République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1468
Proposition de motion de Mme et MM. Pierre Kunz, Gabriel Barrillier, Marie-Françoise De Tassigny, John Dupraz, Pierre Froidevaux, Bernard Lescaze, Jean-Marc Odier, Louis Serex, Hugues Hiltpold, Jacques Jeannerat concernant la loi sur les cimetières du 20 septembre 1876

Suite du débat

Mme Michèle Künzler (Ve). C'est un débat extrêmement important, qui ne doit pas être évacué par des opinions simplistes. Cela touche des questions existentielles, la vie et la mort, et c'est vrai que nous partons tous d'un point de vue différent. Nous avons tous notre histoire personnelle. Cette question nous touche beaucoup, même si dans notre société, la mort est un tabou. Elle survient toujours comme un moment de stupeur dans une société vouée à l'instant, et on ne comprend pas que la vie puisse s'arrêter. Je crois que dans cette question des cimetières, il faut avoir une vision plus élevée de ce qui pourrait être fait. Je ne pense pas que les solutions simplistes proposées, soit revenir à la loi d'il y a cent trente ans, puissent convenir à la situation actuelle.

Nous pensons que le cimetière doit être un espace public, réservé à tous les citoyens et habitants de cette République. On doit pouvoir offrir une place à chacun. Personne ne doit être exclu de ce cimetière. Mais il faut aussi faire en sorte que chacun puisse y accéder avec ses problèmes, avec ses difficultés. Même si personnellement, je n'y accorde que peu d'importance, c'est extrêmement important pour certaines personnes de savoir comment elles seront enterrées. C'est pourquoi il ne faut pas faire peser une charge très lourde sur ces gens, à un moment difficile de leur existence. Il faut avoir une forme de respect pour leur situation, même si on ne partage pas forcément leur avis. Cela s'appelle tenir compte de la fragilité humaine.

Il faut aussi adapter cette loi à ce nouveau contexte, pour offrir une vraie laïcité. Comme l'a souligné M. Vanek, c'est vrai que même dans l'espace public ordinaire, on ne camoufle nullement les églises ou les mosquées; elles existent, on voit qu'il y a des religions différentes, qu'il y a des opinions différentes, et il est normal de les respecter. Dans le cimetière aussi, on doit voir cette pluralité. Les Verts, au Conseil municipal déjà, avaient évoqué cette question, car elle se pose pour un grand nombre de nos concitoyens, c'est pourquoi il faut la régler maintenant. Nous devons viser la cohabitation paisible, même parmi les morts. Ce qui se passe pour les morts est toujours un signe de ce qui se passe pour les vivants.

Pour moi, il est clair que ce sont les vivants qui comptent. Nous refuserons donc cette motion, et demandons instamment au Conseil d'Etat de revenir sur cette loi pour nous faire un nouveau projet de loi qui permette une plus grande souplesse dans l'application de la loi.

M. Sami Kanaan (S). Les socialistes ne feront pas de déclaration catégorique ce soir pour décider si, par exemple, la Ville de Genève a eu tort ou raison dans ce dossier; nous ne ferons pas non plus de déclaration sur la solution qu'il serait bon d'adopter, ni sur la pertinence ou non de la loi en l'état. Nous sommes surtout soucieux de la manière dont ce débat a lieu et doit avoir lieu, et aimerions nous assurer que quelles que soient les positions de départ, il se fasse dans la sérénité et l'écoute mutuelle. En particulier, nous incitons toutes les personnes souhaitant y participer à bien vérifier de quoi elles parlent avant de prendre position.

Personne ici, je crois, n'est spécialiste des rites funéraires. Les hasards de la vie font que j'ai enterré mon père selon le rite musulman et ma mère selon le rite chrétien, ce qui ne me permet pas de dire ce qui est juste ou faux dans ce domaine, car celui-ci relève de la sphère privée. La laïcité est un principe fondamental de notre société, et les socialistes y tiennent. Nous y sommes attachés. Mais la question - légitime dans un Grand Conseil qui s'occupe de législation - est de savoir si la loi, telle qu'elle a été conçue, est toujours adaptée à ce qu'on souhaite atteindre ou à ce qu'on comprend par laïcité. Je vous rappelle que la loi est issue de débats du XIXe siècle. Elle est liée à un contexte et à des problèmes de l'époque, dont certains restent pertinents alors que d'autres ont évolués. Elle a permis d'assurer la paix confessionnelle, elle a permis d'harmoniser les relations entre les communautés et on peut estimer de ce point de vue-là - sous toutes réserves - qu'elle a atteint son objectif.

Elle était apparemment compatible avec les différents besoins exprimés à l'époque, et chacun a dû alors faire un bout de chemin pour arriver à un compromis. C'est un résultat positif, à préserver certainement.

C'était donc en quelque sorte une laïcité source d'intégration. Est-ce toujours le cas aujourd'hui ? Il est normal et légitime - je le répète - qu'un Grand Conseil se pose cette question de temps en temps. Cela ne se passe jamais de la manière attendue, c'est parfois un incident particulier, parfois l'évolution d'un problème qui provoque le questionnement. Or si on décide d'emblée - comme certains le font - d'exclure les demandes formulées aujourd'hui ou récemment par l'une ou l'autre des communautés, si on décide d'emblée que ces demandes sont incompatibles avec la laïcité, cela signifie qu'on refuse le dialogue. Cela veut dire qu'on décide d'emblée qu'ils ont tort, que c'est à eux de s'adapter à la laïcité telle que définie au XIXe. Cela veut dire qu'on refuse la discussion et la concertation. Il n'est pas question ici d'accepter d'emblée quelque demande que ce soit, il s'agit simplement de se demander si on peut au moins écouter les demandes et en discuter sereinement, pour voir ce qu'il y a à faire. Sinon, on fait de la ségrégation, voire - même si cela n'est pas voulu - on dérive vers l'assimilation forcée, qui n'est certainement pas une affaire raisonnable. On peut aussi choisir la solution de facilité - certains l'ont déjà proposée - qui serait la privatisation des cimetières confessionnels, mais les socialistes ne sont pas sûrs qu'ils s'agissent d'une bonne idée.

