République et canton de Genève

Grand Conseil

IN 134
Initiative populaire 134 "Pour un cycle qui oriente"
IN 134-C
Rapport de la Commission de l'enseignement et de l'éducation chargée d'étudier l'initiative populaire 134 « Pour un cycle qui oriente »

Suite du débat

M. Jacques Follonier (R). Pourquoi ces initiatives ? Parce que le cycle d'orientation ne remplit plus les missions qui lui ont été assignées et que nous, les politiques, n'avons pas su réagir. C'est la population qui a dû réagir à notre place.

Mais aujourd'hui, le cycle d'orientation va mal ! Les élèves qui sortent du cycle vont en grande majorité dans la filière gymnasiale et la moitié d'entre eux ratent leur première année; ils partent à l'Ecole de commerce où ils ratent aussi, se retrouvent à l'Ecole de culture générale et finissent par entreprendre un apprentissage. C'est la raison pour laquelle les apprentis commencent leur apprentissage en moyenne à 17 ans et demi et non pas à 15. Nous n'avons pas su les orienter et c'est inacceptable ! Le cycle d'orientation a perdu sa fonction première d'orienter plus rapidement, plus efficacement, de mieux cibler et surtout, d'être en harmonie avec les élèves qu'il forme.

Nous sommes face à deux initiatives. La première se veut très stricte, avec un nombre impressionnant de filières. La seconde émane des milieux socialistes et ne berne personne, elle a été soumise pour contrer la première. Cette manière de faire - même si elle est tout à fait légale - ne permettra certainement pas la mise sur pied d'un nouveau cycle d'orientation avec une structure efficace. Il faut donc refuser ces deux initiatives et proposer un contreprojet.

Nous devons maîtriser les niveaux d'entrée au cycle d'orientation et nous y arriverons, tout simplement parce que nous avons déjà mis de l'ordre à l'école primaire, et les résultats arriveront d'ici peu. Mais nous devons aussi maîtriser la sortie, c'est-à-dire le niveau des acquis à l'issue du cycle. Il est inadmissible - je l'ai déjà dit plusieurs fois - que des élèves qui sortent du regroupement B du cycle avec une moyenne de 4,8 - et moins de 4,8 - ne soient pas promus. C'est scandaleux ! Et cela provient d'une déviance que le cycle a laissé se former au fil du temps et qui nous met aujourd'hui dans une situation où nous sommes absolument incapables de faire ce que nous souhaitions, c'est-à-dire amener une grande majorité des élèves à bon port, ou tout au moins dans l'orientation que nous aurions dû leur proposer.

Tout cela nécessite un long travail. Le cycle d'orientation doit retrouver ses racines et son rôle: orienter le mieux possible et dans la bonne filière. C'est dans cet axe-là que le parti radical travaillera sur un futur contreprojet.

M. Christian Brunier (S). Tout d'abord, j'aimerais saluer l'ambiance qui a régné dans cette commission. Depuis une année ou deux, on y voyait plutôt des affrontements stériles, mais depuis que l'on a entamé ce débat, l'ambiance est totalement différente et je crois qu'une très grande majorité - si ce n'est l'unanimité - est consciente des problèmes du cycle. Ce corps d'enseignement n'est plus adapté et il faut le changer. Une volonté générale pour trouver un compromis s'est dégagée, et, si nous n'avons pas tout à fait les mêmes idées et les mêmes valeurs sur l'école, nous voulons le bien des élèves. C'est relativement nouveau de trouver cet accord et il fallait le saluer. Le rapport de Mme Hagmann va dans ce sens, on y retrouve cette ambiance, et je crois que personne ne veut une école qui ne fonctionne pas.

Nous sommes face à deux initiatives. La première est celle de REEL, un groupe dissident de l'ARLE, mais avec la même philosophie, et nous sommes heureusement unanimes à combattre leur initiative. Je suis furieux contre cette initiative qui va à l'encontre du bon sens et de la réalité. On a l'habitude de résumer les choses par des mots clés, eh bien, cette initiative pourrait se résumer par: compétition, sélection, exclusion... bref, perdition. Elle ne colle à rien ! Elle veut sélectionner les jeunes à 13 ans ! Et on annoncera aux enfants de cet âge que dans cinq ou six ans, les portes de l'université seront déjà fermées pour eux.

