République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1476
Proposition de motion de Mme et MM. Christian Grobet, Rémy Pagani, Marie-Paule Blanchard-Queloz pour la création d'une commission d'enquête sur les actes de contrainte de la police

Débat

M. Christian Grobet (AdG). Assez régulièrement, hélas, on lit dans la presse les mésaventures de citoyennes et de citoyens en relation avec des interventions des agents de la police.

Je tiens à dire que j'ai tout à fait confiance, Madame Spoerri, dans la police, et celle-ci, dans l'ensemble, fait très bien son travail. Et je crois que nous pouvons être reconnaissants d'avoir une police qui sait intervenir à bon escient dans la très grande majorité des cas.

Mais, malheureusement, il y eu quelques interventions excessives qui ont été évoquées dans la presse. C'était du reste - je tiens à le préciser, Madame - avant que vous n'entriez en fonction. Le département de justice et police a alors désigné une personne pour enquêter sur ces affaires et, chaque fois que la presse évoquait une «bavure» - pour employer un terme un peu usuel - la réponse était que le dossier était confié pour enquête à M. Vodoz, commissaire à la déontologie... Mais on n'a jamais le résultat des rapports ! On lit des affaires dans la presse, mais on n'en connaît pas la suite. Peut-être recevez-vous ces rapports, comme vos prédécesseurs, mais comme ceux-ci ne sont pas rendus publics et que notre Conseil n'en est pas avisé, cela crée un climat délétère par rapport à ces affaires.

Une affaire s'est produite tout récemment. La presse a-t-elle inventé de toutes pièces cet incident qui est intervenu avec une jeune maman qui voulait monter dans le tram avec son bébé, accusée de ne pas être en possession d'un billet ? Elle n'avait même pas commis d'infraction puisqu'elle n'était pas encore montée dans le tram, selon ce qui a été rapporté - je m'empresse de le dire - dans un grand quotidien de la presse qui est habituellement très sérieux, comme vous le savez... (Exclamations.)L'affaire a-t-elle été mal relatée ? Je n'en sais rien, mais, enfin, il y a vraiment de quoi s'inquiéter ! On nous dit une fois de plus que le commissaire à la déontologie a été saisi de cette affaire, mais, ensuite: silence radio, nous ne sommes plus au courant de rien ! Cette dernière affaire, si tant est que les faits sont exacts, est tout de même grave, parce qu'il s'agit d'une intervention faite par plusieurs agents, comme s'ils avaient eu affaire à un délinquant qui aurait commis un hold-up, alors que cette jeune maman, je le répète, n'est même pas montée dans le tram. De toute façon, en matière de contravention, il n'y a pas eu tentative de fraude et encore moins délit. Selon l'article du journal, elle a été emmenée et gardée plusieurs heures au poste de police avec son bébé. En tout cas, il ressort de cet article que cette intervention était tout à fait inacceptable.

Il me semble donc que, dans l'intérêt même de la police, il conviendrait qu'une commission de notre Grand Conseil se saisisse de cette affaire. Nous avons suggéré une commission d'enquête, mais nous pouvons peut-être la renvoyer à la commission des Droits de l'Homme. Quoi qu'il en soit nous serions d'accord, puisque notre motion s'adresse au Grand Conseil et non au Conseil d'Etat, de la renvoyer à une commission avant qu'une commission d'enquête ne soit créée. Cela pourrait aussi être la commission judiciaire qui examine l'opportunité de créer une commission d'enquête.

En conclusion, j'aimerais dire qu'il me parait important, Madame Spoerri, que ces différentes affaires qui ont été évoquées dans la presse, dans l'intérêt même de la police, fassent l'objet d'un examen attentif, d'une audition du commissaire à la déontologie pour savoir ce qu'il en est véritablement, si les accusations qui ont été portées sont fausses - si tel était le cas, il faudrait le dire - ou si elles sont fondées, et, dans ce cas-là et pour des faits qui sont relativement graves, il faudrait en tenir compte d'une manière ou d'une autre et trouver des solutions appropriées.

M. Christian Bavarel (Ve). Les Verts sont très attachés au principe du monopole de l'usage de la force à l'Etat. Nous déplorons toujours que cet usage de la force soit délégué à des privés que ce soit dans des communes ou ailleurs. Nous sommes aussi très satisfaits de la qualité de la police genevoise et du sérieux avec lequel elle remplit sa mission. Nous pensons néanmoins que, de temps en temps, il y a quelques moutons noirs, quelques dérapages... Et le reconnaître permettrait d'augmenter la dignité et la qualité de la police genevoise. Nous regrettons l'attitude parfois corporatiste de la police face à certaines accusations. Cela empêche de remédier aux dysfonctionnements, alors que la police compte en son sein de très grandes compétences - nous le savons - qui sont malheureusement insuffisamment exploitées, que ce soit en matière interculturelle ou autre.

