République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9865-A
Rapport de la commission de l'enseignement, de l'éducation et de la culture chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat sur l'intégration des mineurs handicapés ou à besoins spéciaux (C 1 12)

Premier débat

M. Claude Aubert (L), rapporteur. Ce projet de loi est très complexe, et le présent rapport essaie de clarifier les différents enjeux et niveaux. Ce rapport a aussi pour objet de faire vivre aux lecteurs et aux lectrices ce qu'est le travail en commission: ils peuvent voir comment, quasiment au jour le jour, les débats se développent.

Actuellement, nous voyons deux grandes catégories de problèmes à l'horizon. La première catégorie a trait à la mise en place concrète de ce projet de loi et des conséquences de l'accord intercantonal. Il s'agit donc de l'application de tout ce que l'on pourrait appeler la pédagogie spécialisée, ou anciennement l'enseignement spécialisé.

La deuxième catégorie de problèmes concerne la lecture que l'on fait de l'élément principal de l'accord intercantonal - dont il n'est pas question ici, mais qui est en filigrane de ce rapport - qui a trait au fait qu'il n'y a plus maintenant, dans le vocabulaire, de mention de handicap ou d'invalidité, mais la mention d'élèves.

Nous voyons une difficulté au sujet de la lecture que l'on peut faire de cette philosophie. Nous avons, d'une part, une lecture qui serait dogmatique, c'est-à-dire que l'on ne parle plus que d'élèves et de pédagogie spécialisée; à ce moment-là, on ne parle plus de possibilité de soins par rapport au handicap, à l'invalidité ou à la maladie. On peut avoir, d'autre part, une lecture pragmatique, celle que la commission a retenue, qui permet de prendre tout ce qu'il y a de bon dans les différents domaines. Par conséquent, la commission, à l'unanimité, vous demande de faire bonne accueil à ce projet de loi.

Mme Janine Hagmann (L). Mesdames et Messieurs les députés, je ne voudrais pas que l'on s'y trompe. Ce projet de loi est traité aux extraits uniquement dans le but de faciliter sa mise en application à la suite d'une demande de la commission unanime. Mais ce n'est pas du tout le signe d'un quelconque désintérêt. Car, au contraire, ce sujet a été traité avec une très grande conscience, conscience que l'on peut lire et retrouver dans l'excellent rapport de M. Aubert. Je tiens à le remercier de nous présenter un objet qui n'est pas seulement un rapport, mais qui, je pense, restera un objet de référence.

Comme il vient de vous l'expliquer - rapidement, puisque nous sommes aux extraits - il y a une modification de la politique de l'intégration, de la philosophie même de l'intégration. Or, grâce à ce rapport, auquel les gens concernés pourront en tout temps se référer, nous avons ici un outil de travail magnifique.

Cela veut-il dire que ce projet de loi est parfait ? Je pense que ce n'est pas possible: faire encore mieux serait difficile, parce que, comme nous le savons, les contraintes qui viennent du passé, des structures existantes, sont nombreuses, de même que les lois fédérales, les accords intercantonaux, fédéraux et romands, et il y a beaucoup de difficulté à se projeter dans l'avenir.

Donc, il faudra bien qu'il y ait un règlement d'application. Et là, je sollicite le département de l'instruction publique: je sais qu'il va vraiment s'y pencher avec intérêt et perspicacité. En effet, avec un règlement qui exploitera les vides laissés par la loi, le concept cantonal de pédagogie spécialisée - aussi à la suite de l'audit que vous avez demandé - prendra une place très importante dans la politique de l'instruction à Genève; je vous en remercie par avance, Monsieur Beer.

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Cette loi est effectivement l'aboutissement d'un long travail de commission, et nous le saluons. Elle a dû répondre aux demandes d'une meilleure intégration des handicapés et, parallèlement, correspondre aux futures prestations que devra fournir et assurer le canton en matière de handicap pour pallier le retrait de l'AI suite au vote populaire sur la RPT en 2004.

Vu que le changement est conséquent dans le paysage scolaire, il me paraît important que les parents et les jeunes handicapés ou à besoins spéciaux soient rassurés et assurés qu'ils ne seront pas moins bien suivis ou pris en traitement tardivement, notamment pour des thérapies spécifiques telles que la logopédie ou la psychomotricité. Et je pense que ce n'est pas parce que l'on met de nouvelles structures en place qu'il faut faire table rase du passé.

