République et canton de Genève

Grand Conseil

IN 138
Initiative populaire 138 : "S'organiser contre l'échec scolaire et garantir une formation pour tous les jeunes"
IN 138-C
Rapport de la Commission de l'enseignement et de l'éducation chargée d'étudier l'initiative populaire 138 « S'organiser contre l'échec scolaire et garantir une formation pour tous les jeunes »

Débat

Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse. Il n'est pas question de refaire le débat - n'ayez pas d'inquiétude - mais tout de même, cette initiative mérite quelques mots, puisque nous avons aussi donné notre point de vue sur l'IN 134.

L'initiative 138 porte un titre très attractif: «S'organiser contre l'échec scolaire et garantir une formation pour tous les jeunes». Qui pourrait ne pas être d'accord avec cela ? Si l'on va au fond des choses, on voit que cette initiative a été lancée pour faire antidote à la 134. Elle a aussi récolté plus de 12 000 signatures, cela signifie que, sur Genève, il y a plus de 12 000 personnes en faveur des filières très strictes et plus de 12 000 personnes en faveur d'un cycle hétérogène... Pauvre Monsieur Beer, comment allez-vous faire ? Si l'initiative 138 était acceptée, il faudrait 50 classes supplémentaires - on a fait le calcul. Je ne sais pas très bien où, dans le budget actuel de l'Etat, on trouverait de quoi faire ces 50 classes...

Cette initiative 138 est donc idéaliste, mais irréaliste. Elle défend des principes utopiques d'égalité de réussite, elle n'accepte pas une orientation nécessaire des élèves, elle ne tient pas compte des demandes toujours plus exigeantes du marché de l'emploi. Personne ne veut laisser des jeunes au bord de la route, mais personne ne doit laisser des jeunes affamés d'apprendre !

L'initiative 138 préconise d'augmenter le soutien, mais quel soutien ? Aux apprentissages ? Au métier d'élève ? A l'orientation ? A l'insertion ? Et par quels professionnels ? Les possibilités existent déjà, je ferais honte aux directeurs de cycle en disant qu'ils ne se sont pas déjà inquiétés de cela; les directions s'en préoccupent.

Je crains que les motifs de cette initiative ne soient eux aussi pas acceptés dans le concept «HarmoS». A ce propos, M. le président pourra peut-être nous le confirmer, j'ai entendu à la radio que le concordat «HarmoS» a été signé aujourd'hui par la CDIP. Cette signature demandera une évaluation, c'est une chose positive, et elle exigera des standards nationaux de formation avec des objectifs clairement fixés et un contrôle pour savoir si ces derniers ont été atteints.

La solution est meilleure que l'initiative 138, que nous refuserons, et à nouveau pour demander un contreprojet. Plus précisément, la commission ne sait pas encore si elle préparera un ou deux contreprojets. Pour l'instant, la piste est lancée et suscitera des approfondissements.

Mme Virginie Keller Lopez (S). Le parti socialiste appuiera l'initiative 138, mais j'expliquerai un peu loin pourquoi nous soutiendrons avant tout un contreprojet unique. Il est important, essentiel, indispensable que la population genevoise se réconcilie avec son école, avec son corps enseignant et les partis politiques de même.

Le président a déjà dit beaucoup de choses, mes préopinants aussi, mais j'aimerais quand même féliciter Mme Hagmann pour son excellent rapport sur l'IN 138. Elle rend formidablement bien compte des enjeux et des débats autour de ces deux initiatives.

Si l'on fait un petit retour en arrière, on s'aperçoit qu'en 1984 déjà le Conseil d'Etat nous rendait attentif - par la voix de M.  Föllmi - au fait que la question des structures est tout à fait secondaire concernant la réussite ou l'échec scolaire. En 2001, une étude du SRED visait à comparer les enfants qui sortent des systèmes hétérogènes et les enfants qui sortent des systèmes homogènes et démontrait qu'il n'y avait aucune différence dans la poursuite du parcours scolaire de ces enfants.

De la même manière, l'étude PISA nous montre que les deux pays en tête des résultats ont, pour le premier, un système totalement hétérogène et, pour le second, un système totalement homogène. Toutes ces indications nous montrent bien que le débat que nous avons sur ces deux initiatives est certes un débat important - il vient du peuple et d'une grande partie des enseignants en désaccord sur cette question - mais il ne faut pas occulter le fait que c'est peut-être un faux débat et que les enjeux pour lutter contre l'échec scolaire sont ailleurs, et ni du côté de l'initiative 134, ni malheureusement du côté de l'initiative 138.

