectible au service des autres. En résumé, Gérard Ramseyer est le type même d'homme qui sacrifierait sa vie pour l'amour qu'il porte à son pays. Il est originaire de Schlosswill dans le canton de Berne, et de Versoix ensuite. Il est marié et père de deux enfants. En dehors de sa vie familiale, trois parcours de vie le personnalisent avec, au bout, toujours la même volonté, inaliénable, d'aller jusqu'au bout et de servir les autres. D'abord son parcours professionnel. Il a travaillé dans le domaine des assurances. Il est d'ailleurs titulaire d'une maîtrise fédérale en assurance. Celles et ceux qui m'entendent ce soir et qui sont titulaires d'une maîtrise fédérale savent ce que cela représente comme somme de travail et comme sacrifice pour l'obtenir. On ne peut pas parler de Gérard Ramseyer sans parler de son parcours militaire tellement sa stature de commandeur et de leader se lit à travers son physique. Son grade est lieutenant-colonel d'infanterie. Il a commandé le bataillon chargé de la sécurité de l'aéroport de Genève, et ce jusqu'à son élection au Conseil d'Etat en 1993. Ceux qui ont fait du service militaire savent que cela représente plusieurs milliers de jours de service, et ce à nouveau pour son pays.

Avant d'aborder son parcours politique, je ne peux m'empêcher d'approfondir la lecture de son caractère pour qu'on le reconnaisse encore un peu mieux. Sa stature de rugbyman nous impose de suite une idée de solidité monolithique. On pourrait penser qu'il serait même insensible au petit vent facétieux qui agiterait un rameau fragile au moindre souffle. Quand on le côtoie, on ressent une impression de sécurité presque empreinte de paternalisme. On aurait même envie de dire que le slogan de force tranquille lui convient. Si parfois ses idées sont arrêtées et presque une certaine absence de mobilité, c'est parce qu'il y a une profonde répugnance chez Gérard Ramseyer à se mobiliser et à modifier des choses qui fonctionnent déjà correctement. C'est un pragmatique qui n'a jamais brassé des théories pour le plaisir. Pas de hâte intempestive, un bon sens presque paysan qui donne du poids aux décisions prises. Tout ceci au service de l'objectif à atteindre. Le sens des responsabilités, la confiance qu'il témoigne à ceux qui l'entourent, le poids même à vouloir endosser les fautes des autres ne font malheureusement pas toujours bon ménage dans le monde impitoyable de la politique. Ce qui est sûr, c'est que sur le plan humain, l'honnêteté et l'équité priment toute autre considération.

Alors, pour revenir à son parcours politique, Gérard Ramseyer n'est pas passé dans le ciel genevois comme une météorite. Non ! Comme sa vie, tout est profondément enraciné dans le terreau du pays. Il a tout d'abord été conseiller municipal dans sa chère commune de Versoix, de 1975 à 1979, puis conseiller administratif, de 1979 à 1993, sans oublier qu'il a été cinq fois maire de sa commune dans l'intervalle. Sa carrière cantonale suit la même trajectoire. Député au Grand Conseil de 1989 à 1993, il est ensuite élu conseiller d'Etat en 1993 et réélu en 1997. Pendant huit ans, il a été à la tête du département de justice et police et des transports, sans oublier qu'il a été président du Conseil d'Etat de décembre 1997 à décembre 1998.

Malgré la situation difficile qu'il vit aujourd'hui, Gérard Ramseyer n'a pas à rougir de son bilan. Son engagement inébranlable et sans faille au service de la collectivité lui a donné une énergie formidable. Sous son impulsion, Genève est devenue, après Vienne, la ville européenne la plus sûre. Il y a moins d'agressions de toutes sortes à Genève qu'il y a dix ans. Les transports publics ont été développés d'une façon remarquable. Les chantiers se sont ouverts. Nous pensons au tram 13 «Nations». Les négociations ont abouti avec la France de façon significative pour améliorer les liaisons TGV, et bien d'autres projets encore que je n'ai pas le temps de vous relater ici ce soir.

Face aux énergies contraires qui se sont levées contre lui depuis plusieurs mois, frisant parfois l'acharnement, il a su faire preuve d'une dignité qui aujourd'hui force l'admiration. Ce soir, Monsieur le conseiller d'Etat, vous allez prendre congé de nous avec peut-être un certain sentiment d'amertume. Mais je sais qu'il sera vite occulté par votre tempérament foncièrement optimiste et votre esprit de gagneur qui vous aideront à atteindre d'autres objectifs, que nous vous souhaitons pleins de promesses.