Nous vous demandons simplement de renvoyer cette motion à la commission des Droits de l'Homme.

M. Christian Luscher (L). Comme tout un chacun, peut-être avec une authenticité un peu plus marquée, je voudrais exprimer ce soir notre attachement particulier à la police, et je crois qu'il est important qu'elle le sache. En effet, une police dans un canton comme le nôtre ne peut bien travailler que si elle sait que le parlement, le gouvernement, les autorités et la justice soutiennent son action lorsqu'elle agit dans le cadre fixé par la loi.

M. Christian Grobet. Et la population !

M. Christian Luscher. Vous avez raison, Monsieur Grobet: et la population !

D'ailleurs, il suffit de voyager dans des pays pas très éloignés, pour se rendre compte à quel point nous avons de la chance d'avoir une police d'une si grande qualité. Et je suis très content, Monsieur Grobet, de vous voir ce soir opiner du chef en entendant mes propos.

Je dis qu'il est particulièrement scandaleux - et je pèse mes mots - d'utiliser, dans un cas comme celui-ci, les méthodes qui ont été employées... En effet, on a, Mesdames et Messieurs les députés, «vendu» un cas à la presse dont on ne connaît rien, à propos duquel aucune enquête n'a été faite, uniquement pour faire du sensationnalisme ! Et, une fois qu'elle est vendue, on brandit le même article de presse pour prouver que ce qui se passe à Genève est absolument scandaleux et qu'il faut réagir ! Et ce sont les mêmes personnes qui ont «vendu» à la presse une information dont elles ne savent rien qui se prévalent de cet article pour déposer des motions dont nous ne pouvons pas admettre le bien-fondé ! (Exclamations. L'orateur est interpellé.)Monsieur Grobet, je ne m'attaque pas du tout à vous !

Une voix. A qui, alors ?

M. Christian Luscher. Et on propose la création d'une commission de neuf membres, alors que tout le monde sait ici que les structures existent déjà non seulement à l'interne de la police - je pense notamment au commissaire à la déontologie, aux officiers de police qui doivent faire régner l'ordre au sein de leurs structures - mais aussi, tout simplement, la justice. En effet, les personnes qui ont été lésées par la police ou par d'autres personnes peuvent avoir recours au système judiciaire en place qui fait que, lorsqu'il y a une base réelle, les enquêtes débouchent sur des investigations judiciaires.

Je tiens à répéter ce que je disais tout à l'heure à propos du projet de loi sur la sécurité - je me suis peut-être un peu emporté et je suis prêt à m'en excuser - il ne faut pas «casser du flic» ! La police que nous entendons en commission judiciaire - Monsieur Grobet, vous êtes d'ailleurs le premier à le savoir - ce sont des hommes et des femmes qui rencontrent des difficultés, qui ont besoin de notre soutien, et je prétends que de telles motions ne peuvent que laminer la confiance que la population, la députation, le gouvernement et la justice, doivent avoir dans notre police.

Et même si je suis certain de l'authenticité du souci de M. Bavarel que cette affaire soit effectivement traitée, je pense que nous ne devons en aucune manière céder à la tentation qui consisterait à la renvoyer en commission. Je pense que nous devons aujourd'hui donner un signal clair en faveur de nos institutions, en faveur de notre police: nous devons rejeter cette motion.

D'ailleurs, je note que la commission des Droits de l'Homme peut se saisir de ce cas directement sans qu'il soit nécessaire de passer par une motion traitée par notre parlement. Je note aussi que la justice peut être saisie d'une telle affaire sans déposer de motion.

C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande ce soir - au-delà de l'affaire en question dont je ne connais rien, et je pense ne pas être le seul ici dans ce cas - de rejeter cette motion, pour marquer la confiance dont notre police et notre population ont besoin !

M. Gilbert Catelain (UDC). J'approuve les propos qui ont été tenus par mon collègue le député Luscher.

Je suis d'ailleurs heureux d'apprendre que tout le monde dans ce parlement est très satisfait du travail fourni par notre police...

