République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9986
Projet de loi constitutionnelle de M. Georges Letellier modifiant la Constitution de la République et canton de Genève (A 2 00) (Eligibilité des députés)

Premier débat

M. Georges Letellier (Ind.). J'espère que tous mes collègues parlementaires auront eu le temps de cogiter sur ce projet de loi que je juge capital pour nos institutions. (Brouhaha.) Je sais qu'il ne fait pas l'unanimité, parce qu'il touche directement ou indirectement la plupart des partis de gauche comme de droite. J'en suis navré, mais il faut quelquefois dire la vérité. Ce n'est pas mauvais de la dire de temps en temps... (Brouhaha.)

La présidente. Un peu de silence, Mesdames et Messieurs les députés !

M. Georges Letellier. Je sais qu'il ne fait pas l'unanimité - je recommence - parce qu'il touche directement ou indirectement la plupart des partis ici présents. J'en suis navré, mais j'avais envie de dire la vérité, car tout le monde le pense mais personne n'ose parler. Cette fois, j'ai pris la parole et j'ai pondu ce projet de loi.

J'en appelle donc à votre âme et conscience pour que chacun puisse décider de l'avenir de l'éthique parlementaire et de nos institutions. Parce qu'on en est là ! Tout dépend donc de vous.

Nous sommes tous d'accord sur l'essentiel, à savoir que, par respect de l'électorat et de l'éthique, un élu doit être au-dessus de tout soupçon et doit incarner les valeurs qu'il prétend défendre.

En clair, un parlementaire doit donner l'exemple. Mais, pour donner l'exemple, il doit être lui-même exemplaire. Pour l'éthique, et pour éviter que notre parlement ne devienne un Club Med pour les marginaux alimentaires qui donnent bien souvent le mauvais exemple... (Brouhaha.) ...je vous propose donc de modifier l'article 72 de la loi A 200 comme suit: «Eligibilité (nouvelle teneur). Sont éligibles tous les citoyens laïques jouissant de leurs droits électoraux, n'ayant pas fait l'objet de poursuites pour dettes d'impôt, ne détenant pas d'actes de défaut de biens et dont la moralité est attestée par un certificat de bonne vie et moeurs.»

En clair, pour préserver l'éthique, la qualité et la sérénité des débats parlementaires, pour le bien des institutions, un élu doit être crédible non seulement pour le parlement, mais aussi pour son électorat. Il ne peut par conséquent être à la fois juge et partie. J'espère qu'en votre âme et conscience vous réserverez un bon accueil à ce projet de loi. (Applaudissements.)

La présidente. Je remercie Monsieur le député pour cette présentation. Ont demandé la parole: M. Leyvraz, Mme Borgeaud, MM. Bavarel et Weiss, Mme Ducret, MM. Gillet et Brunier.

M. Eric Leyvraz (UDC). Ce projet de loi doit certainement surprendre les citoyens qui nous écoutent. Quoi, des députés du Grand Conseil élus par le peuple et ayant le privilège de légiférer, de participer aux hautes décisions de l'Etat - notamment pour les finances où l'on parle en centaines de millions de francs - peuvent donner des conseils pour diriger un Etat, alors qu'eux-mêmes ne sont pas capables de donner un exemple de gestion simple dans leur vie privée, en étant poursuivis pour dettes à l'égard de ce même Etat ?! On nage en pleine contradiction.

Il est à souligner que plusieurs partis - mais visiblement pas tous - demandent à chaque candidat, avant de l'accepter, un certificat de non-poursuite et un extrait du casier judiciaire qui doit être vierge. Cette motion devrait demander cela plutôt qu'un certificat de bonne vie et moeurs qui est une spécificité genevoise.

Nous proposons dans ce sens un amendement à l'article 72 du projet de loi. Je vous en rappelle la formulation: «Sont éligibles tous les citoyens laïques jouissant de leurs droits électoraux, n'étant pas l'objet d'actes de défaut de biens, en particulier pour des créances fiscales, et n'ayant pas fait l'objet de condamnation pénale pour des crimes ou des délits infamants.»