Le doute subsiste quant à savoir si la laïcité, telle que définie aujourd'hui, est toujours aussi laïque que le prétendent les uns et les autres, si elle est toujours aussi équitable; on se demande même si elle n'a pas un léger biais, par lequel elle répondrait aux besoins des communautés chrétiennes plus ou moins pratiquantes... Il se trouve qu'apparemment - les communautés musulmane et juive le disent - la laïcité telle que définie aujourd'hui peut poser problème aux communautés non chrétiennes. Nous sommes pour une laïcité citoyenne, prise au sens large, qui consiste à assurer la neutralité de l'espace politique et institutionnel, ainsi que la neutralité de l'Etat civil face aux religions. La religion relève de pratiques de la sphère privée, mais à aucun moment la laïcité publique, définie dans la constitution, ne doit empêcher la pratique religieuse, surtout face à la mort. Et si nous appliquons la laïcité, il faut qu'elle le soit de manière équitable, or on se rend compte qu'aujourd'hui, dans la pratique, il y a ma foi des rites chrétiens au cimetière de Saint-Georges - apparemment personne n'y trouve à redire - alors que ce n'est pas certain que les communautés juive et musulmane puissent y pratiquer des rites propres à leur confession.

Les motionnaires sont particulièrement mal informés. La Ville de Genève a précisé un certain nombre d'éléments, notamment le fait que le règlement n'a pas été modifié sur ce point. Il se trouve que la pratique existe depuis longtemps: cela fait des années, voire des dizaines d'années, qu'il existe des cimetières qu'on pourrait appeler confessionnels, et il est intéressant de voir que les motionnaires n'ont pas réagi plus tôt. Il y a le cimetière musulman du Petit-Saconnex, le cimetière juif de Carouge ou celui de Veyrier...

Une voix. Il est sur France !

M. Sami Kanaan. Oui, il est sur France avec une porte sur la Suisse, donc très cohérent ! Si le problème ressort aujourd'hui, c'est simplement qu'apparemment ces espaces sont pleins. Cette pratique a été tolérée en ville de Genève - faut-il le préciser ? - par deux magistrats radicaux. Nous savons que le groupe radical fait du révisionnisme en permanence, puisque tout ce qui a pu être fait par Guy-Olivier Segond n'a forcément plus le droit d'exister... C'est Guy-Olivier Segond qui a ouvert cette pratique, poursuivie par Michel Rossetti, et aujourd'hui c'est le groupe radical qui fait la leçon à la Ville de Genève ! Leur mémoire est très courte dans ce domaine... Mais dans un domaine aussi sensible, on ne plaisante pas avec des faits en plus assez récents.

De plus - et cela a déjà été dit - il existe toutes sortes de régimes particuliers dans ces cimetières: aujourd'hui, le principe de tombe à la ligne est respecté pour ceux qui choisissent l'ensevelissement gratuit, mais toute personne prête à payer une somme relativement modeste - en l'occurrence de quelques centaines de francs - peut avoir une concession de son choix, avec une orientation de son choix, à l'endroit de son choix, sous réserve de place disponible au cimetière de Saint-Georges. Et c'est sans compter d'autres solutions particulières: nous connaissons la situation du cimetière des notables à Plainpalais, qui apparemment ne dérange personne.

La Ville de Genève a peut-être fait preuve de maladresse, mais on jugera au moment du débat en commission, de manière sereine. Il faut dire cependant qu'elle s'est trouvée face à des demandes auxquelles elle a tenté de répondre, et qu'un processus de discussion a débuté. C'est certainement recommandé. Cela prouve que le dialogue est possible et qu'il ne s'agit pas d'accepter telles quelles les demandes. De notre côté, nous souhaitons que cette motion, même si elle nous paraît douteuse en l'état, aille en commission, justement pour éviter toute polémique, tout doute. En commission législative ou aux affaires communales - le lieu est relativement secondaire - nous aurons l'occasion d'entendre toutes les personnes concernées, de vérifier quelles sont les réelles demandes, quels sont les scénarii possibles, et nous pourrons trouver une solution qui puisse aboutir, le cas échéant, à une révision de la loi de 1876, et qui préserve la laïcité tout en donnant l'espace nécessaire à l'exercice libre de la pratique religieuse.

Il reste une dernière chose qui nous choque beaucoup, qui est un des grands dangers de ce débat et que n'a malheureusement pas évité un des intervenants radicaux: sous prétexte que ce sont en l'occurrence des musulmans qui font des demandes par rapport à leurs rites funéraires, on assimile cela de fait à de l'intégrisme. C'est là un des pires dangers, car ce serait coller à l'ensemble de la communauté musulmane à Genève, en Suisse ou à l'étranger, l'étiquette intégriste. Dans le contexte actuel, nous trouvons cela particulièrement lamentable. C'est pourquoi le groupe socialiste insiste sur la nécessité de mener ce débat de manière ouverte et sereine, et propose d'envoyer cette motion en commission, non pas parce qu'il l'approuve, mais parce qu'une clarification est visiblement nécessaire. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le député. Vous avez parlé pendant sept minute trente-cinq; la prochaine fois, on vous interrompra. Le Bureau vous propose de clore la liste des orateurs, car il y a déjà neuf personnes inscrites.

Mise aux voix, cette proposition est adoptée.

