République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1824
Proposition de motion de Mmes et MM. Alain Charbonnier, Alain Etienne, Anne Emery-Torracinta, Laurence Fehlmann Rielle, Lydia Schneider Hausser, Roger Deneys, Françoise Schenk-Gottret, Alberto Velasco, Virginie Keller, Pablo Garcia, Christian Brunier, Véronique Pürro, Mariane Grobet-Wellner : Halte au bradage du patrimoine de l'Etat de Genève

Débat

Le président. Je rappelle que nous sommes en catégorie II: trois minutes par groupe, plus trois minutes pour le motionnaire. La parole est demandée par M. Charbonnier.

M. Alain Charbonnier (S). Mesdames et Messieurs les députés, nous allons traiter de cette motion: «Halte au bradage du patrimoine de l'Etat de Genève». Pourquoi ce titre ? En date du 23 avril 2008, dans un journal spécialisé en économie dans notre canton, le président du DCTI, M. Mark Muller, déclarait: «L'Etat ne ferait donc pas une mauvaise affaire en vendant son patrimoine» ou encore: «Cela va sans doute créer un débat, mais il me semble qu'on ne retirerait rien aux Genevois en soustrayant ces bâtiments - donc ceux de la Vieille-Ville - à l'administration.» A l'administration, et donc aussi au public, à la population genevoise, puisque, si ces bâtiments sont vendus - on imagine à des prix forcément relativement élevé, ce serait éventuellement dans le domaine financier, voire à des avocats - la population n'aurait alors plus accès à ces bâtiments.

D'autre part, M. David Hiler, conseiller d'Etat en charge du département des finances, a évoqué sur le plateau d'une télévision locale que le Conseil d'Etat envisage de vendre les terrains de la Praille-Acacias-Vernets à des promoteurs privés dans le but de rembourser une partie de la dette. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)

Je vous rappelle que, jusqu'à maintenant, ces terrains étaient en droit de superficie, un outil relativement moderne. Oui, moderne, parce que, même si cela fait des années que ces terrains sont en droit de superficie, beaucoup s'accordent à dire que le droit de superficie reste un outil moderne à disposition d'une collectivité pour gérer son patrimoine. Je fais allusion, dans l'exposé des motifs, à des conseils qu'avait donnés l'école de Chicago, courant plus proche des bancs d'en face que des nôtres. Durant la perestroïka, cette école de Chicago avait conseillé à M. Gorbatchev de ne pas vendre les terrains de l'Etat, car, l'école de Chicago le dit elle-même, le sol privé est en fait une entrave à la libre entreprise, puisqu'il parasite le fruit de la production.

Mais le Conseil d'Etat, ici à Genève, décide de vendre les terrains de la Praille pour rembourser la dette. Evidemment, électoralement, c'est quand même une bonne opération, il faut le reconnaître. En revanche, pour le patrimoine de l'Etat, ce n'en est pas une. C'est une très mauvaise nouvelle.

Quant aux bâtiments de la Vieille-Ville, dernièrement, M. Cramer et ses collègues du département ont très fièrement reçu notre sous-commission des finances dans le bureau qui n'était autre que celui de M. James Fazy, à la rue Henry-Fazy, juste à côté. M. Cramer nous a dit toute l'importance historique de ces lieux. Cela prouve donc à M. Muller qu'il est important que ces bâtiments restent en mains publiques, et nous sommes très à cheval là-dessus.

De plus, le Conseil d'Etat a actuellement comme politique de vendre énormément d'autres parcelles, il y a beaucoup d'aliénations qui sont faites actuellement. Je vous rappellerai encore...

Le président. Il vous faudra terminer. Vous pourrez reprendre la parole par la suite.

M. Alain Charbonnier. ...le cas de «Rive Belle», au bord du lac, vendu il n'y a pas très longtemps. Alors qu'un rapport du Conseil d'Etat, le dernier pris en compte par notre Grand Conseil, date de 1999 et que les différents points de ce rapport ne sont plus du tout pris en compte par le Conseil d'Etat. Donc, nous estimons que le Conseil d'Etat doit à présent remettre un rapport...

Le président. Il vous faut terminer, s'il vous plaît !

M. Alain Charbonnier. J'ai fini, j'ai fini ! ...un rapport sur les résultats d'un groupe de travail qui devrait rendre compte de la qualité du patrimoine de l'Etat. Nous voulons ainsi que le Conseil d'Etat arrête de brader le sol de l'Etat en attendant de nous remettre un rapport et que le Grand Conseil puisse se prononcer sur cette politique.

