République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 10095-A
Rapport de la commission des affaires communales, régionales et internationales chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat relatif aux organismes de coopération transfrontalière (A 1 12)

Premier débat

M. Claude Aubert (L), rapporteur. Il suffit de regarder la carte... La vie quotidienne, les flux et les reflux, les échanges entre le Jura et le Salève ne laissent pas supposer de frontière, même si cette dernière est une réalité.

Il s'agit donc, sur des points précis, locaux, de réaliser des accords, par exemple, pour l'établissement de lignes de transport public. On parle alors d'organismes de coopération transfrontalière - OCT - ou de groupements locaux de coopération transfrontalière - GLCT. Ce projet de loi a pour but de définir la personnalité juridique en droit genevois de ces instruments de coopération locale actuellement possible, mais seulement en droit français.

Un problème a surgi en ce qui concerne les rapports de compétence entre l'exécutif et le législatif. Il a été résolu par une modification de la loi portant règlement du Grand Conseil qui stipule: «La commission - la commission des affaires communales, régionales et internationales - est consultée par le Conseil d'Etat préalablement à la création d'organismes de coopération transfrontalière.» Cette solution a été acceptée à l'unanimité par tous les partis présents dans cette commission et ce projet de loi a également été adopté à l'unanimité. Il aurait pu être présenté aux extraits, mais, apparemment, certains groupes ont eu des réticences ultérieures. Nous allons bien voir si des propositions sont faites au cours de la discussion. Quoi qu'il en soit, je le répète, la commission a voté ce projet à l'unanimité, après avoir étudié le problème de fond en comble.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme Blum Brunier, qui dispose de quatre minutes.

Mme Ariane Blum Brunier (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi revêt effectivement une importance primordiale pour Genève, dans le processus engagé de collaboration transfrontalière. Nous travaillons, nous habitons, nous achetons, nous organisons nos loisirs de part et d'autre de la frontière: c'est une réalité pour les Français et pour les Genevois. Nous devons collaborer à gérer ces échanges, à résoudre les problèmes et à optimiser nos potentiels ensemble. Des organismes transfrontaliers sont créés pour ce faire.

Actuellement, certaines collaborations, notamment celles concernant l'assainissement des eaux, du téléphérique du Salève, des transports publics transfrontaliers, sont régies par des groupements locaux de coopération transfrontalière dont le siège se trouve en France et soumis au droit français. Alors que ces collaborations sont de la plus haute importance pour notre canton, il paraît urgent de pouvoir créer des organismes de coopération dont le siège se trouve à Genève et soumis à notre législation cantonale.

La commission s'est déclarée très favorable à ce projet de loi. Toutefois, les commissaires, soucieux de garder leurs prérogatives parlementaires, se sont penchés également sur l'implication du Grand Conseil dans la création de tels organismes. M. Cramer a soumis à la commission un amendement allant dans le sens de nos préoccupations. Ainsi, la commission des affaires régionales sera consultée, comme le disait M. Aubert, préalablement à la création d'organismes de coopération transfrontalière. Le travail effectué en commission a été très sérieux. Nos préoccupations ont été entendues par le conseiller d'Etat qui a répondu positivement. M. Aubert a rédigé un très bon rapport, compréhensible par tous sur un sujet pourtant complexe, et je l'en félicite.

Les Verts sont satisfaits du texte tel que sorti de notre commission. Nous nous réjouissons, par conséquent, de donner un cadre légal à notre canton, lui permettant de poursuivre cette évolution inéluctable vers une collaboration renforcée avec nos voisins français.

M. Jean-Claude Ducrot (PDC). Ce projet de loi revêt une importance certaine et une avancée pour Genève, dans ses relations transfrontalières, dans la construction de sa zone transfrontalière. N'en déplaise aux anti-frontaliers, car, sans les frontaliers, Genève ne serait pas la place économique qu'elle est aujourd'hui ! C'est en quelque sorte un encouragement pour expliquer humblement à la population, au travers des prochaines votations sur les bilatérales, que la Suisse ne peut pas se construire en se renfermant sur elle-même. Genève ne peut pas continuer à se construire sans regarder autour d'elle: si elle se replie sur elle-même, elle ne vit plus...

Ce projet ne se contente pas de donner au canton de Genève un cadre juridique essentiel; il permet en tous les cas de pouvoir avancer qualitativement non seulement dans les relations transfrontalières, mais aussi dans le progrès que nous entendons favoriser pour ce secteur national et extranational.