Deuxième tare, cette initiative salit la formation professionnelle. Au-delà de ses clivages politiques, une grande majorité de ce parlement a envie de revaloriser et de revitaliser la formation professionnelle, parce que dans la société les parcours sont différents et on n'a pas besoin que tous les élèves d'aujourd'hui soient universitaires demain; des gens réussissent bien leur vie en ayant des parcours pluralistes et différents. Il faut donc valoriser la formation professionnelle alors que cette initiative de REEL saborde complètement cet aspect.

Monsieur Beer, je fais appel à vous en tant que patron du DIP. Cette initiative a été soumise par des professionnels de l'enseignement, des gens qui côtoient tous les jours des enfants de 13 ans. Et imaginez que ces gens veulent aller dire à un enfant de 13 ans qu'il n'a pas le droit d'aller en filière gymnasiale, alors qu'il finira sa formation vers 24 ou 25 ans ! Et même en apprentissage, on finit vers 22, 23 ou 24 ans ! M. Follonier disait que l'entrée en apprentissage se fait à 17 ans et demi... J'ai revu les dernières statistiques et la moyenne est à 18 ans. Vous ajoutez les années d'apprentissage plus une année de matu professionnelle, et les jeunes sortent à 24 ou 25 ans de l'apprentissage ! Essayer de les sélectionner à 13 ans est donc complètement démagogique. Je ne comprends pas que cette idée vienne de gens travaillant dans l'enseignement et côtoyant tous les jours des gosses de 13 ans... Franchement, c'est un critère d'erreur professionnelle grave ! Et dans certains métiers, si l'on se trompe à ce point, on prend la porte.

Que va-t-on dire à ces élèves ne pouvant pas aller dans les filières prégymnasiales ? On va leur demander... Permettez que je regarde, c'est tellement démagogique... On va leur dire quelque chose comme: «Tu as 13 ans et tu n'as pas le niveau pour aller à l'université - parce que c'est ça l'initiative de REEL - alors on va te faire choisir entre trois formations: veux-tu t'orienter vers les professions commerciales ou administratives dans le domaine social et de la santé ? Ou veux-tu aller vers les professions techniques ou informatiques ? Ou alors, troisième voie, veux-tu aller aux arts et métiers ?». C'est complètement fou ! Des gens qui côtoient tous les jours des gosses de 13 ans veulent leur faire choisir entre ces trois filières qui, de plus, ne veulent rien dire ! Visiblement, ces enseignants - heureusement minoritaires dans la profession - ne connaissent rien au monde du travail. Personnellement, j'ai de la peine à voir la différence entre des professions d'arts et métiers et des professions techniques; alors imaginez un enfant de 13 ans ! Et je ne fixerai pas, comme cela, la limite entre formation commerciale et informatique... Bref, vous voyez bien que cette initiative est complètement inadéquate, mauvaise, et je félicite le parlement d'être unanimement contre.

M. Follonier prétend que la deuxième initiative, l'IN-138, vient des milieux socialistes, mais c'est heureusement plus large que cela. Cette initiative demande des choses importantes, comme des moyens supplémentaires pour le cycle d'orientation et j'ai entendu M. Follonier lui-même dire qu'il fallait peut-être engager des moyens au cycle d'orientation... (Exclamations.) Parce que c'est peut-être là qu'il faut engager des moyens pour éviter des échecs scolaires ensuite !

Deuxième chose, cette initiative demande des soutiens scolaires pour les enfants en difficulté. Les Suisses allemands nous ont montré le modèle: au lieu de faire redoubler les enfants, on engage des soutiens personnalisés dès qu'une difficulté est rencontrée et cela permet de lutter efficacement contre l'échec scolaire. Je crois aussi que nous sommes unanimes sur la question de la pédagogie différenciée. Aujourd'hui on sait que les enfants n'acquièrent pas les mêmes notions au même rythme et qu'il faut différencier les parcours de formation.

L'initiative 138 demande une 7e avec tronc commun... (L'orateur est interpellé.) Non, avec tronc commun ! Parce qu'il n'est pas nécessaire de catégoriser les enfants de 13 ans quand ils finiront leur formation à 25 ou 26 ans.

La présidente. Il va vous falloir conclure, Monsieur le député.

M. Christian Brunier. Je conclus. Le parti socialiste est donc favorable à cette initiative 138, il est à l'origine de son lancement et la soutiendra ce soir, hormis quelques abstentions dont je vous expliquerai la raison tout à l'heure.

