République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1516
Proposition de motion de Mmes et MM. Rémy Pagani, Christian Grobet, Pierre Vanek, Jocelyne Haller, Anita Cuénod, Nicole Lavanchy et René Ecuyer sur la maltraitance et les violences faites aux nourrissons, aux enfants, aux adolescents et aux jeunes et la violence sociale qui en résulte

Débat

Le président. Monsieur Pagani, vous serez le quatrième intervenant, car plusieurs députés ont demandé la parole avant vous. (Brouhaha.)

Une voix. Les motionnaires devraient être prioritaires !

Le président. Je suis désolé, mais les motionnaires ne bénéficient d'aucune priorité ! La parole est à M. le député Baud.

M. Jacques Baud (UDC). Merci, Monsieur le président. Oui, la maltraitance envers les enfants est un phénomène extrêmement grave et inadmissible. Je trouve cependant aberrant que la gauche ose, dans cette motion, considérer que la maltraitance des enfants ne se trouve que chez les pauvres ! Savez-vous ce que vous disent les pauvres ? Tous les pédophiles sont des hommes de droite pleins de pognon ! Les pauvres font preuve de beaucoup plus de respect que d'autres. Mais il est vrai qu'il n'y a guère de pauvres qui siègent sur les bancs d'en face... (Rires et protestations.)J'estime que vous ne représentez pas votre électorat.

Bien que cette motion vise à la protection de l'enfance, je m'y oppose, car elle prétend que nous, les pauvres, sommes des salauds !

Le président. La parole est à Mme Esther Alder. (Brouhaha.) (Le président agite la cloche.)Je vous demande de laisser parler Mme Alder. Allez-y tranquillement, Madame Alder.

Mme Esther Alder (Ve). Les Verts regrettent que les considérants de cette motion relèvent davantage de la caricature que de la réalité. Ils ne reflètent guère la complexité des phénomènes conduisant à la violence envers les enfants. Cela dit, nous acceptons d'examiner cette motion en commission, car il est nécessaire de fournir une aide à toutes celles et ceux qui maltraitent d'innocentes victimes. Il nous semble important que le dispositif mis en place soit efficient avant l'apparition de la violence; un accent devrait donc être mis sur la prévention. D'autre part, nous pensons qu'un bon fonctionnement des divers services en charge de la protection de l'enfance - protection de la jeunesse, service santé jeunesse, Tuteur général, etc. - permettrait de résoudre la plupart des situations.

M. Thierry Apothéloz (S). Je regrette que les motionnaires n'aient pas eu la parole avant nous pour présenter cette motion. En effet, un certain nombre d'explications me font défaut. Comme l'a prouvé l'intervention de M. Baud, la maltraitance des mineurs représente un sujet vaste, complexe et émotionnel. Il mérite en cela une attention particulière. Soulignons au préalable que de nombreux facteurs peuvent être à l'origine des maltraitances; certains sont mentionnés dans ce rapport, bien que de manière quelque peu caricaturale.

Cette motion appelle quelques commentaires de ma part. Tout d'abord, la motion demande la création d'un service fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour venir en aide «aux nourrissons, aux enfants, aux adolescents et aux jeunes». Je vous avouerai que je saisis mal la distinction effectuée entre les «adolescents» et les «jeunes». Peut-être les motionnaires souhaitaient-ils inclure de jeunes adultes ?

En deuxième lieu, je tiens à rappeler l'existence de nombreuses structures traitant des problèmes de maltraitance à Genève: Piccolo, l'Etape, la DUMC, le Service santé jeunesse, le Service de la protection de la jeunesse, le Service du tuteur général, la pédiatrie, la CIMPV, VIRES, le CTAS, les écoles, les infirmières scolaires, etc. Comme l'a fait remarquer Mme Esther Alder, l'efficacité de ces structures devrait être accrue. Il conviendrait peut-être de créer une structure assurant la coordination entre ces différentes institutions.

Il me semble également nécessaire d'insister sur la dimension préventive du problème de la maltraitance. Bien qu'il soit possible de détecter de nombreux indices de maltraitance dans la prime enfance, des professionnels devraient, selon moi, être formés spécifiquement en matière de prévention. Je pense ici à des enfants âgés de 0 à 4 ans.

Lors du traitement de cette motion en commission, il faudrait également examiner la possibilité de mener une étude sérieuse sur les causes pouvant amener certains parents à user de la violence à l'encontre de leurs enfants, particulièrement s'ils sont mineurs.

Le groupe socialiste se réjouit de travailler sur ces différents aspects en commission. Je vous demande donc, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter le renvoi de cette motion en commission.

