République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9757-A
Rapport de la commission des finances chargée d'étudier le projet de loi de MM. Eric Stauffer, Claude Jeanneret modifiant la loi instituant une cour des comptes (D 1 12)

Premier débat

La présidente. Je vous rappelle que cet objet sera traité en catégorie II, comme la commission l'a souhaité - cela figure dans le rapport - c'est-à-dire que les groupes disposent de cinq minutes pour s'exprimer, sans compter le temps dévolu au rapporteur.

Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC), rapporteuse. Ce projet de loi avait pour but de priver les anciens conseillers d'Etat, les anciens magistrats du pouvoir judiciaire, les anciens hauts fonctionnaires des départements de l'Etat, les anciens secrétaires généraux ou adjoints et les anciens chanceliers de l'Etat de l'accès à la magistrature de la Cour des comptes. Cependant, il a semblé à la commission dans sa quasi-unanimité que c'était une défiance envers les corps constitués et les procédures qui ont fait leurs preuves au sein de notre république, et qu'il n'était donc pas acceptable que ce projet de loi puisse aboutir. En conséquence, il a été refusé à la quasi-unanimité de la commission, et nous vous proposons de faire de même.

M. Eric Stauffer (MCG). Le projet de loi déposé par le Mouvement Citoyens Genevois ne constitue pas du tout une défiance par rapport à nos institutions, mais se base simplement sur la réalité. En effet, notre Grand Conseil refuse d'avoir en son sein des députés qui seraient des hauts fonctionnaires directement sous les ordres d'un conseiller d'Etat, puisqu'ils ne pourraient pas, par définition, voter les budgets dont ils seraient eux-mêmes les bénéficiaires. Le projet de loi du MCG va dans le même sens, parce qu'on verrait mal un haut fonctionnaire ou un magistrat du pouvoir judiciaire juger par le biais de la Cour des comptes le travail qu'il a fait préalablement, lorsqu'il était en fonction dans l'administration.

Ce projet de loi va donc dans le sens d'une bonne gouvernance - dont certains ici aiment à se prévaloir à tout va, en disant: «Maintenons la séparation des pouvoirs !» - raison pour laquelle nous vous demandons de voter son entrée en matière et de l'accepter. Peut-être que certains groupes auraient quelques amendements à déposer pour l'affiner mais, en substance, je pense que, si vous voulez être cohérents avec votre politique de séparation des pouvoirs, il faudrait que la Cour des comptes, cette super Cour des comptes qui n'a aucun pouvoir si ce n'est celui de divulguer ses rapports publiquement, puisse à tout le moins être composée de magistrats qui soient complètement indépendants et qui ne soient pas issus du sérail des institutions, sur lesquelles justement la Cour des comptes serait appelée à statuer et à porter un jugement.

En conséquence, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, empreints de bon sens, de soutenir le projet de loi du MCG.

M. Pierre Losio (Ve). Le groupe des Verts a constaté avec beaucoup d'étonnement que la Cour des comptes, qui vient à peine de terminer son premier exercice et de voir la commission des finances lui conférer un statut quant à sa rémunération et à sa prévoyance, cette Cour des comptes qui vient de naître fait l'objet dans cette session de deux projets de lois ainsi que d'un projet de loi constitutionnelle. Nous nous étonnons que, à peine entrée en fonction, cette institution suscite tant d'intérêt.

Pour notre part, nous ne pensons pas qu'il est opportun maintenant de vouloir réformer les modalités d'accès à la Cour des comptes ou d'y introduire des rotations tous les deux ans, comme on le verra dans un projet de loi ultérieur. Nous n'entrerons pas en matière sur ce texte du MCG, d'abord parce qu'il contient un alinéa qui n'est pas compatible avec la constitution - il demande en tout cas de déroger au principe qui règle les modes d'élection - et, ensuite, parce qu'il est discriminatoire envers une catégorie de personnes qui se sont engagées à travailler pour le bien de la république, que ce soient des anciens conseillers d'Etat ou des anciens juges. Je ne vois pas aujourd'hui se lever des montées d'inquiétude par le fait que deux anciens magistrats du pouvoir judiciaire siègent à la Cour des comptes. En outre, je ne vois pas en quoi des anciens conseillers d'Etat ou des anciens magistrats devraient traîner comme une pancarte ou une espèce de casier judiciaire une incompatibilité suite aux mandats qu'ils ont accomplis auparavant.