Il serait vraiment extraordinaire que la situation actuelle perdure. Le Grand Conseil doit pouvoir compter sur des représentants des citoyens, capables de donner le bon exemple et non pas de faire la une des rubriques judiciaires.

Plusieurs activités exigent un casier judiciaire vierge. Savez-vous que pour un acte aussi simple que de vendre ses produits de la terre sur un marché - comme je le faisais sur le marché de Carouge - on vous demande un extrait du casier judiciaire ? Si on le demande pour un simple paysan qui vend ses légumes et son vin, on peut aussi l'exiger pour des députés, c'est une simple question de logique. Les députés, comme les paysans et leurs produits, doivent montrer traçabilité, transparence, conformité à des règles de base et qualités officielles.

Le groupe UDC soutient ce projet de loi et vous demande son renvoi à la commission des droits politiques.

Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Je soutiens ce projet de loi et son renvoi en commission des droits politiques, je soutiens aussi l'amendement présenté par l'UDC. (Brouhaha.)

Que les choses soient claires: nous ne sommes pas là pour attaquer qui que ce soit. Quand on veut prétendre à un mandat de député - nous avons le pouvoir de faire des lois, de les abroger ou de les modifier - il serait de bon ton de donner le bon exemple aux citoyens et citoyennes de ce canton... (Brouhaha.) S'il vous plaît !

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, il y a vraiment trop de bruit, je vous prie de bien vouloir cesser vos conversations personnelles et d'écouter l'oratrice. (Remarques.)

Mme Sandra Borgeaud. Merci, Madame la présidente. Il est clair qu'une personne, ou un parti, ou qui que ce soit d'autre, se permettant de faire la morale et d'expliquer à l'Etat comment il doit fonctionner, devrait, au moins par politesse, régler ses affaires personnelles et ne pas les étaler en permanence dans les journaux.

Une voix. Bravo !

Mme Sandra Borgeaud. Utiliser les gens pour satisfaire son ego n'est pas une bonne solution et n'est pas un exemple à montrer. Je vous rappelle que nous sommes les cent premiers citoyens de ce canton, nous devons respecter les gens si nous voulons qu'ils nous respectent...

La présidente. Madame la députée, je vous rappelle qu'un député a demandé le renvoi en commission, vous devez donc vous exprimer à ce propos. C'est donc trois minutes par groupe et uniquement sur le renvoi en commission.

Mme Sandra Borgeaud. J'ai aussi demandé le renvoi. Pour conclure, je demande à la commission des droits politiques d'être vigilante sur ce projet de loi et de trouver les meilleures solutions, de façon que nous ne soyons plus confrontés à ce genre de problèmes et que nous puissions enfin attendre des députés qu'ils soient corrects et respectueux envers les citoyens.

La présidente. Sur le renvoi en commission, je passe la parole à M. Bavarel - il dispose de trois minutes.

M. Christian Bavarel (Ve). Pour vous donner ma position sur le renvoi en commission, je vais vous expliquer un peu le cadre général. Vous savez tous que j'ai fait de la prison et que j'ai aussi fait faillite. Je suis objecteur de conscience - crime abominable - mais c'est une position défendue par les Verts. Ce qui compte pour nous, c'est la transparence. Lorsque je me suis présenté la première fois au Grand Conseil, ces faits étaient connus et inscrits sur le dépliant des Verts. J'assume parfaitement ma position d'objecteur de conscience et d'avoir été en prison. De plus, avoir fait faillite une fois dans ma vie, ce que vous savez aussi, me donne une certaine sensibilité par rapport au monde entrepreneurial et à ses risques.

Alors, je suis quelque peu surpris que, dans ce pays - où l'on n'a déjà pas suffisamment le sens de l'entreprise - on ne permette pas à quelqu'un, qui a eu une fois un accident avec une entreprise, de s'en relever, de pouvoir être ici devant vous et de continuer à créer.