M. Gilbert Catelain (UDC). Je peux partager les soucis des auteurs de cette motion concernant la réserve de terrains, puisque c'est effectivement un levier pour l'économie. Mais, à 400 F le mètre carré de terrain agricole, dégager des ressources va devenir difficile pour notre Etat endetté à raison de 13 milliards. D'un autre côté, je comprends aussi les auteurs de cette motion, car, à force d'observer les conséquences de la gestion mitterrandienne chez nos voisins français, il y a lieu de se faire quelques soucis. Nos voisins - vous les observez souvent - ont quasiment tout vendu ces vingt dernières années. Là, en effet, on peut dire qu'ils ont bradé le patrimoine de l'Etat: l'Etat français a quasiment tout vendu, y compris son réseau d'autoroutes. A l'origine, les ventes de patrimoine étaient destinées à rembourser la dette. Mais dans les faits, elles n'ont servi qu'à alimenter le déficit budgétaire de l'Etat français, qui se monte à 25% par année.

A Genève, nous avons heureusement échappé à vingt ans de gestion socialiste et la situation est beaucoup plus saine. (Brouhaha. Rires.) Il n'en demeure pas moins que la dette plafonne, bon an ou mal an, à 12 ou 13 milliards de francs. Et les engagements de l'Etat pour les seules caisses de pension atteignent le même montant. L'avenir nous dira quel sera l'impact de la crise financière sur cet engagement de l'Etat pour les seules caisses de pension du personnel de l'Etat de Genève.

Vendre au cas par cas le patrimoine d'un Etat, pour autant que les recettes soient affectées au seul remboursement de la dette, est un principe de bonne gestion - et nous le soutenons. Par ailleurs, j'observe que l'Etat s'est récemment porté acquéreur d'un immeuble situé au 88, route de Chancy. Nous avons même - le Conseil d'Etat lui-même ! - demandé l'urgence et nous avons accepté de débloquer 40 millions de francs pour acquérir ce bâtiment. Donc, insinuer que le Conseil d'Etat brade le patrimoine de l'Etat de Genève est mensonger, excessif et totalement déplacé.

L'UDC n'est de loin pas opposée à ce que l'Etat se sépare de biens immobiliers inadaptés à son action ou coûteux en termes de rénovation ou de maintenance. Si la Confédération devait suivre...

Le président. Il reste dix secondes.

M. Gilbert Catelain. ...les arguments des motionnaires, les travaux du TCMC seraient définitivement stoppés à la hauteur du Globe de l'Innovation, puisque, pour faire passer le TCMC à la hauteur de la frontière...

Le président. Il vous faut terminer, Monsieur le député.

M. Gilbert Catelain. ...il convient que la Confédération vende ces terrains et les logements situés sur ces derniers. Pour ces motifs, le groupe UDC vous recommande de refuser cette motion.

M. Frédéric Hohl (R). Mesdames et Messieurs les députés, quel manque de confiance envers le gouvernement que de venir proposer une motion pareille ! Vous voulez mettre une muselière au gouvernement. Demander au Conseil d'Etat de renoncer à toute communication avant d'avoir reçu l'autorisation, mais c'est tout simplement inacceptable ! Nous ne pouvons pas soutenir cette motion et, bien évidemment, nous la refuserons.

Mme Michèle Künzler (Ve). Qui pourrait s'opposer à une motion intitulée: «Halte au bradage du patrimoine de l'Etat» ? Personne ! Mais, en fait, il faut examiner d'un peu plus près les invites de cette motion. M. Hohl vient de le dire: la première invite demande au Conseil d'Etat de ne plus parler jusqu'à ce qu'on l'autorise à dire ce que nous pensons qu'il doit dire. Je pense que c'est un peu excessif. Laissons ces chers Messieurs dire ce qu'ils veulent: ils en assumeront simplement les conséquences ! C'est simplement la liberté d'expression.

La deuxième invite: ne pas brader le patrimoine. Oui, il nous semble essentiel de ne pas le brader. Par contre, cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas l'améliorer, acheter de nouveaux objets, peut-être se débarrasser de certains objets qui ne sont plus utiles aux services de l'Etat. Or, pendant ces vingt dernières années - on a pu le voir hier dans le projet d'agglomération - que ce soit du côté français ou du côté suisse, on n'a malheureusement pas poursuivi la politique d'acquisition foncière qui avait au coeur des politiques publiques dans les années 60. Ce qui empêche de développer des projets plus avant. Actuellement, les cités où l'on peut vraiment développer des nouveaux projets, comme Lausanne, le font en terrains publics: une partie va être vendue, une autre mise en droit de superficie... Je crois que nous avons perdu, pendant vingt ans, l'habitude d'avoir une politique foncière réellement active.