Et nous étions en faveur de cette initiative-ci, mais aujourd'hui notre objectif est d'élaborer un contreprojet avec le plus grand nombre d'entre vous, tout simplement parce qu'il faut ramener la paix scolaire. Le climat en commission est au compromis, nous avons peut-être des chances de bâtir l'école de demain, et c'est pour cela que nous voulons donner toutes ses chances au contreprojet. Nous y participerons activement et sommes prêts à faire quelques concessions - sans trahir complètement nos idées, mais cela, je crois que tous les partis le disent...

La présidente. Il vous faut conclure, Monsieur le député !

M. Christian Brunier. Donc, nous voterons... (Remarques.) Bien sûr ! Nous voterons non à l'initiative REEL... (Exclamations. Brouhaha. La présidente agite la cloche.) ...nous voterons oui à la deuxième initiative et nous lutterons pour un contreprojet.

M. François Gillet (PDC). Je rejoins M. Brunier sur un point: pour saluer la sérénité dans laquelle se déroulent les discussions en commission, pour le moment. J'ose espérer que l'intervention de M. Brunier n'aura pas rallumé les passions.

Nous sommes à la recherche d'un compromis et tous les groupes s'accordent à dire que la structure actuelle du cycle d'orientation n'est plus adaptée à la réalité. Les regroupements A et B n'ont pas fait leurs preuves. Une certaine hypocrisie du système actuel veut qu'environ deux tiers des élèves sortent du regroupement A avec des perspectives d'études ultérieures, alors que la majeure partie d'entre eux échoueront en première année du collège.

L'important taux d'échec au dixième degré doit nous faire réfléchir. Mais les réponses apportées par les deux initiatives ne sont ni l'une ni l'autre adaptées à la situation, cela pour les raisons suivantes: l'initiative 134 n'est plus d'actualité - les initiants l'ont reconnu lors des auditions - parce qu'elle a été rédigée avant le vote sur l'initiative 121. L'entrée en vigueur du nouveau règlement de l'école primaire rend cette initiative caduque sur plusieurs points. (Brouhaha. La présidente agite la cloche). Par exemple, elle prévoit de mettre à disposition des jeunes ne remplissant pas les conditions en sortant de 6e primaire une structure d'adaptation qui n'a plus lieu d'être, puisque les élèves qui sortiront de l'école primaire devront satisfaire aux normes de promotion et auront la possibilité de redoubler.

Par ailleurs, il l'a été dit, les filières proposées par l'initiative 134 sont d'une complexité incroyable et ne correspondent en rien à ce que les jeunes trouveront en sortant du cycle d'orientation. Nous venons de voter à l'unanimité deux projets de lois sur l'orientation et la formation professionnelle, et là encore cette initiative ne correspond pas aux nouveaux pôles de formation professionnelle. Pour toutes ces raisons, cette initiative 134 doit être rejetée sans appel.

Quant à l'initiative 138, elle prévoit une 7e hétérogène qui - faut-il le rappeler ? - a été rejetée par le peuple. Nous ne pouvons pas revenir sur cette question, ne serait-ce que par respect de la volonté populaire.

Une autre chose me paraît plus grave. Cela n'est pas très clair dans le libellé de l'initiative, mais il est apparu lors des auditions que les initiants envisagent que l'orientation puisse se faire après la 9e du cycle d'orientation. C'est-à-dire que le cycle d'orientation perdrait sa fonction première d'orienter ! Permettez-moi de vous dire que le groupe démocrate-chrétien considère au contraire que cette fonction est essentielle. S'il faut éviter de sélectionner trop précocement les enfants sortant de l'école primaire, le cycle doit assumer sa responsabilité d'orientation, en tout cas en 8e et en 9e c'est essentiel ! Il n'est pas envisageable de se décharger de cette mission sur le postobligatoire, même si, comme l'a dit M. Thion, l'orientation peut se poursuivre et s'affiner après la 9e. Nous sommes donc opposés à cette initiative.

Quant au volet «soutien pédagogique aux élèves en difficulté», il est évidemment légitime. Tout le monde souhaite lutter contre l'échec scolaire et nous pensons qu'il faut dégager les moyens à un soutien pédagogique efficace. Mais ce n'est pas forcément par une initiative sur la structure du cycle qu'il faut intervenir. Ce souci est légitime et le dispositif peut tout à fait être mis en oeuvre par voie réglementaire ou dans le cadre d'une autre loi, or ce volet est à distinguer de la structure du cycle d'orientation, aujourd'hui en discussion.