L'UDC reproche à l'école d'aujourd'hui d'avoir une pléthore d'objectifs inutiles, comme « la capacité de communiquer», comme «la capacité de réaliser un projet ou de s'adapter»... Mais, Mesdames et Messieurs les députés, c'est exactement ce que l'on demande à l'être humain d'aujourd'hui dans l'entreprise ! Vous proposez aux enfants et aux jeunes une école qui n'a rien à voir avec ce qui les attend à la sortie, cela manifeste un total manque de responsabilités vis-à-vis des futures générations.

Il est évident que l'école doit s'adapter, et si en 1848 l'école publique et obligatoire avait aussi pour mission d'enseigner aux enfants l'hygiène, la santé ou la propreté, elle a évidemment pour mission aujourd'hui d'apprendre le monde moderne, l'informatique, les langues étrangères, la capacité de comprendre la mondialisation, etc. On ne peut pas échapper à ces enjeux ! Et toutes ces missions que l'école doit remplir sont une véritable difficulté pour les enfants qui ont davantage de peine à acquérir les bases nécessaires à des études ou une formation.

C'est pourquoi le parti socialiste soutiendra l'initiative 138 par un vote tout à fait symbolique, car son grand mérite est de s'adresser essentiellement à ces 20% d'enfants en difficulté, à ces peut-être 600 ou 800 enfants qui sortent du cycle chaque année sans être promus à quoi que ce soit. Le problème de l'école aujourd'hui, ce ne sont pas les enfants qui vont bien, qui apprennent déjà l'allemand, qui apprendront l'anglais dans quelques années, qui manient parfaitement l'informatique et qui, en plus, le mercredi après-midi ou le samedi, font du karaté, du judo et du solfège, ainsi que Mme Hagmann l'a indiqué. Ce ne sont pas pour ces enfants-là que nous sommes en souci. Comme le président l'a très bien rappelé tout à l'heure, Genève est le canton ayant le plus de maturités de toute la Suisse, c'est le canton où les enfants sont le mieux formés et où il y a plus de diplômes postsecondaires. Donc, nos formations sont d'ores et déjà excellentes et nous n'avons aucun complexe à avoir sur ce terrain. En revanche, dans une école chaque jour plus exigeante, nous devons nous préoccuper avant tout des enfants en difficulté.

C'est en cela que le parti socialiste est sensible aux arguments de l'initiative 138 qui s'intitule «S'organiser contre l'échec scolaire et garantir une formation pour tous les jeunes.» Il est pour ces jeunes-là le vrai défi, pas pour les autres !

Nous trouvons que l'inscription dans la loi, par exemple du soutien pédagogique pour les élèves en difficulté est une chose tout à fait positive. Nous devons aujourd'hui prendre nos responsabilités vis-à-vis de ces enfants-là et la question du 10e degré, la question des passerelles entre filières et la question du soutien pédagogique sont aujourd'hui essentielles, auxquelles nous ne pourrons échapper.

Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons l'initiative 138. Et lorsque nous travaillerons tous ensemble sur un contreprojet consensuel et unanime, ce serait bien que les propositions de l'initiative 138 y trouvent un écho.

Une personne qui m'est très chère et avec qui j'avais fait mes études, Charles Magnin, professeur en histoire de l'éducation, rappelait dans un article du «Temps» que l'école est le lieu du contrat social. En tant que députés, nous avons l'immense responsabilité de faire en sorte que le contrat social soit respecté, que l'école ne soit pas l'enjeu de batailles politiciennes ni l'occasion de se faire entendre lors des élections. Je vous rappelle que hier soir, lors de nos débats, plusieurs d'entre vous ont rappelé la nécessité de respecter notre police, nos institutions...

La présidente. Il va vous falloir conclure, Madame la députée.

Mme Virginie Keller Lopez. J'ai tout à fait fini. Eh bien, l'école et le corps enseignant ont le même besoin. Et quand nous respecterons nos enfants, quand les partis politiques travailleront ensemble, nous trouverons un système où les enfants s'en sortiront mieux. En 1964, André Chavanne...

La présidente. Il faut conclure, Madame la députée.

Mme Virginie Keller Lopez. C'est ma dernière phrase. En 1964, André Chavannne avait obtenu l'unanimité dans ce Grand Conseil pour l'introduction et la généralisation du cycle d'orientation: J'espère que nous aurons bientôt un contreprojet qui trouvera également l'unanimité parmi nous. (Applaudissements.)

