République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1715
Proposition de motion de Mmes et MM. Frédéric Hohl, Gabriel Barrillier, Michel Ducret, Jacques Follonier, Hugues Hiltpold, Jacques Jeannerat, Pierre Kunz, Patricia Läser, Jean-Marc Odier, Louis Serex, Marie-Françoise de Tassigny pour le lancement d'une initiative cantonale au Parlement fédéral au sujet de la sécurité intérieure

Débat

M. Frédéric Hohl (R). Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion radicale va un peu dans le même sens que la précédente, notamment en termes de sécurité lors de grands événements. Par ce texte, nous souhaitons inviter le Conseil d'Etat à lancer une initiative cantonale adressée au Parlement fédéral, pour relancer le chantier de la sécurité intérieure.

Nous gardons tous, bien évidemment, de mauvais souvenirs des événements qui se sont déroulés en marge du G8, en termes de sécurité et de collaboration entre les cantons et la Confédération.

Pour toutes ces raisons et celles que vous pouvez lire dans ce texte, nous vous encourageons, Mesdames et Messieurs les députés, à suivre le groupe radical et à renvoyer cette proposition de motion à la commission judiciaire.

M. Roger Golay (MCG). Si l'invite peut en effet donner à réfléchir et à se demander s'il faut une force extra-cantonale de maintien de l'ordre, je pense ne pas être favorable - mon groupe non plus, d'ailleurs - à ce système. J'estime que seules les polices cantonales sont aptes à régler des problèmes locaux et de proximité. Elles ont la connaissance des mentalités, etc., et il y a un certain danger à instaurer une force nationale du maintien de l'ordre.

En revanche, le point sur lequel je suis d'accord avec ce texte, c'est qu'il doit y avoir une coordination entre toutes les polices romandes - comme cela a été proposé depuis le G8 - afin de pouvoir garantir l'ordre public au niveau national. Il y a 20 000 policiers en Suisse, pourtant on n'est pas capable aujourd'hui d'organiser un grand événement sans faire appel à des troupes extérieures !

En ce qui concerne l'éventualité de demander du renfort à des polices extérieures au pays, même civiles, je préférerais que le problème soit plutôt réglé par des gens domiciliés en Suisse.

C'est pour cette raison que je pense que cette motion mérite une réflexion approfondie. Il faut vraiment que les différents gouvernements fassent maintenant le nécessaire pour que les polices soient coordonnées de façon à mettre sur pied suffisamment de policiers pour garantir la sécurité de ces grands événements. Le Portugal a réussi à le faire alors qu'il compte une population relativement semblable à celle de notre pays, et la Suisse et l'Autriche ne seraient pas capables d'y parvenir sans faire intervenir des policiers allemands et français ?! Cela mérite donc réflexion et le MCG demande le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat.

M. Alain Etienne (S). Mesdames et Messieurs les députés, le parti socialiste n'est pas favorable à cette proposition de motion, d'abord parce que le Conseil national s'est déjà prononcé à ce sujet. Et si nous lançons une initiative cantonale adressée au Parlement fédéral, nous risquons de nous faire ridiculiser à Berne... De plus, je rappelle que la population suisse s'est prononcée par deux fois contre la création d'un corps de police fédéral.

En outre, la Confédération cherche actuellement à effectuer des reports de charges sur les cantons et je ne vois donc pas comment elle trouvera les moyens de créer ce corps de police. Je pense que le Conseil fédéral risque de proposer d'envoyer l'armée dans les cantons, ce qui signifie que nous irions gentiment vers une militarisation de la sécurité. Et cela, le parti socialiste ne peut l'accepter. D'autre part, nous estimons que cela constituerait une perte d'autonomie pour notre police cantonale, qui peut assurer les grands événements avec l'aide de polices d'autres cantons.

C'est pourquoi le parti socialiste vous invite à refuser cette proposition de motion.