Et j'ajoute que les actes de contrainte de cette même police à l'égard des personnes sont en général peu nombreux. D'ailleurs, de nombreux policiers à ce jour hésitent à faire usage de ce droit aux dépens de leur propre sécurité. Comme vous l'avez dit, chaque cas de contrainte passe au crible du commissaire à la déontologie, et il n'est d'ailleurs pas dans l'intérêt du Conseil d'Etat de couvrir une quelconque dérive dans ce domaine. Je rappelle que les personnes qui sont ou se considèrent victimes d'actes de contrainte ont effectivement la possibilité soit d'utiliser leur droit de réclamation vis-à-vis de l'état-major de la police soit de déposer plainte pénale et, dans ce cas, le collaborateur de la police concerné sera traduit devant le tribunal.

Nous pensons que ce parlement ne doit pas se substituer au pouvoir judiciaire. Vous ne l'avez d'ailleurs pas fait dans le cas de cette dérive qui se passe au niveau du service de la protection de la jeunesse, et je me demande pourquoi il y aurait deux poids deux mesures...

En conséquence, le parti de l'Union démocratique du centre ne soutiendra pas cette motion.

M. Carlo Sommaruga (S). Le parti socialiste a toujours été troublé lorsque des faits de ce genre arrivent à la connaissance du public: la violation des droits de la personne, violation, parfois aussi, des droits humains, que ce soit à Genève, en Suisse ou ailleurs.

Ce n'est heureusement pas la règle, et, sur ce point, je rejoins M. Luscher.

Toutefois, malheureusement, il arrive, en raison du comportement de certaines personnes, qu'il y ait violation des règlements et atteinte aux droits de la personne... Et on ne peut pas faire fi de telles situations, même si elles sont rares, voire extrêmement rares. La force et l'autorité de la police ainsi que le respect qu'elle inspire passent par le respect par cette police - c'est-à-dire par tous ses éléments - des droits de toute personne, quelle qu'elle soit.

Il est vrai que cette motion a été déposée sur un cas particulier, mais il est vrai aussi que la presse a relaté récemment - il y a deux jours - un autre cas qui semble relever du délit de «sale gueule»... Et ça, c'est un problème ! Dans ces conditions, nous considérons qu'il serait opportun de renvoyer cette motion en commission, parce que, si on ne le faisait pas, le message serait que, finalement, les politiques ne prennent pas ce genre de faits en considération.

Et je tiens à préciser à cet égard que suite à une audition, dans le cadre des travaux de la commission des visiteurs, nous avons pu révéler un cas de violation des droits de la personne sur un détenu d'un des établissements que nous avons visités. Cela est relaté dans le rapport qui a été déposé récemment par ladite commission. Certes, une enquête a été ouverte, mais c'est grâce à l'intervention des députés que ce fait a pu être mis à jour... alors que la hiérarchie n'avait pas été capable de le déceler.

Cela montre donc que, dans certaines situations, le regard extérieur d'une instance - comme, par exemple, la commission des droits politiques ou une autre commission d'enquête - permet effectivement de faire la lumière et de connaître la vérité. Et le message qui en découle, c'est que tous les fonctionnaires de police de ce canton doivent respecter les droits de la personne.

Dans ces conditions, nous vous invitons donc à renvoyer cette motion en commission pour examiner l'ensemble de la question sereinement, pour entendre les personnes concernées de l'administration - notamment M. Vodoz - et pour connaître quelles sont les procédures à suivre et quelles sont les directives qui sont données à la police dans les situations de stress.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous rappelle qu'à partir du moment où une demande de renvoi en commission est faite, vous devez vous exprimer uniquement sur ce renvoi en commission, et ce, à raison d'un député par groupe. Je pars du principe, Monsieur Vanek et Monsieur Hodgers, qu'un député de votre groupe s'est déjà exprimé... Il en est de même pour vous, Monsieur Gautier. Il ne reste donc plus que vous, Monsieur Pascal Pétroz. Vous pouvez y aller.

M. Pascal Pétroz (PDC). Notre groupe a pris connaissance de cette motion avec beaucoup d'attention, mais je dois dire qu'il est tout de même perplexe...

En effet, cette motion propose la création d'une commission d'enquête qui serait chargée d'examiner les actes de contrainte de la police... Cela pose toute une série de questions sur la nature de la commission d'enquête que vous voulez créer. S'agit-il d'une commission d'enquête au sein de l'administration ? S'agit-il d'une commission d'enquête parlementaire? Je pars du principe qu'il ne s'agit pas d'une commission d'enquête parlementaire, puisque l'article 230E de notre règlement du Grand Conseil prévoit qu'une commission d'enquête parlementaire doit être composée de quinze membres, alors que vous proposez la constitution d'une commission de neuf membres seulement.