Le groupe démocrate-chrétien est prêt à travailler à l'élaboration d'un contreprojet équilibré proposant un cadre mieux adapté pour l'avenir du cycle d'orientation. Il faudra impérativement éviter toute sélection précoce et prévoir une réelle orientation à travers un certain nombre de filières ou de sections, mais ces dernières devront être les plus perméables possible jusqu'à la sortie du cycle, pour éviter qu'un jeune n'ayant pas pu démarrer dans la filière qu'il souhaitait puisse, en fonction de son évolution, prendre une orientation différente. Il faudra bien sûr des moyens et des structures adaptées, mais nous sommes prêts à y travailler.

Ce contreprojet devra également être cohérent par rapport à la structure actuelle du primaire, par rapport à la structure du postobligatoire: notamment au niveau des filières professionnelles mais aussi par rapport à l'harmonisation scolaire romande dans laquelle nous nous inscrivons.

Pour toutes ces raisons, le contreprojet est indispensable et nous sommes prêts à y travailler avec toutes les forces constructives de ce parlement. (Applaudissements.)

M. Gilbert Catelain (UDC). C'est justement parce que les enfants n'apprennent pas au même rythme qu'il faut prévoir des cursus tenant compte de leur profil. Vouloir mettre tout le monde au même niveau dans des classes hétérogènes, c'est le début de l'échec. Nous serons appelés à nous prononcer à ce sujet dans le contreprojet.

La Constitution fédérale garantit à chacun un enseignement de base suffisant et gratuit. A Genève, le droit constitutionnel de chaque enfant à recevoir un enseignement suffisant et gratuit est violé. Au terme de rénovations nombreuses et délétères, les logopédistes constatent une progression significative de la proportion d'enfants dyslexiques. Et le fait que le mandat du conseiller d'Etat socialiste à l'instruction publique corresponde à l'éclatement de la pire crise du DIP est tout un symbole - cette crise est d'ailleurs reflétée par les initiatives. Depuis plusieurs décennies, le parti de Charles Beer milite - de l'intérieur comme à l'extérieur de l'école - pour une forme d'égalité dans l'illettrisme. Par la mort d'un enseignement traditionnel, qui a le tort d'avoir fait ses preuves, et par l'affaiblissement de l'enseignement privé qui se voit paradoxalement contraint de refuser du monde tant l'école publique est devenue insuffisante, personne ne peut plus douter de l'échec de cette prétention à favoriser l'intégration par le bannissement de toute sélection. Cela aboutit - avec l'école ainsi rénovée - à la pire de toutes les formes d'exclusion, c'est-à-dire l'illettrisme au terme de la scolarité. Chaque année, plusieurs centaines de jeunes achèvent leur scolarité obligatoire et ne sont promus à rien: ni admis dans une filière supérieure, ni autorisés à refaire la 9e ! Ils n'ont d'autres sources que de confier leur sort à l'école privée et payante, que les socialistes ne cessent de prendre pour cible au Grand Conseil.

L'école genevoise est un échec: les savoirs de base ne sont pas transmis au terme de la scolarité obligatoire de neuf ans ! Alors qu'une pléthore d'objectifs d'apprentissage vagues et utopiques - tels que «épanouir son individualité, se déterminer en fonction de ses projets, développer une meilleure communication, s'engager personnellement, s'autoévaluer, être solidaire...», etc. - accompagne une absence de moyens méthodologiques précis.

L'étude PISA n'a pu que constater l'échec genevois. Parents, élèves et professeurs sont déroutés. Constatant l'absence de pilote dans l'avion, ils ont réagi en s'appropriant la nécessaire mission de refaire l'école. Les deux initiatives sont le reflet de ce climat malsain et feignent de s'attaquer à l'échec scolaire ou d'apporter une réponse aux parents désarmés face au bilan du CO. Les parents et les élèves n'ont plus confiance dans l'institution et ils ont de bonnes raisons de s'inquiéter.

Dans le rapport de majorité, le syndicat qui représente les enseignants du cycle d'orientation déclare: «L'école n'est pas au service des parents (ni même des élèves), mais de la République. Même si les intérêts des parents sont très présents dans l'esprit des enseignants, ce ne sont pas eux qui font l'école.»