Comme l'a dit M. Aubert, même si les enfants seront considérés, après la période transitoire, comme des élèves avant tout, il n'en demeure pas moins qu'il y aura toujours des enfants qui présenteront des pathologies sévères ou de graves difficultés du langage ou motrices, par exemple, et qu'ils nécessiteront des traitements spécifiques donnés par des professionnels. L'école ne pourra pas tout prendre en compte et tout résoudre. Et puisque, pour certaines difficultés d'apprentissage, il est important d'agir précocement s'il l'on veut de bons résultats, j'espère vraiment que la souplesse et la rapidité de rigueur pour que la thérapie soit efficace continueront à être garanties.

Il est vrai que le souci de la maîtrise des coûts a aussi été un moteur de tous ces votes fédéraux et accords intercantonaux, car, il faut le savoir, la pédagogie spécialisée a un coût important: ce sont des dizaines de millions. C'est cher à court terme, mais elle peut empêcher des coûts encore plus exorbitants: ceux que provoqueraient des jeunes adultes en difficulté ou mal adaptés, qui auraient passé entre les mailles du filet. C'est donc avec confiance en les capacités de l'Etat de prendre en compte tous ces facteurs que nous voterons ce projet de loi.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Mesdames et Messieurs les députés, vous connaissez certainement cette excellente publicité d'un journal de la place, annonçant: «Un jour, le temps vous donnera raison.» Eh bien, c'est un peu dans cet état d'esprit que je suis aujourd'hui, parce que cela fait maintenant vingt ans que, avec des parents, des proches et des associations de personnes handicapées, je milite en faveur de l'intégration scolaire. Cela a été un long combat qui, parfois, a touché aussi ce Grand Conseil. Mme Hagmann, qui est là depuis pas mal d'année, s'en souviendra certainement. En effet, en 1994 déjà, des parents avaient lancé une pétition ayant obtenu plus de cinq mille signatures, pétition qui avait abouti à une motion voté à l'unanimité du plénum. Mais, malheureusement, la motion n'avait débouché sur rien de concret.

Il a donc fallu attendre le printemps 2003 et notamment l'arrivée de Charles Beer à la tête du département pour que les choses se décantent. Il a aussi fallu attendre qu'un petit groupe de personnes, à la fois des députés de ce parlement - par exemple, Christian Brunier et Alain Charbonnier - des parents, des professionnels, de même que des enseignants de l'université, planchent sur un premier texte. Ce dernier a été cosigné par plusieurs partis de ce Grand Conseil et a donné lieu à toute une série de débats - M. Aubert l'a rappelé dans son rapport - en 2003 déjà et au cours des années suivantes. Et il a encore fallu attendre cinq ans - cinq ans plus la RPT, les changements qui sont intervenus, etc. - pour que ce projet de loi vous soit présenté aujourd'hui.

Je ne veux pas entrer dans les détails, mais j'aimerais insister sur trois points qui me paraissent essentiels. Le premier est un véritablement retournement de perspective: on part maintenant du principe que les solutions intégratives doivent être préférées aux solutions séparatives. C'est d'ailleurs ainsi que la loi le prévoit textuellement.

Le deuxième point est extrêmement symbolique pour les proches. Dorénavant, lorsqu'un enfant a quatre ans, même s'il est très clairement identifié comme handicapé, on l'inscrira à l'école du quartier ou du village. Jusqu'à présent, un petit trisomique, par exemple, devait nécessairement passer par l'enseignement spécialisé qui, éventuellement, au bout du compte, décidait si oui ou non cet enfant était intégré. Donc, partir du principe que c'est d'abord un élève - M. Aubert l'a rappelé - que l'on inscrit dans l'école de sa communauté, de son quartier, est, je crois, un renversement de perspective important.

Le troisième point essentiel de cette loi est qu'elle réaffirme le partenariat indispensable entre les parents et les professionnels. On le sait, l'expérience le montre, il n'y a pas d'intégration scolaire réussie s'il n'y a pas partenariat entre parents et professionnels.

Quelques esprits chagrins diront peut-être que cette loi n'est pas parfaite: certes ! Ce n'est pas un catalogue de prestations, et Mme Leuenberger a eu raison de dire qu'il faudra être extrêmement attentifs, en particulier aux questions qui touchent la logopédie. Ce n'est donc pas un catalogue de prestations, mais plutôt l'énoncé d'un certain nombre de principes. Voilà pourquoi il faudra être très attentifs à la manière dont nous allons mettre en place un règlement d'application. Je fais confiance au département pour savoir s'entourer aussi de tous les partenaires requis pour que ce règlement corresponde à l'esprit de la loi.

