République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1853
Proposition de motion de Mmes et MM. Fabiano Forte, Guy Mettan, Anne-Marie von Arx-Vernon, Nelly Guichard, Pascal Pétroz, Didier Bonny, Mario Cavaleri, Michel Forni, François Gillet visant à créer un commissariat virtuel pour déposer plainte pour des délits mineurs

Débat

Le président. Nous sommes au point 30 de notre ordre du jour. Catégorie II: trois minutes par groupe. Monsieur Forte, vous avez la parole.

M. Fabiano Forte (PDC). Comme vous avez pu le constater, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, cette proposition de motion vise à instituer à Genève, à l'instar de la Belgique, de l'Italie ou même de la France, un commissariat virtuel qui permette aux citoyennes et aux citoyens, pour certains faits dits «mineurs» qu'il y a lieu encore de déterminer, de faire la démarche du dépôt de plainte via internet, donc via un commissariat virtuel à créer sur le modèle de ce qui existe déjà autour de nous.

Cette motion a deux buts très importants, deux buts qui nous tiennent à coeur. Le premier consiste à simplifier les démarches administratives pour la population, donc à lui simplifier la vie. Et pour ce qui est du deuxième but, il s'agit de décharger la police genevoise d'un certain nombre de tâches administratives, nous en avons parlé tout à l'heure. Je crois que nous avons tous fait, malheureusement, l'expérience de devoir aller déposer des plaintes pour un vol de vélo ou un bris de glace. Et l'on se rend compte que ça prend énormément de temps... (Un grincement se fait entendre. L'orateur s'interrompt.) Oui, cela prend énormément... (Le grincement persiste. Exclamations.)

Une voix. Il faut déposer plainte !

Le président. Il y a des freins qui grincent, je ne sais pas ce qui...

M. Fabiano Forte. Les freins grincent, il faut remettre de l'huile aux rideaux ! On se rend compte que, lorsque l'on va déposer une plainte dans un commissariat, cela prend du temps au plaignant pour des choses mineures - je le répète - mais ça mobilise aussi un gendarme pendant environ quarante ou quarante-cinq minutes. Or nous aimerions voir notre gendarmerie davantage dans les rues - parce qu'on aime l'y voir - que derrière des bureaux. C'est la raison pour laquelle le groupe démocrate-chrétien demande le renvoi de cette motion en commission judiciaire, afin d'étudier les tenants et les aboutissants de notre proposition et de voir s'il y a lieu d'instituer à Genève un commissariat virtuel, à l'instar d'autres pays beaucoup plus importants en termes de population. Je vous remercie de votre attention.

M. Roger Deneys (S). Les socialistes ne sont pas opposés à l'étude de cette proposition de motion, bien que l'on puisse avoir certains doutes quant à la réalité du traitement qui s'ensuivra. D'ailleurs, dans votre exposé des motifs, on lit la phrase suivante - si je comprends bien, ça vient de la Belgique: «Lorsque quelqu'un porte plainte pour un vol de vélo, l'affaire est souvent classée. Mais si, via le site, on se rend compte que dans le même secteur, il y a plusieurs plaintes similaires, alors, il y aura une enquête.» Cela montre un peu les limites de l'exercice: s'il s'agit de permettre aux gens de simplement remplir un formulaire sur internet, mais qu'après ce formulaire se retrouve dans une pile de papiers quelque part au fin fond d'une imprimante, au fin fond d'un commissariat, je m'inquiète beaucoup ! Monsieur Forte, dans ce que j'ai entendu tout à l'heure, il me semble que ce qui est important, c'est que la gendarmerie et la police - la force publique en fait - écoutent les victimes de délits. Bien entendu, l'empathie que l'on peut exprimer envers une victime et la reconnaissance du tort qu'elle a pu subir constituent également une part essentielle du travail de la gendarmerie, et elles servent certainement aussi de prévention contre le fait que l'on veuille exercer la justice soi-même. Si l'on veut éviter que des cow-boys se baladent dans la république, il est aussi extrêmement important que la police écoute les victimes. Et donc, ici, la crainte, c'est que nous ayons un jour un commissariat virtuel qui soit peut-être même localisé dans un pays très lointain - en Inde, au Maroc - et qu'on ait une hotline pour déposer plainte: «Appuyez sur 1 pour un vol de vélo, appuyez sur 2 pour une agression.» C'est vrai que cela nous inquiète énormément. Alors, étudier cette proposition de motion pour voir s'il y a des possibilités, pourquoi pas, renvoyons-la en commission, mais il est vrai que nous sommes loin d'être convaincus.

