République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8825-A
Rapport de la commission d'aménagement du canton chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat modifiant les limites de zones sur le territoire de la commune de Vernier (création d'une zone agricole)

Premier débat

Mme Françoise Schenk-Gottret (S), rapporteuse. Ce projet de loi est très intéressant. A travers une modification de zone, nous allons procéder à un classement et non à un déclassement, fait suffisamment rare pour être relevé. Le périmètre concerné est pour partie touché par les valeurs d'alarme en matière de bruit, et pour autre partie concerné par des valeurs d'immission qui sont dépassées de plus de trois décibels.

Le plan directeur prévoit ce périmètre en zone agricole, car il est contigu à une zone agricole de grande importance. Le plan directeur de Vernier adopté en 1997 prévoyait d'affecter ce secteur à l'agriculture, à la viticulture ou à un aménagement paysager reconnaissant la valeur du lieu. Le plan directeur communal n'était alors pas contraignant, la loi sur les plans directeurs localisés n'ayant pas encore été adoptée.

A l'époque où le régime des zones NNI était en vigueur, le périmètre qui nous concerne se situait en zone NNI. Il était donc impossible d'y construire des logements. En 1995, un arrêt du Tribunal fédéral déclarait les zones NNI inapplicables. Cela a instauré une période d'incertitude juridique, car les zones de l'OPB n'étaient pas encore applicables. Cette période s'est achevée en mai 2001 par l'adoption de la seconde annexe 5 de l'OPB, fixant les valeurs limites de l'exposition au bruit des aérodromes civils.

Durant cette période, des autorisations de construire ont été délivrées. La commission a procédé à de longues auditions qui sont transposées dans ce rapport. Des discussions animées ont eu lieu, après avoir obtenu les éclaircissements indispensables pour comprendre les modifications législatives et les difficultés d'application des procédures qui ont suivi. Il est alors apparu de façon très nette que le problème se divisait en deux niveaux: le niveau juridique, où se traitent les différends entre les propriétaires des parcelles et l'Etat, et le niveau parlementaire, où se prennent des décisions en matière d'aménagement du territoire conformément au plan directeur cantonal.

Ce projet de loi a été voté en commission par 8 oui et 7 abstentions. Je vous invite donc à voter ce projet de loi de classement.

M. Ernest Greiner (R). Mesdames et Messieurs les députés, il est étonnant de voir qu'aujourd'hui on doit parler d'un déclassement pour construire en zone agricole dans la deuxième commune du canton de Genève. C'est assez rare, vous me l'accorderez !

Au début de cette année, le conseil municipal de Vernier a refusé d'entrer en matière sur ce déclassement. Pourquoi ? Même si une zone agricole dans ce périmètre est prévue dans le plan directeur communal, le conseil municipal a compris qu'actuellement ce n'est pas forcément la bonne décision à prendre, et pour plusieurs raisons.

La première raison est que nous ne savons toujours pas vers quelle tendance iront les décisions des tribunaux, car il y a passablement de recours pendants. Nous ne savons pas s'il faudra payer des indemnisations, même si des chiffres avoisinant les 15 millions ont été articulés. Cependant, je crois que dans un Etat de droit les propriétaires doivent aussi pouvoir savoir s'ils seront indemnisés ou pas.

Second argument: il est assez extraordinaire de constater qu'autour de cette parcelle, côté Rhône, on accorde en masse des autorisations de construire des villas. On a pu obtenir une autorisation pour construire l'Ecole allemande encore plus proche de l'aéroport, certes avec des améliorations d'isolation, mais on a donné cette autorisation ! Je vois donc assez mal pourquoi, pour une partie de ce périmètre qui n'est pas non plus dans des valeurs d'alarme, on refuse toute la parcelle. Ou alors, la vérité est ailleurs ! La vérité est peut-être que l'on veut déplacer les jardins des villas pour construire à Châtelaine... Mais c'est un autre débat.

Néanmoins, des initiatives circulent pour construire 15 000 logements supplémentaires. On ne peut les construire sur des nuages, il faut bien les construire sur le sol !

Les valeurs d'alarme sont dépassées à gauche et à droite en ville de Genève: aurons-nous bientôt une ville de paix, avec des vaches et des moutons, parce que chaque petit coin où l'on peut encore construire en ville doit être déclassé en zone agricole ? Non ! Et aujourd'hui, il est trop tôt pour déclasser en zone agricole cette zone à construire en villas 5, parce qu'il y a encore d'autres arguments. Pas plus tard que cette semaine, nous avons lu dans la «Tribune de Genève» que l'on voudrait construire une patinoire dans une région située sous les avions... C'est vrai qu'il y a des avions dans cette zone, mais ils deviennent de plus en plus silencieux - on l'a encore remarqué hier avec l'Airbus A380 - et il n'est pas du tout certain que l'on construise cette patinoire à l'endroit mentionné. Alors, pourquoi ne pas prévoir une zone sportive dans ce périmètre effectivement trop bruyant ?

Mais voilà, nous sommes aujourd'hui dans un canton où l'on n'a pas le droit de déclasser des terrains qui sont, mine de rien, un poumon de réserve pour construire soit des installations sportives, soit des villas. C'est pourquoi le parti radical vous propose de refuser ce déclassement.

M. René Desbaillets (L). Vous pourriez attendre de moi que je me précipite, en tant qu'homme de la terre, pour soutenir ce projet de loi visant à rétablir de la zone agricole dans notre canton... Eh bien non, Mesdames et Messieurs ! Je ne veux pas répéter les propos de mon préopinant et je soutiens absolument ce qu'il a dit au niveau technique à propos de la construction de logements, etc., mais je me prononcerai sur la partie agricole.

