République et canton de Genève

Grand Conseil

M 2052
Proposition de motion de Mmes et M. Lydia Schneider Hausser, Marie Salima Moyard, Anne Emery-Torracinta, Prunella Carrard, Jean-Louis Fazio : Non au retour des farines animales en Suisse

Débat

Le président. Nous sommes en catégorie II: trois minutes par groupe. Je donne la parole à la première motionnaire, Mme Lydia Schneider Hausser.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette motion fait suite à des articles parus dans la presse à la fin de l'année dernière. Ces articles indiquaient que, au niveau européen, il était question de lever l'interdiction des farines animales dans les élevages de bovins et d'autres animaux. La Suisse, depuis la dernière épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine - l'ESB - a mis en route tout un programme d'études au niveau fédéral par le biais du Service vétérinaire suisse. Cependant, même si cette cellule a rendu des études intéressantes et a pu promouvoir une prévention et une information à la population - qui, à l'époque, ont épargné une panique générale - nous devons, en tant que consommateurs et citoyens du pays, rester très attentifs à l'évolution de ces normes sur le plan européen. C'est d'autant plus important qu'au niveau des normes européennes il existe des protocoles, mais qui sont de moins en moins liés à la sécurité alimentaire, c'est-à-dire à ce que contiennent les aliments.

Ainsi, même si en Suisse nous avons une protection encore plus grande à ce niveau-là, il n'est pas inutile de rester attentifs. Cette motion demande tout simplement au Conseil d'Etat - avec les moyens qu'il a, c'est-à-dire lors de rencontres avec la députation à Berne ou par l'intermédiaire des personnes qui y sont déléguée afin de faire du lobbying pour le canton - eh bien, cette motion lui demande d'intervenir si cette discussion est à l'ordre du jour - et elle le sera prochainement au Conseil fédéral - dans le but de relayer une préoccupation que nous avons à Genève. Il s'agit de dire - et je vous propose d'approuver cela - que nous ne pouvons pas, d'emblée, comme ça, simplement réintroduire les farines animales.

Nous pourrons entrer dans les détails techniques plus tard. Pour l'heure, je vous demande en tout cas de soutenir cette motion, qui constitue une intention mais qui revêt une grande importance pour notre alimentation et nos habitudes de consommateurs.

M. Eric Leyvraz (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, on reparle en Europe de la réintroduction des farines animales dans le régime des animaux de rente. Leur nom a changé - on parle maintenant de «protéines animales transformées», PAT - et, la main sur le coeur, on nous assure que ces PAT n'ont rien à voir avec ce que l'on a connu auparavant, que l'on utilisera les restes d'animaux sains et non pas malades, que la cannibalisation sera interdite et que ces protéines serviront à nourrir les porcs et les poissons, et non pas les ovins et les bovins qui peuvent contracter l'ESB... Bien ! Le problème est que les instances responsables restent fortement divisées. Si l'on prend la France, premier pays d'Europe du point de vue agricole, le ministre de l'agriculture, M. Bruno Le Maire, a annoncé que tant qu'il serait ministre il serait exclu que l'on réintroduise ces farines animales. L'Agence nationale de sécurité sanitaire dit la même chose. Mais le Conseil national de l'alimentation, lui, est d'accord d'entrer en matière.

Tout cela, dans le fond, est une histoire de gros sous. L'élimination des déchets carnés coûte une fortune: en Suisse, cela représente presque 50 millions par année, ce qui est quand même une somme considérable. En outre, les farines animales sont une source d'acides aminés indispensables pour stimuler la production, parce que la digestion de ces protéines animales est bien meilleure que celle des protéines végétales, bien que l'on fasse du tannage de tourteaux qui permet une meilleure assimilation de ces protéines végétales. On voit du reste que le prix des tourteaux de soja - recherchés par les éleveurs parce qu'ils contiennent un acide aminé qu'on trouve peu dans les herbages, à savoir la lysine - s'envole ! Il est donc évident que l'on essaie de réintroduire ces farines animales.

Mais ces mesures d'amélioration des procédures nous inquiètent quand même. Je dois dire que nous gardons tous en mémoire la catastrophe de cette ESB qui a surpris les scientifiques il n'y a pas longtemps. Cela fait seulement vingt ans ! Il y a vingt ans, pourtant, certains scientifiques recommandaient de ne pas utiliser de farines animales pour nourrir des bêtes comme les vaches ou les ovins, c'est-à-dire des animaux qui ne mangent que des herbages, qui sont herbivores et possèdent un système immunitaire qui n'a rien à voir avec celui des porcs, par exemple, lesquels sont omnivores. On n'a pas écouté ces scientifiques ! Le résultat, on le connaît: on a l'ESB, la vache folle, et l'on a vu ces photos - qui, je crois, sont inoubliables - de charniers où l'on a brûlé des dizaines de milliers de bêtes ! En Angleterre, on apercevait ces nuages de fumée qui obscurcissaient le ciel, en même temps qu'on voyait le désespoir et la ruine des éleveurs ! Sans parler de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, qui s'est déclarée à la suite de cette ESB.