La présidente. Le Bureau a décidé de clore la liste. Sont encore inscrits: Mmes et MM. Wisard-Blum, Aubert, Gillet, Follonier, Catelain, Rappaz, Pürro, Bertinat, Mme la rapporteure et M. le conseiller d'Etat.

Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). Pour répondre à l'initiative 134, sélective, et partant de la même problématique de l'échec scolaire, Coordination Enseignement propose une vision de l'école totalement différente au travers de l'initiative 138.

En effet, si l'initiative 134 prévoit une école qui accueille les élèves en difficulté en les séparant des autres et sans vraiment répondre à la question de l'échec scolaire, l'initiative 138 propose une école qui accueille tous les élèves, y compris ceux en difficulté, en prévoyant des soutiens pédagogiques et des moyens pour lutter contre l'échec sans stigmatiser ni exclure.

Que prévoit cette initiative ? En sortant de 6e, les élèves promus seraient inscrits dans un 7e degré identique pour tous. Les Verts sont toujours favorables à l'hétérogénéité. A droite, certains s'y opposent en prétextant un vote populaire négatif, ce sont d'ailleurs les mêmes qui souhaitent relancer une traversée de la rade malgré un vote populaire également négatif... Selon nous, une 7e hétérogène permettrait enfin au cycle de jouer son rôle d'orientation. En 8e et 9e, l'enseignement serait donné à tous les élèves, mais avec des niveaux et des options. L'avantage évident de cette initiative est aussi la souplesse qu'elle laisse au département pour sa mise en oeuvre. Toutefois, cette initiative va bien plus loin, car elle modifie l'article 7 de la loi sur l'instruction publique en prévision de soutiens pédagogiques pour les élèves en difficulté. Oui, un tel article est essentiel si l'on souhaite réellement lutter contre l'échec scolaire, car depuis 10 ans ces soutiens ne vont qu'en diminuant.

Selon les derniers chiffres à disposition, notre part de dépenses publiques pour l'éducation est la plus basse de Suisse et les dépenses par élève au cycle d'orientation ont diminué de 20% depuis 1999 et de 25% à l'école primaire.

Nous devons impérativement prévoir un soutien efficace et différencié aux élèves en difficultés. Comme Sylvia Leuenberger le soulignait, il n'existe pas un échec scolaire, mais plusieurs: il y a une multitude de raisons d'être en difficulté et les réponses à apporter doivent être diverses.

Les Verts soutiennent une école de la diversité et cette initiative mériterait notre soutien, néanmoins, souhaitant travailler sur un contreprojet dans lequel nous tenterons d'imposer notre vision de l'école, nous avons choisi de nous abstenir pour marquer notre ouverture au dialogue et pour que l'élaboration d'un contreprojet se déroule dans un esprit serein et constructif.

Toutefois, si le contreprojet ne répondait pas à nos préoccupations, nous reviendrions sans problèmes sur ce vote et nous soutiendrions cette initiative 138 devant le peuple.

M. Claude Aubert (L). Quatre remarques. D'abord, un immense bravo: 80% des élèves genevois terminent leur scolarité avec succès. Bravo aux enseignants, ils peuvent être fiers de leur engagement. Par contre, 17% d'entre eux éprouvent des difficultés importantes et, d'après les données de la littérature, 1% à 3% de la totalité des élèves sont dans des difficultés majeures qui handicapent gravement leur scolarité - cela représente environ 300 à 600 élèves. Les libéraux estiment nécessaire de tenir compte de ces données. Structurer l'école en référence à la seule notion d'échec est idéologique et non pédagogique.

Deuxièmement, vous savez que l'adolescence est une création de nos sociétés occidentales. Entre l'enfance et l'âge adulte s'étend une zone floue, souvent faite d'indépendance autoproclamée et de dépendances réelles. Allonger l'orientation comme le suggèrent les initiants, c'est-à-dire jusqu'à 16, 17 voire 18 ans, nous paraît douteux. Tout se passe comme si notre société tenait à garder le plus longtemps possible les jeunes dans l'immaturité et la dépendance. A ce propos, suggérer un droit de vote à 16 ans pourrait être le sain réflexe de jeunes ne supportant plus ces adultes qui les infantilisent.

Troisièmement, les libéraux rejettent toutes les dénominations ou les astuces qui mystifient les élèves en leur faisant croire qu'ils sont dans la bonne voie alors qu'ils sont proches des bas-côtés.

Quatrièmement, tout le monde parle de l'exclusion, et c'est une réalité, mais on la conçoit comme si le système scolaire en était la raison. L'idée de réformer le système - pour qu'il n'exclue plus - provient de là. Mais il ne s'agit pas de minimiser le phénomène inverse: le refus des jeunes, voire des très jeunes, d'entrer dans le système scolaire.