M. Rémy Pagani (AdG). Avant de présenter cette motion, je souhaite procéder à une explication de texte à l'attention de M. Baud. Ce dernier n'a en effet pas compris l'intention qui a présidé à la rédaction de ce texte. Le paragraphe qu'il a commenté, soit le quatrième considérant, ne prétend nullement que seuls les pauvres maltraitent leurs enfants: des personnes gagnant des millions peuvent également connaître une précarisation de leurs relations familiales et sociales jusqu'à en arriver à des situations dramatiques.

Après cette explication de texte, je désire revenir sur le fond de cette motion. (Brouhaha.)

Le président. Monsieur Pagani n'a pas encore épuisé son temps de parole. Merci de l'écouter. (Protestations)

M. Claude Blanc. Il nous épuise !

M. Rémy Pagani. Monsieur Baud, on se passera de vos commentaires... Oui, il n'est pas "Baud" il est "Blanc".

Le président. Veuillez continuer, Monsieur Pagani !

M. Rémy Pagani. Je reconnais que l'exposé des motifs de cette proposition de motion est, comme l'ont remarqué certains, relativement dur. La situation sociale dans laquelle vivent nos concitoyens est toutefois beaucoup plus difficile que ne le sont les rapports amicaux entre parlementaires - bien qu'il puisse nous arriver de nous invectiver ou de connaître des divergences politiques. Compte tenu de cette situation, le texte présenté en annexe propose une véritable révolution "copernicienne", si j'ose dire, de la prévention sociale. Selon ce texte, la société ne doit pas détecter les problèmes sociaux - comme l'a demandé mon préopinant - mais elle doit mettre à la disposition des parents une structure chargée de transmettre la connaissance du métier de parents - tâche qui incombait auparavant à la famille élargie, mais que nous n'effectuons plus au sein de nos familles nucléaires modernes. J'ajoute que cette structure ne devrait pas être de type médical ou juridique.

Un certain nombre de parents ne sont plus en mesure de se référer à des traditions et à des savoirs qui étaient auparavant transmis oralement. Cette transmission se fait désormais par écrit, et il est nécessaire de trouver de très bons auteurs pour résoudre les problèmes pouvant se poser à certains parents. Des mesures doivent dès lors être prises pour remédier à la perte de tissu social. Dans un contexte de précarisation économique, il est indispensable de mettre à disposition des parents une structure qui puisse être utilisée sans crainte de se voir déferrer à la justice ou renvoyer chez un psychiatre, un psychologue ou un pédagogue. C'est pourquoi nous espérons que vous réserverez un bon accueil à notre motion.

Je vous signale, par ailleurs, que le texte annexé a permis de réaliser une série d'économies en Allemagne et en Belgique, et de mettre en place une politique d'aide aux familles. Cette politique se trouve complétée par l'ensemble des structures déjà existantes, chargées de la détection des problèmes.

Le président. Vous vous répétez, Monsieur Pagani. De plus, vous avez épuisé votre temps de parole !

M. Rémy Pagani. Je termine et vous remercie de réserver un bon accueil à notre proposition de motion, susceptible d'engendrer des économies.

M. Claude Aubert (L). Je ne reviendrai pas sur les considérants, qui traduisent bien les pensées des motionnaires sur des sujets particulièrement difficiles. Je précise que, si chaque pensée est tout à fait honorable, des divergences d'opinion peuvent surgir à leur propos. Mon intervention se concentrera sur la première invite.

Evaluer la nécessité de créer un nouveau service revient à suivre la règle selon laquelle un problème égale une structure - ce qui ne résout habituellement rien. J'invite donc celles et ceux qui étudieront cette motion à tenter de cerner les causes de «l'inefficacité» du fonctionnement des divers services traitant des problèmes relatifs à la maltraitance. Je cite de mémoire la consultation pour nourrissons de la Croix-rouge, le Service de protection de la jeunesse, le Service de santé de la jeunesse, le Service médico-pédagogique, le Service de guidance infantile, l'équipe de la clinique de pédiatrie qui travaille sur la violence, la LAVI, la Consultation de la violence, la Consultation conjugale, la police, les services de santé en général, ainsi que les services sociaux. Une large autocritique du fonctionnement de ces différents services m'apparaît indispensable avant de proposer la création d'une nouvelle structure. L'ajout continuel de nouvelles structures mène en effet à un système causant de graves problèmes tels que celui survenu à Meyrin.

Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Je me rallie aux propos tenus par MM. Apothéloz et Aubert. Cette motion présente un intérêt évident aux yeux du PDC, puisqu'elle vise à la défense des plus fragiles de notre société ainsi qu'à la dénonciation d'un système qui demande à être amélioré. La politisation linéaire selon laquelle notre modèle de société économique engendre la maltraitance est toutefois trop réductrice. En effet, comme nous le savons fort bien, maltraitance, abus sexuels et dénigrement existent également parmi les milieux les plus aisés. Il ne s'agit nullement de phénomènes engendrés par un stress uniquement lié à des occupations professionnelles. De grâce, ne politisons donc pas à outrance un phénomène relationnel où les enjeux de pouvoir des plus forts sur les plus faibles existent depuis toujours! La maltraitance et les abus sexuels envers les enfants ne sont certainement pas plus fréquents actuellement qu'il y a cinquante ou cent ans. Espérons que les tabous tombent, que les personnes concernées osent dénoncer et demander de l'aide aujourd'hui plus qu'hier! C'est en cela que consiste le travail des instances mises en place qui, comme cela a précédemment été mentionné, doivent toujours mieux coordonner et partager leurs expériences et leurs informations.

Cette motion possède le mérite de mettre en exergue la nécessité de renforcer l'aide à la parentalité. Des mesures ont déjà été prises à cet égard avec la mise en place de formations adéquates dans le domaine de la petite enfance. Il est important de ne pas oublier ces nombreuses mesures, qui devraient gagner en visibilité.

Ce texte nous intéresse également en ce qu'il tente d'améliorer le fonctionnement des instances au service des enfants.

Pour toutes ces raisons, le PDC vous invite à renvoyer cette motion à la commission judiciaire.

M. Pierre Kunz (R). Je m'étonne de l'amabilité générale qui préside à l'accueil de cette motion. Cette dernière est en effet extrêmement révélatrice de la façon dont certains milieux s'inspirent de faits divers - certes dramatiques - qui se produisent depuis longtemps, et plus particulièrement dans les couches les moins favorisées de la population, pour abuser à la fois les institutions, la population et les élus. Cette manière de procéder, aussi ancienne que le monde démocratique et utilisée depuis longtemps par les extrémistes de tous poils, consiste à proférer contre-vérités et mensonges les plus grossiers et à emprunter les raccourcis les plus trompeurs. Il est en effet grossièrement mensonger d'affirmer, comme le font les motionnaires dans leurs considérants, que la précarité et la paupérisation caractérisent désormais notre pays ! M. Serge Gaillard, de l'Union syndicale suisse, reconnaît lui-même que la population helvétique ne s'appauvrit pas, y compris parmi ses couches les moins favorisées. Il est dès lors malhonnête et malsain de prétendre que la maltraitance et les violences à l'encontre des enfants sont causées par le système économique dans lequel nous vivons, système qui serait fondé sur le culte du profit et qui engendrerait la violence guerrière - comme si deux mille ans de christianisme et de philosophie n'avaient laissé dans notre monde occidental aucune trace ! Il est non moins stupide d'affirmer que nous assistons - tenez-vous bien - au «retour des pratiques éducatives ancestrales, basées sur la contrainte et la violence» !

Ce texte contient de telles outrances qu'il me laisse pantois et bégayant ! Cette motion est une vilenie ! Ce n'est pas en commission qu'il convient de la renvoyer, mais au panier ! Je rappelle en outre que, comme le savent fort bien nos collègues de l'Alliance de gauche, Genève est le canton le plus généreux en matière de protection de la jeunesse. Or, il ne connaît pas moins de problèmes que ses cantons voisins. Ce constat nous permet d'affirmer que le problème évoqué dans cette motion ne résulte nullement d'un manque de moyens de la part des familles ou d'un manque de ressources mises à disposition par l'Etat. Disons-le clairement: l'origine de ce problème réside dans la société matérialiste, laxiste et égoïste que, sous l'influence des doctrines marxistes, nous avons laissée se développer au nom d'un égalitarisme et d'un individualisme insensés ! (Brouhaha.) (Le président agite la cloche.)

Permettez-moi, Mesdames et Messieurs les motionnaires, de vous recommander, en guise de conclusion, la lecture avec un minimum d'humilité d'un ouvrage qui vous fera le plus grand bien: je fais ici référence au livre de Maurice Nanchen, intitulé «Ce qui fait grandir l'enfant».

Le président. La parole est, pour la deuxième fois, à M. Thierry Apothéloz. Comme il s'agit du renvoi d'une motion en commission, nous n'allongerons pas davantage le débat. Sont encore inscrits M. Pagani, Mme Haller ainsi que Mme la conseillère d'Etat Micheline Spoerri.

M. Thierry Apothéloz (S). C'est bien sur le renvoi en commission que je souhaite reprendre la parole. Je voudrais demander à mes collègues députés de renvoyer cette motion à la commission des affaires sociales, car un certain nombre de projets mériteraient de pouvoir être associés à cette motion.