Gérard, d'une certaine manière, Genève prend congé de toi et n'oublie pas - que ceux qui ont des oreilles entendent - que la beauté intérieure sublime les apparences ! (Applaudissements.)

M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat. En prenant pour la dernière fois la parole dans cette enceinte, j'aimerais tout d'abord remercier le président, M. Bernard Annen, et le vice-président, M. Bernard Lescaze, de leurs aimables propos, marquant, au nom du Grand Conseil et au nom du groupe radical, mon départ du Conseil d'Etat après douze années d'activités. A vrai dire, je n'ai pas passé que douze ans au Conseil d'Etat: j'ai passé en réalité plus de trente ans, soit la majorité de ma vie active, dans le service public, à l'ombre de la tour Baudet, à l'Hôtel de Ville, ou dans cette salle du Parlement, à défendre, comme vous, l'intérêt général, mais en étant toujours du côté du gouvernement !

Au début, pendant les dix premières années, qui suivirent Mai 68, j'ai travaillé au département de l'instruction publique, aux côtés d'André Chavanne. J'étais chargé des affaires juridiques, politiques et parlementaires et je représentais déjà, souvent, le département dans les commissions du Grand Conseil pour les convaincre de voter les réformes pédagogiques et d'accorder les crédits nécessaires. Par la suite, j'ai passé dix années dans la magistrature communale, à la tête de la Ville de Genève. Et, maire de Genève, qui est la plus belle et la plus universelle des fonctions politiques, j'ai souvent goûté, dans cette même salle, face aux quatre-vingts élus des différents partis, le charme discret et complexe de la vie municipale ! Enfin, j'ai passé ces douze dernières années au Conseil d'Etat, à la tête du DASS et de ses 18000 collaborateurs et collaboratrices. Là, j'ai cherché à moderniser la politique sociale et la politique de la santé en veillant à préserver l'Etat social qui est finalement la traduction moderne, contemporaine de la vieille devise suisse : «Un pour tous, tous pour un».

Pendant tout ce temps, la mondialisation de l'économie a commencé à prendre son plein développement et, mal acceptée par une partie de la population, elle a naturellement touché et la Suisse et Genève. Ainsi, notre canton a passé ces douze dernières années par une période de mutation forte et rapide. L'économie locale est de plus en plus axée sur les services, les travailleurs changent plus fréquemment d'activité, les femmes occupent de plus en plus souvent des fonctions de responsabilité et le travail à temps partiel se développe. Aujourd'hui, le nombre d'emplois est le plus élevé de l'histoire genevoise. Même si cela se sait peu et même si cela se dit peu, il est nettement supérieur au nombre d'emplois enregistrés au moment le plus favorable de la plus haute conjoncture. Les conséquences sont là, visibles: le nombre de chômeurs a diminué fortement, même si le nombre de chômeurs de longue durée est devenu très élevé. Le nombre de contribuables augmente aussi et, malgré une diminution des impôts de 12%, les recettes fiscales se portent bien, permettant à l'Etat de Genève de retrouver l'équilibre budgétaire et de commencer à rembourser une partie de la dette publique.

Ces circonstances favorables permettent de jeter un regard sur ce qui s'est passé dans notre ville et dans notre canton dans les dernières années du XXe siècle. Le constat est assez simple à résumer. Economiquement, Genève a quitté trente années de vaches grasses pour entrer dans dix années de vaches maigres, pendant lesquelles tout le monde a dû s'adapter aux changements économiques, techniques et sociaux, tout en cherchant parfois désespérément à préserver ses propres acquis.

Sur le plan politique et de l'action publique, le vocabulaire a changé. Pendant les trente années de vaches grasses, les nouvelles législations, les nouvelles pratiques administratives, les nouveaux services publics étaient considérés comme autant de progrès, ce qui était plutôt une notion de gauche. Mais pendant les dix années de vaches maigres, les nouvelles législations, les nouvelles pratiques administratives et les restructurations des services publics n'ont plus été considérées comme des progrès, mais comme des réformes, ce qui est plutôt une notion de droite.