L'échec scolaire résulte aussi d'un refus de s'intégrer, pour de nombreuses raisons. Aider les jeunes à s'intégrer est une autre piste pour lutter contre l'échec scolaire. Elle nécessite de la part des enseignants un charisme, une liberté de manoeuvre, une inventivité et un génie que les structures d'aide, paradoxalement, sont susceptibles d'asphyxier. Déléguer l'aide, c'est aussi renoncer à en donner. Or, l'élève a besoin de l'enseignant, non pas de l'expert.

Les libéraux refusent cette initiative au profit du contreprojet. Comme cela a été dit, 59 organismes d'appui scolaire - 59 ! - luttent contre l'échec scolaire dans ce canton et, selon les experts, il n'y aucune garantie que les moyens proposés par cette initiative améliorent nettement la situation.

M. François Gillet (PDC). Je m'excuse tout d'abord auprès de Mme la rapporteure d'avoir tout à l'heure anticipé le débat sur l'initiative 138. Je serai donc bref et éviterai de me répéter. Cette initiative traite essentiellement d'hétérogénéité - en tout cas pour la 7e - et, sur ce point, il faut quand même savoir de quoi l'on parle.

L'hétérogénéité - cela a été rappelé par le président - existe encore dans trois collèges à Genève. Mais elle n'est pas la même aux Coudriers et à Bois-Caran, par exemple. La configuration socioculturelle de ces différentes communes ou régions fait que l'hétérogénéité est vécue très différemment d'un collège à l'autre. Vouloir la généraliser, ce serait engendrer de nouvelles inégalités.

Il faut également relever qu'il n'est pas très sérieux de prétendre pratiquer l'orientation en ne différenciant que les niveaux de maths et d'allemand. Dans sa mission d'orientation, le cycle doit aller au-delà de ce genre de pratiques.

Je rejoins par contre les initiants, c'est pour dire que nous devrons tenir compte dans le contreprojet de la nécessité de trouver une structure limitant autant que possible l'échec scolaire. Cette structure devra surtout offrir une perméabilité entre les sections ou les filières, c'est essentiel. Il faut éviter une sélection trop précoce à la sortie de l'école primaire. Nous devons tenir compte de la période particulière que représente l'adolescence et des déclics pour les études, parfois tardifs, durant cette période particulière de mutation.

Il est essentiel d'avoir cela à l'esprit, mais aussi - le groupe démocrate-chrétien en est convaincu - rejeter cette initiative 138; et ceci même si un certain nombre d'objectifs louables de cette initiative pourront éventuellement être repris dans le cadre du contreprojet.

M. Jacques Follonier (R). Hier, la CDIP - la commission des directeurs de l'instruction publique - a voté «HarmoS». L'harmonisation suisse est en marche. C'est un bien pour notre pays et pour Genève, mais c'est totalement en contradiction avec l'initiative 138 qui ne va absolument pas dans ce sens. Elle va dans un sens carrément inconnu, puisque nulle part en Suisse n'est utilisé le système préconisé par cette initiative. C'est donc fondamentalement une bêtise.

On peut en outre qualifier cette initiative d'opportuniste. Pourquoi ? Déjà par son titre, tout simplement. J'ai déjà eu l'occasion de le souligner, «Lutter contre l'échec scolaire» n'est pas un titre pour traiter des problèmes au cycle, c'est un racolage pour obtenir des signatures. A part deux petits articles - dont un sur l'échec scolaire depuis l'école maternelle jusqu'à la sortie du gymnase - cette initiative ne sert à rien. Mais il faut reconnaître qu'elle est là. Elle a été soumise en opposition à l'initiative 134 et cette manière de faire est regrettable, car elle provoque des complications énormes au Conseil d'Etat, au département et dans notre parlement: gérer deux initiatives où l'une n'a le but que de détruire l'autre, c'est malsain, et nous aurons beaucoup de peine à construire le futur contreprojet.

Je suis particulièrement déçu d'entendre le parti socialiste dire qu'il faut construire un cycle d'orientation pour ceux qui ne vont pas bien. Je n'ai jamais pu comprendre cela et je ne l'admettrai jamais. Une école est faite pour tous les élèves, qu'ils aillent bien ou mal ! Nous souhaitons une école laïque, publique, républicaine et gratuite, et c'est comme cela qu'elle doit être et nous ne ferons pas autrement !

Et cette initiative 138 ne va absolument pas dans ce sens.