Le président. Merci Monsieur le député. Deux propositions ont d'ores et déjà été formulées: le renvoi à la commission judiciaire et le renvoi à la commission des affaires sociales.

M. Rémy Pagani (AdG). Bien que n'ayant pas envisagé au préalable le renvoi de la motion à la commission judiciaire, il me semblerait très intéressant que la commission judiciaire se penche sur l'ensemble des lois qui ont établi le système social actuel. Cet examen permettrait de prendre connaissance de l'ensemble des objectifs décidés par nos prédécesseurs et de repérer les éventuels chevauchements dans l'arsenal légal concernant la petite enfance.

Je trouve cette proposition d'autant plus judicieuse qu'un certain nombre de conflits se sont produits ces dernières années entre le pouvoir judiciaire et la protection de la jeunesse ou le Tuteur général. L'ensemble des employés de ces différents services se sont d'ailleurs amèrement plaints des conflits engendrés par le chevauchement des mandats des uns et des autres. Je me rallie donc à la proposition de renvoi à la commission judiciaire, même si cette motion relève davantage du domaine social.

Cela étant, je trouve l'intervention de M. Kunz tout à fait... (Rires.)Disons que j'ai toujours eu le sentiment que le parti radical, dont M. Kunz est l'expression même, ne comprenait plus guère la réalité sociale de nos concitoyens. Les personnes appartenant à son milieu peuvent peut-être se gargariser de la hausse de leurs salaires, mais il est difficile de soutenir que la misère n'existe pas ! Prenons l'exemple suivant: parmi les deux mille cinq cents demandeurs de logement qui sollicitent la Fondation pour la construction de logements HBM, on a constaté que la dette de la majorité de ces personnes était passée de trente à cinquante, voire quatre-vingt mille francs durant ces cinq dernières années. Cet accroissement témoigne de l'appauvrissement d'une partie de la population suite aux années de crise. Que M. Kunz continue à vivre dans sa bulle, cela sera tant mieux pour nous ! (Protestations.)

Sur le fond du problème, il convient de reconnaître, comme l'a fait M. Aubert, la complexité de la situation actuelle. Ainsi que le déplore l'un des considérants de notre motion, une mosaïque de services a été mise en place pour répondre à des besoins spécifiques qui ont émergé au fil de ces trente dernières années. Notre motion constitue donc une occasion de s'interroger sur la coordination de l'ensemble de ces services et de créer une «porte d'entrée». La protection de la jeunesse avait à cet égard eu un débat sur l'opportunité de mettre en place un portail d'accueil pour les parents, lequel a fermé après cinq ans de fonctionnement. Les employés s'opposent actuellement à la remise sur pied de ce portail, car les parents seraient amenés à rencontrer successivement plusieurs assistants sociaux du même service. Notre proposition permettrait de réfléchir à une structure qui joue le rôle de portail d'accueil tout en garantissant aux parents le secret le plus absolu. C'est pourquoi nous demandons à nos collègues - du moins à ceux qui connaissent cette réalité - de prendre en considération cette motion ainsi que ses annexes.

Mme Micheline Spoerri. Afin de contribuer à l'efficacité du débat, je ne me prononcerai pas sur le fond de cette motion.

Il convient effectivement de s'interroger sur l'opportunité de renvoyer ce texte à la commission judiciaire ou à la commission sociale. J'opterais personnellement pour la seconde solution car, comme l'a relevé M. Aubert, il existe actuellement une cascade d'institutions déjà actives dans le domaine qui préoccupe les motionnaires. Dans une telle situation, le véritable problème réside dans une définition claire des tâches des uns et des autres afin d'éviter une dilution des responsabilités.

La première invite demande une évaluation de la nécessité de mettre sur pied un nouveau service. C'est, à mon sens, dans le cadre de la commission sociale que cette première invite doit être traitée, l'évaluation de la nécessité et la clarification des missions nous permettant, dans un deuxième temps, d'élaborer une stratégie concrète. Je constate que, si l'on travaille et l'on discute beaucoup dans ces domaines, on ne s'en retrouve pas moins devant un vide lorsque survient un drame.

A la suite d'un entretien avec mon collègue Pierre-François Unger, je proposerai donc que la commission sociale effectue une première analyse, au terme de laquelle nous entrerons dans une action véritablement stratégique. Le cas échéant, la motion pourrait ensuite être examinée par la commission judiciaire dans le cadre des problèmes de violence domestique.

Pour être efficace, il vaudrait donc mieux renvoyer en premier lieu cette motion à la commission sociale, puis à la commission judiciaire.

Le président. Le Conseil d'Etat souhaitant le renvoi à la commission sociale, je mets aux voix cette proposition. Si elle est refusée, je mettrai aux voix son renvoi à la commission judiciaire.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission sociale.