République et canton de Genève

Grand Conseil

RD 462
Rapport de la commission des visiteurs officiels du Grand Conseil (1re année de la législature 2001 - 2005)
Rapport de Mme Anita Cuénod (AdG)

Suite du débat

Mme Esther Alder (Ve). Les Verts souscrivent aux conclusions du rapport de la commission des visiteurs et remercient Mme Anita Cuénod pour son excellent travail en sa qualité de rapporteure. Nous aimerions toutefois vous faire partager un certain nombre de remarques.

En premier lieu, nous sommes inquiets de la proportion grandissante de personnes présentant des troubles mentaux au sein de la population carcérale et nous pensons que le milieu pénitentiaire n'a pas à pallier l'insuffisance de prise en charge psychiatrique à l'extérieur. D'ailleurs, pas plus tard que mardi dernier, une femme s'est suicidée à la prison de Lonay. Considérant qu'elle ne pouvait être soignée, les psychiatres l'avaient fait incarcérer pour prévenir notamment un acte suicidaire.

Ensuite, force est de constater que les choses ont déjà beaucoup changé entre le dépôt de ce rapport et la situation d'aujourd'hui. J'en veux pour preuve la prise en charge des mineurs délinquants à La Clairière et j'approuve là les propos de M. Pagani, lorsqu'il s'est exprimé avant la pause. Quelle n'a pas été notre stupéfaction d'apprendre que des gardiens de Champ-Dollon seraient affectés à l'encadrement des mineurs! Pour notre groupe, c'est inadmissible et nous sommes perplexes face à la démission du personnel éducatif. Je tiens à le rappeler, les Verts avaient tout récemment approuvé le rattachement de La Clairière à l'Office pénitentiaire et par conséquent au département de justice et police, mais avec l'assurance du maintien de la vocation éducative de cet établissement. Or, que constatons-nous aujourd'hui ? C'est que l'aspect sécuritaire prend le pas sur l'éducatif. Nous ne pouvons le cautionner et nous déplorons qu'aucune concertation n'ait eu lieu sur cette approche pour le moins arbitraire, alors que bien d'autres alternatives auraient pu être envisagées.

Une autre de nos préoccupations est l'augmentation phénoménale des interventions de caractère social de la police. Là encore, nous constatons la défaillance de notre système de prise en charge psychosociale. Pourtant, Genève compte le plus grand nombre d'intervenants sociaux au m2. De nos jours, c'est la police qui pallie les lacunes de prise en charge du monde social, médical, éducatif ou familial. Au moment où l'on parle de proximité, où se trouvent ces intervenants ? Il devient inquiétant de voir que toutes les tâches d'autorité sont en train d'être déléguées aux forces de l'ordre. Nous assistons à des dérives qui font que la police ou la justice deviennent le réceptacle de tout le travail qui n'a pas été fait en amont par la famille, l'école ou l'institution. Mais je pose la question : qui accomplira les tâches de la police lorsque celle-ci déclarera forfait ? L'armée ? Mais, dans ce cas-là, j'exprime de réelles craintes pour le devenir de notre société. Non, selon les Verts, il y a d'autres réponses à donner.

Les moyens existent, mais il est urgent de procéder à une réelle restructuration. Cela exige que l'on redéfinisse des missions, les compétences et les moyens de chaque partie concernée. Pour être clair, il faut que tous les acteurs éducatifs, sociaux, sanitaires, scolaires, policiers et judiciaires se concertent et que chacun assume son rôle. Les conflits sont inévitables. Ils sont positifs et structurants. Mais notre société ne les accepte plus. Mettre des limites, cela signifie aussi prendre des risques.

Les Verts sont convaincus que le climat sécuritaire revendiqué par certains n'amènera rien de positif, bien au contraire! Il s'agit davantage de réfléchir à comment l'on vit ensemble, pourquoi, comment agir pour que chacun ait de meilleures chances et, surtout, d'être à l'écoute.

Pour en revenir aux mineurs, je reste persuadée qu'il n'y a pas de mauvais enfants. Il y a plutôt de mauvais éducateurs. (Applaudissements.)

Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). De ce rapport fort bien détaillé, j'aimerais, au nom du PDC, relever l'excellente qualité de relation qui existe entre les membres de la commission des visiteurs officiels et les collaborateurs de Mme la conseillère d'Etat Micheline Spoerri. En effet, aucun sujet n'a été tabou, aucun tabou n'a été évité lors des travaux. Les points les plus délicats ont été abordés avec les directeurs et les responsables. Les réponses apportées ont démontré le souci permanent de remplir des tâches, parfois difficiles, au plus près de leur mandat et de leur conscience. Même dans les quelques cas de dysfonctionnement avéré, les problèmes ont été nommés et nous avons eu l'assurance qu'ils seraient traités dans la transparence et avec la rigueur qu'il convient. De cela, nous ne pouvons que nous en réjouir, même si les tâches sont particulièrement délicates.

Des points très importants ont été abordés et restent une priorité pour le parti démocrate-chrétien. Parmi ceux-ci, nous pouvons relever entre autres le besoin de répondre au manque de places pour l'incarcération des mineurs et également d'harmoniser l'approche médicale et la répression en matière de drogue en prison.

