République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1861
Proposition de motion de Mmes et MM. Anne Emery-Torracinta, Alain Etienne, Pablo Garcia, Elisabeth Chatelain, Thierry Charollais, Alain Charbonnier, Lydia Schneider Hausser : Votation du 8 février 2009 sur la libre circulation des personnes : le gouvernement doit s'engager !

Débat

Le président. Nous sommes au point 26. Il s'agit d'une motion dont le délai de traitement est dépassé. Deux possibilités s'offrent à vous, Mesdames et Messieurs les députés: premièrement, vous votez sur la motion, deuxièmement, vous la renvoyez en commission pour un délai ultime de six mois. Je donne la parole à M. Roger Deneys.

M. Roger Deneys (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette motion demandait au Conseil d'Etat de s'engager activement en faveur de la votation du 8 février 2009 sur la libre circulation des personnes. Evidemment, celle-ci a eu lieu, et le résultat est connu; la libre circulation et les bilatérales ont été étendues et acceptées. Maintenant, cette proposition de motion est-elle pour autant obsolète ? Elle ne l'est pas, à part bien sûr sa première invite qui demandait au Conseil d'Etat de s'engager activement dans la campagne du 8 février. Pour ce qui est du 8 février 2009, cela n'a plus de prise.

Toutefois, s'agissant des autres invites, favoriser la signature de conventions collectives de travail et leur extension en force obligatoire dans tous les secteurs, édicter des contrats types de travail dans les professions à risque de dumping non couvertes par une CCT et suivre les recommandations de la CEPP afin de pallier les insuffisances constatées en matière de surveillance du marché du travail sont des questions qui restent totalement d'actualité - j'ai envie de dire encore plus qu'à l'époque - parce qu'on voit bien que l'introduction des bilatérales n'a pas été accompagnée de mesures de contrôle suffisantes. Cela se produit au détriment de l'ensemble des personnes qui ont soutenu de bonne foi ces bilatérales, l'ouverture économique et le principe - on va dire - du partage des richesses et du travail sur un territoire qui offre des conditions de concurrence équivalentes. Aujourd'hui, on peut dire que les contrôles ne sont de loin pas suffisants, la preuve en est le résultat électoral des partis populistes qui jouent justement sur cette peur, mais qui devient quelque part légitime... (Exclamations.) Et c'est vrai que quand on voit que des... (Commentaires.) Quand on voit que des entreprises comme les SIG recourent, dans les marchés publics, à des sociétés qui elles-mêmes font appel à des sous-traitants qui paient leurs employés 10 F de l'heure, c'est un véritable problème, et pour cette simple raison...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur l'orateur ! (Brouhaha.) Monsieur Golay, si vous souhaitez la parole, vous appuyez sur le bouton !

M. Roger Deneys. Je termine en demandant le renvoi à la commission de l'économie, puisque le texte reste d'actualité.

Le président. Merci, Monsieur le député. Nous voterons sur cette demande à la fin du débat. La parole est à M. François Lefort.

M. François Lefort (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, à première vue l'objet de cette motion peut bien sûr sembler caduc, parce que le peuple a voté le 8 février 2009 pour étendre la libre circulation aux deux derniers pays entrés dans l'Union - la Bulgarie et la Roumanie - comme il avait accepté en 2005 l'extension de celle-ci aux dix Etats qui avaient intégré l'Europe à l'époque. L'extension de la libre circulation à la Bulgarie et à la Roumanie a été acceptée le 8 février 2009 par 60% des votants au niveau national.

La motion demandait non seulement un engagement du Conseil d'Etat en faveur de la libre circulation, mais que recherchait-elle spécifiquement ? Surtout l'assurance de l'application des mesures d'accompagnement, telles que prévues dans les accords bilatéraux. Quelles sont ces mesures d'accompagnement ? Il faut quand même les citer: c'est l'obligation des travailleurs détachés en Suisse d'être soumis aux conditions minimales impératives de travail et de rémunération en vigueur dans notre pays. Il s'agit aussi de l'extension facilitée des conventions collectives de travail que vient de citer mon préopinant M. Deneys. En cas de sous-enchère salariale prouvée et répétée, il est prévu l'extension facilitée des CCT aux entreprises suisses, mais également aux entreprises étrangères, et, dans les secteurs sans CCT, des contrats types de travail posant des salaires minimaux impératifs. Tout cela implique bien sûr un effort de surveillance du marché du travail par les inspecteurs paritaires dans le cadre des CCT, par les commissions tripartites et bien sûr par les organismes cantonaux de surveillance - l'OCIRT, à Genève.