Je rappelle à nos amis socialistes que l'article 80A de la constitution stipule que chaque objet vendu doit passer devant ce Grand Conseil. C'est une bonne chose. Ainsi, il y a une vraie décision et nous pouvons peser le pour et le contre d'une vente. A la Praille-Acacias, je pense que l'immense majorité du terrain qui est en mains publiques doit le rester et être mis en droit de superficie. En revanche, certaines parcelles pourraient être vendues, parce que, pour les grands buildings, peut-être que les gens préféreront être en propriété plutôt qu'en droit de superficie.

Mais, en attendant, nous refuserons cette motion parce que les cautèles existent. Nous avons déjà notre constitution qui protège de toute vente, de tout bradage abusif.

Le président. Merci, Madame la députée. Nous avons le plaisir de saluer à la tribune notre ancien collègue, actuellement conseiller national, M. Hodgers. (Applaudissements.) La parole est à M. Cavaleri.

M. Mario Cavaleri (PDC). Il est vrai que le titre de cette motion est assez accrocheur. Qui s'opposerait à la motion concernant le bradage de patrimoine ? Personne ne veut que le patrimoine de l'Etat soit bradé ! Par contre, dans les considérants, je dois dire que l'on fait un procès d'intention au gouvernement, et pourtant celui-ci est de centre gauche ! Alors, on a un peu de peine à suivre cette motion issue des milieux socialistes.

Cela étant, on voit que l'on veut empêcher le Conseil d'Etat de communiquer sur des intentions ou des projets. Je trouve cela un peu paradoxal dans une démocratie: tout le monde a le droit de s'exprimer, le Conseil d'Etat comme le Grand Conseil. Par conséquent, la première invite est totalement inacceptable.

La deuxième invite pourrait-être tout à fait acceptable si elle n'était pas précédée par des considérants excessifs. Excessifs ! Il y a un contrôle démocratique; notre collègue, Mme Künzler, vient de le rappeler: toute aliénation d'un bien qui appartient à la collectivité est soumise à une décision du Grand Conseil sur proposition du Conseil d'Etat. Donc, le contrôle démocratique existe et il n'y a pas besoin d'un autre: il fonctionne, on l'a déjà vu.

Cela étant, le groupe démocrate-chrétien est aussi intéressé lorsqu'il y a des opportunités de vente de biens. Le groupe démocrate-chrétien est attaché au remboursement de la dette. Pourquoi ? Parce que, si on dégage des moyens, cela nous donnera effectivement un potentiel pour poursuivre les aides financières et les prestations sociales auxquelles nous sommes attachés. Ici, il faut donc avoir une attitude pragmatique, alors que ce qui nous est proposé est vraiment dogmatique. Par conséquent, nous en appelons à la bonne foi et au bon sens qui guident les activités du Conseil d'Etat lorsqu'il décide de proposer des aliénations de biens appartenant à la collectivité publique: nous savons d'emblée qu'il s'agit de biens qui n'ont aucun intérêt pour la collectivité publique. Et c'est bien la raison pour laquelle on peut s'en séparer, ce qui permet de concentrer les efforts et les moyens sur des actions essentielles. Pour cette raison, le groupe démocrate-chrétien refusera cette motion.

M. David Amsler (L). Je crois que l'entier du groupe libéral a été extrêmement surpris par la teneur de cette motion. Qu'un groupe de députés veuille interdire le Conseil d'Etat de prendre la parole dans les médias est assez surprenant; ce serait aussi surprenant que si le Conseil d'Etat faisait un projet de loi pour interdire aux députés de prendre la parole dans les médias. Il est important de souligner les souhaits de saine gestion, de diminution de la dette, que ce soit de la part de M. Muller ou de M. Hiler. J'encourage le Conseil d'Etat à continuer dans cette voie.

Il ne faut pas confondre la mise en valeur du patrimoine de l'Etat avec le bradage du patrimoine. Je crois que le groupe socialiste fait un amalgame. Il faut engager le Conseil d'Etat à continuer de bien mettre en valeur du patrimoine sans, effectivement, le brader.

Tout à l'heure, nous avons eu une petite discussion sur les logements d'utilité publique. Je voudrais seulement rappeler ici que ce socle de logements d'utilité publique est en train de se constituer. Tous les groupes confondus ont soutenu ce transfert et cette constitution de logements d'utilité publique, ce qui est un signe clair pour un Etat fort dans le cadre de la gestion foncière.

De plus, M. Catelain a parlé du bâtiment de la route de Chancy. Vous le voyez, quand il y a une bonne opportunité, nous soutenons l'achat par l'Etat de certains bâtiments. Maintenant, pour la suite de la mise en valeur du patrimoine de l'Etat, on peut effectivement demander au Conseil d'Etat de jouer un peu sur tous les fronts: de travailler avec des ventes éventuelles, de travailler également avec des droits de superficie, et probablement de garder aussi des terrains qui seront mis en valeur pour des infrastructures d'utilité publique.