M. Gilbert Catelain (UDC). On a beaucoup vanté l'école genevoise et il est vrai que nous n'avons pour fonction de la discréditer. L'école genevoise travaille dans des conditions difficiles, avec une population particulièrement variée qui pose des difficultés supplémentaires aux enseignants, mais ce n'est pas non plus une raison pour se tirer des autogoals et renforcer la difficulté de cette école à remplir sa mission.

Beaucoup parmi vous ont établi une relation entre la certification, le taux de maturité de ce canton et la qualité de l'école. Personne n'a mis en parallèle la certification, la qualité de la formation et le taux de chômage des jeunes.

En France, il y a 80% de bacheliers et 20% de chômeurs. A Genève, on a un taux élevé de maturités et de maturités commerciales et un taux de chômage des jeunes nettement plus élevé que la moyenne nationale. A Zurich et dans les autres cantons alémaniques, un taux de maturités beaucoup plus faible mais un taux de chômage des jeunes aussi beaucoup plus faible. Vous avez une philosophie de l'instruction publique et de la formation qui vise à intégrer les jeunes dans la société sur le marché du travail et non pas à les exclure de la société.

Je ne crois pas que le bilan de l'école se mesure uniquement sur le seul fait que l'on obtienne ou pas une maturité. D'ailleurs, certains d'entre vous l'ont dit, on ne peut pas établir l'harmonisation entre la maturité et le bac, puisque le bac a tellement perdu de valeur par rapport à cet objectif des 80% que, finalement, c'est une usine à chômeurs qui renvoie à l'université les jeunes dont les employeurs ne veulent pas. Par contre, si vous faites une école de commerce supérieure en France, vous avez 100% de chances de trouver un emploi.

Pour ma part, je ne suis pas fier de ces 20% d'échecs scolaire. On nous a parlé d'un plancher incompressible, ces fameux 20%, de la courbe de Gauss qui se vérifie dans tous les phénomènes. Le seul problème que l'on a est que, si nous parlons positivement, les 80% de nos jeunes qui réussissent le passage du cycle d'orientation ne correspondent pas forcément aux 80% de Valaisans ou de Fribourgeois qui arrivent au terme du postobligatoire ! Nous le savons fort bien ! L'étude PISA le démontre ! Le niveau PISA à Genève pour les 13-15 ans, c'est le niveau français; alors que les Fribourgeois et les Valaisans, pour cette même tranche d'âge, nous sont nettement supérieurs. Ces pourcentages ne veulent donc pas forcément dire grand-chose.

L'IN 138 s'adressait essentiellement aux 20% les plus faibles. L'IN 134 s'adresse à l'ensemble. Elle respecte en cela la philosophie du cycle d'orientation qui est là pour orienter. Dans une société qui veut accorder le droit de vote à 16 ans et qui considère que l'on devient adulte à 16 ans et que l'on est capable de faire des choix qui vont engager une société, il est normal que l'on puisse, à 14 ou 15 ans, s'orienter. Beaucoup de jeunes peuvent déjà vous dire que les maths, cela ne les intéresse pas et qu'ils préfèrent aller dans une filière artistique ou linguistique; d'autres, au contraire, ne sont pas du tout intéressés par les langues et préfèrent prendre une orientation scientifique... Il y a donc un faux problème à propose de cette notion d'orientation. Et je réfute le terme de sélection, car il ne s'agit pas de sélection, dans l'une ou l'autre des initiatives, il s'agit d'orientation.

Ce qui me fait souci dans l'initiative 138, ce n'est pas son fond, ni même le texte, mais c'est l'esprit des initiants. Quand ils vous déclarent, à propos de l'initiative 134 qui veut orienter, qu'elle «a pour objectif de distinguer les élèves entre eux sur la base de leurs capacités intellectuelles» et que, pour leur part, ils ne voient pas de grande différence avec la volonté de certains de procéder à une distinction raciale, ou sociale, entre les riches et les pauvres... Mesdames et Messieurs, on a un siècle de retard ! La lutte des classes, c'est terminé ! C'est fini ! Le léninisme et le marxisme sont morts ! La société a changé !

Une voix. Bravo !