Ainsi, pour ces raisons-là, pour autant que cela soit transparent et pour autant que les faits soient connus et annoncés, je ne vois pas d'objection. C'est pourquoi les Verts vous proposent de ne pas renvoyer ce projet en commission, mais de le refuser purement et simplement ! (Applaudissements.)

M. Pierre Weiss (L). Lorsque des excès existent, comme ils existent au sein de ce parlement, il est logique que des propositions, peut-être excessives, soient aussi présentées.

Un député parmi nous - et c'est de notoriété publique - donne des conseils de bonne gestion et des conseils de moralité alors qu'il est lui-même perclus de dettes. Il est actuellement candidat dans une commune, c'est un plagiaire... (Exclamations.)

La présidente. Monsieur le député... (Brouhaha.)

M. Pierre Weiss. C'est un plagiaire ! Ce monsieur est un plagiaire et se présente en parangon de vertu. Néanmoins...

La présidente. Monsieur le député, pas d'attaque personnelle, je vous en prie !

M. Pierre Weiss. Non, bien entendu. Mais, Madame la présidente, il faut situer les choses dans leur contexte. A un certain moment, il faut cesser de pratiquer la langue de bois ! En même temps, on ne fait pas de bonnes lois sur un cas personnel: les lois doivent être faites de façon générale et elles le doivent pour être appliquées.

La proposition du groupe UDC... Pardon, la proposition de M. Letellier, assortie d'un amendement UDC, mérite d'être étudiée. Et cela non seulement en comparaison avec d'autres corps élus, par exemple les juges, ou d'autres professions, par exemple les avocats, mais elle mérite aussi d'être étudiée avec d'autres élus parlementaires dans d'autres cantons, afin de voir quelles sont les solutions proposées en Suisse.

Nous ne pouvons pas, dans ce parlement, créer une «Lex Staufferia». Ce n'est pas possible ! (Remarques. Brouhaha.) Ce ne serait pas digne de ce parlement ! Néanmoins, pour ces raisons, il convient de renvoyer ce projet de loi à la commission des droits politiques afin d'examiner une possible solution, une solution qui soit mesurée et qui évite les déviations personnelles, mais une solution qui donne aux élus de notre Grand Conseil la dignité dont ils ont besoin afin que, lorsqu'ils se prononcent sur la gestion de l'Etat, toute crédibilité soit apportée à leurs propos. Je vous remercie, Madame la présidente. (Applaudissements.)

La présidente. Merci, Monsieur le député. Je vous rappelle que l'article 90 interdit toute atteinte à une personne. Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais un peu plus de dignité dans les débats, sans attaques personnelles... (La présidente est interpellée.) Monsieur Stauffer, vous avez demandé la parole: je vous la donnerai quand cela sera votre tour. Veuillez vous asseoir, s'il vous plaît !

Mme Michèle Ducret (R). Le groupe radical acceptera le renvoi en commission et il est très à l'aise pour parler de ce genre de problèmes, puisque tous les députés élus dans ce parlement et tous les candidats des listes - et cela fait de nombreuses années que cela se passe comme cela dans le parti radical - doivent donner un acte de défaut de... (Remarques.) Un acte d'absence de poursuites et un acte... (L'oratrice est interpellée.) Qu'est-ce que j'ai dit... (Brouhaha.)

La présidente. Laissez l'oratrice s'exprimer ! Veuillez poursuivre, Madame la députée.

Mme Michèle Ducret. ...et tous les documents demandés dans ce projet. Nous accueillons donc avec faveur et intérêt ce projet de loi, tout en saluant la déclaration de M. Bavarel, que j'ai trouvée courageuse et en même temps bien réaliste. Je suis enchantée, Monsieur Bavarel, de vous avoir entendu parler aussi bien.