M. Christian Bavarel (Ve). La question qui est posée ce soir est de savoir si la mort est un moment privé ou public. Les archéologues considèrent les premières traces de religion lorsqu'un rite funéraire est avéré. Nous sommes donc bel et bien sur un sujet fondateur de la civilisation. Nous sommes sur quelque chose qui touche très profondément les gens qui vivent dans notre pays, quelles que soient leur nationalité, leur confession, leur religion.

Ce thème du culte des morts exige de nous des précautions. Il s'agit de moments douloureux pour les vivants, pour ceux qui doivent accompagner l'un des leurs vers autre chose ou vers le néant. Le risque encouru par des principes et des cimetières qui excluraient certaines personnes est aussi important. Faut-il revenir à une époque où les comédiens ou les suicidés étaient interdits de cimetière par la religion catholique ? Faut-il encore penser que des personnes non baptisées ou autres ne puissent avoir accès à certains lieux ? Se pose aussi le problème des couples de confessions différentes, qui est un cas sans doute assez courant dans notre société et ville de Genève, qui s'enrichit de ces différences.

Comme Mme Michèle Künzler l'a dit, les Verts ne pourront pas accepter cette motion de manière catégorique. Nous ne souhaitons pas non plus que cette motion parte telle quelle en commission. Nous voulons réellement que le Conseil d'Etat présente un autre projet, quelque chose qui tienne compte des différentes sensibilités. A ce moment-là seulement, nous serons prêts à l'envoyer en commission et à l'étudier.

Le président. Merci, Monsieur le député, mais je suis obligé d'appliquer le règlement et pour l'instant, nous n'avons qu'un texte.

M. Pierre Schifferli (UDC). Le groupe UDC appuie la proposition de motion du groupe radical, concernant l'application de la loi sur les cimetières du 20 septembre 1876. En fait, il s'agit d'une invite toute simple au Conseil d'Etat, pour qu'il respecte et fasse respecter la loi.

Nous partageons également les réflexions qui nous ont été soumises par M. Kunz: l'octroi de carrés confessionnels exclusifs serait manifestement le prélude à la satisfaction d'autres revendications religieuses, qui iraient contre le principe de la laïcité et du droit. Ce Grand Conseil ne peut pas et ne doit pas accepter les revendications de minorités religieuses qui pratiquent parfois la ségrégation et l'exclusion pour les vivants, notamment dans le mariage, et qui veulent maintenant nous imposer la ségrégation et l'exclusion pour les morts.

Notre vote doit être un vote de refus de l'arrogance et de l'exclusion. Je rappelle aussi que si les protestants et les catholiques suisses, qui se sont combattus pendant plus de trois cents ans dans notre pays, souvent par les armes, ont enfin accepté de faire la paix et d'instaurer un minimum de laïcité et de neutralité confessionnelle dans nos lois, il n'appartient pas à des religions souvent agressives, étrangères à nos traditions et à notre histoire suisse, de nous imposer leur solution confessionnelle dans le domaine publique. (Protestations.)

La Suisse, que vous le vouliez ou non, est une nation d'histoire et de tradition chrétiennes, et la croix fédérale de notre drapeau - il faut le rappeler - a pour origine celle du drapeau du canton qui a donné son nom à notre pays, le canton de Schwyz ! Si l'on suit la logique de certains députés de gauche, il faudrait alors aussi enlever la croix de notre drapeau. Elle a été octroyée aux Schwyzois pour leur courage au combat. Aujourd'hui, les chrétiens, les musulmans et les juifs ne sont pas discriminés, ils ont le droit de reposer à jamais, ensemble et côte à côte, sur notre terre suisse. Aussi bien le christianisme que le principe de laïcité nous imposent cette solution, qui est celle de la loi actuelle, qu'il convient simplement de faire respecter par les autorités communales.

Le président. Merci, Monsieur le député. Ce débat est resté très digne jusqu'à présent, et je souhaite qu'il reste ainsi jusqu'à la fin et que chacun écoute les arguments de l'autre.

M. Pierre Weiss (L). Je voudrais notamment féliciter ceux qui, parmi mes préopinants, ont précisément eu à coeur de donner à ce sujet la dignité qui lui sied. Certains ont prétendu, d'une façon que je trouve quelque peu apodictique, que le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas. Pour ma part, je ne sais pas dans quelle société nous voulons vivre, mais s'il s'agissait d'une société spirituelle, d'une société religieuse, je ne voudrais pas qu'elle soit intégriste. Et ne voulant pas qu'elle soit intégriste, je n'aimerais pas non plus que la paix qui règne dans les cimetières nous donne l'occasion de nous livrer ici à une guerre de fort mauvais aloi.

Dans quelle société voulons-nous vivre dans ce XXIe siècle ? Voulons-nous une société faite, en ce qui concerne les vivants, de pluralisme et, notamment en ce qui concerne les morts, d'égalité, ou voulons-nous au contraire une société de communautarisme ? Car voilà à quoi pourrait conduire une prise en considération de la demande de carrés confessionnels dans les cimetières publics; c'est en tout cas un risque que certains pourraient y voir, et une interprétation que d'autres pourraient donner.

