République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1315-A
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Charles Beer, Christian Brunier, Jacqueline Pla, Jean-François Courvoisier, Pierre-Alain Cristin, Régis De Battista, Alain Etienne, Laurence Fehlmann Rielle, Alexandra Gobet Winiger, Mireille Gossauer-Zurcher, Mariane Grobet-Wellner, Dominique Hausser, Véronique Pürro, Elisabeth Reusse-Decrey, Albert Rodrik, Christine Sayegh, Françoise Schenk-Gottret, Alberto Velasco, Myriam Lonfat, Nicole Castioni, Alain Charbonnier pour faire la lumière sur le phénomène des "working poors" à Genève et sur les mesures à prendre pour combattre les conditions de travail indécentes

Débat

Le président. Je rappelle que nous en sommes toujours au département de la solidarité et de l'emploi. La parole est à Mme la députée Anne Emery-Torracinta.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous le reconnaîtrez, il s'agit d'une motion un peu ancienne quand on regarde les personnes qui l'ont présentée, même si l'une d'entre elles a encore l'occasion de siéger dans cette salle aujourd'hui, mais à un autre poste. Néanmoins, le sujet qui a préoccupé les motionnaires est toujours d'actualité, c'est pourquoi le groupe socialiste voulait formuler quelques remarques par rapport aux réponses du Conseil d'Etat.

Tout d'abord, la problématique abordée ici est celle des travailleurs pauvres - des working poors, pour employer le terme anglais - et c'est une réalité malheureusement trop importante en Suisse. Au niveau des chiffres, c'est toujours difficile à estimer: le SECO parlait de 4,4%; Caritas va un peu plus loin en disant que si l'on compte tous les gens - toutes les familles - concernés par cette problématique, on n'est pas loin en Suisse de 900 000 personnes qui vivent dans des familles où des travailleurs pauvres sont en activité.

Alors que nous propose le Conseil d'Etat par rapport à cette triste réalité ? Tout d'abord - et c'est un projet que nous avions soutenu - il nous propose des prestations complémentaires familiales, c'est une loi qui va entrer tout prochainement en vigueur. Nous sommes tout à fait satisfaits, même si nous avons deux petits bémols par rapport à cela. Le premier, c'est qu'il ne faut pas oublier qu'il n'y a que 1700 familles environ qui seront concernées par ce projet de loi, et je ne sais pas si cela permettra de couvrir toute la réalité des working poors, parce qu'on peut être travailleur pauvre sans forcément être en famille. Et puis surtout, en tant que socialistes, nous devons quand même rappeler que les prestations complémentaires sont un moyen indirect pour l'Etat de financer les employeurs, puisque ceux-ci versent très souvent des salaires trop bas.

La deuxième remarque que je ferai, c'est que le Conseil d'Etat nous dit que l'une des manières de lutter contre la pauvreté au niveau des salaires, c'est de défendre les conventions collectives. Là aussi nous sommes d'accord, mais j'ajoute deux bémols: le premier est que moins de la moitié des travailleurs du secteur privé à Genève sont sous convention collective. De plus, celle-ci n'implique pas forcément d'avoir un salaire suffisant. Je vous rappelle qu'à Genève il existe une convention - celle pour les entreprises d'entretien des textiles - qui prévoit un salaire minimum de 3006 F bruts par mois pour un horaire d'environ 42,6 heures par semaine.

Ma troisième remarque portera sur les écarts de salaire. Vous avez peut-être lu ces derniers jours dans la presse des articles à propos des études qui sont sorties concernant la hausse du salaire médian en Suisse ou à Genève. Et c'est vrai que quand on regarde l'évolution des salaires en Suisse ces dernières années, on constate que le salaire médian a augmenté. Je rappelle que, pour le déterminer, on le fixe de telle manière que la moitié des gens gagne plus que celui-ci et que l'autre moitié gagne moins. L'évolution des chiffres entre 2000 et 2007 montre effectivement une hausse importante, puisque ça passe de 5714 F à 6801 F...

Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée.

Mme Anne Emery-Torracinta. Oui, je conclus très rapidement ! Mais quand on creuse un tout petit peu, on s'aperçoit que les salaires les plus bas ont stagné et que ce qui fait augmenter la courbe, la moyenne, ce sont les revenus les plus élevés. Et là aussi, en tant que socialistes, nous en arrivons à la conclusion que, indépendamment de ce que nous propose le Conseil d'Etat, la seule solution est le salaire minimum; il s'agit de défendre un Etat social fort avec des moyens financiers suffisants, donc également une fiscalité suffisante. (Exclamations. Applaudissements.)