M. François Gillet (PDC). Personne n'est dupe du fait que le projet de M. Letellier vise l'un d'entre nous en particulier. Il est vrai qu'un certain nombre de règles doivent être fixées par rapport à la possibilité de siéger dans un parlement tel que le nôtre. De nombreux partis fixent ces règles à l'interne, c'est le cas du parti démocrate-chrétien qui exige également des garanties de non-poursuites.

Cela dit, la question se pose de savoir si ces règles doivent être généralisées dans le cadre d'une loi. Notre groupe pense qu'il peut être pertinent d'en discuter en commission des droits politiques, notamment pour éclaircir la question des poursuites pour dettes d'impôts. Pour cette raison, nous accepterons le renvoi du projet de loi en commission des droits politiques.

M. Christian Brunier (S). On est d'accord sur un point, les députés devraient être le plus exemplaire possible. Néanmoins, la première exemplarité est de défendre les fondements de notre démocratie, et un de ces fondements - en tout cas un de ceux que le PS défend - c'est l'indissociabilité du droit de vote et du droit d'éligibilité. Et si quelqu'un a le droit de vote, il nous paraît normal qu'il ait le droit d'être élu.

Une deuxième chose est vraiment à la base de notre démocratie: ce n'est pas à ce parlement de décider si tel ou tel député a le droit de siéger ou pas, seule la justice attribue des droits civiques ou les retire, et ce n'est pas à la tête du client que l'on accorde les droits civiques.

Une troisième chose, importante, c'est le droit à l'erreur. Vous êtes en train d'attaquer des gens qui ont des dettes... Cela peut arriver à tout le monde. Et vous excluriez une grande partie de la population en vous attaquant aux gens qui ont des dettes et en leur interdisant le droit de siéger au parlement. Alors, attention à ne pas cibler un député pour instaurer une mesure qui se révélerait discriminatoire pour une grande partie de la population.

M. Letellier a déposé un projet de loi pour attaquer M. Stauffer, il faut le dire. (Exclamations.) Il faut le dire !

M. Georges Letellier. Non ! (Brouhaha.)

Une voix. Mais oui! (Remarques.)

M. Christian Brunier. Toute loi... (Brouhaha.) Toute loi... (M. Christian Brunier est interpellé.) Monsieur Letellier, laissez-moi parler !

La présidente. S'il vous plaît, Monsieur Letellier, nous écoutons l'orateur !

M. Christian Brunier. Un des principes, aussi, est d'écouter ses adversaires politiques ! Je pense que cela ne serait pas mal au niveau de l'exemplarité.

Toute loi élaborée pour lutter contre une personne est assurément une mauvaise loi. Je rappelle aussi, Monsieur Letellier, que vous êtes allé chercher vous-même M. Stauffer pour emmener votre liste lorsque vous avez créé votre parti. Et tout le monde savait que M. Stauffer avait des dettes, puisque la presse l'a publié tout de suite ! (Exclamations.) Et aujourd'hui, vous discriminez... (Brouhaha.) Je pense que cela n'est pas sérieux... (Brouhaha.)

La présidente. Monsieur le député...

M. Christian Brunier. Je n'ai pas fini...

La présidente. Sur le renvoi en commission, Monsieur le député !

M. Christian Brunier. Tout à fait ! Le groupe radical nous dit être exemplaire et demander si les candidats au parlement ont des dettes ou pas: je suis étonné, car je vous rappelle que M. Segond avait avoué publiquement avoir beaucoup de dettes. Cela veut dire que si vous appliquiez les critères que vous prétendez, M. Segond n'aurait jamais été conseiller d'Etat. Et il me semble qu'il n'a pas été le plus mauvais conseiller d'Etat radical en poste ! (Brouhaha.)

Nous sommes totalement contre l'étude de ce projet de loi en commission: il est démagogique et ce parlement a du travail plus sérieux à faire ! Nous sommes pour le refus de ce projet de loi. (Brouhaha.)