Le terme hypocrisie a été prononcé tout à l'heure à propos du cimetière juif de Veyrier. Je crois qu'il est fort à propos. Je crois qu'il s'agit de ne plus vivre dans un monde hypocrite, où l'on rejette certains morts de notre communauté en dehors de nos frontières, et je crois tout autant qu'il est important de ne pas transformer la société dans laquelle nous sommes en une société faite d'exclusions. En d'autres termes, je plaide pour que les lumières du XVIIIe tombent en quelque sorte sur la laïcité, qu'elles sachent la renouveler, qu'elles sachent donner à cette laïcité une vision inspirée, de tolérance et de pluralisme. Cette vision devrait faire en sorte que nos citoyens, principalement et de plus en plus je l'espère, acceptent d'être enterrés dans des cimetières publics, mais que des règles spécifiques soient aussi disponibles pour ceux qui refuseraient la règle commune. Ces règles spécifiques devraient leur permettre un enterrement dans des espaces privés, car de même qu'il y a des écoles privées, de même devrait-il également y avoir des cimetières privés, où la ferveur religieuse particulière permettrait le plein accomplissement des rites.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je souhaite, dans un renvoi de cette motion en commission, où elle devrait, je l'espère, avec toute la sagesse nécessaire, trouver les accommodements et les améliorations ponctuelles qui, d'une part, respecteraient l'histoire de notre République et qui, d'autre part, permettraient une adaptation à l'esprit de notre temps et à celui de ce XXIe siècle que j'appelle de mes voeux comme étant pluraliste et tolérant.

M. Robert Iselin (UDC). En fait, mon collègue Pierre Weiss a exprimé avec une bien plus grande habileté que je ne le puis, mes pensées et mes réactions. Je voudrais simplement rappeler, à titre anecdotique, qu'il y a dans ce pays encore trente églises utilisées par les deux confessions et que depuis la Réformation, les deux communautés ont fait un effort de compréhension. Je ne voudrais pas que revienne dans ce pays cet esprit rappelé par une anecdote qui nous faisait rire enfants, de ce brave curé du Midi de la France, élevé dans une tradition fort respectable, mais qui se regimbait parce qu'il fallait enterrer un hérétique de ma tradition, et qui déclara: «Ah non, pas là, il aurait la vue sur la mer !»

M. Christian Grobet (AdG). Comme Pierre Vanek l'a indiqué tout à l'heure, le groupe de l'AdG n'a en fait pas pris de position sur cette motion. Nous avons eu une discussion, un certain nombre d'avis divers ont été évoqués, et le seul point sur lequel nous nous sommes mis d'accord est de renvoyer cette motion non pas à la commission des affaires communales mais à la commission législative, puisque celle-ci a pour mission d'examiner le fonctionnement de nos institutions. Or, cette motion touche effectivement le fonctionnement de nos institutions.

On voit par le débat de ce soir que le problème évoqué par cette motion touche diversement les uns et les autres, mais toujours de manière très directe. En ce qui nous concerne, moi et mes camarades de l'Alliance de gauche, nous sommes attachés au premier chef au principe de la laïcité. Il faut bien reconnaître - et Pierre Vanek l'a mis en évidence - que cette laïcité n'est pas respectée à la lettre, puisqu'il y a eu en effet un long débat aux Chambres fédérales pour savoir si la Constitution fédérale conserverait ce préambule où on invoque le Souverain, ou plutôt...

M. Claude Blanc. Dieu Tout-puissant !

M. Christian Grobet. C'est cela, Dieu Tout-puissant. Vous m'excuserez, Monsieur Blanc, vous avez toujours une excellente culture, surtout...

M. Claude Blanc. Vous n'avez pas peur des mots ! (Le président agite la cloche.)

M. Christian Grobet. Non, je n'ai pas peur des mots, cher Monsieur, mais je connais toute votre science en ce qui concerne l'Eglise, et j'avoue ne pas avoir les mêmes connaissances que vous dans ce domaine ! C'est vrai qu'il y a des gens qui aiment bien évoquer Dieu, et d'autres qui sont peut-être plus modestes et s'abstiennent de faire cette invocation. (L'orateur est interrompu par M. Blanc; le président agite la cloche.)Je sais, Monsieur Blanc, que vous aimez bien invoquer la religion, mais je ne suis pas sûr que vous le fassiez toujours à bon escient !

Ceci dit, il est vrai que la laïcité est loin d'être appliquée partout dans ce pays. Je me félicite qu'on ne voie pas de crucifix dans les écoles genevoises, mais il y en avait dans certains cantons catholiques. Je me souviens avoir plaidé devant un tribunal à Fribourg, où un crucifix était accroché au mur derrière le juge ! Ne parlons pas des hôpitaux et autres... Je ne sais pas si le Conseil d'Etat a abandonné ou non cette pratique de faire prêter serment sur la Bible, mais il est vrai qu'on a gardé toute une série de traditions qui ne sont pas laïques. Dans les cimetières aussi, on admet - M. Gautier me le rappelait tout à l'heure - que chacun manifeste sa confession par un signe distinctif sur les pierres tombales.

Pourtant, comme d'autres l'ont relevé, certains principes de la laïcité ont apporté une paix religieuse, tout particulièrement à Genève. Il faut reconnaître qu'à la fin du XIXe siècle il y a eu une Kulturkampfterrible à l'égard de l'Eglise catholique, et je suis convaincu que nos principes de laïcité ont précisément permis de retrouver la paix confessionnelle à Genève. Pour une fois, je souscris aux propos tenus tout à l'heure par M. Kunz, qui a très bien cadré cette question, même si l'on peut avoir des opinions divergentes.