M. Gilbert Catelain. Les initiants nous déclarent également qu'un autre problème provient du regroupement des élèves plus faibles, alors que toutes les théories actuelles indiquent qu'il faut répartir les élèves en difficultés dans les groupes constitués de bons élèves pour leur permettre de bénéficier d'un effet d'entraînement et leur épargner le risque d'une exclusion progressive. Alors, on peut l'accepter dans le cadre d'une société qui a peu de problèmes, qui est homogène, où il n'y a qu'un ou deux faibles élèves par classe... Permettez un parallèle avec le monde sportif: je ne connais pas une équipe de foot, pas une seule équipe nationale qui mettrait deux pommes dans une équipe de onze ! Et il n'y en a pas un parmi vous qui serait d'accord que Köbi Kuhn engage des joueurs de deuxième ligue pour jouer en équipe nationale. Et qu'a-t-on fait pour permettre aux joueurs d'atteindre l'équipe nationale ? On a justement fait des niveaux. On joue d'abord en première ligue, ensuite en «Challenge League». Et même des socialistes ont trouvé ce système parfaitement viable, puisqu'ils l'ont cautionné en jouant et en participant à des compétitions dans ce domaine.

La présidente. Il va falloir conclure, Monsieur le député.

M. Gilbert Catelain. Je conclus, Madame la présidente. Personnellement, je ne donne pas de mauvaise note à qui que ce soit et il ne m'appartient pas de juger du comportement d'un conseiller d'Etat ou d'un autre. J'aimerais seulement rappeler que le chef du département a, dans cette enceinte, à l'époque, clairement soutenu - et c'est son droit - une certaine philosophie de l'école qui n'est pas forcément la nôtre. Mais à partir du moment où ce Grand Conseil va décider de refuser ces deux initiatives et de s'orienter sur un contreprojet, il faudra absolument que le chef du département soit au-dessus de la mêlée. Et qu'il puisse présider. C'est-à-dire faire preuve d'une certaine neutralité, et non pas forcément, comme je l'ai vu ce soir, être de mèche avec l'un des auteurs de l'initiative «Pour un cycle qui oriente», ce qui laisse présumer un parti pris.

En dernier lieu, je vous signale que nos voisins français ont à une large majorité approuvé «l'Ecole des flics», sauce Sarkozy, qui va à l'encontre de l'initiative soutenue par certains d'entre vous. Le nouveau président est contre l'hétérogénéité et le peuple français l'a largement suivi, les élections de ce week-end...

La présidente. Il faut conclure, Monsieur le député !

M. Gilbert Catelain. Pour ces motifs, le groupe UDC refusera cette initiative.

M. Henry Rappaz (MCG). Pour ne pas refaire le long travail effectué en commission de l'enseignement et de l'éducation, je rappelle que cette dernière, dans son ensemble, est en faveur du rejet de l'initiative 138 et vous propose en échange un contreprojet, que le MCG soutiendra avec vigueur.

Mme Véronique Pürro (S). J'ai hésité à intervenir après ce long débat, mais l'intervention de M. Follonier m'a laissée perplexe. Quand il dit que l'initiative 138 est opportuniste et qu'il est regrettable qu'elle ait été déposée, je trouve que c'est faire peu de cas des 12 000 personnes qui l'ont soutenue et de nos institutions démocratiques. Et surtout, c'est avoir la mémoire très courte, Monsieur Follonier. Cela fait deux heures que nous répétons que nous voulons un compromis et un consensus, que nous ne voulons pas reproduire ce que nous avons fait à l'école primaire... Eh bien, si tel est vraiment notre objectif, je salue et remercie les auteurs de la 138 ! En s'opposant diamétralement à l'IN 134, cette initiative nous obligera à trouver le compromis et à faire preuve de consensus. Si nous n'y arrivons pas, ces deux initiatives seront soumises au peuple. Et là, Monsieur Follonier, vous savez tout comme moi que ce sont souvent les réponses les plus simplistes émises par les plus grands démagogues qui l'emportent, et cela serait regrettable. Vous savez aussi, puisque vous êtes un démocrate - j'en suis convaincue - que les solutions simplistes ne résolvent pas les problèmes complexes.

Mesdames et Messieurs les députés, personne ne détient la recette miracle, ni la potion magique. Nous avons discuté de deux initiatives totalement opposées, mais Genève n'est pas un cas si particulier: l'école est en questionnement et en réforme partout dans le monde, parce que la société change et que l'école doit s'adapter. Vous savez très bien que les deux systèmes coréen et finlandais ont les meilleurs résultats dans les études internationales alors qu'ils sont diamétralement opposés. Le premier est très hiérarchique et rigide, le second plus hétérogène et beaucoup plus souple. A Genève, il n'y aura ni l'un ni l'autre et j'espère que nous aurons l'intelligence de trouver le juste milieu. J'espère aussi que nous ferons chacun un pas vers l'autre et que nous serons capables de proposer un contreprojet qui satisfera également les deux groupes d'initiants. Nous devons consacrer les mois qui viennent à trouver les solutions qui donneront un peu de satisfaction aux uns et aux autres et qui instaureront la paix scolaire que nous appelons tous de nos voeux. (Applaudissements.)