Il est intéressant de relever, dans le rapport de M. Aubert, les explications données par M. Levrat, professeur à l'Institut européen de l'Université de Genève, qui disait ceci: «Cela fait trente ans que des modalités sont cherchées pour gérer ces situations de nécessaire coopération partout en Europe.» Avec ce projet de loi, les droits nationaux de chacun sont respectés que ce soient ceux de la France ou de la Suisse. Un cadre national est donné à cette coopération transfrontalière. Aussi, le destin de l'agglomération franco-valdo-genevois a franchi un pas supplémentaire au travers de ce projet de loi, que le groupe PDC vous encourage vivement à voter.

M. Olivier Jornot (L). C'est un sujet important, en effet, et les différents orateurs qui se sont exprimés ont souligné ce paradoxe: aujourd'hui le canton de Genève est demandeur, dans bien des domaines, de coopération transfrontalière et il est obligé d'implorer ses partenaires français de bien vouloir créer des organismes de coopération sur sol français et soumis au droit français, faute de disposer des instruments nécessaires chez nous. Nos voisins français disposent en effet d'un code des collectivités territoriales extrêmement détaillé, qui permet notamment de régir la coopération transfrontalière de la même manière que la coopération intercommunale.

J'aimerais vous dire, ce soir, Mesdames et Messieurs les députés - mis à part le fait qu'il est urgent de voter cette loi et qu'il est regrettable que nous ne l'ayons pas fait dès le moment où elle est apparue à notre ordre du jour - qu'il faut se garder, dans ce domaine, d'opter pour des solutions trop rigides. Il aurait été regrettable, par exemple, de penser impliquer systématiquement ce parlement dans toutes les créations d'organismes de coopération transfrontalière. Et il est heureux que la solution retenue, qui a été choisie par la commission, soit celle de la consultation et non une solution qui aurait retardé de plusieurs mois chaque création d'un organisme de coopération transfrontalière. Et de la souplesse également, parce qu'il est parfaitement possible de créer de tels organismes en marge de cette loi. Par exemple, parce que l'Accord de Karlsruhe prévoit des organismes de coopération transfrontalière sans personnalité juridique, qui n'ont pas besoin de tout l'arsenal d'organisation qui est prévu aussi, il faut le rappeler - s'en rappeler le moment venu, le cas échéant - pour pouvoir créer des structures souples de coopération transfrontalière.

Cela étant, Mesdames et Messieurs, je vous recommande chaudement de voter vite ce projet de loi.

M. Eric Stauffer (MCG). Ce projet de loi est en effet très important, car, comme l'a dit mon préopinant, Genève est demandeur de coopération transfrontalière: c'est une évidence.

En revanche, les motivations qui, peut-être, vont nous animer divergeront un peu sur la forme, mais pas sur le fond. En effet, lorsque Genève demande à ses voisins français de construire des parkings P+R sur leur territoire, afin de désengorger le trafic genevois, c'est un véritable parcours du combattant ! Un office de coopération transfrontalière pourra certainement faciliter la tâche du Conseil d'Etat et améliorer les relations.

Nous l'avons toujours dit, au MCG: nous sommes pour une région franco-valdo-genevoise, mais encore faut-il se mettre d'accord sur ce que cela signifie. Nous voulons cette région, si Genève en garde le leadership. Nous ne voulons pas que cela appauvrisse Genève et les Genevois au profit des économies de nos voisins: c'est aussi une volonté du Mouvement Citoyens Genevois.

Evidemment, nous avons soutenu la création de cet organisme de coopération transfrontalière, et nous la soutiendrons également en plénière, tout en regrettant certains propos de notre conseiller d'Etat, Robert Cramer, notamment dans sa présentation du projet où il évoque les cinq cent mille passages de véhicules de nos voisins, qu'ils soient Vaudois ou Français. Nous sommes désolés, Monsieur Cramer, mais, il y a deux ans de cela, vous aviez déclaré publiquement que, pour retrouver une certaine harmonie dans les petits villages qui entourent Genève, vous feriez fermer des postes-frontières situés sur des routes secondaires... Or, vous ne l'avez jamais fait ! Mais, c'est vrai, on sait la rapidité avec laquelle vous agissez... Peut-être mettrez-vous un jour en application ce que vous dit il y a deux ans sur votre mandat, aux Chambres fédérales !

Tout cela pour vous dire que nous allons évidemment soutenir le projet de loi 10095.

M. Gilbert Catelain (UDC). Pour changer de ton, je dirai que le groupe UDC va soutenir ce projet de loi sans aucune réserve... (Brouhaha.) ...et qu'il remercie le Conseil d'Etat et, en particulier, le chef du département du territoire... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...de nous avoir proposé de combler une importante lacune.