M. Pierre Losio (Ve). Les têtes les plus chenues de ce parlement se souviennent peut-être de ces trois lettres: «PMI», la fameuse police mobile intercantonale qui avait agité les débats sécuritaires et animé passablement les rues de la ville de Genève il y a une trentaine d'années. Notre parti n'existait pas encore, mais déjà nombre d'entre nous nous étions opposés à cette vision sécuritaire intercantonale. Puis, il y a quelques années, une police fédérale de sécurité a également été proposée; nous nous sommes ralliés aux opposants et cette police de sécurité n'a pas vu le jour.

Aujourd'hui, aucun élément ne nous invite à souscrire à un projet de police fédérale de sécurité. En revanche, nous souhaitons que la police continue à développer les collaborations intercantonales. Pour toutes ces raisons, nous n'entrerons pas en matière sur cette proposition de motion.

M. Pascal Pétroz (PDC). Je ne m'exprimerai que sur le renvoi en commission, puisque le groupe radical l'a demandé lors de son intervention.

J'aimerais dire que le parti démocrate-chrétien appuie sans réserve ce renvoi en commission judiciaire, car comment ne pas soutenir une proposition de motion qui demande à ce qu'il y ait plus de sécurité dans ce pays ? Ce serait totalement inacceptable !

Cela étant, le renvoi en commission se justifie car il permettra d'étudier un certain nombre de considérations d'ordre pratique, liées à la situation actuelle en matière de sécurité intérieure en Suisse, et d'ordre juridique. En effet, vous le savez, l'article 156, alinéa 2, du règlement de notre Grand Conseil indique que le droit d'initiative des cantons s'exerce par voie de résolution. En voici la teneur: «Lorsque le Grand Conseil veut faire usage de ce droit - donc du droit d'initiative - il adopte une résolution.»

Puis, à l'alinéa 3, on peut lire: «La voie de la motion est réservée.» Autrement dit, notre règlement indique que, lorsqu'on veut une initiative cantonale, il faut faire une résolution, mais que le mécanisme de la motion est quand même réservé... Ce qui n'est pas d'une clarté absolue.

Par conséquent - et vous ne me contredirez pas, mon cher collègue - je crois que nous devrons décider en commission quel est l'instrument juridique le plus approprié pour appuyer vos préoccupations - qui sont aussi les nôtres - de manière que la sécurité des Suisses soit la mieux assurée. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous avons vécu il y a quelques années des traumatismes, nous ne voulons plus de cela et il y a lieu de faire quelque chose, raison pour laquelle cette proposition de motion mérite d'être saluée et renvoyée pour étude en commission judiciaire. Je vous remercie.

M. Olivier Jornot (L). Mesdames et Messieurs les députés, prononcez les mots «police fédérale», et vous êtes assurés dans notre pays d'avoir un débat animé !

En effet, les auteurs de cette proposition de motion ont raison de déplorer l'échec du projet USIS, qui aurait dû permettre à la Confédération de réfléchir de manière un peu plus sérieuse à la problématique de la sécurité intérieure.

Actuellement, il faut bien le dire, la Confédération a peu de visions en la matière, et il ne lui reste pratiquement que le rôle donné par la loi fédérale à l'armée de porter secours aux gouvernements cantonaux dans le cadre des engagements subsidiaires. Mais ce n'est pas rien, parce que cela a permis à notre pays, par exemple, d'accueillir dans de bonnes conditions des conférences internationales, et à des milliers d'hommes et de femmes d'être en service lors d'événements d'importance, comme le G8, les conférences annuelles du World Economic Forum, ou, comme ce sera le cas prochainement, l'Eurofoot.

Entre-temps, l'armée a subi une évolution dont les auteurs, à l'époque, déploraient qu'elle n'ait pas eu lieu, puisqu'ils s'attardaient dans leur exposé des motifs sur l'échec de l'étape de développement 8/11, qui a été acceptée dans l'intervalle grâce, d'ailleurs, à l'appui des socialistes aux Chambres fédérales. En effet, ceux-ci ont soutenu cette nouvelle étape de développement de l'armée, dans l'idée qu'elle allait permettre de faire davantage d'engagements de sécurité sectorielle, c'est-à-dire précisément d'engagements dans le domaine de la sûreté intérieure. C'est assez amusant !