J'ajoute à ce sujet, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, que l'article 230E du règlement du Grand Conseil prévoit qu'une commission d'enquête parlementaire ne peut être constituée que si des faits d'une gravité particulière le justifient... Or, il me semble qu'on ne peut pas parler d'un fait très grave, à propos de l'intervention qui est citée dans l'exposé des motifs de cette motion !

Pour le surplus, et cela a été dit tout à l'heure par certains de mes préopinants, la loi sur la police contient un certain nombre de dispositions relatives à la façon dont les arrestations doivent être faites. Des garanties de procédure sont accordées aux justiciables, et il est clair qu'elles doivent être respectées de la manière la plus scrupuleuse qui soit: la police doit faire son travail tout à fait convenablement et ne pas tomber dans l'arbitraire.

Cela étant, nous estimons également que notre parlement ne doit pas se substituer au chef de la police, qui est compétent pour donner toute une série de sanctions quand un fonctionnaire de police fait mal son travail ou a - passez-moi l'expression - «dérapé». Ces sanctions sont le blâme, l'avertissement, et peuvent aller jusqu'à la suspension du fonctionnaire. Il me semble que nous devons garder nos compétences et laisser le soin au chef de la police de faire son travail, s'il est saisi d'une plainte dans ce sens-là. Alors, ne nous substituons pas à son travail ! Chacun doit rester dans le cadre de ses attributions respectives.

C'est la raison pour laquelle le groupe démocrate-chrétien s'opposera au renvoi en commission de cette motion et sur le fond de celle-ci. (Applaudissements.)

Le président. Nous avons encore M. Hodgers, parce que le représentant écologiste avait parlé avant le renvoi en commission...

M. Antonio Hodgers (Ve). Effectivement, Monsieur le président, au moment de l'intervention de mon collègue, la question du renvoi ne se posait pas encore vraiment...

A ce stade du débat, j'aimerais quand même... (Brouhaha.)Si vous me le permettez, Mesdames et Messieurs les députés, il ne me faut que trois minutes... On pourrait gagner du temps... (Exclamations.)

Le président. S'il vous plaît, laissez parler M. Hodgers !

M. Antonio Hodgers. Monsieur le président, si mes collègues ne savent pas se tenir, il n'y a qu'à refuser le renvoi en commission, comme cela on pourra reprendre le débat de plus belle et continuer à discuter sur le fond de la motion ! Moi, je vais tout de même essayer de vous convaincre de renvoyer cette motion en commission, comme cela les choses iront plus vite...

Je dois préciser deux ou trois choses en l'état.

Tout d'abord, Monsieur Luscher, cette motion ne doit pas être interprétée comme une volonté délibérée de «casser du flic»... Aucun député dans ce parlement n'a pour mission de saper le travail de ces fonctionnaires, car nous savons - ô combien - que leur mission est délicate. (Exclamations.)A ce niveau, je crois que vous faites un procès d'intention qu'il n'y a pas lieu de faire ici, même si je reconnais que le texte qui nous est proposé est malvenu - en tout cas, la forme ne me convient pas.

En effet, en disant cela, vous ne permettez pas à ce parlement ou à des citoyens de critiquer la police ou de dénoncer les abus de pouvoir que peuvent commettre des policiers dans le cadre de leurs fonctions. La confiance que nous déposons dans le corps de police est liée au fait que ce corps même reconnaisse qu'il peut contenir en son sein des éléments qui peuvent commettre des actes qui sont, de par la loi, répréhensibles et condamnables. Le discours doit être clair sur ce point. Et c'est seulement à cette condition que nous travaillerons en confiance avec la police.

Cela dit, et je vous l'accorde, ce Grand Conseil ne doit pas s'occuper de cas précis comme tente de le faire partiellement cette motion, ce que je regrette. Les parlementaires doivent traiter d'une problématique en général. Il est normal, suite à des cas particuliers survenant dans la République, que des députés soient émus et déposent un texte, mais ce texte doit porter sur le problème en général.

Encore un mot sur le commissaire à la déontologie, puisqu'il a été cité ce soir...

Monsieur Catelain, nous venons d'auditionner le commissaire à la déontologie à la commission des Droits de l'Homme. Il s'agit d'un commissaire, mais ce n'est pas une commission. Voyez-vous, il n'a aucun moyen à sa disposition. Il travaille dans son bureau privé et ne reçoit aucune indemnité de l'Etat ! Alors, ne venez pas nous dire qu'il a les moyens de dénoncer des cas comme celui qui nous est soumis ce soir: malgré toute sa bonne volonté, ce n'est pas possible ! (Le président agite la cloche.)M. Vodoz a reconnu qu'il n'avait aucun moyen d'enquête et aucun pouvoir d'investigation ! (Exclamations.)