Ce qui me paraît fondamental, c'est qu'on ne saurait modifier la loi par la pratique ! La loi est là, elle existe. La motion ne fait du reste que demander que cette loi soit respectée, et si l'on veut faire autrement, il faut modifier la loi ! Personnellement, j'aurais tendance à dire qu'on pourrait voter immédiatement cette motion qui ne fait que rappeler ce principe fondamental de notre Etat de droit, et qui vise précisément à éviter que des initiatives contraires à la loi puissent créer des troubles - car c'est ce qui va se passer. Mais je suis aussi d'accord d'examiner si d'autres solutions existent, et de bien comprendre le message de mon ami Manuel Tornare que j'aime beaucoup. J'avoue cependant que la lecture de cette lettre m'a laissé sur ma faim. On a l'impression qu'il dit quelque chose, qu'il en écrit une autre, et peut-être a-t-il changé d'avis comme cela a été évoqué tout à l'heure, je n'en sais rien. Le plus simple eût été que la Ville de Genève use de son droit d'initiative ! Je remarque que ce soir, nous avons une motion du Conseil municipal de Vernier, qui nous demande de prendre des mesures sur l'avenue de Châtelaine - on verra si on les prend ou pas - et rien n'empêchait la Ville de faire de même ! Jusqu'à fait nouveau, la question est réglée par la loi, c'est donc du domaine de notre Grand Conseil.

Par voie de conséquence, je ne m'opposerai pas à ce que cette affaire soit renvoyée à la commission législative pour en débattre, pour bien comprendre ce qui est proposé, mais je voudrais dire en tout cas que cela serait une profonde erreur de laisser entrevoir des solutions qui ne correspondraient pas à la loi telle qu'elle est aujourd'hui, cela sans modifier cette loi. Je crois que nous irions vers de sérieuses difficultés. Nous voyons aujourd'hui que le principe de la laïcité n'est pas seulement contesté dans les cimetières, mais aussi ailleurs, et j'aimerais ici, entre parenthèses, rendre hommage à...

Le président. Il est temps de conclure, vous avez dépassé les sept minutes !

M. Christian Grobet. J'arrive à la fin ! Permettez-moi pour une fois de rendre hommage au Conseil d'Etat, tout particulièrement à Mme Brunschwig Graf, mais je suis certain que M. Unger sera tout aussi attentif au problème des crucifix dans les hôpitaux. Il y a des demandes, on le sait, et je crois qu'il faut être rigoureux, sans quoi nous aurons des problèmes, cela est certain.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je souhaite que les orateurs ne dépassent pas les sept minutes auxquelles ils ont droit. Monsieur le député Jean Spielmann, c'est à vous.

M. Jean Spielmann (AdG). La question qui nous est posée est relativement simple, même si elle porte sur des aspects très importants liés à la liberté de croyance de chacun. Je crois que cela doit être respecté. Il y a dans nos lois une série de dispositions qui précisent quelles sont les libertés de culte, quelles sont les libertés d'organisation, etc. Dans notre Constitution, sous liberté d'organisation des Eglises, il est toujours précisé que cette liberté est accordée sous réserve du respect des lois, des réglementations de police; on dit aussi que dans leur organisation, elles doivent respecter le code des obligations. La loi est chaque fois mise en évidence. Autrement dit, il s'agit de quelque chose de complètement séparé de l'Etat, c'est le principe de la laïcité.

Mme Künzler nous a expliqué tout à l'heure que ce qu'il fallait en fin de compte, c'était une cohabitation paisible même au moment de la mort. Moi, je veux bien, mais faut-il séparer les gens pour qu'il y ait cohabitation paisible ? Faut-il instaurer la différence alors que vivants, ils étaient les mêmes ? Il y a là à mon avis un problème de fond. Je comprends à certains égards les propositions faites par M. Weiss, notamment l'idée que chacun doit pouvoir jouir de la liberté de croyance et agir comme il l'entend dans un cadre privé, dans la mesure où les lois et les règlements sont respectés. En ce qui concerne la collectivité et l'Etat, les lois sont claires, et si l'on veut changer des dispositions et introduire des modifications dans un domaine aussi sensible que celui qui nous occupe aujourd'hui, il faut modifier la loi. Et si la loi n'est pas changée, alors il faut la respecter !

Dans ce sens-là, le principe de base de la motion me semble tout à fait valable. Pour ma part, je souscris aux propositions telles qu'elles sont faites, car à mon avis - le problème est délicat - il s'agit de laisser sa liberté à chacun, mais aussi et surtout d'assurer la paix confessionnelle. La séparation de l'Eglise et de l'Etat me semble un principe tellement important que je ne pense pas qu'on puisse y déroger, même au-delà de la vie, même par rapport à la manière selon laquelle les gens entendent faire leurs sépultures. La situation actuelle permet parfaitement à chacun de cohabiter normalement. Ils vivent ensemble en société, qu'ils continuent ainsi au-delà ! Que chacun inscrive ce qu'il veut sur sa tombe, cela est largement suffisant pour respecter tout le monde. Mais si on doit aller au-delà, alors ayez le courage de présenter un projet de loi pour changer la loi.

M. Pierre Vanek (AdG). Je rappelle tout d'abord, pour ceux qui ne l'auraient pas entendu tout à l'heure, que je rejette cette motion. Je suis partisan de la laïcité de l'Etat, je suis moi-même athée et j'ai été choqué, du point de vue de la laïcité et de mes convictions, par les propos de M. Schifferli qui faisait à la fois l'éloge d'une motion «laïque» et tout un laïus sur les religions étrangères à nos traditions chrétiennes et à la croix suisse. Il manifeste ainsi cette contradiction que j'évoquais tout à l'heure par rapport à M. Kunz, qu'on retrouve aussi dans l'invocation par M. Blanc du Dieu Tout-puissant en tête de notre Constitution, invocation paradoxalement doublée d'une revendication de la laïcité. M. Schifferli a dit des choses qui m'ont profondément dérangé, y compris sur la possibilité pour chrétiens, musulmans et juifs de reposer côte à côte, en paix, etc. Il oublie qu'il y a toute une série de personnes dont je suis, qui ne sont ni chrétiennes, ni musulmanes, ni juives, ni croyantes en aucune manière, et qui reposeront dans cette terre avec les autres, dans des cimetières publics. Et évidemment, les gens continueront en grande majorité à se faire enterrer selon les conditions actuelles.