M. Eric Bertinat (UDC). Mme Pürro vient de nous dire que personne ne détient la solution miracle - c'est juste. Elle dénonce aussi des solutions simplistes... Vous me permettrez de revenir sur l'hétérogénéité, cette curieuse proposition mise en place dans certains cycles bien que largement refusée en votations en mars 2001. Dans le rapport de Mme Hagmann, on trouve la définition de ce terme par REEL, et nous la jugeons fort exacte à l'UDC: l'hétérogénéité «n'est que l'autre nom d'une pédagogie compassionnelle qui sursoit aux disparités d'apprentissages par la pratique de notes de complaisance. Complaisance plus favorable à l'image de l'école et à la tranquillité des parents.»

L'initiative 138 est fondamentalement idéologique. C'est une vision de l'enseignement passéiste et dont les résultats ne sont pas bons pour les jeunes qui veulent poursuivre des études, ni pour ceux qui veulent s'engager dans un apprentissage ou entrer au CEPTA. Relevons que l'apprentissage permet à de nombreux élèves de trouver du travail bien que plusieurs professeurs au CEPTA m'aient exprimé maintes fois leur découragement face à des élèves sortant du cycle et dont les connaissances scolaires étaient dramatiquement faibles.

Ce n'est donc pas une surprise si les structures d'enseignement sont mises en cause. A la lecture de l'historique des cycles d'orientation, remarquablement décrit par Mme Hagmann dans son rapport, on observe de perpétuels changements dans la forme de l'enseignement secondaire. Et si l'on comprend la nécessité de la recherche d'une meilleure formule, on constate que trente ans de panade - selon les termes du président du DIP - ont fourni une multiplicité de solutions, de formules et d'expériences qui n'ont certainement pas aidé les élèves, ni les parents, à appréhender le cycle d'orientation.

On comprend par contre moins que cette perpétuelle recherche de nouveauté et de solutions aboutisse à un véritable nivellement par le bas au nom d'une sacro-sainte égalité des chances, que rien sur le marché du travail ne justifie. Ces fameuses structures hétérogènes ne sont pas acceptables: elles font perdre du temps à tous ceux qui ont des capacités intellectuelles et elles n'aident pas ceux qui ont besoin de davantage d'encadrement.

Les moyens mis à disposition du département de l'instruction publique sont énormes et il n'est pas question d'en engager de supplémentaires en continuant sur la même voie.

L'UDC refusera donc cette initiative et attend avec impatience un contreprojet qui placera l'école au service des élèves, contrairement à la surprenante déclaration - qui n'est pas la seule - d'un représentant de la FAMCO.

Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse. Deux heures de débat pour une unanimité de commission, n'est-ce pas un record ? En citant, de mémoire, Charles de Gaulle, je terminerai par ce souhait : «Dans les temps faciles, les intelligences formées mécaniquement suffisent. Dans les temps de crise, il faut en plus de l'intelligence, du coeur et du caractère.» Puisse cette citation résumer l'esprit avec lequel la commission abordera l'étude du contreprojet. (Applaudissements.)

M. Charles Beer, président du Conseil d'Etat. J'aimerais remercier l'ensemble des députés pour leur contribution en commission et pour ce débat en plénière. Personnellement, je suis convaincu que c'est aussi à partir d'une certaine modestie que nous pourrons rechercher, et surtout trouver, des solutions à tous ces maux.

Mesdames et Messieurs les députés, nous pouvons nous quereller pour savoir si l'hétérogénéité ou les sections sont préférables. Je remarque toutefois - cela a été dit par Mme Pürro à l'occasion de l'étude PISA et des deux meilleurs scores réalisés par la Finlande et la Corée - qu'il n'y a aucune corrélation entre la forme d'organisation des élèves et les résultats.

En Suisse, oui, il existe des classes hétérogènes au niveau du cycle d'orientation et les élèves qui s'y trouvent ne sont ni moins bons ni meilleurs que les autres. Toutes celles et tous ceux qui ont cherché à établir des corrélations entre les résultats et une quelconque variable dans le système sont arrivés à une seule hypothèse: les cantons catholiques réussissent mieux que les protestants... Je vous laisse le soin d'y réfléchir... Au-delà de l'anecdote, j'aimerais vous faire remarquer que la plupart des cantons catholiques en Suisse romande - et c'est peut-être là qu'il y a quelque chose à chercher - sont à prédominance rurale et, surtout, ils ont la chance, nous avons pu le vérifier, d'avoir une forme de cohésion et de contrat social beaucoup plus forts qui les soudent autour de l'école.