On essaie de nous faire croire que ce terrain pourrait être cultivé et donner de la vigne: je vous rappelle que le cadastre viticole réclame une certaine pente et une bonne orientation pour produire de la vigne. Il est donc exclu d'y faire de la culture spéciale.

Et faire de l'agriculture sur ce terrain qui est déjà entouré de villas, d'habitations - terrain qui est un véritable puzzle - alors qu'on demande aux agriculteurs d'être rationnels et de travailler avec un minimum d'heures/hectare, ce n'est pas possible ! Aujourd'hui, ce sont des grosses machines qui sont utilisées, larges de 15 ou 30 mètres, et ce n'est donc pas possible de cultiver rationnellement une parcelle comme celle qui nous est présentée.

Donc, il faut laisser cette parcelle en l'état et y prévoir une utilisation optimale, pour le bien de notre République. On peut y réaliser des projets soit pour la petite industrie artisanale, soit pour du logement, et je laisse déterminer à la commission future la meilleure façon d'utiliser cette parcelle. C'est pourquoi je vous propose de refuser ce projet de loi.

Mme Anne Mahrer (Ve). Il est vrai que le flou qui a prévalu de 1995 à 2000, dans l'attente l'adoption des nouvelles normes concernant les nuisances sonores, a permis d'autoriser des constructions dans des zones déjà situées en valeur d'alarme - on se souvient d'autorisations données à Genthod ou à Meyrin.

Le périmètre concerné - je vous ai bien écouté, Monsieur Greiner - se trouve dans un secteur où les valeurs d'alarme sont dépassées, et nous soutiendrons donc ce déclassement en zone agricole. Je vous rappelle que le principe de précaution interdit la construction de logements dans des zones fortement exposées au bruit. De plus un certain nombre de zones n'ont pas été mises en conformité, et nous souhaitons que cette dernière soit accélérée, ce qui éviterait ainsi des conflits et des recours - le périmètre qui nous occupe aujourd'hui est tout à fait un exemple.

C'est pourquoi les Verts vous invitent à accepter ce projet de loi.

M. Rémy Pagani (AdG). On se trouve dans une situation assez bizarre, car, même si nous ne remettons pas ce terrain en zone agricole, de toute façon rien ne se construira puisque nous sommes dans les zones d'alarme et qu'il est interdit d'y construire.

Et si, par impossible, on le pouvait, on se retrouverait dans la situation complètement aberrante que nous avons déjà vécue, c'est-à-dire de devoir indemniser des propriétaires. Puis on se rendrait compte que l'aviation, c'est non seulement le bruit - qui a été réduit mais pas au point d'être totalement supprimé - mais c'est aussi la pollution atmosphérique ! Je vous laisse le soin de vous balader sur ce terrain et de humer l'air pour vous rendre compte des rejets de kérosène qui sont intenables - le bruit a bien diminué, mais le trafic a augmenté. Chacun se plaît à ici de dire qu'il est bénéfique que des avions viennent en nombre dans notre aéroport: mais les conséquences sont qu'il faut protéger des effets nocifs la population, car l'aviation est malheureusement une industrie polluante ! Il faut en prendre acte, car un certain nombre d'indemnités doivent être versées régulièrement à des personnes qui ont construit et qui se sont aperçues plus tard que l'aéroport était source de nuisances.

De toute façon, c'est un débat vain que de vouloir refuser ce projet de loi, parce que dans les trente ans à venir - à moins qu'on ne passe des avions et qu'on trouve un nouveau mode de transport - les avions resteront polluants. Or ce terrain se situe en zone d'alarme qui, quoi qu'il advienne, le demeurera dans les trente ans à venir.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Le déclassement proposé est tout simplement conforme au plan directeur cantonal que toutes les autorités du canton, y compris votre parlement, se doivent de le suivre. Il est absolument certain que ces périmètres ne peuvent pas accueillir de logements: les valeurs de bruit qui y sont relevées font que ces terrains ne sont pas constructibles en logements ! A partir de là, on aurait pu imaginer de l'industrie, de l'agriculture ou d'autres choses, mais en tout cas pas du logement.

Il se trouve que le plan directeur cantonal a fait le choix de la zone agricole. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui une partie non négligeable de ces terrains est en surface d'assolement. Alors, Monsieur Desbaillets, il ne s'agit pas de créer de l'agriculture: c'est dans la liste des surfaces d'assolement.

Monsieur Greiner, vous avez dit que la commune était défavorable; mais il y a un préavis favorable de la commune du 25 juin 2002, et je me demande si vous ne confondez pas avec le périmètre d'à côté où il y a effectivement des contestations. Ici, nous sommes en conformité avec le plan directeur cantonal: il s'agit de superficies qui sont, en partie, en surfaces d'assolement, dans des terrains inutilisables pour le logement, en raison du bruit. C'est la raison pour laquelle je vous demande de voter ce projet de loi, à moins de nous placer dans une situation assez invraisemblable où la zone juridique serait vide de sens, à cause des nuisances sonores. Et ce genre de contradictions sont de nature à poser ultérieurement des problèmes juridiques ou financiers qui seraient tout à fait dommageables.

J'ajoute qu'en commission ce projet de loi a été voté par 8 oui et 7 abstentions. Je suis un peu surpris de ce renversement inattendu, mais je vous demande, pour les raisons que je viens d'évoquer, de bien vouloir voter ce projet de loi tel qu'issu des travaux de votre commission.

Mis aux voix, ce projet de loi est rejeté en premier débat par 34 non contre 30 oui.