Les initiants sont unanimes sur le constat: l'échec scolaire au CO est trop important. Ils divergent par contre sur les remèdes. Dans les classes hétérogènes, les résultats sont dramatiquement faibles. Pour un parent soucieux de l'avenir de son enfant, le salut passe par le regroupement A, en latine ou en scientifique. Le changement des structures ne nous garantit absolument pas d'effets positifs sur les résultats. Les succès du cycle d'orientation passeront d'abord par la motivation des élèves qui doit être entretenue par le feu sacré d'un corps enseignant loyal et disponible.

L'initiative 134 a été lancée avant l'acceptation par le peuple de l'initiative sur les notes à l'école et perd donc un peu de sa raison d'être. En fait, les deux initiatives font l'impasse sur les réelles causes de l'échec scolaire. Ni les initiants, ni les commissaires, ni le DIP n'ont été en mesure de considérer la situation d'échec au cycle d'orientation.

Le groupe UDC vous recommande de refuser l'initiative 138 qui contient en elle les germes d'une dégradation des compétences de nos élèves et vous recommande de ne pas soutenir l'initiative 134 - bien qu'il en partage l'esprit, il reconnaît que sa mise en oeuvre sera problématique.

Le groupe UDC est favorable à tout contreprojet, pour autant qu'il place la transmission des savoirs et du savoir-faire au centre de l'école, qu'il permette une validation des établissements et des résultats, et enfin qu'il clôture la scolarité obligatoire par un certificat de fin de scolarité reconnu par le secondaire II en milieu d'apprentissage et par les milieux économiques en charge de la formation. Ce contreprojet doit favoriser l'intégration réelle des élèves dans le secondaire II et dans la formation professionnelle. (Applaudissements.)

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Nous pouvons critiquer ces initiatives, mais le peuple a la légitimité de déposer des initiatives. Et maintenant, c'est le rôle du parlement d'élaborer un contreprojet de grande qualité, qui répondra non seulement aux attentes de la population mais aussi aux besoins des élèves. Quelques principes devront guider nos travaux.

Ces initiatives ont été déposées - comme l'a rappelé entre autres M. Follonier - à cause du malaise lié à l'échec scolaire. Il me faut préciser d'emblée qu'il n'y a pas une seule forme d'échec, mais peut-être autant de formes d'échecs que d'élèves qui échouent. Se demander comment enrayer l'échec scolaire n'est pas une bonne question: il faut plutôt se demander comment le reconsidérer, l'intégrer et le gérer. Il y a toujours eu des échecs scolaires, il y en a maintenant et il y en aura encore. Pour contrer cela, il faut chercher à analyser et à comprendre pour savoir quelles mesures prendre. Malgré une compréhension fine des mécanismes de l'échec, trouver la bonne solution ne sera toutefois pas chose facile, étant donné que nous sommes dans un domaine lié au fonctionnement humain, où tout n'est pas connu ou résolu de façon logique ou scientifique.

Le contreprojet devra comprendre un système scolaire de base, simple, lisible et surtout cohérent - comme l'a dit M. Gillet - entre les différents degrés du primaire, du cycle et du secondaire. L'harmonisation romande devra aller dans ce sens et réduire ses disparités.

L'analyse des contenus pédagogiques est également un facteur déterminant pour l'échec scolaire, mais il y a encore trop de méthodes dont l'efficacité n'est pas forcément prouvée. En revanche, le système doit acquérir de la maniabilité et de la souplesse pour les 20% d'élèves en échec et doit offrir des solutions plurielles, variées, concertées et adaptées. Ces solutions devront être adoptées en concertation avec les parents, les profs et les professionnels impliqués. L'école doit proposer une palette de choix, comme des classes à petit effectif, des maîtres de soutien, des aides pédago-thérapeutiques, et peut-être, pour des cas non réglés, l'école privée. Seule une offre variée diminuera l'échec scolaire, car davantage d'enfants pourront trouver leur voie. Et rester en constante évolution ne pourra se faire sans dépenses supplémentaires.

Dans ce sens, l'initiative 138 défendait en partie ces idées. C'est pour cela que nous l'avions soutenue dans un premier temps. Mais nous nous sommes abstenus en commission, pour favoriser l'élaboration d'un contreprojet consensuel. Nous refuserons donc l'initiative 134, nous nous abstiendrons sur la 138 et nous voterons le contreprojet.