Au terme de cette intervention, je souhaiterais formuler quelques remerciements. Tout d'abord au rapporteur, M. Aubert, qui a réussi à nous rendre lisibles les arcanes des contraintes de la politique fédérale; je crois que c'était un défi qu'il fallait savoir relever. A M. Charles Beer, qui s'est investi depuis plusieurs années en faveur de l'intégration scolaire. Et à vous toutes et tous, Mesdames et Messieurs les députés, qui, au long de ces années, avez parfois hésité, tergiversé - vous vous êtes questionnés par rapport à l'intégration - et qui, aujourd'hui, acceptez de faire le pas, d'aller vers une société plus juste, plus tolérante et plus respectueuse des différences. (Applaudissements.)

M. François Gillet (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, au nom du groupe démocrate-chrétien, j'aimerais également exprimer ma satisfaction de voir ce projet de loi adopté aujourd'hui. Il s'agit d'une avancée importante dans le domaine de l'intégration des jeunes à besoins spéciaux, des jeunes handicapés, dans nos écoles et dans nos institutions. Cela fait, comme l'a dit Mme Emery-Torracinta, de nombreuses années que des groupements et des associations essaient de faire reconnaître de façon plus claires le besoin d'intégration pour ces enfants. C'est effectivement un progrès très important également pour les familles confrontées à ce genre de situation.

De plus, je relève l'excellent esprit qui a régné au sein de la commission de l'enseignement.

Je relève enfin, comme cela a été dit, l'excellent rapport de notre collègue, M. Aubert. J'aimerais souligner que ce projet de loi permettra à Genève de rester à la pointe dans ce domaine, tout en s'intégrant à l'harmonisation en cours au niveau suisse et au niveau romand.

J'aimerais toutefois noter que ce projet de loi doit être évolutif. Il faut se souvenir qu'un concept cantonal doit encore être élaboré, que plusieurs points doivent être clarifiés. Je ne doute pas que le département, comme il l'a fait pour élaborer ce projet de loi, fera au mieux pour que les familles et les enfants qui sont dans ces situations puissent trouver la meilleure intégration possible dans notre canton.

Le président. Merci, Monsieur le député. Et maintenant, pour conclure, la parole est à M. Charles Beer, conseiller d'Etat.

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, avant tout, permettez-moi de m'associer aux remerciements qui ont été exprimés. Tout d'abord, je relève le travail du rapporteur, M. Aubert, parce qu'à partir d'un exercice qui a été long, difficile, discontinu, complexe, il a rendu le rapport lisible, accessible, mettant les enjeux en évidence. Ce rapport a aussi été lu à l'extérieur et les différents partenaires que j'ai eu l'occasion de rencontrer sur la longue route de la concertation qui mène à l'intégration m'ont régulièrement fait part de toute l'admiration pour le travail mené en commission et pour la mise en évidence que votre rapport a permise. Donc, merci infiniment, Monsieur le député Aubert, de votre rapport ! Il est d'autant plus important qu'il marque un tournant décisif dans notre politique en matière d'intégration, et ce document fera référence: tant mieux qu'il soit lisible et accessible.

J'aimerais également remercier les présidents et présidentes de la commission, ce travail ayant été mené à cheval sur plusieurs présidences. Donc, je vous remercie, Monsieur le président sortant - enfin presque sortant, je dois dire - Monsieur Gillet, de votre travail qui a été difficile en commission, puisque, reprenant après des pauses importantes, il s'agissait de saisir tous les liens qu'il pouvait y avoir avec la démarche intercantonale, avec des procédures d'audit et de redéfinition du concept, avec le catalogue des différentes prestations en matière d'intégration. Le travail a été particulièrement bien mené, soyez-en donc remercié, comme vos prédécesseurs, notamment Mme Pürro.

De plus, je tiens à dire que le travail en commission a été facilité par la très grande attention de l'ensemble des députés. Je relève la très forte implication des différents groupes, des différents partis, et de l'ensemble des commissaires autour de ce travail. Tout le monde l'a considéré non seulement comme un enjeu important, mais aussi comme un enjeu prioritaire, et je crois que c'est un élément très significatif qui ressort de ce travail aujourd'hui.

Enfin, j'aimerais aussi souligner ceci: le traitement de ce rapport dans les extraits pourrait laisser penser qu'il s'agit non pas d'une démarche prioritaire, mais d'une parmi d'autres, qui nous fait avancer au rythme de l'unanimité que nous permet de temps en temps nos travaux. Or, avec ce travail, il faut bien considérer qu'il s'agit d'une priorité et que j'ai demandé que l'on puisse compter sur son aboutissement le plus rapidement possible, même s'il n'y avait pas d'urgence au sens où on l'entend devant notre parlement. Je crois que le fait d'avoir cette unanimité nous permet de le traiter rapidement, et c'est tant mieux.