Laissons donc travailler la Cour des comptes, ne réformons pas pour l'instant les modalités d'accès à cette dernière et, surtout, ne discriminons pas toute une partie de hauts fonctionnaires ou de magistrats du monde politique ou judiciaire, qui se sont engagés pour le bien de notre république.

M. Alberto Velasco (S). Chers collègues, je pense qu'il est légitime que vous posiez cette question et je ne trouve pas scandaleux que vous vous demandiez si les conseillers d'Etat peuvent siéger ou non. La question est légitime ! La réponse, c'est une autre affaire. D'ailleurs, la commission qui avait travaillé à l'époque sur ce projet de loi s'était déjà penchée sur ce problème. Je me souviens que nous avions débattu de la question de savoir si les anciens conseillers d'Etat pouvaient se présenter à la Cour des comptes et toute la commission, après avoir analysé les pour et les contre, était arrivée à la conclusion que rien n'empêchait ni ne pouvait empêcher du point de vue constitutionnel un conseiller d'Etat de se présenter à la Cour des comptes. D'autant que, dans votre projet de loi, vous écrivez: «des anciens conseillers d'Etat», c'est-à-dire qu'ils n'exercent plus cette charge. A la limite, on peut comprendre qu'entre un pouvoir et un autre il y ait une contradiction. Il fut un temps où des députés siégeaient aussi au pouvoir judiciaire. Puis, cela a été corrigé. Il y a certes la séparation des pouvoirs mais, du moment qu'ils sont anciens, il n'y a plus de problème. En outre, ils ont des compétences, ont été magistrats et, par conséquent, comme l'a dit notre collègue Losio, c'est une discrimination qu'on ne peut pas appuyer.

L'alinéa 6 est lui aussi important. En effet, le MCG désire que l'élection des magistrats de la Cour des comptes soit organisée même si le nombre des candidats correspond au nombre de postes à repourvoir. Mais ce n'est pas possible ! Enfin, si, c'est possible, mais cela coûte 500 000 F ! Une bagatelle ! Alors qu'il y aurait trois candidats pour trois postes, on appellerait le peuple à se prononcer et cela nous coûterait 500 000 F ? Mais non, dans ce cas de figure, l'élection est tacite ! Il en est ainsi dans tous les cantons d'ailleurs, et c'est logique, du moment qu'il y a trois candidats pour trois postes ! Sinon, qu'est-ce que cela signifie ? Que le peuple en barrerait un et qu'on devrait alors repartir pour un tour et chercher un nouveau candidat ? Non ! Je pense que l'alinéa 5 comme le 6 ne sont pas défendables, et les socialistes ne pourront pas accepter ce projet de loi, raison pour laquelle nous n'entrerons pas en matière.

M. Edouard Cuendet (L). Ce projet de loi vise à créer une caste que l'on peut qualifier d'intouchable, au seul motif qu'elle est occupée par des gens qui ont servi l'Etat. Vous serez peut-être étonnés que je vole pour une fois au secours de l'Etat, mais il paraît invraisemblable, au nom d'une prétendue séparation des pouvoirs, de vouloir exclure de la Cour des comptes des gens qui ont pu mériter - on peut l'espérer - ou démériter au service de l'Etat. C'est au peuple qu'il appartient de trancher lors de votations et ce n'est pas à la loi de définir des critères qui me paraissent totalement arbitraires.

Je pense qu'il faut s'attarder quelques secondes sur cette notion de pouvoir. Parce que le projet de loi mentionne bien l'adjectif «ancien», qui a ici toute son importance ! Lorsqu'un magistrat ou un conseiller d'Etat quitte sa fonction, il n'est plus représentatif du pouvoir qu'il a exercé par le passé et devient un citoyen lambda comme n'importe quel autre, susceptible d'accéder à une autre fonction élective.