M. Eric Stauffer (MCG). Le groupe MCG ne soutiendra bien évidemment pas cette initiative. Je crois - et nous croyons - que le cycle d'orientation, dans sa configuration actuelle, fait partie du passé. Il faudra élaborer un contreprojet pour modifier, rénover, dynamiser le cycle d'orientation.

Imposer des choix et des critères de sélection à de très jeunes adolescents fait que certains ont mal tourné - regardez, je suis devenu député... Bref, le contreprojet devra aussi s'appliquer à ce que l'Etat ne se substitue pas à l'éducation des parents. Car le premier rempart de l'échec scolaire, c'est l'éducation que les parents prodiguent à leurs enfants. Alors, ne tombons pas dans le piège de la «légiférite» aiguë qui risque de voir l'Etat se substituer à l'éducation des parents ! Il faudra élaborer un contreprojet rassembleur, juste et performant, qui permettra à nos générations futures de bénéficier d'un niveau d'études supérieur pour affronter la vie professionnelle.

En conclusion, le groupe MCG travaillera et soutiendra un contreprojet rassembleur.

Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse. C'est vraiment merveilleux, on se croirait dans une classe ! On y voit exactement les mêmes réactions; dans une classe, il y a toujours deux ou trois élèves qui ne respectent pas les consignes, et c'est exactement ce qui se passe dans cette enceinte ! Avant la pause, nous avions décidé de ne parler que de l'initiative 134, d'ailleurs plusieurs personnes vont encore parler de la 138. Messieurs Brunier et Gillet, vous êtes de mauvais élèves ! Vous n'avez pas respecté les consignes... (Remarques.) Mais ce n'est pas grave, cela nous aura fait gagner du temps !

Nous avons mentionné un état d'esprit consensuel et que nous voulions travailler pour le bien de l'école... Le «bien de l'école» signifie l'améliorer, non la brûler ! Et je ne peux admettre certaines déclarations, selon lesquelles jusqu'à maintenant aucun élève genevois n'a bien réussi.

L'autre jour, plusieurs d'entre nous étions à Thoiry pour le Conseil du Léman, où l'on a essayé avec des enseignants et des directeurs français de trouver un modus vivendi pour mettre sur pied d'égalité le bac et la matu. Eh bien, cela n'a pas été possible ! Les reconnaissances ne peuvent s'établir parce que la maturité est de loin supérieure en exigences au baccalauréat français - vous savez bien que si vous n'avez pas une mention au baccalauréat français, vous ne pouvez pas entrer à l'Université de Genève.

En plus de cela, il faut quand même relever certaines réussites à l'Université de Genève. Et quand je pense à nos chercheurs, je ne supporte pas que l'on démolisse comme cela l'école qui a existé jusqu'à maintenant ! On peut évidemment l'améliorer, mais dans la situation actuelle on se rend surtout compte de la nécessité de trouver une solution qui ne laisse personne en rupture de formation.

Je m'adresse au groupe UDC: en demandant à l'école d'aller totalement à contre-courant des modèles véhiculés par la société actuelle, vous risquez de provoquer une sorte de hiatus. L'environnement proposé - par les médias, entre autres - ne prône que rarement l'effort, ne souligne pas les difficultés et ne promeut pas le dépassement de soi - sauf en sport, mais c'est une activité facultative. Toutes les images démontrent qu'il est aisé d'accéder au bien-être, au confort, à la facilité, à la joie de vivre... Et vous croyez qu'un enfant de 12 à 15 ans a envie de faire autre chose que ce que la société lui montre en exemple ?! Mais ce n'est pas possible ! Et c'est justement là que la tâche des enseignants est affreusement difficile: ils doivent non seulement avoir l'accord des parents, mais aussi fournir un effort pour réhabiliter le mot «persévérance». En effet, dans combien de familles n'a-t-on pas pris l'habitude de jeter ? Un enfant fait du judo pendant trois mois, puis cela devient difficile; alors il commence le solfège. Mais cela devient difficile, alors il fait du karaté. Et après le karaté, on l'inscrira au cours de danse...  ! C'est notre société Kleenex; on prend et on jette.

Je crois donc que, malgré leur bonne volonté, les enseignants ne peuvent lutter seuls contre un état de fait ! Il faut certes que l'école soit exigeante, mais les parents doivent l'être aussi.

Veuillez me pardonner cette digression, j'ai moi aussi dépassé le cadre de l'initiative 134, mais je l'avais sur le coeur et il me fallait le dire. (Applaudissements.)