Quant à l'amendement de l'UDC qui veut interdire de siéger à toute personne qui aurait eu à subir une condamnation, je rappelle que le droit du pardon est aussi une base de la démocratie. Les gens qui paient leur dette après avoir commis une erreur doivent pouvoir recouvrer tous leurs droits et aussi celui de siéger dans ce parlement. (Applaudissements.)

La présidente. La parole est à M. Stauffer. Monsieur le député, vous avez trois minutes, uniquement sur le renvoi en commission.

M. Eric Stauffer (MCG). Madame la présidente, j'ai été mis en cause, soyez gentille de ne pas décompter ces trois minutes. C'était pour répondre à M. Weiss, qui m'a mis en cause personnellement, que je souhaitais intervenir juste après lui.

Premièrement, puisque certains députés ont atteint aujourd'hui le niveau du caniveau, eh bien, nous allons dire les choses telles qu'elles sont ! Le montant des «casseroles» - que l'on me reproche systématiquement dans la presse - était, dans «Le Matin» d'il y a un mois et demi, de 340... Puis, dans «La Tribune», de 259... En attendant encore un peu, je vais finir par être créancier. Bon, allumons la lumière ! Le montant de mes dettes n'est même pas le prix du véhicule de M. Weiss. (Rires.) Il s'agit de quelques dizaines de milliers de francs. Voilà pour la première chose. (Brouhaha.)

Deuxième chose: Monsieur Weiss, pour quelqu'un qui veut donner des leçons de morale, vous feriez mieux, comme dit l'adage, de balayer devant votre porte ! Car je vous rappelle que le parti libéral a abrité dans une commune rurale un magistrat condamné pour pédophilie...

La présidente. Monsieur Stauffer, je vous ai dit que vous disposiez de trois minutes de parole, mais sur le renvoi en commission !

M. Eric Stauffer. J'y arrive, Madame la présidente.

La présidente. Vous avez peut-être été mis en cause, mais vous vous êtes largement exprimé à ce propos. Maintenant, je vous prie de vous exprimer uniquement sur le renvoi en commission, sinon je coupe votre micro.

M. Eric Stauffer. Vous pouvez le couper, la population saura que l'on m'empêche de parler ! (Exclamations.) Une grande partie de ce parlement est simplement jalouse des scores du MCG. Je vous rappelle, Monsieur Weiss, que j'ai obtenu - sans alliance - 30% des voix à Onex. Et vous, le parti libéral, vous n'êtes plus capables de réaliser un tel score. C'est une réalité ! Pourquoi ? Parce que nous nous sommes engagés...

La présidente. Monsieur le député, sur le renvoi en commission !

M. Eric Stauffer. Parce que nous nous sommes engagés à défendre les plus faibles de cette société. Et plutôt que de demander des actes de non-poursuites, vous feriez mieux d'engager des candidats qui ont des poursuites ! Parce qu'ils sont peut-être plus proches des citoyens que certains millionnaires de ce parlement !

La présidente. Vous devez conclure, Monsieur le député. Maintenant !

M. Eric Stauffer. Je conclus en rappelant au groupe PDC que certains de leurs conseillers d'Etat se sont trouvés dans des tourmentes financières...

De toute façon, on va s'opposer au renvoi en commission. Ce projet de loi n'a pour but qu'une vengeance personnelle de la part de quelqu'un qui s'est vanté d'avoir commis des massacres en Afrique du Nord, raison pour laquelle il a été exclu du MCG... (Exclamations.)

La présidente. Cela suffit, Monsieur le député ! Je demande que l'on coupe le micro de M. Stauffer. (Brouhaha.)

M. Eric Stauffer. Exclu ! Exclu du MCG... (Le micro de l'orateur est coupé.)

La présidente. Merci ! (M. Eric Stauffer s'exprime hors micro.) Monsieur le député, je vous rappelle à l'ordre. Si vous continuez, je vous fais sortir de la salle. (M. Georges Letellier prend la parole hors micro.) Après le vote sur le renvoi en commission, Monsieur Letellier ! Je vous passerai la parole après M. Moutinot. Pour l'instant, asseyez-vous !