Pour conclure, Mesdames et Messieurs les députés, le problème est réel, même si je reconnais que la forme de cette motion n'est pas pertinente.

C'est pourquoi, en accord avec les propos de M. Luscher, je pense qu'il faudrait renvoyer cette motion à la commission des Droits de l'Homme pour qu'elle se saisisse de ce problème. Elle en a effectivement la compétence: la loi le lui permet, mais il n'y a aucune raison que le Grand Conseil ne puisse pas lui soumettre ce cas: elle pourra ainsi modifier les critiques de forme que vous lui reprochez.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de renvoyer cette motion à la commission des Droits de l'Homme.

Le président. Merci, Monsieur Hodgers. Messieurs les libéraux, encore un moment de patience... Madame Micheline Spoerri, conseillère d'Etat, vous avez la parole.

Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs, je vous demande la plus grande attention, parce que vous êtes en train de vivre sans le savoir un moment solennel... Et je vais vous dire pourquoi. Tout d'abord, je démens formellement ce que la presse a écrit à propos du cas cité dans l'exposé des motifs à l'origine du dépôt de cette motion. D'autres cas sont en cours d'examen. Deux d'entre eux ont été dénoncés par SOS racisme, dont j'ai déjà rencontré les représentants. Je rappelle que le rôle de cette institution n'est pas de se substituer à ce qui existe déjà mais de porter le témoignage d'une victime devant les instances voulues. L'esprit de SOS racisme est donc bien plutôt de servir de médiateur.

Mesdames et Messieurs, cela fait maintenant sept mois que je travaille avec la police - sept mois. J'ai eu l'occasion avec l'ensemble des syndicats - semaine après semaine - puis avec la hiérarchie de la police - semaine après semaine - d'évoquer l'ensemble des difficultés rencontrées à l'heure actuelle. Je me fais donc personnellement, non seulement au titre de conseillère d'Etat mais aussi en tant qu'individu, le porteur de ces difficultés rencontrées par la police aujourd'hui, dont la tâche est devenue d'une complexité absolument incroyable. Et comme je le disais l'autre jour à Champ-Dollon: on demande à ceux qui sont au bout de la chaîne de résoudre des problèmes, que nous n'avons pas été capables de régler en tant que citoyens, et de prendre des décisions instantanées. Alors, ils ont droit à l'erreur dans un certain nombre de cas - et ils le reconnaissent. C'est le premier point.

Je ne vais pas me perdre dans la liste de toutes les dispositions qui existent, mais je vais tout de même rappeler qu'il y a une loi sur la police, qu'il y a un code de procédure pénal, qu'il existe des directives internes qui limitent l'usage de la contrainte à ce qui est strictement nécessaire à l'accomplissement des devoirs de la fonction. Il y a, comme l'a dit tout à l'heure le député Pétroz, un code de déontologie, et, enfin, des contrôles sont exercés par le chef de la police lui-même. Et je demande, quand je le juge nécessaire ou/et sur recommandation du commissaire à la déontologie, des compléments d'enquête et, dans certains cas, que sanction soit prise à l'encontre d'une personne qui n'aurait pas observé strictement ce respect et cette déontologie vis-à-vis d'un tiers, même si sa tâche est difficile.

Alors, vous allez tout à l'heure décider du sort de cette motion, et c'est votre plus grand droit. Mais je vous dis une chose, Mesdames et Messieurs, si vous confrontez la police, aujourd'hui ou demain, à cette contrainte supplémentaire plutôt que d'essayer, comme nous le faisons du reste par toutes sortes de moyens, d'optimiser leurs conditions de travail, vous porterez une lourde responsabilité. C'est d'ailleurs dans ce sens que je déposerai bientôt, d'entente avec l'ensemble d'entre eux, un projet de loi qui vous sera soumis.

Je vous implore, Mesdames et Messieurs, d'être attentifs au fait que le renvoi en commission de cette motion ou son acceptation serait considéré comme un acte de défiance vis-à-vis de la police, alors même qu'aujourd'hui il n'est pas rare que cette même police soit insultée, menacée, voire agressée, dans l'exercice de sa fonction: la protection des citoyens. (Applaudissements.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous résume la procédure de vote. Nous allons d'abord voter sur le renvoi à la commission des Droits de l'Homme. Si ce renvoi est refusé, nous voterons sur le fond de la motion, qui propose d'instituer une commission d'enquête. A l'exception du nombre de membres, c'est parfaitement conforme à l'article 230E de notre règlement. Mesdames et Messieurs les députés, je mets d'abord aux voix le renvoi de cette motion à la commission des Droits de l'Homme, au moyen du vote électronique pour que les choses soient claires.