M. Charles Beer, président du Conseil d'Etat. Celles et ceux qui cherchent à expliquer le lancement pratiquement parallèle de ces deux initiatives autour du cycle d'orientation ont raison de se poser un certain nombre de questions. Il n'est pas coutume de voir deux initiatives irrémédiablement opposées sur un même thème. Nous sommes donc déjà devant un défi de la forme, c'est-à-dire organiser un grand débat qui ne soit pas père de tous les vices de l'incompréhension et de la confusion.

Mesdames et Messieurs les députés, si nous tentons de nous interroger, prenons déjà un minimum de distance - j'ai déjà eu l'occasion de le faire - en considérant un certain nombre de repères historiques.

M. Hiltpold et Mme Hagmann ont rappelé que le cycle d'orientation est une oeuvre du parti radical et du parti socialiste correspondant au pacte républicain de l'époque - pour une école publique laïque, républicaine et gratuite.

Lors du lancement du cycle d'orientation, il y avait le modèle des sections qui posait déjà la question de savoir comment faire travailler ensemble tous les élèves, quel que soit leur niveau, en partageant les mêmes enseignants et enseignements. C'étaient les germes de la réforme II qui a commencé dans les cycles d'orientation nouvellement construits.

En 1971, le premier cycle d'orientation achevé est celui de Budé, puis vient en 1974 le cycle des Coudriers et, en 1975, Bois-Caran. Mais à cet instant, l'histoire a quelque peu bégayé - si j'ose dire - car mon très illustre et impressionnant prédécesseur André Chavanne a un peu hésité entre la réforme II et le cycle à sections, étant donné l'opposition du corps enseignant à cette réforme et un certain nombre d'autres résistances.

Dès 1976, nous constatons le retour des sections au cycle du Vuillonnex et cela signifie qu'André Chavanne a arrêté la réforme II en 1975, il y a donc - vous avez compté avec moi - trente-deux ans.

Depuis, le cycle a continué a évoluer entre les deux mondes des sections et de l'hétérogénéité, jusqu'au jour où ce parlement a été saisi d'un projet de loi sur la 7e hétérogène, projet qui aurait pu être un peu plus consensuel car un certain nombre d'acteurs politiques se posaient clairement la question de l'intérêt de cette année de transition.

Il faut savoir tirer des leçons de l'histoire, y compris parlementaire et récente. Un certain nombre de volontés d'aller trop vite et d'imposer un rapport de force dans un parlement exceptionnellement à majorité de gauche - ceci peut expliquer cela - nous a amenés à dire que la période de transition pour venir à la 7e hétérogène devait être fixée par la loi elle-même en deux ans. C'est en troisième débat que l'on a imposé, à gauche, cette vision des choses, au même moment où un parti de gauche - ou plutôt du centre, ou du centre-gauche - a voulu proposer sa propre démarche avec le dépôt d'un projet de loi visant la 7e, la 8e et la 9e hétérogènes. Dès lors, les partis modérés - démocrates-chrétiens, radicaux et les libéraux prêts à discuter aussi - ont dit: «Puisque c'est comme cela, on vote non et vous aurez le référendum !» Je me souviens encore de Bernard Lescaze qui disait: «Cette fois, vous l'aurez cherché, on lancera le référendum !» Il a été lancé et a été gagné au-delà de toutes les espérances des référendaires.

Là où les choses deviennent moins claires, c'est qu'à la suite de la votation nous avons gardé trois cycles hétérogènes - 7e, 8e et 9e - et les autres cycles, 14 à l'époque, sont restés sous le système à sections. Plus original encore, parce que l'histoire l'a voulu ainsi, une nouvelle réforme sur la grille horaire - avec les regroupements A et B, et sur l'installation des options - est entrée en vigueur, sans que le peuple n'ait eu l'occasion de se prononcer. Ce cycle d'orientation, jamais voulu par le peuple parce que jamais choisi, n'est pas le résultat du fait que le département de l'époque ou que le conseiller d'Etat se fussent trompés: il a été conçu politiquement au moment où le projet de loi sur la 7e hétérogène devait représenter le rempart contre cette nouvelle réforme dont une partie du corps enseignant ne voulait pas.

Mesdames et Messieurs les députés, cela fait trente ans que l'on est dans la panade avec le cycle d'orientation, que l'on est incapable de prendre une décision autre que de stabiliser ou de calmer les choses pour réconcilier les Genevois; mais les Genevois sont-ils réconciliables autour de l'école ? Je le souhaite, et nous - tout au moins les représentants de ce Grand Conseil - sommes en train d'en prendre le chemin. Je ne peux que saluer cela.