Dans la motion proposée ici, on s'insurge contre l'idée que la liberté religieuse - que je défends aussi, à fond, même si je suis personnellement un opposant à la religion - s'exerce aussi en matière de sépulture. Comme l'a dit très justement mon collègue Jean Spielmann, avec qui je ne suis pas d'accord sur ce point, notre Constitution dit que l'organisation des Eglises relève du droit ordinaire des associations et de la liberté de réunion. Il a dit aussi que les gens pouvaient très bien se faire enterrer ensemble, comme ils vivent. Or le droit d'association et de réunion est un droit accordé aux vivants, et je ne vois pas pourquoi et au nom de quoi on refuserait aux gens de se réunir et de s'associer en cas de décès ! C'est de cela qu'il s'agit. A mes yeux, ce sont essentiellement les vivants qui sont concernés par la mort - les morts ne sont plus là pour en parler - de sorte qu'on peut se demander pourquoi les vivants ne pourraient pas s'associer pour enterrer ensemble leurs morts, comme ils l'entendent.

On invoque beaucoup cette laïcité, notamment dans les considérants de la motion où on se réfère à la loi de 1876, pour dire que les emplacements sont attribués sans distinction d'origine ou de religion. L'essentiel, bien sûr, dans cette question et dans celle de l'origine de la laïcité, est une question de droits. Et nous défendons les droits des gens ! C'est cela qu'il faut rappeler. C'est le droit à la non-exclusion ! Il fut un temps où l'Eglise catholique, par exemple, excluait de ses cimetières les personnes qui se seraient donné la mort, voire les personnes de mauvaise vie, les acteurs ou Dieu sait qui encore. La laïcité consistait à arracher à l'emprise de certaines institutions, notamment l'Eglise catholique dans certains endroits, d'autres institutions comme l'école, les cimetières, les hôpitaux. C'est cela l'important. Et de ce point de vue-là, si on refuse aujourd'hui à certains le droit d'avoir un enterrement conforme à leurs convictions religieuses, fut-il collectif, on enfreint le droit de la personne. Tel est le fond de la question.

M. Weiss dit que, bien sûr, ces droits peuvent s'exercer, mais qu'il faut privatiser tout ça... On reconnaît là le parti libéral, qui veut tout privatiser, même la mort ! Non, je pense que nos institutions publiques et nos cimetières en particulier sont assez grands pour pouvoir répondre à cette demande, le cas échéant. Christian Grobet a parfaitement raison: si ce qui est proposé par la Ville de Genève ne correspond pas à la loi, il faut la changer. Mais quand même, ce débat ne porte pas sur la lettre de la loi - pour cela il faudrait que les uns ou les autres déposent un projet - mais il porte sur une motion et sur des principes. Or je refuse radicalement les principes de cette motion, entre autres au nom du respect de la laïcité de l'Etat, mais aussi au nom du respect du traitement des organisations religieuses comme des associations, qui ont droit à une activité collective. On accepte des symboles religieux dans nos cimetières laïcs et publics, on accepte que chacun mette sa croix ou Dieu sait quoi - c'est le cas de le dire ! - sur sa tombe. Pourquoi n'accepterions-nous pas que cela se fasse collectivement ? Ce qui vous gêne là-dedans, c'est apparemment cette dimension collective, comme dans beaucoup d'autres domaines. Vous êtes des partisans de l'individualisation la plus absolue.

Un dernier mot: on s'est référé aux lois, aux règlements, en disant qu'il ne fallait pas les enfreindre. On a parlé aussi d'exclusion. Si vous voulez faire un acte dans le sens de la laïcité de l'Etat de Genève, de l'égalité entre les membres d'une association religieuse, des gens qui appartiennent à une Eglise et de ceux qui n'en sont pas, et si vous voulez être conséquents sur le plan législatif, abrogez s'il vous plaît ce règlement toujours en vigueur, ce règlement qui a acquis la dignité d'être diffusé partout sur CD-rom et consultable sur Internet à travers toute la planète, et qui est un règlement du Conseil d'Etat datant de 1944, qui a un article unique qui dit ceci: «les Eglises ci-après dénommées a) Eglise nationale protestante, b) Eglise catholique romaine, c) Eglise catholique chrétienne sont reconnues publiques...». Qu'est-ce que c'est que ça ? Dans un Etat laïc, il y aurait des Eglises publiques ? Non, bien sûr, c'est une affaire privée, comme le dit notre Constitution. Abrogeons donc ce règlement, qui dit ensuite «... à l'exclusion de toute autre communauté religieuse». Vous parliez d'exclusion des uns et des autres, Monsieur Schifferli, or nous avons ici un arrêté qui a toute autorité et qui exclut toute autre religion que les trois officielles, alors qu'il y a en a bien évidemment d'autres. C'est une réalité qu'il faut reconnaître.

Je vous propose donc, si vous voulez faire un acte utile en matière d'affirmation...

Le président. Il est temps de conclure, Monsieur Vanek !

M. Pierre Vanek. Oui, je concluais, justement.

une voix. On en est à huit minutes !

M. Pierre Vanek. Je vous remercie, Monsieur le président, je concluais justement. Je pensais que vous me donneriez un petit signal avant la fin. Je vous propose donc d'abroger ce règlement qui institue certaines religions comme publiques et officielles, à l'exclusion d'autres.

Le président. Bien. Monsieur Vanek, je souhaiterais que vous respectiez le règlement ! Vous avez parlé plus de sept minutes la première fois, plus de huit minutes la seconde, ça n'est pas correct vis-à-vis du reste de l'assemblée. Monsieur Kunz, vous avez la parole pour la seconde fois

M. Pierre Kunz (R). Monsieur le président, je renonce à prendre la parole. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur le député Blanc, vous avez la parole.