Mesdames et Messieurs, je crois quand même que le principe de précaution doit encore s'appliquer ! Et j'aimerais bien que l'on renvoie cette motion à la commission de l'environnement et de l'agriculture, afin que l'on puisse discuter avec les spécialistes fédéraux et qu'ils nous disent où l'on en est, de façon à pouvoir ensuite vous présenter, dans cette assemblée, quelque chose qui tienne un peu la route. Je demande donc le renvoi de cette motion à la commission de l'environnement et de l'agriculture.

Mme Jacqueline Roiz (Ve). Les Verts demanderont eux aussi le renvoi à la commission de l'environnement et de l'agriculture. En effet, cette motion nous met en alerte et nous pose la question de la sécurité alimentaire en Suisse, car la Confédération étudie l'éventualité de réintégrer les farines animales - qui sont donc élaborées à partir de restes d'animaux morts et données comme nourriture à des animaux vivants. Cette motion nous rappelle les dégâts dramatiques provoqués par cette industrie alimentaire de la viande et l'épidémie qui s'était ensuivie. Cette dernière avait causé la mort de moutons, de vaches, de boeufs, et s'était étendue à l'humain. La maladie de la vache folle avait mené à l'interdiction totale des farines animales et avait causé une véritable panique chez le consommateur. Elle avait en outre obligé les paysans à réformer leurs structures et à tuer leurs propres vaches, ce qui était assez dramatique, et ils ont ensuite dû regagner la confiance des consommateurs.

L'encéphalopathie spongiforme bovine est une infection dégénérative du système nerveux - nous avons vu des images de vaches tombant brusquement, tremblantes - et cette maladie mortelle est causée par un agent infectieux moléculaire qu'on appelle «protéine prion», qui se trouvait à l'époque dans les farines animales servant à nourrir les bovins.

Alors, est-ce réactionnaire, naïf et simpliste de penser qu'une vache s'alimente d'herbe et de foin ou d'autres fourrages végétaux ? Il me semble que cela relève du bon sens. Mais pourquoi en est-on arrivé là ? C'est ici que c'est intéressant. On peut citer la surexploitation des viandes animales, la demande des fournisseurs, les fast-food, cette facilité de cuisiner un steak au lieu de prendre son temps et de mijoter un plat. Nous sacrifions un animal pour n'en manger que quelques parties, et ensuite on a des déchets, des carcasses qui débordent, et leur incinération devient un problème économique et sanitaire pour la population... On a donc obligé à prendre en charge ces traitements de déchets en échange de l'exploitation des farines animales, pour les revendre. En 1996, pourtant, la transmission de la maladie de la vache folle vers l'homme était déjà avérée, et depuis 2001 la prohibition des farines animales est en vigueur en Suisse suite à cette épidémie. En 2008, l'Europe parle de réintroduction possible de ces farines, en disant que ce sont des protéines extraites exclusivement de morceaux inutilisables mais propres à la consommation humaine... Avec ce triste épisode, nous sommes face à un exemple de plus de cette consommation à outrance qui nous oblige à nous fournir en viandes diverses provenant des quatre coins du monde, et la peur de cette réintroduction de farines en Suisse est légitime.

Comme il s'agit d'une motion demandant à Berne de ne pas réintroduire les farines animales, il est nécessaire que l'on ait des connaissances actuelles et que l'on dispose du niveau technique; il faut connaître les limites d'un tel traitement, examiner de manière rationnelle le problème sous l'angle scientifique et éthique, évaluer les risques...

Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée !

Mme Jacqueline Roiz. Oui, Monsieur le président ! Il faut, par exemple, voir comment s'assurer que l'on peut tracer tout le parcours d'une farine ou savoir quelles sont les autres utilisations de cette farine. En conséquence, les Verts proposent que cette motion soit traitée en commission de l'environnement et de l'agriculture.