M. Serge Hiltpold (L). Mesdames et Messieurs les députés, la problématique des travailleurs pauvres ne date effectivement pas d'aujourd'hui. Nous nous y sommes penchés aux affaires sociales et le Conseil d'Etat y a vraiment répondu de manière très pragmatique. Nous ne nions évidemment pas cette problématique. Ce que nous trouvons très intéressant dans l'analyse du rapport qui nous a été rendu, c'est que le projet de loi 10600 sur les working poors a mis en place cette structure, ce coup de pouce pour les travailleurs pauvres. Si l'on regarde bien les tenants et aboutissants de cela, on peut vraiment constater qu'il n'en résulte pas d'effet de seuil. En effet, celui-ci a été évité et les prestations complémentaires ont été mises en ajout.

De plus, j'aimerais encore dire qu'il ne faut pas ouvrir le débat du salaire minimum, car les conventions collectives régissent le partenariat social. Ainsi, ce n'est pas à l'Etat de s'y intéresser. Merci.

M. François Lefort (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, nous avons eu l'occasion d'aborder ce sujet hier au cours du débat où nous avons traité la résolution de soutien aux employés grévistes des Hôpitaux universitaires de Genève. Nous avions abordé cette question lors de la session du Grand Conseil des 10 et 11 février où nous avons accepté le projet de loi 10600, introduisant les prestations complémentaires familiales. Les débats sur l'initiative demandant un salaire minimum ont récemment encore permis de se pencher sur cette réalité, dont cette ancienne motion, renvoyée au Conseil d'Etat en 2000, n'est qu'un écho.

Certes, la loi 10600 sur les prestations complémentaires familiales a dû améliorer la situation des 1700 familles concernées, bénéficiaires potentielles de ces prestations. Peut-être est-il trop tôt, en décembre 2011, pour évaluer les effets de cette loi. Peut-être que le conseiller d'Etat M. François Longchamp détient quelques informations à ce sujet qu'il aimerait partager avec nous. Peut-être que la LASI, votée la semaine dernière, aura aussi un impact sur les travailleurs pauvres.

Il n'en demeure pas moins que la solution la plus rationnelle pour tenter de résoudre la situation ou plutôt pour tenter d'empêcher la création de travailleurs pauvres - de pauvreté - est et sera le salaire minimum. L'Allemagne le considère déjà. C'est le salaire minimum, refusé ici par la droite et un certain autre parti, refusé la semaine dernière - le 27 novembre - par un vote funeste, grâce encore à cet autre parti dont l'incohérence en matière sociale serait risible si elle n'était pas nuisible... Un certain parti qui fustigeait avant-hier les syndicalistes et qui se posait hier en parangon du syndicalisme... Un certain parti qui propose en commission des finances des coupes de 25 millions de francs sur l'hôpital... Un certain parti qui a voté contre le salaire minimum...

Alors, Mesdames et Messieurs les députés, il y a dans cette assemblée des députés roses, verts, orange, bleus, vert kaki, et puis une question se posait; eh bien il y en a des jaunes. Il y a des jaunes, oui ! La couleur la plus pernicieuse, que certains d'ailleurs arborent sur leur cravate, comme un pied de nez à leurs propres électeurs. Quant au rapport sur cette motion socialiste - ancienne, comme nous l'avons dit - eh bien le groupe des Verts, par égard aux développements récents, en prendra acte. Merci, Mesdames et Messieurs les députés. (Applaudissements.)

M. François Longchamp, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je crois que ce doit être un motif de légitime fierté pour tous les groupes représentés dans ce parlement, le canton de Genève aura été le premier canton romand - et le deuxième au niveau suisse, avec celui de Soleure - à introduire des prestations complémentaires familiales. La loi a été votée, et elle entrera en vigueur le 1er septembre de l'année prochaine, pour autant que vous votiez le budget. Nous avons déjà des collaborateurs en formation pour être ensuite en mesure d'instruire et de distribuer les prestations complémentaires familiales. Elles constitueront un outil pour cibler les familles les plus modestes, celles qui travaillent et ont besoin d'un appui particulier. C'était l'option défendue par le Conseil d'Etat.

Nous n'allons pas revenir sur le vote de ce week-end. Le Conseil d'Etat avait indiqué que le revenu minimum avait un défaut intrinsèque fort: on ne peut pas envisager que les salaires soient calculés en fonction de la taille de la famille. On ne peut pas imaginer que, pour des familles avec plusieurs enfants, les salaires soient différents par rapport à un salarié célibataire. Cela engendrerait des dysfonctionnements majeurs.

Le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté - celui qui fait aujourd'hui référence au niveau suisse - est l'introduction de prestations complémentaires familiales. A Genève, dans un consensus de ce parlement à peu près total, nous avons su les introduire là où dans le même temps le canton de Vaud s'est déchiré, avec un référendum qui a divisé la population, sur quelque chose qui fondamentalement n'avait pas de sens. Ce qui a du sens, c'est de trouver ensemble des solutions pragmatiques et pratiques pour lutter contre la pauvreté, c'est ce que le Conseil d'Etat vous a proposé. Nous vous suggérons donc de prendre acte de ce rapport.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. La parole n'étant plus demandée, il est pris acte de ce rapport.

Le Grand Conseil prend acte du rapport du Conseil d'Etat sur la motion 1315.