Il y a un certain nombre de rôles, en revanche, qui ne doivent pas être assumés par l'armée qui, d'ailleurs, demande à en être déchargée, et vous savez que c'est maintenant le cas, puisque le Conseil fédéral a décidé de renoncer à la garde permanente, par l'armée, des ambassades dans le cadre du dispositif AMBA CENTRO.

On est donc maintenant - et, en cela, les auteurs de ce texte ont parfaitement raison - dans une situation de vide par rapport à toute une série d'engagements où il serait nécessaire de disposer de forces beaucoup plus nombreuses que celles de nos polices cantonales. D'ailleurs, il y a quelques années, le conseiller national libéral Jacques-Simon Eggli avait déposé aux Chambres fédérales une proposition visant justement à améliorer la coordination et à permettre l'engagement de réserves sous l'autorité de la Confédération. Malheureusement, le Conseil fédéral lui a répondu avec dédain.

Que faut-il faire ? Les libéraux estiment qu'il y a en tout cas une chose à ne pas faire, c'est adopter la solution principale qui est recommandée par les auteurs de cette proposition de motion, à savoir la création d'une gendarmerie fédérale, parce que c'est finalement cela qui est demandé.

Tout à l'heure, un des orateurs évoquait la célèbre police mobile, et vous vous souvenez aussi peut-être du vote sur la BUSIPO, la célèbre police fédérale de sécurité, lors duquel le peuple suisse avait dit catégoriquement non à la création d'un organisme de ce type. Et en effet, il faut le refuser, car ce doit rester l'apanage des cantons que de veiller à la sécurité, et il ne faut pas créer un corps qui n'aurait rien à faire entre les événements d'importance, qui ne sont quand même pas si fréquents que cela.

Toutefois, Mesdames et Messieurs les députés, hormis cette solution qui n'en est pas une, il y a lieu d'étudier de manière approfondie comment améliorer la coordination et l'engagement des forces de sécurité dans notre pays. C'est la raison pour laquelle les libéraux appuient le renvoi de cet objet en commission, de telle manière qu'il puisse être amendé et ensuite voté, comme le proposent les auteurs.

M. André Reymond (UDC). Chers collègues, l'UDC se réjouit de voir que beaucoup de partis politiques s'intéressent tout à coup à la sécurité, ce que l'UDC demande déjà depuis longtemps.

Malheureusement, cette proposition de motion radicale a quelque peu perdu de son actualité. On a dit que la collaboration entre la Suisse et la France a été lacunaire lors du G8, mais moi je me permettrai de dire que ce n'a pas été le cas ! C'est vrai qu'elle a peut-être été un peu compliquée, parce qu'en Suisse nous avons des polices cantonales - la police genevoise, vaudoise, valaisanne - et, en plus de cela, l'armée. Mais je crois que ce qui a surtout manqué à Genève, lors des événements liés à ce sommet, ce sont des directives précises de nos autorités envers la police. (Brouhaha.) C'est cela qui a suscité un peu de mépris ou des ricanements de la part des polices étrangères qui étaient venues chez nous.

J'aimerais dire aussi que l'UDC tient à sa police cantonale, comme aux polices cantonales en général. C'est vrai - il l'a été souligné tout à l'heure - qu'il est question de mentalités: il faut connaître les différences entre les cantons, et je crois que cela est nécessaire. Peut-être que Berne peut aider financièrement notre police cantonale, pour qu'elle puisse avoir son autonomie et remplir sa mission en termes de sécurité intérieure ou lors de manifestations internationales.

De plus, j'aimerais relever que, s'il était mentionné dans cette proposition de motion qu'il y avait une différence de points de vue ou bien que les socialistes et l'UDC ont refusé à Flims la réforme de l'armée, ce n'est plus le cas aujourd'hui, puisqu'il y a dix jours le Conseil national a accepté la proposition du conseiller fédéral Samuel Schmid concernant cette même réforme.