Mise aux voix, cette proposition est rejetée par 43 non contre 31 oui et 1 abstention.

Le président. Je fais maintenant voter sur le fond de la motion... (Le président est interpellé.)Oui, je fais voter selon l'article 147, alinéa 3, je cite: «A la fin du débat, le Grand Conseil vote sur la proposition de motion, à moins qu'il ne décide de la renvoyer à une commission.» (Brouhaha.)Monsieur Vanek, moi, j'ai tout mon temps... Allez-y !

M. Pierre Vanek (AdG). Merci, Monsieur le président...

Le président. Non, Monsieur Vanek, nous ne pouvons malheureusement pas interrompre... Effectivement, le règlement stipule... Il faudra couper le micro de l'orateur.

Monsieur Luscher, vous avez une motion d'ordre à proposer ?

M. Pierre Vanek. J'ai la parole, Monsieur Luscher, laissez-moi parler !

Le président. Non, non, attendez, Monsieur Vanek ! Vous l'aurez après ! (Exclamations.)

M. Christian Luscher (L). Monsieur le président, je demande l'application de l'article 79, lettre b, selon lequel on ne doit donner la parole qu'aux députés qui l'avaient demandée avant la demande de motion d'ordre. Je demande donc que l'on arrête les débats... (L'orateur est interpellé par M. Vanek.)

Le président. Monsieur Vanek, la motion d'ordre doit être immédiatement mise aux voix !

M. Christian Luscher. Monsieur le président, j'aimerais juste motiver en quelques mots cette requête, qui va empêcher quelques députés de prendre la parole - j'en suis conscient...

Jusqu'à maintenant, nous avons eu un débat qui s'est déroulé dans un climat relativement digne. Chaque groupe a pu faire valoir sa position de façon nuancée et Mme la présidente du département de justice, police et sécurité a également fait valoir sa position. Je crois que chacun sait exactement le sort qu'il veut réserver à cette motion, et tout le reste ne serait que mauvaise politique...

Le président. Parfait !

M. Christian Luscher. Raison pour laquelle, Monsieur le président, je suggère que nous votions immédiatement...

Le président. Mais nous appliquons simplement le règlement ! Vous n'avez pas à me le suggérer: je dois le faire, selon l'alinéa 2: «La motion d'ordre doit être immédiatement mise aux voix sans débat et ne peut être acceptée qu'à la majorité des deux tiers des députés présents.»

Mesdames et Messieurs les députés, nous procédons au vote sur cette proposition au moyen du vote électronique.

Mise aux voix, cette proposition est rejetée.

(Résultat du vote électronique: 43 oui, 29 non et 1 abstention.)

Le président. La majorité des deux tiers n'ayant pas été obtenue, les débats continuent.

Monsieur Vanek, vous avez la parole. Soyez concis !

M. Pierre Vanek (AdG). Comme l'a dit M. Luscher, le débat s'est déroulé dans de bonnes conditions jusqu'à maintenant. Et il est regrettable qu'il ait dérapé sur une question de procédure... (Exclamations.)

Une voix. Voilà, ça commence ! (Le président agite la cloche.)

M. Bernard Annen. C'est l'application du règlement !

M. Pierre Vanek. Comme le dit très justement M. Annen, c'est l'application du règlement ! On a limité le débat sur le renvoi en commission, et, après le vote sur le renvoi en commission, ceux qui étaient inscrits avant et qui voulaient s'exprimer sur le fond de la motion ont maintenant le droit de le faire... Excusez-moi, mais je n'ai rien inventé ! C'est tout simple. Je m'étais inscrit, après l'intervention de M. Luscher tout à l'heure, avant la question du renvoi en commission.

M. Claude Blanc. Au fait, au fait ! (Le président agite la cloche.)

M. Pierre Vanek. Monsieur Luscher, vous avez tenu des propos excessifs, et vous vous en êtes excusé sur des informations qui auraient été vendues... C'est fort bien, mais vous avez conclu, par rapport à cette information qui a interpellé les auteurs de cette motion, que vous ne saviez rien de cette affaire - c'est le terme que vous avez employé - mais qu'il fallait refuser - ce que vous allez sans doute faire tout à l'heure - cette motion comme un gage de confiance à l'égard de notre police qui a les qualités - mais aussi certains défauts, parce que rien n'est parfait en ce monde... - que vous avez évoquées tout à l'heure, comme d'autres de mes préopinants...