Le président. Vous voudriez la renvoyer à quelle commission, Monsieur le député ? (Remarque.) Très bien. La parole est à M. Golay.

M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, comme je l'avais indiqué lors d'une interview à la presse, le MCG est favorable à cette motion. Effectivement, notre crainte, au niveau du MCG, c'était de banaliser certains délits tels qu'un vol de vélo; cela a toujours son importance. Il faut savoir qu'aujourd'hui beaucoup de gens ne passent au poste de police remplir la plainte que pour une question de formalités au niveau des assurances. D'autres vont au poste parce que c'est leur affaire: pour eux, le vol de leur vélo, c'est l'affaire de l'année. Pour eux, ce genre de délits passe par-dessus tous leurs autres problèmes, ils y voient l'événement de l'année. C'est vrai qu'un vol de vélo a pour certains une telle incidence s'agissant de se rendre sur leur lieu de travail, et tout le reste, qu'il ne faut pas banaliser la chose. Mais on laisse à chacun, avec cette motion, le libre choix soit de remplir par internet le fameux formulaire, soit d'aller justement s'expliquer et s'exprimer au poste de police. Moi je pense que le choix est donné à chacun quant à la manière de remplir la plainte, et je considère qu'au niveau de la décharge des policiers, c'est une motion qui a tout son intérêt. Nous soutiendrons donc cet objet.

M. Frédéric Hohl (R). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe radical va soutenir le renvoi de cette proposition de motion en commission. Effectivement, cela tend vraiment à désengorger le travail de la police. Je pense que cela pourrait se prêter à un certain type de plaintes. Quoi qu'il en soit, il vaut vraiment la peine qu'on en parle en commission. On le sait, dans la population, beaucoup de gens trouvent que parfois c'est trop long, que ça prend beaucoup de temps de déposer plainte, et il y a aussi de nombreuses personnes qui n'osent pas déposer plainte. Cela aidera probablement beaucoup de citoyens à aborder la plainte d'une manière peut-être plus rapide. Je vous en remercie beaucoup, et nous allons soutenir ce projet.

Mme Nathalie Fontanet (L). Le groupe libéral soutiendra également le renvoi de cette motion, d'abord parce qu'elle va directement dans le sens d'une grande partie des projets déposés aujourd'hui, à savoir de décharger la police de certaines tâches. Ensuite, j'aimerais rappeler notamment à M. Deneys, Monsieur le président, que de nombreuses personnes sont obligées de déposer plainte simplement pour des questions d'assurance. Et l'on sait pertinemment que l'ensemble des plaintes n'est pas suivi d'enquêtes. Alors si, pour ce type de plaintes, on pouvait justement réduire l'encombrement des postes de gendarmerie, je pense que cela serait une grande aide et contribuerait manifestement à ce que la police se trouve dans la rue et non pas derrière des bureaux.

M. Fabiano Forte (PDC). J'aimerais apporter quelques précisions parce que, soit les choses n'ont pas été comprises tout de suite, soit il faut un peu les repréciser. Il n'a jamais été question de dire que les gendarmes ne rencontreraient plus la population ! Je crois que notre collègue Roger Golay l'a dit à juste titre: on laisse le libre choix. Alors, libre à celui qui est équipé de l'outil informatique que vous connaissez bien de déposer sa plainte via le système internet, via le commissariat virtuel, mais libre à lui aussi d'aller dans un commissariat.

En ce qui concerne la faisabilité technique, je ne m'avancerai pas trop dans ce débat-là, parce que le but du renvoi en commission, c'est de pouvoir étudier cela.