Genève, qui est entrée dans l'histoire grâce à la seule vraie Réforme - celle qui a donné naissance à l'Eglise réformée - n'a pas échappé à la règle. Elle a, elle aussi, quitté l'ère des progrès pour entrer dans l'ère des réformes !

La politique de la santé et la politique sociale ont participé au mouvement général. Il y a eu beaucoup de réformes au DASS et dans les divers établissements publics qui en dépendent. Mais le destin de ces réformes a été variable. Les réformes qui ont été conduites dans un climat de concertation avec les syndicats ont abouti, mais, n'ayant pas suscité de polémiques, elles n'ont pas eu une grande visibilité. L'exemple le plus typique est celui de la réforme hospitalière et de la mise en place des Hôpitaux universitaires de Genève, qui représentent l'une des rares fusions réussies.

A l'inverse, les réformes qui ont été conduites dans un climat de confrontation avec les syndicats ont naturellement entraîné des polémiques, ont eu une grande visibilité, mais ont aussi régulièrement échoué ! Enfin, il faut relever que toutes les réformes qui cherchaient à privatiser une tâche de l'Etat ont été rejetées par le peuple. Malgré toutes les critiques faites, souvent de manière injuste, à la fonction publique, la majorité de la population sait bien que le service public est le seul garant de l'égalité de traitement de tous les habitants, quel que soit leur âge, leur sexe, leur nationalité, leur religion ou leur revenu.

Vous ne serez pas étonnés, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, par le fait que je termine par la Genève internationale.

Aujourd'hui, au début du XXIe siècle, Genève est un lieu où se rencontrent tous les courants qui portent l'aventure humaine et où se discute une bonne partie des problèmes qui agitent la planète. Ce destin exceptionnel de Genève, canton suisse et cité internationale, s'explique par le rayonnement des idées. Genève est en effet l'héritière de la pensée et de l'action d'hommes qui ont proclamé à la face du monde la primauté des valeurs spirituelles sur les intérêts matériels, que ce soit Jean Calvin, le réformateur, Jean-Jacques de Sellon, le fondateur de la première organisation internationale, la Société universelle de la paix, Jean-Jacques Rousseau, le citoyen de Genève, ou encore Henry Dunant, le fondateur de la Croix-Rouge. Cette tradition de ville des idées se poursuit aujourd'hui par l'accueil des organisations internationales du système des Nations Unies. Souvent critiquées, mais, Mesdames et Messieurs les députés, uniques dans l'histoire de l'humanité, ces organisations internationales témoignent des efforts que l'être humain fait sur lui-même pour rechercher un avenir meilleur. Elles sont donc autant de signes d'espérance pour les hommes et les femmes les plus déshérités de notre planète. C'est pourquoi, au-delà de leur importance politique et économique, Genève et la Suisse doivent avoir avec elles les excellents rapports que commandent le coeur, l'intelligence et les lois de l'hospitalité. J'espère donc vivement que le peuple et les cantons, le 3 mars 2002, diront oui à l'ONU, montrant que si les problèmes de la Suisse ne sont pas ceux du monde, les problèmes du monde, eux, sont ceux de la Suisse !

Un dernier mot pour terminer. Pour être gouvernée, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, une République, même petite, doit avoir de fortes personnalités politiques. Mais pour être administrée, elle doit disposer de grands commis. Arrivé au terme de mes douze années d'activités au Conseil d'Etat, j'aimerais donc remercier les secrétaires généraux, les directeurs de cabinet, les directeurs généraux, les patrons des établissements publics avec qui j'ai travaillé. Ensemble, ils ont formé une superbe équipe de collaborateurs qui servira, avec la même intelligence et la même loyauté, mon successeur, Pierre-François Unger.

Merci aussi à tous ceux et à toutes celles qui m'ont soutenu, qu'ils siègent à droite, à gauche et surtout au centre, au sein de mon groupe préféré, celui des radicaux, qui ont forgé ce concept de l'abstention dynamique... (Rires.)Merci à mes collègues du Conseil d'Etat, merci au Chancelier d'Etat, merci à la Sautière ! Merci à chacun et à chacune d'entre vous de vous engager au service de notre République ! J'espère que vous trouverez dans vos fonctions, au Grand Conseil comme au Conseil d'Etat, le même intérêt et surtout le même plaisir que moi ! Aux uns et aux autres, merci, bonne soirée et bonne 55e législature ! (Applaudissements.)