Ce projet de loi ouvre des perspectives nouvelles de coopération. En effet, comme cela a été dit en commission et par le rapporteur, aujourd'hui, dans le cadre juridique français, seuls trois groupements locaux de coopération transfrontalière existent. Et les besoins de Genève à ce niveau sont beaucoup plus importants.

D'une part, ce projet de loi ouvre des perspectives nouvelles, mais, d'autre part, il préserve les prérogatives de ce Grand Conseil lorsque le contenu du projet de coopération transfrontalière prévoit des dépenses supplémentaires. La commission a souhaité à juste titre que le Grand Conseil soit impliqué, dès le départ, dans le processus d'élaboration. Il est probable que cela ralentira l'élaboration des analyses de coopération transfrontalière; par contre, cela garantira une certaine transparence et donnera une crédibilité et une légitimité à ces organismes, ce qui est tout bénéfice pour Genève.

Il nous reste maintenant à imaginer les perspectives que ces organismes de coopération transfrontalière permettront d'ouvrir notamment, certainement, la possibilité de construire des P+R en France voisine, gérés par un organisme de coopération transfrontalière situé sur territoire genevois.

Pour tous ces motifs, nous soutenons sans réserve ce projet de loi et vous invitons à en faire de même.

M. Christian Brunier (S). On peut se réjouir ce soir... Je crois en effet que c'est la première fois, dans l'histoire de ce parlement, que tous les partis disent être favorables à une politique régionale, et c'est une très bonne chose. Cela a été le cas en commission, mais nous n'étions pas tout à fait sûrs que cela soit la même chose en plénière. Eh bien, nous avons la confirmation que cette volonté de coopération pour construire la région est générale. Et j'espère que cela continuera à être le cas dans tous les débats.

Un groupe s'est permis d'attaquer le conseiller d'Etat Robert Cramer sur ce point... Je pense que l'on peut avoir des avis divergents et attaquer Robert Cramer sur certains sujets, mais vraiment pas sur la région. En effet, Mesdames et Messieurs les députés, s'il y a un conseiller d'Etat qui a porté ce projet de manière très volontaire ces dernières années, c'est bien Robert Cramer ! Je peux vous assurer qu'au niveau régional, il y a dix ans, il n'y avait pas grand-chose: aucune réalisation et aucune volonté ! Eh bien, maintenant, grâce à Robert Cramer, mais aussi à d'autres conseillers d'Etat et à certains parlementaires, une vraie politique régionale est en train de se mettre en place. Parce que nous sommes en train de comprendre que le destin de Genève passe par un destin régional.

Toutefois, nous devons faire attention de ne pas nous montrer paternalistes - ou «maternalistes»... J'ai en effet entendu certains députés dire que nous, à Genève, nous étions très demandeurs de coopération régionale... Mais les Français aussi ! Allez discuter avec les Français, et vous verrez ! Du reste, c'est la même chose pour nos voisins vaudois. Tout le monde est demandeur ! Un député a expliqué que nous nous construisions des P+R, et que la France n'avait encore rien fait... Mais la France est en train d'y réfléchir, tout simplement parce qu'elle sait que, si elle n'en fait pas aujourd'hui, toutes les voitures qui se garent dans la banlieue genevoise se parqueront dans la banlieue ou dans le centre d'Annemasse quand il y aura le CEVA ! La France mène donc une véritable réflexion sur ce sujet.

Je le répète, nos voisins français et nos voisins vaudois sont en train de réfléchir sérieusement à la mise en place d'une véritable politique régionale, alors arrêtons de donner des leçons ! Une politique régionale ne réussit que lorsque les parties jouent gagnants-gagnants, en étant partenaires. Il n'y a pas de domination qui tienne. J'ai entendu de la bouche d'un député que Genève devait garder le leadership de la région... Certes, Genève est la grande ville, la grande cité de la région, mais nous devons collaborer ! Et collaborer, ce n'est pas dominer les autres partenaires: c'est se concerter et trouver des accords en commun pour progresser.

Donc, toutes mes félicitations au gouvernement, car la progression en matière de construction de la région a été magistrale au cours de ces dix dernières années !

En adoptant ce projet, nous donnons un outil de plus pour la construction de la région. Cet outil n'est pas encore parfait, mais il assouplit la politique régionale, ce qui donne des moyens supplémentaires de réussir. Alors bravo, continuons à voter unanimement tous les projets qui vont dans ce sens, en restant cohérents par rapport aux autres dossiers qui concernent la région !

M. Michel Ducret (R). Ce projet de loi est un outil indispensable pour construire l'agglomération genevoise de demain avec nos voisins, car il donne des structures à l'organisation de notre région.