De quoi s'agit-il ? D'avoir des bataillons militaires d'infanterie spécialisés pour la protection des objets, comme les barrages, les centrales électriques, les dépôts de carburant ou certains bâtiments; de soutenir notre police genevoise qui a des tâches spécifiques à notre canton, puisqu'il accueille les Nations Unies, l'OMS, etc.

Je terminerai en disant que ce dont nous avons besoin, c'est d'un renforcement de nos gardes-frontière à Genève. Ce sont justement eux, par leur implication, qui garantissent notre sécurité. Ils doivent pouvoir compter sur des prestations salariales qui sont les mêmes que pour la police et les chemins de fer, par exemple.

C'est pourquoi je vous suggère de refuser cet objet qui n'est plus d'actualité.

Une voix. Bravo, André !

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Dans notre système fédéral, il est du devoir des cantons d'assurer la sécurité intérieure et, par conséquent, en premier lieu de la police cantonale. Il m'appartient, et à vous également, de faire en sorte que la police cantonale genevoise - qui fait du bon travail - dispose, en nombre de postes, en matériel, en moyens de communication et aussi en appui politique, des conditions nécessaires pour accomplir correctement sa tâche. Car c'est cette police qui, fondamentalement, assure la sécurité et qui est prête à s'engager davantage, dès lors qu'elle a plus de moyens.

En deuxième lieu, il y a la collaboration intercantonale, notamment par le biais du mécanisme IKAPOL. C'est souvent la solution qui permet de suppléer un effectif cantonal insuffisant. Mais il arrive malheureusement que même l'entraide intercantonale ne suffise pas; c'est rare, mais cela peut se produire.

A partir de là, il existe quatre solutions. Une police fédérale, dont le peuple n'a jamais voulu ces dernières années et dont on ne voit pas très bien ce qu'elle ferait hors des grands événements. Or, sachant qu'ils ne sont pas fréquents, on peut douter qu'il soit très rationnel qu'elle existe sous cette forme. On peut aussi avoir recours à des polices étrangères, dont on sait que cela peut poser des problèmes culturels ou de doctrine d'engagement, bien qu'elles soient des polices européennes dans le même esprit démocratique que la nôtre. Il peut encore y avoir - et c'est ce que nous avons connu jusqu'à maintenant, notamment dans le cadre du dispositif AMBA CENTRO - l'intervention de l'armée de milice, avec, malheureusement, d'assez graves faiblesses. Enfin, il y a la position actuelle du Conseil fédéral, qui propose que les interventions de l'armée soient faites par le biais de professionnels de la police militaire, la Militärische Sicherheit. Mais on est quand même dans le cas d'une militarisation qui, à mon sens, ne devrait pas intervenir.

Le problème étant posé, vous voyez quelle est ma préférence, sans pour autant dire qu'elle soit la plus simple à atteindre, puisque l'essentiel de ces discussions ont lieu à Berne. Alors, je reproche très respectueusement aux auteurs de cette proposition de motion de dire qu'il faut relancer la Confédération. Non ! Je suis à Berne une fois par mois pour discuter de cette question. Les Chambres fédérales ont déjà été saisies de cette question et le sont en permanence. Ce qui serait intéressant, en revanche, c'est que votre parlement se prononce en commission sur ces différentes options ! Parce qu'il n'y en a pas 25 000 autres et qu'il y a un moment où, malgré tout son engagement, la police genevoise, même aidée des autres polices cantonales, n'est pas suffisante.

Il faudrait donc se mettre d'accord en commission et, ensuite, voir de quelle manière nous porterons ce message à Berne. Probablement par nos élus aux Chambres fédérales. Parce que, pour ce qui est de la forme, Mesdames et Messieurs les auteurs de ce texte, les initiatives cantonales genevoises qui se font l'écho de petits cris sur des sujets de cette importance sont le meilleur moyen de faire échouer la chose !

Donc, je suggère que cet objet parte en commission, que nous débattions sereinement de ces problèmes de sécurité et que nous envisagions ensuite les meilleurs moyens de faire passer notre message à Berne.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1715 à la commission judiciaire et de la police est adopté par 50 oui contre 18 non et 3 abstentions.