Finalement, on réussit bien en Finlande parce que la population finlandaise fait confiance à l'école et au corps enseignant, tout comme en Corée. Or ici, nous sommes les champions du monde de la défiance ! Mais c'est notre tradition, notre système politique.

Le Service de la recherche en éducation a montré dans sa publication de 2001, à l'occasion du débat populaire, qu'il n'y avait aucune différence entre les résultats des classes hétérogènes et ceux des classes à sections. C'était en 2001 ! Et PISA l'a confirmé pour Genève: il n'y a pas de différences dans les résultats.

Alors, on peut continuer à entretenir une guerre de religion là autour, on peut dire que les uns sont très nettement supérieurs aux autres et réciproquement... Nous n'allons pas avancer comme cela. Vous avez ouvert beaucoup de pistes de travail qui nous montrent que nous devons chercher à dépasser ce modèle.

J'aimerais attirer votre attention sur un autre point. Genève s'est effectivement enlisée dans un problème de confiance et de défiance que nous retrouvons très largement à l'intérieur de l'institution scolaire et je remarque un certains nombre de baromètres.

Premièrement, la violence des jeunes. Les statistiques publiées il y a quelques jours par la police genevoise nous le démontrent, il n'y a pas d'augmentation des faits de violence chez les jeunes, il y a en revanche une augmentation de la violence dans les délits des jeunes. Ce n'est pas tout à fait la même chose ! Cela nous montre que les jeunes en perdition aujourd'hui ne sont pas forcément plus nombreux, mais ils sont bien davantage en rupture qu'ils ne l'étaient auparavant.

Sur le plan de l'échec scolaire, c'est à peu près la même chose. L'échec scolaire a toujours existé, il est aussi vieux que les institutions scolaires, et nous remarquons que l'écart s'est aggravé. Et si nous cherchons à réfléchir sur les conditions économiques et sociales de notre canton, alors nous voyons qu'au cours des quinze dernières années il y a bien sûr eu des réformes scolaires; mais à côté de ces réformes, le taux de chômage est passé de 1,3% à pratiquement 7% et le chômage de longue durée est devenu la règle. Les personnes à l'assistance publique - dont une grande partie ont fréquenté nos écoles - ont été multipliées par cinq. Les inégalités se sont creusées dans notre canton et lorsque l'on évoque le retour de la carie dentaire, ou le retour de maladies pulmonaires comme la tuberculose, eh bien, on ne le dit pas assez: ce n'est pas dans tous les quartiers, ce n'est pas dans toutes les écoles, c'est dans un certain nombre de régions qui sont déterminées en fonction de cette montée des inégalités et de divers éléments de politique publique et qui sont cantonnées dans les mêmes endroits du canton, créant ainsi des couches de pauvreté.

Mesdames et Messieurs les députés, quels que soient les moyens que nous donnerons à l'école, quelle que soit la forme, si nous oublions que les inégalités sont en train de croître et qu'un certain nombre de personnes parmi les moins privilégiées souffrent davantage tous les jours, eh bien, nous passerons malheureusement à côté de notre obligation.

Nous avons à réfléchir et c'est en cela que je salue, malgré tout, l'esprit de l'initiative 138 qui a le défaut de ne pas prendre en compte la volonté populaire exprimée en 2001, mais qui montre bien que l'on ne réussira pas en laissant une partie des nôtres au bord de la route, surtout quand on sait à quel point le bord de la route est devenu dangereux. Après trente-cinq années d'incertitudes, nous avons une chance historique et nous pouvons la saisir: nous pouvons prendre en compte un certain nombre de choses pour l'école, nous pouvons être rationnels et réalistes, nous pouvons exiger la qualité, l'ouverture pour tous et, finalement, une obligation de réussite pour tous. Voilà de quoi ont besoin notre école et notre République ! Mais encore une fois, comptons également sur nos autres débats parlementaires pour trouver des solutions qui n'accroissent pas les inégalités mais qui fassent en sorte que tous les enfants de la République aient une chance de réussir. (Applaudissements.)

Mise aux voix, l'initiative 138 est refusée par 46 non contre 19 oui et 12 abstentions.

Mis aux voix, le principe d'un contreprojet est accepté par 73 oui et 5 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

L'initiative 138 est renvoyée à la commission de l'enseignement et de l'éducation pour l'élaboration du contreprojet.

Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission IN 138-C.