Monsieur Luscher, dire qu'il faut voter la confiance alors qu'on ne sait rien d'une affaire, c'est faire preuve d'une confiance aveugle ! Et ce n'est pas de ce type de confiance dont notre police a besoin. La confiance aveugle est évidemment malsaine. M. Carlo Sommaruga, tout à l'heure, en expliquant le travail de la commission des visiteurs de prison - qui est un travail d'examen critique notamment de l'activité de celles et ceux qui travaillent dans nos prisons et les font fonctionner - a démontré l'utilité de ce genre d'examen critique... (Brouhaha. Le président agite la cloche.)Je dirai même plus, vous appelez à une confiance aveugle sur la forme, mais, dans le fond, cela démontre bien plutôt un manque de confiance... Car ne pas vouloir accepter de soumettre certaines affaires à l'examen d'une commission de ce parlement - une commission ad hoc, une commission d'enquête parlementaire ou la commission des Droits de l'Homme - c'est précisément manquer de confiance... C'est penser que notre police n'est pas à la hauteur et ne peut pas passer un tel examen... Et c'est cela le fond de la question ! Quant à moi, je pense que la police est parfaitement capable de passer ce type d'examen, de le supporter, d'être à la hauteur et d'en tirer profit...

Je vous ai écoutée avec attention, Madame la conseillère d'Etat, comme vous l'avez demandé, et je regrette d'ailleurs de m'exprimer après vous, mais ce sont des questions de procédure... Je vous ai entendu dire que si nous acceptions cette motion, ce serait une contrainte supplémentaire pour la police... Et puis, ensuite, vous avez cité une série d'instances déjà existantes: le commissaire à la déontologie, etc. Je ne suis pas d'accord, Madame la conseillère d'Etat, je ne pense pas que ce soit une contrainte supplémentaire, puisque, comme vous le dites, toutes ces instances existent déjà ! La commission en question ne fera que prendre connaissance de certains éléments de manière plus approfondie que nous n'avons pu le faire ce soir. Cela me semble parfaitement normal, et je ne vois pas en quoi il faudrait y voir un quelconque acte de défiance ! Il semble, Madame, que vous placiez le débat sur le terrain où l'a placé, à mon avis à tort, notre collègue libéral Christian Luscher tout à l'heure...

Non ! Cette motion reconnaît simplement, partant d'un fait précis - sur lequel on pourra nous donner davantage d'informations - qu'il peut y avoir des problèmes concrets dans la manière dont sont effectuées les tâches de la police. Cette motion propose à ce Grand Conseil de se pencher sur ce problème, et je ne vois pas en quoi ce contrôle, exercé par notre parlement, devrait être perçu comme un acte de défiance, pas plus que l'instauration, lors de la dernière législature, de la commission de contrôle de gestion - qui a fait un travail pas forcément inutile dans un certain nombre de dossiers que vous connaissez - ne devrait être perçue comme un acte de défiance ou quelque chose de malsain par rapport à l'autorité du Conseil d'Etat...

Le président. Il vous faut conclure !

M. Pierre Vanek. ...dont vous faites maintenant partie...

C'était ma conclusion, Monsieur le président, ça tombe bien !

Le président. Le Bureau vous propose de clore la liste des orateurs, soit MM. Catelain, Gautier, Blanc, Sommaruga et Hodgers.

Mise aux voix, cette proposition est adoptée.

Le président. Nous continuons. Donc, après l'intervention de M. Hodgers, qui sera la dernière, nous voterons sur cette motion. Je vous demande d'être brefs, Messieurs.

Monsieur Gilbert Catelain, vous avez la parole.

M. Gilbert Catelain (UDC). Mon intervention sera très courte, puisque je voulais demander l'interruption des débats. Je renonce donc à mon droit de parole. (Applaudissements.)

M. Renaud Gautier (L). Je ne reviendrai pas sur les propos de mon préopinant, si ce n'est pour dire que je suis amusé de l'entendre cette fois-ci plaider la cause de l'ouverture, alors que tout à l'heure il nous a fait un brillant plaidoyer sur la démagogie...