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Lorsqu'on voit les qualités qu'on nous prête le soir de nos funérailles, on se demande pourquoi on n'est pas mort plus tôt ! Et lorsqu'on lit les reniements tardifs et frileux d'une presse partiale et assassine, on se demande comment orthographier le mot déontologie pour qu'il paraisse d'expression contemporaine. Qu'importe ! La nuit est venue, il fait froid alentour. Il faut néanmoins reprendre le chemin. Le moment de jeter un dernier coup d'oeil par-dessus l'épaule pour voir se refermer la porte de cette salle, vaste scène où chaque intervenant est un acteur. Il faisait bon à l'intérieur. Les amis étaient chaleureux, ils discutaient ferme, s'entendant à défaut de s'écouter, se mesurant à défaut de se considérer, livrant le démocratique combat de la politique, préférant l'ombre à la proie, la forme au fond et se jurant à tout propos que la goutte d'eau qui met le feu aux poudres est au moins aussi scélérate que l'étincelle qui fait déborder le vase !

Je vous quitte pour nulle part, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, avec cependant une certitude. Il y a toujours une aube après le crépuscule. La nuit est affaire de durée. Je vous remercie sincèrement de votre sollicitude et de vos efforts à partager ou combattre mes convictions. J'ai toujours préféré n'importe quoi plutôt que l'indifférence. Mes doutes, je vous les offre. Ils étaient les bordures d'une action que j'ai voulu généreuse et honnête. Mes échecs, je les revendique. Ils étaient les écueils qui marquaient l'accès au port. Mes réussites, je vous les remets. Ce sont autant les vôtres que les miennes. Mais ma sincérité, je la garde. Je l'ai rangée dans mon bagage, enveloppée d'une étoffe que l'on nomme parfois sens de l'honneur, bien calée à côté d'un gros paquet de dignité. Ainsi, mon sac est plein. Plus aucune place pour la rancoeur, pas le plus petit cube disponible pour un zeste d'aigreur ou une touche de ressentiment. Je vous aimais beaucoup. Bonne chance à toutes et tous ! Et quand viendra pour vous le moment de prendre à votre tour le chemin de la fin de journée, faites-moi un signe ! Nous ferons un petit bout de route ensemble. Juste pour le plaisir, juste parce que les Genevois sont comme ça, comme dirait la «Tribune», mais c'est vrai que la «Tribune» a dit tellement de choses... Je vous salue cordialement, merci de votre attention, bonne chance à toutes et tous ! (Applaudissements.)

Le président. Deux petites annonces. La première: nous allons prendre l'apéritif immédiatement. Je vous rappelle qu'il faut aussi rendre hommage aux organisateurs de la Course de l'Escalade et ses dizaines de bénévoles qui nous invitent à partager les spaghetti avec eux...

La seconde: nos travaux reprendront à 20 h 45...

Des voix. 21 h !

Le président. Si vous me promettez d'aller vite après ! Non, non, je n'ai pas encore levé la séance. Ce n'est pas tout à fait terminé ! Donc 21 h !

Enfin, il m'appartient de remettre les stylos habituels... (Rires.)J'étais, Mesdames et Messieurs, très embêté, car les stylos se donnent uniquement aux députés. Or, M. Segond n'a jamais été député. Je ferai donc une entorse au règlement. Ce sera la première. La seconde, Mesdames et Messieurs, j'ai toujours trouvé que ce stylo était un peu léger, terriblement léger et ne répondait en tout cas pas à ce que j'imaginais pour remercier, même avec un petit clin d'oeil, des personnalités aussi importantes que celles qui nous quittent ce soir. Je me suis donc attaché à trouver un liquide qui leur appartiendrait et surtout qui resterait comme souvenir, puisque j'ai trouvé un Armagnac de 1945, année de naissance de M. Segond, et l'autre de 1941, année de naissance de M. Ramseyer, qui, entre nous soit dit, fête ou vient de fêter ses 60 ans ! J'espère que vous apprécierez ce breuvage tout au long de vos années ! Si vous voulez un connaisseur, Messieurs, adressez-vous à René Koechlin. C'est le plus grand connaisseur en matière d'Armagnac ! Voilà, Mesdames et Messieurs, je vais descendre remettre ces deux présents et nous pouvons encore applaudir ces deux grandes personnalités ! (Applaudissements.)

La séance est levée à 19h15.