En revanche, je ne peux pas, évidemment, accepter un certain nombre de griefs qui, au nom de ce non-choix ou de cette non-clarté des directions, sont erronés ou tout simplement diffamants pour des élèves, pour des enseignants, pour l'institution en général et, en fin de compte, pour la République !

Et nos élèves qui ont 22 ans aujourd'hui et qui sont pour certains encore à mi-chemin entre le postobligatoire et l'université - pour d'autres déjà à l'université - constituent la génération la mieux diplômée du postobligatoire en Suisse ! Le taux de formation postobligatoire et le taux de maturité à Genève sont également plus élevés que dans les autres cantons suisses ! Alors, je veux bien qu'en prenant beaucoup d'élan, on se tape sur le front ou sur le nez avec un marteau, puisque décrier notre système est logique dans le cadre de joutes électorales... Mais cela est profondément injuste pour celles et ceux qui le suivent, pour celles et ceux qui le font.

A propos d'apprentissage, on ne peut que saluer l'unanimité de tout à l'heure sur la loi sur l'information et l'orientation. MM. les députés Brunier et Follonier relevaient que l'âge d'entrée en apprentissage était d'environ 18 ans... La vérité, c'est qu'aucune entreprise n'engage plus à 15 ans, et elles n'ont pas tort ! La plupart des élèves, quel que soit leur niveau scolaire, ne sont pas jugés suffisamment forts pour commencer un apprentissage. Et je vais vous donner l'explication.

Ces élèves, aujourd'hui, lisent les conditions d'entrée en apprentissage. Savez-vous, Mesdames et Messieurs les députés, que pour entrer dans la chimie genevoise comme apprenti-laborantin, il faut un diplôme de l'Ecole de culture générale ? A partir de là, vous pouvez faire tous les procès que vous voulez à l'école ! Je ne fais pour ma part aucun procès aux entreprises, je remarque simplement qu'elles doivent aussi s'adapter et que les choses sont bien plus complexes qu'un certains nombre de réponses entendues dans ce parlement peuvent le laisser croire !

Je tenais à le dire aujourd'hui, les conséquences de l'échec scolaire et de l'absence d'un titre postobligatoire privent un élève d'avenir, et c'est cela qui a changé en 20 ans ! Autrefois, quand on n'avait pas de titre, on pouvait très bien se contenter de petits boulots, or ils ont disparu.

Je salue le travail qui a commencé en commission, parce qu'il s'intéresse en priorité aux élèves. Ces deux initiatives, quels que soient leur limites et leur intérêt - j'ai beaucoup de peine à trouver un intérêt à l'initiative 134, hormis sa signification - doivent nous amener à imaginer un cycle d'orientation sur des bases acceptées par la République, qui consacrent la qualité de l'école genevoise et l'égalité des chances, qui en est le corollaire. A Genève, il ne peut pas y avoir d'école de qualité sans égalité des chances, et l'ensemble des chefs du département de l'instruction publique, de M. Borel à Mme Brunschwig Graf, ont toujours honoré cet aspect dans leurs actions et dans leurs décisions politiques.

Heureusement que le climat est propice à la discussion. Nous montrerons ainsi que nous sommes capables de privilégier le nouveau cycle d'orientation.

Et puis, un tout petit mot, à l'adresse d'un parti que je n'ai pas envie de mentionner - ou tout au moins à son chef de groupe, entendu tout à l'heure: c'est pour rappeler que vouloir réduire un certain nombre de plaidoiries et de recherches de voix à une espèce de dérive partisane de la part du chef du département n'est pas tout à fait conforme à la réalité et, surtout, c'est décalé par rapport à l'état d'esprit que nous essayons de privilégier. Je le regrette vivement, d'autant plus que vous n'avez pas forcément montré qu'à une autre génération on était capable de former de brillants élèves. (Applaudissements.)

Mise aux voix, l'initiative 134 est refusée par 71 non contre 1 oui et 5 abstentions.

Mis aux voix, le principe d'un contreprojet est accepté par 80 oui (unanimité des votants).

L'initiative 134 est renvoyée à la commission de l'enseignement et de l'éducation pour l'élaboration du contreprojet.

Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission IN 134-C.