Je ferai deux remarques. Cette motion parle des contraintes dites «abusives»... Si elles sont abusives, elles sont de fait excessives, si elles sont excessives, elles doivent faire l'objet d'une enquête à l'Etat. Comme dans tous les autres services de l'Etat, Mesdames et Messieurs, il existe une procédure à Genève qui est l'enquête administrative. Il n'y a donc pas de raison de créer une enquête particulière, alors qu'effectivement les moyens prévus existent déjà !

En ce qui concerne l'examen des directives applicables en matière d'interpellations, je voudrais juste signaler que si toutes les directives données par les départements devaient elles aussi faire l'objet d'une commission d'enquête, je me demande comment procéderait et évoluerait l'Etat... A ce compte là, il faudrait créer une commission d'enquête sur les directives établies par le département des travaux publics ou par le département de l'économie, voire par le département des finances...

Cela pour démontrer qu'effectivement cette motion me paraît excessive; elle me paraît arbitraire; elle me paraît surtout dangereuse, dans la mesure où elle tente de créer, pour un corps particulier de l'Etat, des conditions qui ne seraient pas appliquées aux autres, ce qui pourrait effectivement lui faire prendre conscience qu'il a un traitement différent du reste de l'Etat.

M. Claude Blanc (PDC). Je ferai simplement remarquer que la première invite de la motion porte déjà en elle un jugement... En effet, les motionnaires ne disent pas qu'il faut enquêter sur des actes qui seraient commis, mais sur des actes de contrainte abusifs commis par des agents de police... Les agents de police sont déjà jugés et condamnés... Alors, pourquoi créer une commission d'enquête ? Il n'y a qu'à les mettre en prison !

M. Carlo Sommaruga (S). Tout à l'heure, je disais, au nom des socialistes, que nous étions favorables au renvoi ce cette motion en commission, dans la mesure où il apparaissait opportun de pouvoir examiner que les divers corps de notre Etat respectent bien les droits de la personne.

En l'état, la question est de savoir si nous acceptons ou non cette motion. Il est clair que c'est non. Toutefois, nous ne pouvons pas la rejeter non plus, parce qu'elle soulève un problème d'ordre général, qu'il serait pertinent d'étudier en commission. De plus, il existe des problèmes formels. Ils ont été évoqués par M. Pétroz. On ne sait effectivement pas s'il s'agit d'une commission administrative ou parlementaire, composée de neuf ou quinze membres...

Par conséquent, le parti socialiste s'abstiendra sur ce vote.

M. Antonio Hodgers (Ve). Pour conclure et appuyer les propos de mon collègue Sommaruga, je dirai que nous aurions également souhaité renvoyer cette motion en commission... Il n'est pas possible de la voter en l'état, pour les raisons de fonds qui ont été évoquées, à savoir que notre Grand Conseil n'a pas à se prononcer sur un cas particulier.

Pour des raisons de forme, aussi... Monsieur le président, elles peuvent vous intéresser ! En effet, une motion ne peut être adressée qu'au Conseil d'Etat ou à une commission. Elle ne peut donc pas autosaisir le Grand Conseil. Il aurait fallu choisir la forme de la résolution, qui aurait dû être la forme adéquate.

Pour ce motif, nous nous abstiendrons.

Nous annonçons néanmoins qu'en vertu de l'article 232 D, alinéa 2, lettres b) et d), nous demanderons à la commission des Droits de l'Homme de se pencher sur la problématique générale des abus de l'usage de la contrainte par la police. Nous espérons examiner ce cas particulier, mais nous aborderons le problème de façon globale.

Je le répète, et pour conclure, les Verts s'abstiendront aussi sur ce texte.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je vous signale quand même qu'à l'exception du nombre des membres en commission, comme je l'ai déjà dit, la motion répond parfaitement à l'article 230 et suivants de notre règlement. C'est différent lorsqu'il s'agit de créer une commission d'enquête. De ce point de vue, le Bureau qui surveille la régularité des débats - ou devrait le faire... - vous confirme que cette motion est présentée, à l'exception du nombre des membres, conformément à notre règlement.

Monsieur Luscher, vous voulez vous exprimer sur la procédure ? Allez-y !

M. Christian Luscher (L). Monsieur le président, nous demandons l'appel nominal. (Appuyé.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Il en sera fait ainsi. Nous votons donc par vote électronique à l'appel nominal. Que celles et ceux qui approuvent la motion créant une commission d'enquête sur les actes de contrainte de la police votent oui, les autres voteront non ou s'abstiendront. J'aimerais que tout le monde soit à sa place... Le vote est lancé.

Mise aux voix à l'appel nominal, cette proposition de motion est rejetée par 47 non contre 7 oui et 16 abstentions.

Appel nominal