Je crois, Mesdames et Messieurs les députés, que nous devons faire confiance à notre Conseil d'Etat pour continuer dans cette politique qui va, à notre avis en tout cas, dans le bon sens. Pour toutes ces raisons, le groupe libéral vous invite lui aussi à refuser cette proposition de motion.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Deneys, à qui il reste deux minutes dix.

M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe socialiste a bien entendu les remarques qui viennent d'être faites. Mais j'aimerais tout de même vous rappeler qu'il s'agit ici de périmètres importants sur lesquels nous souhaitons que le Conseil d'Etat s'exprime avec modération tant que nous n'avons pas pris de décision plus formelle. Certes, le Conseil d'Etat a des projets ambitieux. Encore faudrait-il qu'il ait les moyens de les mettre en oeuvre, ce qui n'est en tout cas pas acquis au départ du processus.

De plus, il est selon nous relativement malhonnête d'annoncer que de grandes tours seront construites, alors même que l'on n'a aucune certitude que cela puisse se réaliser. Des bureaux d'études et des ingénieurs travaillent, des professionnels pensent investir... Cela donne une pression au départ qui n'est pas très saine. C'est là, Mesdames et Messieurs les députés, que je suis assez surpris de la position des Verts, parce qu'ils me semblaient attachés à la notion de démocratie participative, à la notion de démocratie de proximité. En l'occurrence, avec des projets mammouths, avec des promoteurs aux moyens financiers importants, on peut certainement - et cela arrive souvent dans notre république - orienter les choix de la population, parce que l'on fait évidemment miroiter des enjeux financiers et économiques importants. Alors, rien que pour cette raison, nous estimons que le Conseil d'Etat devrait faire preuve de modération au sujet de projets comme ceux-ci.

Pour le reste, Mesdames et Messieurs les députés, les socialistes sont attachés à ne pas brader les bijoux de famille ! Vendre, c'est simplement se débarrasser des biens et faire une opération unique pour combler ponctuellement une dette. Mais cela ne rapporte rien à plus long terme. En l'occurrence, l'attitude du maire d'Ambilly, qui souhaite revenir sur la promesse de vente pour obtenir un droit de superficie, est extrêmement raisonnable. Le but, pour la collectivité publique, est de garantir des ressources financières à long terme...

Le président. Il vous faut terminer, Monsieur le député, s'il vous plaît.

M. Roger Deneys. ...et de permettre des choix dans l'intérêt de tout le monde.

Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)

M. Mark Muller, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat s'est tout d'abord demandé s'il pouvait s'exprimer dans le cadre de ce débat... (Brouhaha.) Nous avons conclu que nous pouvions le faire pour deux raisons. Tout d'abord parce que la motion n'a pas encore été adoptée; et en second lieu parce que cela nous permet de vous rappeler quelle est la politique du Conseil d'Etat en la matière.

Le Conseil d'Etat s'est effectivement exprimé à plusieurs reprises sur le désendettement de l'Etat, sa politique foncière et le lien qu'il pouvait y avoir entre les deux, en rappelant que l'aliénation d'un certain nombre de biens immobiliers pouvait concourir au désendettement de l'Etat. Cela ne se fait évidemment pas de façon désordonnée, cela ne se fait pas à la légère; et cela se fait, surtout, sous le contrôle du Grand Conseil.

J'aimerais brièvement rappeler un élément. Bien sûr, nous ne devons pas brader le patrimoine de l'Etat. Mais nous devons également nous donner les moyens d'augmenter le patrimoine de l'Etat dans d'autres cas. Que ce soit pour des équipements publics, que ce soit pour la construction de logements d'utilité publique ou d'infrastructures, nous avons besoin de moyens financiers. Et ces moyens peuvent être mis à la disposition de l'Etat par le biais d'aliénation d'autres actifs. Donc, nous reviendrons devant vous avec des propositions, une fois que celles-ci auront été étudiées. Cela se fera très certainement dans le courant de l'année prochaine.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous avons une demande de renvoi à la commission des finances, nous... (Commentaires.) Pardon: à la CACRI ! Nous allons voter...

Une voix. C'est l'aménagement!

Le président. Excusez-moi! Nous nous prononçons sur le renvoi de cet objet à la commission d'aménagement.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1824 à la commission d'aménagement du canton est rejeté par 54 non contre 13 oui.

Mise aux voix, la proposition de motion 1824 est rejetée par 54 non contre 14 oui.