Par conséquent, cette loi me paraît totalement incongrue et je vous invite vivement à ne pas accepter son entrée en matière.

M. Eric Bertinat (UDC). L'UDC va bien évidemment soutenir cette proposition, tout d'abord parce que nous avons déposé, quelque temps avant le MCG, un projet de loi sensiblement identique à celui-ci et, ensuite, parce qu'il pose une bonne question, même si elle dérange.

J'ai entendu mon collègue Cuendet parler de citoyen lambda au sujet d'un conseiller d'Etat qui aurait achevé son mandat et trouver très incongru de se demander s'il est approprié qu'un conseiller d'Etat ayant terminé son mandat et se retrouvant quelques années plus tard à la Cour des comptes aille contrôler ce qu'il a fait précédemment et ce que son successeur fait à son tour... Le fond du problème, c'est qu'il nous faut avoir un minimum de prudence plutôt que de parler de méfiance comme je l'ai entendu tout à l'heure.

Il y a dans une situation donnée différents cas de figure qui peuvent poser problème à la république, ne serait-ce que parce qu'il y a ici pluralité d'opinions et de partis politiques. Il serait assez discutable de trouver à la Cour des comptes un conseiller d'Etat - peu importe qu'il soit issu des rangs de la gauche ou de la droite - qui irait à son tour enquêter auprès de l'un de ses successeurs, qui serait lui d'un parti différent. Il y aurait là des problèmes, comme il est possible qu'il y en ait selon les situations que peut vivre la république, qui pourrait même connaître par là des règlements de compte tout à fait dommageables.

C'est la raison pour laquelle nous trouvons que, comme je vous l'ai dit au début de mon intervention, c'est une bonne question. L'UDC y répond donc favorablement, en relevant toutefois qu'il est curieux que le MCG ait déposé un projet de loi traitant du même thème qu'un précédent objet, qui a déjà apporté des réponses. En outre, l'un se trouve dans le département des finances - auquel appartiennent les objets qui nous occupent aujourd'hui - alors que l'autre relevait du département des institutions. Ma foi, c'est l'un des mystères de notre parlement !

La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Claude Jeanneret, à qui il reste trois minutes et quinze secondes.

M. Claude Jeanneret (MCG). Mesdames et Messieurs, chers collègues, je suis un peu surpris de la tournure qui a été donnée à cette motion qui, contrairement à ce que certains ont prétendu, ne parle pas de défiance mais d'efficience.

Il faut relever deux éléments concernant cette question de priver des gens de la possibilité d'être élus à la Cour des comptes. Pour ma part, j'estime que les personnes qui ont travaillé à l'Etat, qui lui ont accordé du temps et qui restent quand même politiquement engagés ne peuvent aller juger le travail qu'ils ont accompli auparavant.

En outre, ce qui est gênant, c'est que les anciens et fidèles serviteurs de l'Etat reçoivent quand même de la part de ce dernier une rente. Ils sont donc dépendants de l'Etat pour cet argent qui leur est versé et qui n'est pas basé nécessairement sur un fonds de pension mais sur un système de rente méritée et, en même temps, ils vont aller contrôler celui qui leur verse cette rente ! Ce n'est pas très compatible et je dois dire qu'on arrive là à des cumuls de fonctions dans la même institution qui ne sont pas tout à fait sains.

On nous a fait des reproches et dit que c'était au peuple de se prononcer et qu'il fallait lui laisser le plus large panel possible... Alors soyons clairs, nets et précis: le peuple se prononce sur les candidats que les partis présentent, mais ne peut pas voter pour quelqu'un qui n'est pas présenté par un parti. Il est donc faux de se cacher derrière cette idée ! Il serait peut-être mieux de faire une recommandation plutôt qu'une loi rigide, mais je pense qu'il s'agit d'une déontologie que chacun devrait être fier de suivre et que nous ne devons pas mélanger les fonctions. Pour ces raisons, je vous encourage à voter ce projet de loi déposé par le MCG.