M. Claude Blanc (PDC). Je voudrais d'abord dire à l'intention de MM. Grobet et Vanek que si la Constitution fédérale fait allusion dans son préambule à qui vous savez, ce n'est pas moi qui l'ai écrit, c'était écrit bien avant moi et Dieu veuille que ce soit écrit encore bien après moi !

Mesdames et Messieurs les députés, je crois qu'il faut rappeler que le problème de nos cimetières est le fruit d'une longue discussion, de longues luttes dans cette République et dans ce pays, qui ont opposé pendant des siècles les tenants de l'une ou l'autre religion, puisqu'à l'époque il n'y en avait que deux. En 1876, on a trouvé une solution qui, à l'époque, n'était pas forcément acceptable pour chacun... Je rappelle quand même que les positions étaient beaucoup plus figées qu'aujourd'hui. Nous vivons aujourd'hui dans une époque où beaucoup de progrès ont été faits sur le plan religieux, dans le sens d'une compréhension mutuelle. L'oecuménisme n'est pas un vain mot pour la plupart des chrétiens, et ceux-ci sont aujourd'hui prêts à accepter des choses que, il y a un peu plus d'un siècle, ils avaient de la peine à accepter... Un effort à été fait par les uns et par les autres pour vaincre, sur le plan des cimetières, ces différences et pour accepter qu'il y ait des cimetières publics pour tous, où tous seraient enterrés dans le même enclos.

Moi qui fus maire de Meyrin pendant plusieurs années, j'ai vu dans les archives qu'avant cette loi, par exemple, les catholiques du Mandement venaient se faire enterrer à Meyrin parce qu'on ne voulait pas d'eux dans les cimetières protestants du Mandement ! On en était là, Mesdames et Messieurs ! Je rends donc hommage à cette loi de 1876, qui a enfin permis aux gens de ce pays - même si cela s'est certainement fait en partie contre leur gré - de faire un pas en avant.

Je ne pense pas qu'on puisse dire aujourd'hui que cette loi est désuète. Je pense que cette loi a toujours son actualité, elle a été acceptée à une certaine époque dans des circonstances difficiles, et il n'y a pas de raison de la remettre en cause. J'ai été assez frappé par la lettre qui nous a été adressée par M. Tornare, puisque celui-ci, qui est un fin politicien et qui s'est rendu compte que sa première proposition avait semé le trouble, adopte maintenant une position de retrait qui me paraît raisonnable. La loi de 1876 autorise les enterrements privés - si j'ose dire - et accepte que, moyennant une modeste somme, on puisse être enterré dans un quartier du cimetière à un endroit qu'on aurait choisi, sur la tombe d'un parent ou à une place vierge. M. Tornare nous présente cette possibilité comme une réponse possible aux demandes qui sont faites, et je pense que c'est peut-être là une voie à suivre pour que les gens aient le droit de choisir et obtiennent ce qu'ils souhaitent, dans la mesure des places disponibles.

J'ai un seul problème, qui n'a pas encore été évoqué dans cette assemblée: à ma connaissance, autant les musulmans que les juifs ont cette notion de pérennité de la tombe, c'est-à-dire qu'en principe - et, je crois, même plus qu'en principe - ils ne peuvent pas, comme on dit, relever une tombe. Ils sont obligés de la garder. C'est d'ailleurs pour cette raison, semble-t-il, qu'au cimetière du Petit-Saconnex, le carré qui avait été accordé aux musulmans par un ancien conseiller administratif bien connu de nos amis radicaux est maintenant complet. Et comme on ne peut pas enterrer sur des tombes existantes, il faut élargir... Or il me semble qu'on ne peut pas aller jusque-là. Ceux qui ont eu le privilège d'aller dans des pays arabes ou juifs savent que cela pose des problèmes insolubles, il n'y a qu'à voir par exemple l'immense nécropole à l'entrée de Jérusalem.

Je suis d'accord d'aller à la rencontre des juifs et des musulmans, mais il faudra qu'ils acceptent, ma foi, de réutiliser les tombes de leurs parents, car le sol n'est pas extensible. Les chrétiens ont dû s'y faire, je pense que les juifs et les musulmans pourront s'y faire aussi. La paix confessionnelle, Mesdames et Messieurs les députés, est faite de concessions mutuelles, et si nous ne faisons pas tous des concessions, cette paix sera rompue. Je crois qu'on a donc le droit de demander aux uns et aux autres d'en faire, aux chrétiens comme aux juifs et comme aux musulmans

Le président. Je vous remercie, la parole est à M. le conseiller d'Etat Cramer.

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, il s'est fait apparemment un consensus sur tous les bancs, pour dire qu'il faut renvoyer cette motion en commission. Le Conseil d'Etat est d'avis que c'est une mauvaise idée, il vous invite à y renoncer et entend vous faire ici une autre proposition.

Quelle est l'invite de cette motion ? On demande au Conseil d'Etat de faire respecter strictement les articles et l'esprit de la loi sur les cimetières. Nous avons prêté serment de faire respecter les lois dans notre canton, et c'est faire injure au Conseil d'Etat que d'imaginer que le Grand Conseil doit, par la voie de motions, nous rappeler à nos devoirs. On nous demande ensuite de rappeler à la Ville de Genève les dispositions et l'esprit de cette législation. Or, pour cela, nous n'avions pas besoin de motion: cela a été fait il y a déjà un certain temps, puisque nous avons été amenés, lorsque nous avons appris par la presse le débat qui s'engageait, à rappeler à la Ville de Genève qu'il existait une loi - la loi sur les cimetières - et que celle-ci interdisait à nos yeux qu'on établisse des carrés confessionnels. Nous avons même précisé dans notre courrier au Conseil administratif que de tels carrés confessionnels, sous toute forme juridique que ce soit, seraient illicites à teneur de la loi en vigueur. Par là même, nous avons donc demandé au Conseil administratif de s'abstenir de créer de tels carrés confessionnels, en précisant toutefois au terme de notre courrier que nous ne serions pas opposés à ouvrir un nouveau dialogue portant sur cette question très sensible et à consulter à cet effet les autorités municipales du Canton, les autres milieux concernés et les diverses communautés religieuses établies à Genève, dans la perspective éventuelle d'un nouveau débat dans le Grand Conseil, pour modifier, cas échéant, la loi sur les cimetières. Voilà en somme quelle est la situation.