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, vous êtes saisis d'un projet de loi constitutionnelle. Autrement dit, le débat est de savoir qui, dans les règles constitutionnelles, a le droit de siéger parmi vous. L'article actuel de la constitution genevoise dit simplement: «Sont éligibles tous les citoyens laïques jouissants de leurs droits électoraux.»

Dans le projet qui vous est soumis, on ajoute à ce principe fondamental toute une série d'exceptions: les dettes, les dettes d'impôt, les actes de défaut biens, un certificat de bonne vie et moeurs. En d'autres termes, l'auteur du projet entend que la qualité d'élu du peuple dépende d'une décision d'un officier de police, car je vous rappelle que les certificats de bonne vie et moeurs sont délivrés par des officiers de police. J'ai pour eux le plus grand respect, ce sont mes collaborateurs, mais je ne pense pas que cela soit leur rôle de délivrer des certificats d'éligibilité.

Dans les propositions qui nous sont faites, il y a - il faut le reconnaître, Monsieur Letellier - le bon sens qui voudrait que les élus du peuple aient une conduite peut-être pas irréprochable, mais en tout cas la meilleure possible, et il faut effectivement veiller à ce que le Grand Conseil soit composé d'hommes et de femmes que l'on ne puisse pas accuser de mille et une dérives et qui fassent preuve de certaines qualités.

Mais si vous commencez à mettre des barrières constitutionnelles à l'accessibilité à ce Grand Conseil, les uns et les autres, pour une raison ou l'autre, vous allez venir prétendre que telle ou telle qualité ou que tel ou tel défaut ne permet pas de siéger dans ce Grand Conseil ! Je vous rappelle qu'en 1789 la principale conquête de la Révolution française a été de permettre à tous, sans censure censitaire et sans censure d'Etat, de siéger dans un parlement. Avec un tel projet de loi, vous êtes en train de prendre le chemin inverse, consistant à réduire l'accessibilité de la population au parlement.

Un nombre considérable de nos concitoyens ont des actes de défaut de biens; certains parce qu'ils sont de fieffés coquins, d'autres parce que la conjoncture ne leur a pas été favorable. Il y a parmi nos concitoyens des gens qui ont un casier judiciaire, comme M. Bavarel et moi, et il y en a d'autres qui ont fait des choses plus graves - pour vous rassurer, M. Bavarel et moi avons fait la même chose, il y a un certain nombre d'années...

Une voix. Ensemble ?

M. Laurent Moutinot. Non, pas ensemble. Alors, Mesdames et Messieurs les députés, vous êtes en train de glisser vers une sélection - hors de tout contrôle populaire ! - sur l'accession à votre Grand Conseil. Ce qu'il serait juste de faire, mais qu'il n'est pas nécessaire d'effectuer au niveau constitutionnel, serait d'inscrire dans la loi sur les droits politiques le devoir d'annoncer ses condamnations pénales, ses dettes, civiles ou administratives, et, le cas échéant, produire d'autres éléments qui paraîtraient pertinents. Oui, c'est logique ! Oui, on peut le faire. Et sans modifier la constitution ! Mais il est inadmissible - inadmissible ! - dans la tradition démocratique genevoise, de prévoir dans la constitution des obstacles à l'accession à votre parlement.

C'est la raison pour laquelle je vous demande de refuser le renvoi en commission et de refuser ce projet de loi. (Vifs applaudissements.)

La présidente. Monsieur Letellier, vous avez été mis en cause, je vous ai promis de vous donner la parole. Je vous l'accorde, mais très brièvement.

M. Georges Letellier (Ind.). Aucun problème, Madame la présidente. Je m'élève contre ce qu'a dit M. Stauffer, il est un menteur professionnel... (L'orateur est interpellé.) Ecoutez, il a menti, et je ne suis pas un assassin !