En résumé, si la votation est désormais passée, les invites de cette motion restent d'actualité. Et il plairait certainement à cette assemblée d'entendre le Conseil d'Etat sur les mesures d'accompagnement et leur application. Pour cette raison, le groupe Vert soutiendra le renvoi de ce texte à la commission de l'économie. Je vous remercie.

M. Mauro Poggia (MCG). Chers collègues, je reprends au bond les leçons de coloriage que nous a données M. le député Lefort du groupe des Verts, qui nous a dit à quel point il était vert, à quel point les roses étaient roses, les PDC orange, etc. Je crois qu'au-delà des beaux discours, M. Lefort devrait se rendre compte que les mesures d'accompagnement sont évidemment nécessaires. Elles doivent être renforcées, mais elles sont insuffisantes; le MCG le dit et le répète depuis des années. Je remercie ici M. le député Deneys de nous rendre hommage quant à la vision d'avenir que le MCG a eue dans ce domaine; celui-ci a été rejoint dans une conférence de presse mémorable en mai de cette année par MM. Longchamp et Hiler, qui ont reconnu, enfin, sans bien sûr rendre hommage au MCG - c'est un mot qui brûle la bouche de ceux qui le prononcent, lorsqu'il ne vient pas de ce côté de l'hémicycle - qu'il fallait que l'Etat donne l'exemple et la priorité aux demandeurs d'emploi de ce canton, avant d'aller chercher ailleurs. Il a fallu un scandale - vous vous en souvenez - celui de l'engagement de 21 contrôleurs de parkings frontaliers, pour un travail qui manifestement pouvait être proposé à des demandeurs d'emploi chez nous.

Ces mesures d'accompagnement sont évidemment nécessaires, mais elles sont insuffisantes, puisque si l'on combat le dumping salarial, il y en a un autre beaucoup plus sournois qui s'installe de plus en plus, à savoir le dumping d'expérience. Vous le savez, nos jeunes qui proposent leurs services à la sortie d'une formation se voient répondre par les employeurs qu'ils recherchent plutôt des travailleurs avec expérience. Pourquoi se gêner bien évidemment, puisque l'on a un marché aussi grand que l'Union européenne - pour Genève, c'est celui de la France pour des questions linguistiques - où l'on peut trouver des universitaires, avec expérience, qui sont prêts à travailler aux plus bas salaires de nos conventions collectives ? Nos jeunes ne peuvent pas concurrencer ce genre de travailleurs et il faut évidemment aller plus loin que ces mesures d'accompagnement !

Nous soutiendrons donc bien sûr le renvoi de cette motion à la commission de l'économie, mais le groupe MCG soumettra à ce moment-là des amendements pour aller au-delà de ce qui est proposé.

Mme Christina Meissner (UDC). Que dire ? Il semble que tout vient d'être exprimé ! Vous savez à quel point l'UDC était non seulement frileuse mais aussi opposée à cette ouverture et à la libre circulation, parce que nous voyions bien qu'à côté de l'immense marché de l'Europe, nous ne pèserions pas grand-chose. Les mesures d'accompagnement qui nous avaient été promises ont largement fait défaut. On le constate aujourd'hui, chaque jour, dans chaque scandale qui arrive. Quand il se produit, et qu'il y a des contrôleurs pour le trouver, eh bien nous sommes prétérités, et ça ne peut plus durer. Nous avons maintenant besoin de prendre des mesures et cette motion nous permet finalement d'examiner la situation. C'est donc évidemment avec grand plaisir que le groupe UDC va soutenir son renvoi à la commission de l'économie.

Il est temps de préserver les travailleurs et les employés de ce pays, mais il faudra aussi veiller à une autre chose, c'est-à-dire à la formation, pour qu'on ne nous dise plus que nous ne sommes pas à la hauteur. C'est aussi très important, mais c'est un autre débat. Ce soir nous soutiendrons effectivement la demande au gouvernement de s'engager concrètement pour préserver nos places de travail, nos emplois, et pas simplement par une déclaration comme il l'a fait au printemps.

M. François Gillet (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, oui c'est vrai, le chômage des jeunes est un vrai scandale et nous devons - comme nous l'avons fait depuis longtemps - trouver le moyen de le réduire. En effet, un jeune qui commence par une période de chômage en sortant des études, c'est un vrai gâchis. Mais imaginer qu'il suffit d'aller dans le sens de la motion proposée pour résoudre cette épineuse question, c'est être un peu naïf, et je crois que celle-ci mérite un vrai débat, ainsi que de vraies réponses. Ce n'est pas en allant dans la direction de la motion proposée par le parti socialiste que nous solutionnerons cette question fondamentale, même si le PDC est complètement attaché à élucider la problématique.