Autour de la motion qui vous a été présentée, un long débat s'est ouvert, et nous avons eu la satisfaction sur les bancs du Conseil d'Etat de constater qu'au fond, les termes de ce débat, qui a été digne et où beaucoup de choses profondes ont été dites, rejoignaient d'assez près les réflexions qui étaient les nôtres.

Ces réflexions, en substance, quelles sont-elles ? La première, c'est que nous vivons dans un Etat laïc, que les pratiques religieuses et l'attitude que chacun adopte face à la mort renvoient à des opinions personnelles et non collectives, et que si nous ne voulons pas tomber dans ce danger qui pourrait nous guetter et qui est celui du communautarisme - c'est-à-dire que les personnes ne se définissent pas comme participant à la société genevoise mais comme participant à une communauté religieuse - eh bien nous devons nous en tenir à cette ligne selon laquelle la religion est une affaire de conviction personnelle. Mais, dans le même temps, dans une société tolérante, on se doit de permettre à chacune et à chacun d'exprimer ses convictions, et de la même façon qu'il nous paraît normal que chacune des confessions puisse avoir une église, il faut savoir - c'est M. Vanek qui le disait - qu'il y a d'autres lieux de culte que les bâtiments, que les cimetières aussi sont aux yeux de plusieurs religions des lieux de culte, et qu'il faut également les respecter. Au fond, le chemin que nous essayons de trouver au Conseil d'Etat est un chemin où nous voulons à la fois préserver la laïcité - en d'autres termes faire en sorte que les pratiques cultuelles culturelles soient régies par la loi - et respecter la liberté personnelle.

En ce sens, nous avons désigné parmi nous une commission. Des conseillers d'Etat sont actuellement au travail pour engager des contacts avec la Ville de Genève - cela a été fait notamment avec M. le conseiller administratif Tornare, qui fait référence à ce dialogue en conclusion de son courrier - et avec les différentes communautés religieuses, afin de voir dans quel sens nous devons aller pour trouver une solution dans le cadre de l'Etat laïc. C'est vous dire que dès l'instant où ces démarches, qui demandent une certaine subtilité et surtout une certaine discrétion, sont en cours, il m'apparaîtrait contre-productif que ce même travail se fasse ailleurs, c'est-à-dire dans une commission du Grand Conseil. Nous vous demandons simplement de nous donner la possibilité de continuer cette démarche. C'est en ce sens finalement que je vous demanderai non pas de rejeter cette motion, qui a déjà été appliquée dans une large mesure par le Conseil d'Etat - ce qui veut dire qu'elle avait au fond une forme de légitimité - mais de la modifier, pour inviter le Conseil d'Etat à engager un dialogue - nous l'avons déjà commencé - avec tous les milieux intéressés, afin d'examiner une possibilité de modification de la loi sur les cimetières, préservant les convictions des différentes communautés, dans le respect de la laïcité, ce point nous semblant devoir effectivement cadrer toute réflexion d'une modification législative.

Voilà la proposition que vous fait le Conseil d'Etat. Au terme des démarches qui sont en cours, nous viendrons devant vous avec un projet de loi. Vous pourrez en juger, mais je crois que c'est ce projet de loi-là qui devra être renvoyé en commission. Ma collègue Martine Brunschwig Graf, parce que nous sommes très collégiaux, a la gentillesse de rédiger les termes de cette proposition d'amendement qui sera bientôt distribuée sur vos bancs.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, le débat est clos. Nous sommes saisis d'une proposition d'amendement, mais comme le renvoi a été demandé, je mets d'abord aux voix le renvoi en commission, selon l'article 147. Monsieur Dupraz, le débat est clos. Je vous lis quand même l'amendement du Conseil d'Etat: «Le Grand Conseil invite le Conseil d'Etat à engager un dialogue avec tous les milieux intéressés afin d'examiner une possibilité de modification de la loi sur les cimetières préservant la conviction des différentes communautés dans le respect de la laïcité.»

Je mets d'abord aux voix la motion initiale, non amendée, et son renvoi à la commission législative. Ceux qui l'acceptent - ce qui signifie évidemment qu'ils n'accepteront pas forcément l'amendement du Conseil d'Etat - sont priés de lever la main.

Mis aux voix, le renvoi de cette proposition de motion à la commission législative est rejeté.

Le président. Je fais maintenant voter l'amendement, avant l'autre possibilité qui était le renvoi de la motion au Conseil d'Etat, pour que, le cas échéant, la motion amendée soit renvoyée au Conseil d'Etat.

Mis aux voix, l'amendement proposé par le Conseil d'Etat est adopté.

Le président. Je mets aux voix le renvoi de la motion ainsi amendée au Conseil d'Etat. Celles et ceux qui l'acceptent sont priés de lever la main. Large majorité. Celles et ceux qui le refusent ? Un certain nombre, sur tous les bancs, à gauche, à droite et au centre... Celles et ceux qui s'abstiennent ? Quelques-uns, également sur tous les bancs.

Mise aux voix, la motion 1468 ainsi amendée est adoptée.