Vous avez parlé de victimes, alors certes, quand on nous vole notre vélo, on est une victime; certes, quand on nous casse la vitre de notre voiture ou la devanture de notre commerce, on est effectivement une victime. Je l'ai dit tout à l'heure: il s'agira peut-être de catégoriser à un moment donné les délits. Si on estime qu'un vol de vélo est plus important que des voies de fait sur un gendarme ou sur un citoyen, libre à la commission de le décider, mais je crois qu'il faut garder les proportions. Et pour des cas graves, il est évident que la police doit rencontrer la population, parce qu'il y a cet élément d'empathie. Le but de cette motion, ce n'est surtout pas d'éloigner la police de la population, bien au contraire, c'est de faciliter la vie des citoyennes et des citoyens et également de permettre à la police d'accomplir son travail, c'est-à-dire être dans les rues et faire en sorte que celles-ci soient beaucoup plus sûres, plutôt que de rester derrière un bureau à faire un travail de secrétariat.

M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, les Verts s'opposeront à cette motion, car nous pensons que les personnes qui sont victimes d'une infraction doivent pouvoir rencontrer quelqu'un et déposer plainte face à un être humain. Et il y a un deuxième aspect que vous avez peut-être un peu négligé: la difficulté, aujourd'hui, c'est qu'il est peut-être beaucoup plus simple de mentir à une machine qu'à un être humain, et un policier en particulier. Nous sommes dans une société où, malheureusement, l'escroquerie à l'assurance commence à devenir un peu courante, et où les uns et les autres finissent par se dire: «Si je paie une assurance, il n'y a pas de raison que je ne me fasse pas rembourser un jour ou l'autre, en plus du vélo, les deux ou trois trucs qui pouvaient rester dans le coffre de la voiture, ou que je ne puisse pas monter sur mon vélo que j'avais mieux équipé que prévu.» Ces petits délits dont on prend l'habitude nous posent un problème: à terme, cela fait augmenter à peu près le coût de toutes les assurances, et nous rentrons dans une société où l'on se déresponsabilise. Donc, aujourd'hui, en termes aussi de responsabilité individuelle, il est important que la personne qui est victime puisse le dire, qu'elle puisse être entendue en tant que victime, mais il faut aussi prévenir le fait que ce qui a pu être volé dans un sac à main, une valise ou un sac de sport finisse par ressembler à un inventaire à la Prévert, où l'on va dire que l'on s'est fait voler sa machine à laver à l'intérieur de son sac de sport, parce que certaines fois nous avons peut-être des appréciations de ce type-là. En conséquence, Mesdames et Messieurs, les Verts vous recommandent de refuser cette motion.

Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Forte, il vous reste quarante-cinq secondes.

M. Fabiano Forte (PDC). Je serai très bref. Je ne comprends pas les propos de notre collègue Bavarel. En effet, cela sous-entend qu'on augmenterait les escroqueries à l'assurance. Permettez-moi de vous dire, Monsieur le président - et vous transmettrez - que lorsqu'on se rend dans un poste de police ou dans un commissariat, même la présence du gendarme n'empêche pas un malotru de transformer le vol de sa veste en un vol d'un manteau de vison. Et je trouve cela dommage; les Verts nous avaient habitués à être un peu plus avant-gardistes et tournés vers l'avenir. Je trouve dommage qu'on enterre un projet bien avant de l'avoir étudié. (Commentaires.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Madame Schneider Hausser, c'est à vous, vous avez une minute.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Comme l'a dit M. Deneys, nous ne nous opposerons pas au renvoi en commission. Par contre, cette motion pose un problème, un problème d'échelle de valeurs. Un vol est-il un vol ? Et qu'est-ce qu'on en fait ? C'est vrai que, concernant l'escroquerie à l'assurance, il y a toujours eu 3% de personnes qui la pratiquent, et ça continuera quel que soit le moyen. Mais est-ce que la police n'est là que pour les gens qui se font voler une Mercedes ? Je veux dire que, là, il y a vraiment un problème d'échelle de valeurs. Et peut-être n'est-ce pas l'officier de police qui doit réceptionner ces plaintes, peut-être que, en effet, ça va nous coûter en termes de collectivité pour avoir plus de personnel administratif dans les commissariats - comme on l'a dit auparavant - ou plus de policiers administratifs. Mais ce rapport du vol, est-ce qu'on l'accepte, est-ce qu'il y a des vols acceptables et d'autres moins en raison d'une histoire de valeur et d'argent ? Je crois que là, cela pose un vrai problème qu'il sera intéressant de discuter en commission.

