République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1423
Proposition de motion de Mmes et MM. Anita Cuénod, Jeannine De Haller, Gilles Godinat, Christian Grobet, Rémy Pagani, Jean Spielmann, Pierre Vanek, Jacques Boesch, Cécile Guendouz, Erica Deuber Ziegler pour une application stricte de la loi sur les archives publiques, plus particulièrement en ce qui concerne les documents produits par la police, et pour doter Genève d'Archives d'Etat mieux adaptées aux besoins de la recherche historique et aux attentes du public

Débat

M. Christian Grobet (AdG). Notre députation a été contactée par deux ou trois historiens qui ont soulevé le problème de l'accès à un certain nombre de dossiers relevant d'anciens rapports de police. Pour ne citer qu'un exemple que je donne d'entrée de cause pour illustrer le propos de cette motion, le dossier concernant l'assassinat de Sissi d'Autriche, qui remonte à la fin du XIXe siècle, est un fait d'histoire particulièrement intéressant. Le dossier ne pourra cependant être consulté qu'en l'an 2023, alors même que l'assassin est décédé en 1912 ou 1913 sauf erreur ! Il y a un délai de cent ans pour la consultation de ces dossiers par les historiens. Je ne sais d'ailleurs pas comment l'on en arrive à cent dix ans dans ce cas particulier, c'est encore un autre mystère !

Je ne voudrais pas être trop long, puisque, pour ne rien vous cacher, l'exposé des motifs de cette motion a été écrit par l'un de ces historiens. Nous avions donc déposé un projet de loi sur cette question pour demander une modification de la loi sur les archives. Ce projet de loi a été renvoyé en commission, sauf erreur devant la commission législative. Je vous suggère, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette motion à la même commission, afin que les députés qui examineront, certainement avec beaucoup d'intérêt, cette loi sur les archives, que nous avions du reste traitée voici deux ans, disposent des deux textes en même temps. Je pense que les indications figurant dans cet exposé des motifs sont intéressantes et permettront de guider les travaux de la commission saisie du projet de loi. J'aurais dû vérifier à quelle commission ce projet de loi a été renvoyé lors de la dernière ou de l'avant-dernière séance... Il faudrait renvoyer cette motion à la même commission. Je crois qu'il s'agissait, sauf erreur, de la commission législative.

Le président. A votre demande, Monsieur Grobet, nous avons vérifié ! C'est la commission des affaires communales, régionales et internationales qui traite de cette question.

M. Jean-Claude Dessuet (L). Voilà à peine une année que nous avons mis en place une nouvelle loi sur les archives de l'Etat. Ce n'est pas sans peine que nous avons trouvé un consensus après plus de dix séances de commission. Nous avons déjà longuement parlé de cette proposition de motion en commission et nous avons d'ailleurs auditionné en son temps le responsable des archives de la police, ainsi que le Procureur général. C'est à l'unanimité que ces derniers nous ont demandé de ne pas accepter cette proposition. En effet, il semble important de maintenir un délai avant la consultation des dossiers, afin de veiller au respect des descendants de personnes interpellées ou jugées.

Nous tenons tout de même à préciser ici qu'il est regrettable de renvoyer en commission une proposition qui a déjà été traitée et refusée en son temps. Néanmoins, nous acceptons de renvoyer cette motion en commission des affaires communales, régionales et internationales.

M. Bernard Lescaze (R). Le mieux est parfois l'ennemi du bien, nous le savons tous. Si cette motion part d'un bon sentiment, les personnes qui, très bien informées, l'ont rédigée, n'ont peut-être pas toujours bien compris qu'en voulant conserver et ouvrir à un très vaste public les archives de la police, elles risquaient en réalité de provoquer bien plus de destructions qu'elles ne l'imaginaient. Si elles avaient lu attentivement la nouvelle loi à laquelle M. Dessuet vient de faire allusion, elles auraient constaté que ces destructions, même si elles sont soumises à autorisation et à contrôle, ne peuvent être faites qu'à partir du moment où un certain laps de temps s'est déjà écoulé. Or, certaines archives de la police sont des archives purement administratives.

Le problème est bien réel, mais la loi sur les archives ne concerne pas les archives de la police. C'est bien ce que savent les motionnaires, tout en imaginant pourtant que le règlement sur les archives publiques pourrait s'appliquer aux archives de la police, ce qui est erroné. Je pense qu'un prompt renvoi à la commission des affaires communales est nécessaire pour que le conseiller d'Etat chargé du département de l'intérieur explique une nouvelle fois la situation. Cette situation n'est peut-être pas idéale, mais elle ne pourra pas être modifiée aussi facilement que cela sans de graves conséquences, non pas pour la recherche historique de ces prochaines années, mais pour celle qui aura lieu dans une ou deux générations.

Dans ce domaine, malgré ma formation d'historien, je dois dire que nous sommes placés, sinon entre l'enclume et le marteau, du moins entre les exigences de l'Etat, sans parler de raison d'Etat, et celles de la recherche historique. Je tiens à souligner que le but poursuivi par les motionnaires et par les historiens qui ont pu les conseiller est légitime, il est noble, mais les solutions ne paraissent pour l'instant que très peu praticables. En tout cas, celles qu'ils ont l'air de formuler ne le seront pas. Je pense donc qu'un débat pourra s'ouvrir en commission, mais je n'attends pas de miracle à ce sujet.