M. Guy Mettan (PDC). Le parti démocrate-chrétien, tout comme le MCG, est très attaché à la bonne gouvernance de nos établissements publics et de nos institutions; je pense que, là-dessus, nous sommes tous d'accord. En revanche, concernant le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui, nous avons des doutes, d'abord parce que, comme l'a très bien exprimé M. Losio au nom des Verts, il est trop tôt pour intervenir maintenant, alors que la première année d'entrée en fonction de la Cour des comptes est à peine terminée, et pour déjà changer les règles du jeu en cours de route.

Puis, sur le fond, nous trouvons étonnants les exemples d'incompatibilité qui sont évoqués dans le projet de loi du MCG. Si l'on peut admettre que d'anciens conseillers d'Etat soient écartés de la course, bien que je trouve cela discutable, je suis en revanche très surpris qu'on exclue les magistrats judiciaires ! En effet, actuellement, sur trois juges de la Cour des comptes, deux sont des magistrats judiciaires ! De plus, ce que nous recherchons dans cette cour, ce sont des gens compétents, qui maîtrisent le droit, qui ont l'habitude des tribunaux et de la justice, et c'est donc bien en premier lieu au sein du pouvoir judiciaire qu'il faut recruter les membres de la Cour des comptes. Par conséquent, les exclure par un projet de loi, ce serait vraiment se priver de compétences importantes et mettre en péril le bon travail effectué jusqu'ici par cette cour. Ainsi, si l'intention de ce projet de loi était certainement bonne au départ, je crois que la réalisation qui nous est proposée ne convient pas, raison pour laquelle nous le rejetterons.

La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Alberto Velasco, à qui il reste deux minutes et trente secondes.

M. Alberto Velasco (S). J'aimerais dire à M. Bertinat qu'il a effectivement soulevé un problème, celui du conflit d'intérêts. Ce problème existe ici dans ce parlement, comme au pouvoir judiciaire, mais normalement, lorsque les gens ont une certaine éthique, ils se récusent. Alors je suis d'accord avec vous, si un ancien conseiller d'Etat siège à la Cour des comptes et qu'il doit examiner des dossiers qu'il a traités auparavant, il doit se récuser et c'est un autre magistrat qui prend sa place. C'est pour cela que l'on a également nommé des suppléants.

Monsieur Jeanneret, vous dites que la question du salaire se pose. C'est juste et pertinent ! Mais je crois que - et je pense que le Conseil d'Etat nous le dira - si un conseiller d'Etat est à la retraite et qu'il reprend une activité rétribuée, celle-ci est déduite de sa retraite. Ce qui veut dire que, si un magistrat de la Cour des comptes gagne presque autant qu'un conseiller d'Etat ou plus que la retraite, le conseiller d'Etat ne touche pas de retraite - mais vous pourrez me reprendre sur ce point. La question du cumul retraite et salaire ne se pose donc pas, du moins je le crois, mais peut-être que je me trompe ! Nous aurons probablement des éclaircissements tout à l'heure, lorsque le conseiller d'Etat répondra, s'il le fait.

La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme la rapporteure, à qui il reste quatre minutes et dix secondes.

Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC), rapporteuse. C'est beaucoup, Madame la présidente ! Je tiens juste à soulever un point qui frappe régulièrement les commissaires, lorsqu'il s'agit de projets de lois du MCG - et non pas de motions dans ce cas ! - c'est qu'il y a parfois des contradictions et que le MCG nous habitue en quelque sorte à dire une chose et son contraire. Lorsque M. Jeanneret, en toute bonne foi, parle du cumul des fonctions, du risque d'être juge et partie et d'avoir le salaire en étant issu du même sérail, je crois qu'il est très utile qu'il se pose la question, dès lors qu'il y a des fonctionnaires de police qui siègent comme députés...

La présidente. Merci, Madame la rapporteure. Nous allons maintenant voter... (Brouhaha. Remarque de M. Thierry Cerutti.) S'il vous plaît, Monsieur Cerutti !

Mis aux voix, le projet de loi 9757 est rejeté en premier débat par 55 non contre 12 oui et 1 abstention.