M. Michel Forni (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, il est vrai qu'une vingtaine d'années ont passé et que le souvenir de cette crise de la vache folle, qui avait enclenché une crise sanitaire, fait place actuellement à une crise socioéconomique. Pourquoi ? Comme on l'a dit, ces problèmes de viande ont été associés à la consommation de produits carnés mais aussi à la destruction de ces parties d'animaux qui, malheureusement, étaient tantôt atteints ou tantôt détruits dans des conditions extrêmement difficiles et dans des locaux souvent inappropriés. On a donc développé ce principe de la précaution, qui fait appel à l'existence d'un risque, de sa sévérité, du désaccord des experts, des erreurs humaines, et surtout à des notions de prédictibilité et d'extrapolation.

Derrière cette pénible histoire des prions de l'encéphalopathie, de la vache folle et autres, il y a bien sûr absence de risque zéro. Il est donc étonnant que l'Office vétérinaire fédéral - comme d'ailleurs d'autres offices européens - revienne un peu avec cet oubli de la politique du rétroviseur, en sous-estimant les principes de précaution et en travaillant surtout sur des éléments économiques. Comme cela a déjà été dit, éliminer des produits, et des déchets de carcasses essentiellement, coûte cher. D'autre part, il convient de maintenir un apport suffisant nutritionnel pour les bestiaux et, bien sûr, de remplacer parfois cet apport protidique insuffisant par d'autres éléments.

En dehors du risque potentiel, qui n'a pas été éliminé à 100%, de transférer un agent infectieux, il y a aussi la possibilité de transformer en risque un autre problème, lequel a déjà été mentionné indirectement: celui du soja. Car le soja ne pousse pas chez nous; il croît essentiellement dans d'autres pays, notamment en Amérique du Sud. Et l'on encourage le développement du soja, mais cela peut aussi amener d'autres problèmes, comme le fait de grignoter certains territoires pour le produire. Je pense à l'Amazonie, au déboisement, mais également - il ne faut pas l'oublier - au développement de certaines structures pour le purifier, pour le maintenir, donc des structures qui sont génétiquement modifiées.

Par ailleurs, nous sommes aussi dans un pays où nous avons une certaine confiance dans ce que nous mangeons et où nous aimons bien avoir des informations correctes; nous préférons souvent renoncer à certains aliments si nous n'avons pas de traçabilité. Ainsi, derrière ce principe de précaution que nous sommes en train d'éteindre, il y a aussi un facteur d'inquiétude. Et nous ne pouvons pas oublier - parce que c'est de la viande, parce que ce sont des protéines - qu'il existe aussi ce même principe de précaution avec les médicaments, ce que nous appelons la pharmacovigilance. Mais nous savons que, en dépit de la grande vigilance dont on fait preuve avec les médicaments, il y a parfois de très vilaines surprises ! C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il convient de bien analyser ce problème du principe de précaution, mais aussi de bien voir ce qui se cache derrière cette réintroduction des farines.

En conséquence, le PDC vous propose - comme mes autres préopinants - de renvoyer cette motion à la commission de l'environnement et de l'agriculture.

Mme Patricia Läser (R). Mesdames et Messieurs les députés, la réintroduction des farines animales est uniquement et strictement due à des raisons économiques. Cette réintroduction ne peut conduire qu'à une perte de confiance des consommateurs vis-à-vis de notre production. Mesdames et Messieurs, je vous rappelle que le risque zéro n'existe pas ! A-t-on déjà oublié les scandales de la vache folle ou de la tremblante du mouton ? Le consommateur a besoin de messages simples, et la production suisse sans farines animales en est un: tous les moyens visant à distancer la production suisse des autres productions contribuent à renforcer nos positions sur les marchés locaux.

Concernant la nécessité de disposer de protéines, les protéines végétales peuvent remplacer les protéines animales et offrent de surcroît des perspectives pour la production indigène. Je répondrai simplement à M. Forni - vous transmettrez, Monsieur le président - que le soja se cultive en Suisse et que c'est une production de plus en plus actuelle sur nos terrains. De plus, il s'agit de soja sans OGM.

La nourriture est primordiale dans la vie de chacun, et nous devons tout faire pour qu'elle soit de la meilleure qualité possible. Nous devons donc résister au productivisme à outrance qui néglige la qualité et le bien-être de chacun. Pour ce qui est de la nourriture, nous devons oublier l'appât du gain et rester le plus près possible du naturel.

Pour toutes ces raisons, je vous demande d'adopter sans attendre cette proposition de motion. Si vraiment la majorité souhaite qu'elle passe par la commission de l'environnement et de l'agriculture, il en sera fait ainsi, mais je pense qu'il est nécessaire de renvoyer cet objet directement au Conseil d'Etat. Le temps presse, les autorités fédérales discutent actuellement de cette problématique, et il ne faut pas le perdre ! (Applaudissements.)

Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG). Chers collègues, je ne suis pas une spécialiste des farines animales, mais, en lisant cette motion, il m'est apparu assez important - et je ne répéterai pas tout ce qui a été dit par rapport aux pathologies qui découlent de cette ingestion - que l'on aborde en commission de l'environnement et de l'agriculture non seulement les notions liées au principe de précaution, mais aussi le concept tellement utilisé aujourd'hui de la prévention. Vous savez que dans la Constitution fédérale, tout comme dans la loi fédérale y relative, le principe de précaution n'apparaît pas, d'où la difficulté que nous avons à le faire appliquer, voire simplement à en parler.

Il est dit que le principe de précaution est applicable lorsque de sérieux indices scientifiques font craindre un risque important mais que les données scientifiques sont insuffisantes pour prouver de manière absolue et définitive une relation de cause à effet. Il est dit encore que le principe de précaution invite à prendre des mesures assez tôt, afin de prévenir des atteintes à l'environnement qui seraient irrémédiables et dont les coûts de réparation pourraient être exorbitants.

Effectivement, pour des raisons économiques, on risque de tendre à la facilité et d'appliquer simplement un principe de prévention. Il serait donc utile que l'on puisse, en commission, faire la différence entre ces deux principes et voir les effets, de même que l'applicabilité de ceux-ci. Ainsi, nous soutiendrons le renvoi de cette proposition de motion à la commission de l'environnement et de l'agriculture, afin de travailler sur ces deux principes.

M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, c'est bizarre que l'on ait de la peine à apprendre des expériences négatives... On fait des expériences terribles, avec la vache folle, qui est une conséquence des farines animales, et on arrive, pour des raisons effectivement économiques, pour le business, à essayer de nous refiler encore ces farines !

C'est vrai que, à la base, ce qu'il faudrait aussi peut-être regarder, ce sont les industries animales, afin de voir dans quelles conditions sont élevés les animaux que nous allons manger. Il y a quarante ans, on consommait beaucoup moins de viande, et je crois que les gens étaient en meilleure santé. Maintenant, je pense que l'on va être de plus en plus malades à cause des industries animales - car, pour finir, on absorbe la tension de l'animal - et tout ce que l'on fait au détriment du respect de la vie, eh bien, je crois qu'on va en subir une fois ou l'autre les conséquences.

Le mieux - et le plus sage effectivement, comme le propose Mme Roiz - serait de transmettre cette excellente motion à la commission de la santé. Parce qu'il s'agit d'un problème de santé ! (Remarque.)

M. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, un détour, fût-il rapide, par une commission me paraît important pour expliciter un peu tout ce qui s'est fait. Le concept de farine animale a énormément évolué et les mêmes termes ne s'appliquent pas aux mêmes substances qu'il y a dix ans. Il faut le savoir, parce qu'il est évident que, s'agissant des anciennes farines animales, ce que maintenant on appelle les C1 et les C2, là, il n'y a pas photo, on n'entre pas en matière sur la réintroduction de quoi que ce soit ! Les risques sont avérés ou probables, et il n'est pas question d'entrer en matière.

Mais vous savez que, à l'heure actuelle, il y a une cacophonie européenne sur ces sujets-là: l'Allemagne est en faveur d'un assouplissement - puisqu'elle n'a pas eu de cas - alors que la France et l'Angleterre sont favorables au maintien de la position dure, dans la mesure où ces pays ont, eux, connu des cas d'ESB. Je crois alors qu'il vaut la peine que vous passiez par une commission, pour avoir des explications, à la fois des nutritionnistes et des vétérinaires, et, le cas échéant, sur les nouvelles différenciations et les éléments en jeu.

La seule chose que nous pouvons vous garantir, c'est que, quelle que soit la position de l'Europe - pour autant qu'elle arrive à en prendre une, ce qui serait quand même une nouvelle assez stupéfiante - cette position-là ne s'appliquerait pas à la Suisse sans autre forme de procédure, et notamment pas sans consultation de tous les organismes concernés - bien entendu, les milieux agricoles, les milieux vétérinaires et les cantons.

Donc, nous serons, nous, très attentifs à ce que rien ne se passe avant que les choses soient faites convenablement et que, le cas échéant, votre commission, celle que vous aurez choisie, ait rendu ses travaux.

Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Je fais maintenant voter le renvoi de cette proposition de motion à la commission de l'environnement et de l'agriculture. En cas de refus, je mettrai aux voix le renvoi de ce texte à la commission de la santé.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2052 à la commission de l'environnement et de l'agriculture est adopté par 52 oui contre 16 non et 2 abstentions.