Concernant le dumping salarial et les mesures d'accompagnement, il est vrai que le Conseil d'Etat avait donné des réponses en son temps sur ce qu'il comptait faire. Aujourd'hui, nous avons une réalité qui évolue et il est probablement utile que, dans le cadre d'un examen en commission, le Conseil d'Etat puisse à nouveau préciser ce qu'il entreprend au quotidien pour résoudre ce problème. Et si le renvoi en commission permet de rassurer, oui, nous l'appuierons. Nous sommes toutefois sceptiques sur le libellé actuel de la motion, et s'il devait se révéler en commission qu'un plus soit apporté dans ce sens, ce n'est en tout cas pas sous la forme actuelle que nous la soutiendrions.

M. François Longchamp, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à renvoyer cette motion en commission, tout en précisant que le Conseil d'Etat s'est engagé pour la votation du 8 février 2009 et qu'il sera de toute façon difficile de lui demander d'en faire plus, celle-ci ayant eu lieu il y a maintenant deux ans et demi.

J'aimerais aussi rappeler plusieurs faits à certaines personnes qui semblent les oublier. Ce deuxième vote sur les accords bilatéraux, intervenu dans une période économique difficile, marquée par un certain nombre d'incertitudes, qui concernaient des pays que l'on pouvait monter en épingle à des fins parfois insidieuses - je pense à la Roumanie par exemple - eh bien ce vote a été massivement confirmé par les Genevois. Ils ont en effet accepté la reconduction des accords bilatéraux à une majorité plus forte encore qu'ils ne l'avaient fait quelques années auparavant, lors des premiers accords bilatéraux.

Ce n'est pas parce que beaucoup de bruit se produit, Mesdames et Messieurs les députés, que la population oublie plusieurs des avantages que les accords bilatéraux ont amenés. En six ans, il y a eu à Genève 30 000 emplois supplémentaires nets de créés. (Remarque.) Il y en a eu 30 000 supplémentaires. Mesdames et Messieurs, il n'y a pas une région en Europe - pas une région en Europe ! - qui ait connu une telle progression dans le même temps. Et chacun s'accorde à penser que les accords bilatéraux y sont peut-être un peu pour quelque chose. Comme le Conseil d'Etat est convaincu que ce n'est pas en supprimant des emplois que l'on règle le problème du chômage, il pense que ces accords méritent le soutien que la population leur a accordé et leur a encore confirmé en février 2009.

Cela étant, il y a divers problèmes qu'il serait fort peu opportun de nier. Certains relèvent de la réalité du chômage qui reste beaucoup trop important à Genève, même s'il s'avère inférieur aujourd'hui à ce qu'il était avant les accords bilatéraux. De plus, c'est particulièrement problématique pour une partie de la population; je ne pense pas spécifiquement aux jeunes dont vous avez parlé tout à l'heure, mais plutôt prioritairement à des personnes qui sont en deuxième partie de vie professionnelle et qui, lorsqu'elles perdent leur emploi, lorsque leur entreprise ferme ou lorsqu'elles connaissent un problème - parfois personnel ou de santé - ont des difficultés importantes à retrouver un travail. Il y a ensuite une lutte à mener contre le dumping salarial pour étendre les conventions collectives, pour renforcer certains dispositifs connus.

Là aussi j'aimerais rappeler que les accords bilatéraux ont facilité l'extension des conventions collectives. Il y avait trois conventions collectives étendues en 1998, il y en a vingt-cinq aujourd'hui à Genève, qui couvrent 41% des salariés, sachant qu'une partie des salariés non couverts sont des fonctionnaires, qui ne sont donc de toute façon pas régis par des conventions collectives. Ainsi, un certain nombre de choses ont été réalisées; d'autres doivent encore être accomplies; des responsabilités doivent également être prises. Le rapport dont vous faites état dans les invites de la motion a mis le doigt sur plusieurs dysfonctionnements dont certains sont de la responsabilité de l'Etat - et je les assume - d'autres à la charge de commissions paritaires qui ne fonctionnent pas de manière optimale dans certains secteurs. Nous aurons l'occasion de dire, de rappeler et d'examiner tout cela en commission de l'économie, si toutefois vous avez la bienveillance de renvoyer cette proposition de motion devant elle.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons voter sur le renvoi de la proposition de motion 1861 à la commission de l'économie.

Mis aux voix, le renvoi pour six mois de la proposition de motion 1861 à la commission de l'économie est adopté par 68 oui contre 2 non et 2 abstentions.

Un rapport doit être rendu dans les six mois (article 194 LRGC).

Le président. Cette commission dispose donc de six mois pour nous rendre un rapport sur cette motion.