Le groupe radical le juge dès lors indispensable, et, à ce titre, il vous invite à l'accepter.

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Tout d'abord, à vous toutes et à vous tous, un grand merci ! Un grand merci aux groupes qui se sont exprimés; un grand merci à la commission qui a effectué un travail important sur un projet dont plusieurs ont relevé à juste titre qu'il est très complexe. Je dois dire à cet égard que c'est la première fois, en onze ans, que je me suis rendu à des travaux de commission accompagné d'un professeur de droit... Généralement, je me sens de taille à pouvoir donner des explications juridiques moi-même, mais, en l'occurrence, la complexité du sujet est telle qu'il m'a paru préférable de me faire aider pour que la commission puisse recevoir toutes les explications utiles. Merci encore au rapporteur qui a su rendre cette matière si complexe aussi claire que possible.

Mais si la matière est très complexe, parce que le droit international public est un domaine atrocement compliqué, les enjeux, eux, sont au fond très simples. Quels sont-ils ? Il s'agit de savoir comment on peut créer des structures de collaboration entre le canton de Genève et les collectivités publiques voisines. Des conventions internationales l'autorisent. Vous le savez bien, puisque le canton de Genève a voulu, à travers son parlement, que nous ratifions l'Accord de Karlsruhe, et que nous demandions à la Confédération de faire le nécessaire pour que nous puissions engager ce processus de ratification.

Donc, il existe des accords internationaux qui permettent aux collectivités locales de collaborer ensemble. On pourrait se dire que l'histoire s'arrête là, mais tel n'est pas le cas, parce que l'Etat français est extrêmement bien organisé: sa législation permet aux collectivités locales, aux communes, aux communautés de communes, d'avoir un cadre juridique dans lequel elles peuvent s'inscrire lorsqu'elles désirent collaborer avec le canton de Genève. Cela n'existe pas en Suisse: malheureusement, le droit fédéral ne prévoit pas ce que prévoit le droit français, de sorte que, très naturellement, chaque fois qu'une collaboration internationale se met en place, c'est toujours le droit français qui est choisi, car il donne un cadre juridique pour les institutions de collaboration transfrontalière.

C'est ce que nous avons fait jusqu'ici à Genève. Nous l'avons fait pour le téléphérique du Salève, et cela ne pose aucun problème. Il est au fond assez logique que ce soit la législation française qui s'applique à notre collaboration sur le téléphérique du Salève. Nous l'avons fait pour une galerie de Choully, qui ramène des eaux usées du Pays de Gex sur Genève, cela ne pose pas de problème non plus, elle est financée par notre partenaire français. Nous l'avons fait en matière de transports publics transfrontaliers, mais c'est plus délicat, évidemment. Nous pouvons cependant nous réjouir que nos partenaires français s'emparent de la problématique des transports publics, qui se fera sous l'angle de la législation française.

Il faut savoir que ce qui se passe à Genève se passe aussi à Bâle... Quand on vous parle de l'eurodistrict et que l'on s'en gargarise, sachez que c'est une pure création de droit français auquel les autorités bâloises et les autorités du district allemand qui correspond ont dû adhérer. Il en va de même finalement partout autour de la Suisse.

A Genève, nous sommes des novateurs, car cette loi nous permettra dorénavant d'avoir des organismes de coopération transfrontalière de droit suisse, puisqu'elle donnera le cadre juridique pour ce faire.

Enfin - et heureusement que ce débat a lieu maintenant: il arrive véritablement au bon moment - vous savez que nous sommes en train d'avancer assez vite sur le projet d'agglomération franco-valdo-genevois. La Confédération suisse nous demande maintenant d'avoir une structure qui puisse recevoir les subventions de la Confédération et qui soit utilisée dans le cadre de ce projet. Pour ma part, il me paraît extrêmement souhaitable que cette structure, qui sera l'interlocuteur des autorités fédérales, soit située à Genève. Ce projet de loi nous permettra de le faire. Mais de tout cela, conformément à la modification qui est préconisée par ce projet de loi, nous aurons l'occasion de rediscuter, notamment au sein de la commission parlementaire des affaires régionales.

Je vous remercie encore une fois du bon accueil que vous réservez à cette proposition, qui est réellement importante pour Genève, et dont on verra toute la pertinence ces prochaines années.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets maintenant la prise en considération du projet de loi 10095.

Mis aux voix, le projet de loi 10095 est adopté en premier débat par 55 oui et 1 abstention.

La loi 10095 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.

Mise aux voix, la loi 10095 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 54 oui et 1 abstention.

Loi 10095