M. Olivier Wasmer (UDC). Je ne voulais pas prendre la parole parce que, pour moi, les dés sont jetés et c'est un très bon projet. Mais j'aimerais quand même rajouter mon grain de sel, comme d'habitude, en disant que je suis passé deux ou trois fois dans les commissariats de police parce qu'on m'a cambriolé mon appartement deux fois de suite, et ma voiture une fois. (Remarque.) Et j'ai été surpris de voir comme le travail dans les postes de police est prenant pour les policiers. Chaque fois que je suis allé au poste de Rive, il y avait dix personnes qui attendaient pour pouvoir déposer des plaintes pénales - comme l'a dit tout à l'heure, je crois, le représentant des Verts - très souvent pour les compagnies d'assurances, afin d'être indemnisées. Or, justement, contrairement aux craintes des opposants à cette motion, ce genre de plaintes qui sont déposées soit à la suite d'un vol de vélo, soit à la suite d'un vol dans un appartement ou d'un vol de voiture, pourraient très bien se faire par internet. D'ailleurs, à titre de comparaison, toutes les banques nous demandent aujourd'hui de remplir nous-mêmes les ordres de paiement et elles contrôlent ensuite. Et dans ce cas-là, il faut savoir - pour contrer un peu les craintes des opposants - que s'il y a des plaintes pénales qui sont déposées par internet, les assurances seront d'autant plus soucieuses de vérifier le bien-fondé de celles-ci. Et je vous rappelle quand même, pour ceux qui ne le savent pas, que déposer une plainte pénale fallacieusement constitue de la dénonciation calomnieuse, ce qui est un crime. Donc le dépôt de plainte par voie virtuelle me semble tout à fait opportun pour décharger les policiers de leur travail quotidien. Vous avez vu que les vols à Genève sont de plus en plus légion, et les policiers qui sont accaparés dans leur poste de police pour enregistrer des plaintes seront donc dévolus à d'autres tâches si l'on peut déposer ces plaintes - dont il faudra bien entendu fixer les modalités d'exécution - par internet. Aujourd'hui, tout se fait par internet, et je crois, contrairement aux détracteurs, que c'est une excellente idée. L'UDC soutiendra donc bien entendu cette motion.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, quand je suis arrivé au département des institutions, je me suis dit que c'était la première chose à faire. J'ai par conséquent demandé à ce que l'on mette sur pied des formulaires simplifiés, pour les vols de vélos en l'occurrence, or ça n'existe toujours pas aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que l'argument principal de la police - mais il méritera d'être discuté en commission - consiste à dire que cela complique le travail plutôt que de le simplifier, dès lors qu'un honorable administré ne remplirait pas la plainte comme elle devrait l'être. Je vous avoue un certain scepticisme quant à la réponse, mais il faudra quand même la prendre en compte.

L'autre élément qui me paraît important, c'est que tout le monde réclame des contacts directs entre la population et la police; or, internet, c'est bien joli, mais ce n'est pas franchement un contact direct. Et là aussi, il faut peut-être éviter des situations où toutes sortes de gens se trouveraient, de fait, privés de contact, parce que le moment du dépôt de plainte a une importance. Vous réclamez vous-mêmes des postes de gendarmerie ouverts plus souvent, plus longtemps, dans ce but-là. Alors, une fois encore, cela fait partie de l'ensemble des choses qui ont été dites aujourd'hui et qui seront encore dites dans les jours qui viennent, et je n'ai aucune objection à ce que l'on en parle en commission, bien au contraire. Cependant, je croyais que j'avais eu une bonne idée en arrivant, mais ce n'était pas si simple que cela.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons voter sur la demande de renvoi de cette proposition de motion 1853 à la commission judiciaire et de la police.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1853 à la commission judiciaire et de la police est adopté par 45 oui contre 9 non et 1 abstention.