Sur le fond, Mesdames et Messieurs les députés, quelques remarques. La première, pour souligner le lien et le travail très importants au niveau intercantonal. Vous l'avez dit, Mme la députée Emery-Torracinta, il faut relever le fait que, au niveau intercantonal, la RPT demande aux cantons, après une période de transition qui nous mènera à 2011, non seulement d'avoir un concept intercantonal, mais aussi que ce dernier repose sur un cadre légal. Nous sommes également en marche sur ce point, puisque nous demanderons prochainement l'urgence sur les trois accords qui touchent l'harmonisation: HarmoS, la Convention scolaire romande et l'Accord intercantonal sur la collaboration dans le domaine de la pédagogie spécialisée, qui est directement présente comme cadre de ce travail. C'était l'un des éléments particulièrement difficile: anticiper un accord intercantonal et, en même temps, faire en sorte que le cadre légal genevois s'adapte déjà. Il a été d'autant plus difficile à réaliser que cela intervient à un moment où les signalements de l'enseignement ordinaire vers l'enseignement spécialisé ont véritablement explosé. Ils ont demandé non seulement l'ouverture de nouvelles institutions, mais aussi de pouvoir analyser ce type de demandes, d'où le rapport d'audit qui a été demandé, de même qu'un certain nombre de travaux visant à redéfinir le fonctionnement même de l'enseignement spécialisé.

Mesdames et Messieurs les députés, vous avez raison, pour celles et ceux qui ont pris la parole, il convient de ne pas se tromper. Nous ne sommes pas arrivés au port. Nous ne sommes pas encore dans une société inclusive. Nous sommes encore dans une société qui effectue des démarches en vue de l'intégration, et la route doit être encore poursuivie avec opiniâtreté, détermination, pour y arriver.

J'aimerais à ce propos souligner l'importance qu'il y a, au cours des prochains mois, non seulement à voter le projet d'accord intercantonal, mais aussi à faire en sorte que le règlement d'application voie le jour - et rassurez-vous, je m'engage à consulter tous les milieux qui sont impliqués dans cette démarche en vue de son élaboration. Je souhaite également que ce règlement, avec l'ensemble des documents, nous permette d'avoir ce véritable concept qui sera le document-cadre pour définir, dans la réalité, dans le concret, ce qu'est une société inclusive.

Mesdames et Messieurs les députés, je terminerai en disant que, d'ici quelques jours - du 24 au 28 novembre prochain - à Genève, la Conférence internationale de l'éducation, qui rassemble une fois tous les quatre ans, c'est unique au monde, l'ensemble des ministres de l'éducation du monde - en tout cas quatre-vingt sont annoncés à ce rendez-vous - se penchera sur ce que l'on appelle l'éducation inclusive.

L'éducation inclusive, Mesdames et Messieurs les députés, nous amènera à traiter directement de cette matière et veut très précisément, en reprenant les termes de l'UNESCO, et en même temps les termes utilisés en anglais, faire une place à l'inclusion comme politique déterminante, à savoir comme politique qui définit les enfants comme faisant d'abord partie du système et de l'établissement public avant que ne soit fixées les mesures d'appui spécifiques dont ils ont besoin. C'est donc une longue route que de renverser le paradigme et d'aller dans le sens d'une conception de société où chaque enfant, quelle que soit sa situation, appartient d'abord au cadre ordinaire public avant que ne soient proposé des solutions d'appui en vue du meilleur parcours pour l'accès à la meilleure formation possible.

Mesdames et Messieurs les députés, nous avons donc encore du travail devant nous. Voter une loi est une chose, cela représente une étape, je l'ai dit. Et en même temps, faisons attention au défaut français: il ne s'agit pas uniquement de voter une loi pour changer une réalité. Toutes les mentalités et la culture doivent évoluer au rythme de nos travaux, et là c'est encore une autre paire de manches. Il faudra également un certain nombre de moyens provenant de l'extérieur pour réussir et concrétiser notre démarche.

Mis aux voix, le projet de loi 9865 est adopté en premier débat par 57 oui (unanimité des votants).

La loi 9865 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.

Mise aux voix, la loi 9865 (nouvel intitulé) est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 57 oui (unanimité des votants).

Loi 9865

Le président. Avant de passer au point suivant de l'ordre du jour, j'aimerais souhaiter un excellent anniversaire à notre collègue, Pierre Losio, à qui je souhaite encore de longues années parmi nous ! (Applaudissements.)