M. Alain Etienne (S). Le groupe socialiste s'associe aux préoccupations des motionnaires. En effet, le problème évoqué ici a été longuement débattu en commission des affaires communales lors de l'étude du projet de loi sur les archives. Nous avons pu nous rendre compte à l'époque de certaines entorses. Les exemples cités dans l'exposé des motifs sont éloquents. Il n'est pas normal que l'on fasse à Genève ce qui ne se fait plus depuis longtemps à Berne. Il n'est pas normal non plus que les services du DJPT appliquent, face à l'histoire, des règlements spéciaux. Il faut reconnaître que les dossiers de police constituent une source précieuse pour les recherches historiques. Il s'agit de la connaissance de notre histoire contemporaine à laquelle les historiens demandent accès. Il faut donner aux historiens les moyens de faire leur travail et donner aux archives de l'Etat des moyens nouveaux pour accomplir leur mission.

M. David Hiler (Ve). L'ensemble des problèmes qui sont soulevés par les motionnaires existent bel et bien et concernent, nous semble-t-il, beaucoup plus largement le public que les seuls historiens. On a pu voir au cours des années passées à quel point certains problèmes historiques pouvaient avoir des conséquences immédiates sur la vie politique et économique de notre pays. Les archives dont il est question sont des archives extrêmement importantes, en particulier pour l'histoire de la vie politique de certaines périodes.

Lorsque nous avons élaboré une nouvelle loi sur les archives, qui représente un grand progrès par rapport aux moutures précédentes, nous n'avons pas remis en question un certain nombre de lois ou de règlements particuliers, probablement comme toujours pour pouvoir aller de l'avant et ne pas surcharger le bateau. Il reste que les problèmes soulevés par la motion, qui sont d'ordres divers, doivent trouver des solutions. Contrairement à M. Lescaze, je pense que nous les trouverons. Nous les trouverons d'autant plus facilement qu'une partie des problèmes est en fait liée à l'application de la loi et du règlement. Une autre partie dépend du statut légal. Nous les trouverons parce que nous avons adopté entre temps, il faut peut-être le rappeler, une loi sur la transparence et que nous disposons d'un ensemble qui nous donne aujourd'hui la possibilité de nous assurer que l'on peut transmettre dans des délais raisonnables un certain nombre d'informations aux archives sans risquer la destruction. Ce que nous dit M. Lescaze, c'est que si nous allons trop loin, nous aurons des destructions illégales. Je suis tout de même assez surpris que l'on puisse dire, comme argument principal, dans un Etat de droit, que la police se comportera de manière illégale si l'on édicte tel ou tel règlement. Je ne crois pas que ce soit un argument recevable, outre qu'il est fort désagréable pour la police.

De ce point de vue, nous entendons donc étudier très sérieusement cette motion et nous souhaitons que les transformations législatives qui pourraient contribuer à résoudre une partie des problèmes posés nous soient effectivement soumises par le Conseil d'Etat dans un délai raisonnable, après l'étude de cette motion.

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. La motion qui est déposée est bienvenue à bien des égards. Elle est tout d'abord bienvenue parce qu'elle donnera l'occasion à l'administration de s'expliquer sur un certain nombre de faits mis en évidence dans cette motion, qui sont rappelés régulièrement à travers un certain nombre de correspondances et à travers un certain nombre d'interventions parlementaires. Cela nous permettra de répondre précisément, si tant est que des réponses soient possibles et, si elles ne le sont pas, d'essayer de nous en expliquer.

Cette motion est également bienvenue pour une seconde raison, qui a été indiquée avec assez de précision tout à l'heure par M. Hiler. Lorsqu'on a refait la loi sur les archives, après quatre-vingts ans, il est un point que l'on s'est bien gardé d'examiner, parce qu'on allait probablement y consacrer des années et qu'on n'allait pas arriver à trouver des réponses satisfaisantes. C'était la question des archives de la police. On a dès lors rédigé une loi qui doit s'appliquer à toute l'activité de l'administration et régir tous les documents que détient l'administration, tout en sachant dans le même temps qu'il existe une autre loi, une loi qui s'appelle loi sur le fichier de police et les certificats de bonne vie et moeurs. Cette dernière loi prescrit que l'on doit détruire immédiatement un certain nombre de renseignements récoltés lorsqu'ils ne sont plus utiles à l'activité policière. On se trouve ainsi devant cette contradiction de vouloir d'une part, par la loi sur les archives, conserver la mémoire historique, et de vouloir d'autre part préserver la personnalité par une autre loi, qui demande à l'administration de détruire les renseignements dont elle n'a plus besoin.

Au-delà de ces deux lois, on est également confronté, c'est un troisième point, à une pratique qui fait que la police garde un certain nombre de renseignements, dont le statut est indéfini.

Je suis heureux que l'on puisse examiner ces questions en commission, parce que je ne crois pas que le Conseil d'Etat soit, en l'état, en mesure de répondre directement à cette motion. Il est donc nécessaire qu'elle soit renvoyée en commission, que l'on puisse procéder aux auditions nécessaires et que la commission, au terme de ses travaux, puisse faire un certain nombre de choix et que vous puissiez demander au Conseil d'Etat de préparer les modifications législatives ou réglementaires nécessaires, en indiquant précisément ce que vous souhaitez. J'ajoute, pour ne rien vous cacher, que nous avons d'ores et déjà évoqué cette motion à la commission que préside M. Dessuet. Il serait souhaitable que vous communiquiez le nom des historiens qui vous ont conseillés pour rédiger cette motion, de sorte que nous puissions peut-être commencer nos travaux en les auditionnant. Ils nous permettront de mieux cerner l'objet de nos débats.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des affaires communales, régionales et internationales.