La présidente. Ne mettez pas en cause quelqu'un d'autre, Monsieur Letellier, s'il vous plaît !

M. Georges Letellier. En Algérie, j'ai fait la guerre et j'ai accompli mon devoir de Français et d'homme. Je me suis trouvé dans certaines situations où celui qui tire le premier a raison. Et quand on défend sa peau, Madame, on ne peut pas faire du sentiment. Voilà pour mon passé. Mais quant à ce que dit cet individu...

La présidente. Il vous faut conclure, Monsieur le député.

M. Georges Letellier. Trois minutes... Quant à cet individu, qui dit des mensonges sur ce que j'ai fait... Non !

La présidente. Monsieur le député, je vous ai donné la parole, mais brièvement. Je vous demande de conclure. (Brouhaha.)

M. Georges Letellier. J'aimerais répondre à M. Brunier. (Remarques. Brouhaha.) Monsieur Brunier, excusez-moi, mais vous n'avez pas de morale... (Brouhaha.) Et c'est pour la morale que j'ai fait ça...

La présidente. Veuillez couper le micro de M. Letellier. Merci !

M. Georges Letellier. Et ça, je vous le jure sur la tête... (Le micro de M. Georges Letellier est coupé).

La présidente. Monsieur Letellier, je vous prie de bien vouloir vous asseoir, vous n'avez plus la parole.

Mesdames et Messieurs les députés, nous allons nous exprimer sur le renvoi en commission... (Remarque.) Oui, Monsieur Leyvraz ?

M. Eric Leyvraz. Il y a une demande d'amendement.

La présidente. Monsieur le député, je dois d'abord mettre aux voix le renvoi en commission. (Brouhaha.) Je vous demande un peu silence, Mesdames et Messieurs !

Mis aux voix, le renvoi du projet de loi 9986 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 63 non contre 11 oui et 9 abstentions.

La présidente. Etant donné ce refus, nous poursuivons notre débat.

M. Yves Nidegger (UDC). J'aimerais juste dire deux mots sur l'amendement qui sera mis aux voix, puisque la discussion est immédiate. Il est vrai que la formulation proposée... (L'orateur est interpellé.) Evidemment, il faudra un vote d'entrée en matière.

J'aurais voulu rassurer un certain nombre d'entre vous qui émettiez des restrictions. M. Weiss, qui avait peur... (Commentaires.)

La présidente. S'il vous plaît, un peu de silence !

M. Yves Nidegger. M. Weiss, qui émettait des craintes sur cette loi spéciale qui tournerait autour d'une seule personne... Mais j'aimerais rappeler que l'amendement proposé veut précisément rendre praticable cette loi, générale abstraite. M. Bavarel craignait que l'objection de conscience le prive de parlement... Mais cet amendement, qui fait état de condamnations pénales pour des crimes ou délits infamants, est évidemment là pour pondérer cela.

D'une manière générale, il ne revient pas - contrairement à ce que croit M. Brunier qui a un train de retard - aux juges de dire qui est éligible ou pas. Ces choses figurent dans la constitution.

Lorsque l'entrée en matière sera votée sur ce projet - qui, dans l'esprit, est un bon projet; il devrait être modifié dans sa forme - je souhaiterais un débat. Car si la plupart des partis dans cette enceinte pratiquent eux-mêmes une sélection fondée sur les critères que M. Letellier a suggérés, certains ne le font manifestement pas et il est donc nécessaire que cela entre dans la loi.

M. Roger Golay (MCG). J'avais demandé, lors de la séance des chefs de groupe et du bureau du Grand du Conseil, d'avoir une certaine retenue pour ce débat, je constate que je n'ai pas été écouté. Le dérapage l'a emporté, je le déplore et en toute sincérité, je suis navré de la démonstration que l'on a donnée ce soir auprès des téléspectateurs de Léman Bleu. (Applaudissements.)

Mis aux voix, le projet de loi 9986 est rejeté en premier débat par 68 non contre 10 oui et 5 abstentions.