Le travail de la commission doit continuer à être bien compris, tant par le service pénitentiaire que par la police et par la population également. Il ne s'agit pas d'un groupe d'enquêteurs intrusifs qui cherchent la faute et se réjouissent de mettre en difficulté des collaborateurs. Il ne s'agit pas non plus d'un groupe en course d'école conviviale, qui doit se contenter de ce qu'on lui raconte et de ce qu'on lui montre. Cette commission est au service des professionnels du département de justice, police et sécurité, dans le respect de l'application de la loi. Il est bon de le répéter aussi souvent que nécessaire.

Je peux témoigner que c'est dans un état d'esprit conscient des difficultés rencontrées par les collaboratrices et les collaborateurs et dans un état d'esprit également respectueux du travail remarquable déjà effectué que cette commission a travaillé, travaille et travaillera.

M. Jacques Baud (UDC). Je viens d'entendre des choses qui m'ont un peu choqué de la part de M. le député Pagani qui s'indigne que l'on emploie des gardiens de Champ-Dollon à La Clairière. Je suis plus ou moins lié par la confidentialité, mais, devant des accusations pareilles, je suis dans l'obligation d'intervenir et de dire ce qui est.

Le danger est permanent. Les portes des cellules sont défoncées. Des jeunes cassent, même avec leur tête, les vitres blindées des cellules. Des locaux sont saccagés. La santé physique des éducateurs est menacée. Deux, trois, voire quatre fois par semaine, la police monte à La Clairière pour porter secours aux éducateurs. Elle est dans l'obligation de prendre ces jeunes et de les amener à Champ-Dollon. Il y a donc là quelque chose qui ne tourne pas rond!

Le travail des éducateurs est admirable. Mais la réalité est ce qu'elle est. Je n'admets pas que l'on critique le directeur de La Clairière et qu'on lui reproche d'être dans l'obligation de faire venir des gardiens de Champ-Dollon. Il n'a pas le choix ! C'est malheureux certes, mais la position de la gauche à ce sujet me révulse ! Je la trouve inadmissible, car vous êtes parfaitement au courant de ce qui se passe !

M. Thierry Apothéloz (S). C'est au nom du groupe socialiste que je souhaite prendre la parole aujourd'hui, non sans une certaine émotion, puisque c'est Dominique Hausser qui devait faire cette intervention. J'aurais grand plaisir à pouvoir dire quelques mots au sujet de ce rapport qui, je dois le dire, est intéressant à différents niveaux, puisqu'il relève tout de même un certain nombre de détails qu'il convient d'examiner. Lorsque je dis «nous», c'est le Grand Conseil, mais également le Conseil d'Etat, puisque ce rapport pose, à notre sens, des questions importantes, voire des questions de société, qu'il conviendra de reprendre dans différentes commissions.

Je tiens tout d'abord à saluer l'intérêt de la commission des visiteurs officiels de prisons en matière d'écoute des détenus, mais également de vérification des conditions de détention. La crise pénitentiaire traversée voici quelques années et le travail intensif de la commission ont permis de systématiser les visites dans les différents lieux de détention, comme la loi lui demande de le faire, qu'ils soient à Genève ou dans d'autres cantons.

Je tiens à rappeler également qu'une motion a été déposée il y a quelques mois, concernant le concordat d'exécution des peines. Pour cela, la commission des visiteurs de prisons, mais également tout ce conseil, souhaitent rappeler que nous attendons la réponse du Conseil d'Etat. Nous l'encourageons à travailler au plus vite pour que nous puissions aboutir à quelque chose d'important et d'intéressant, nous l'espérons, avant la fin de cette législature.

S'agissant du suivi des travaux, le Conseil d'Etat doit également nous rendre un rapport tous les quatre ans. Nous espérons effectivement l'avoir pour l'automne 2004.

S'agissant enfin de l'excès de parole de M. Baud, ou du cri du coeur, suivant l'interprétation que l'on en fait, quant à la situation des mineurs, il conviendra effectivement de prendre en compte la situation personnelle des mineurs, mais également la question du renforcement de l'équipe éducative. Une des positions a été à un moment donné de renforcer l'aspect sécuritaire. Je ne crois pas qu'il faille s'abandonner complètement à cette idée-là. L'une des conditions que la commission a posée à cette expérience-là est qu'elle désire disposer dans les six mois à venir d'une évaluation de la présence de gardiens et de surveillantes de prison à La Clairière.

Notre groupe prendra acte de ce rapport et nous continuerons à suivre au plus près les travaux de la commission, tant il est vrai que cela pose des questions importantes de société, comme je l'ai dit tout à l'heure, d'une part pour les détenus, mais également pour les mineurs, puisque cette question-là constituera le thème central de l'année 2003 pour la commission des visiteurs de prisons.

M. Rémy Pagani (AdG). Je regrette que M. Baud, après les attaques qu'il s'est permis de porter, ne soit pas là pour écouter ce que j'ai à lui répondre. Car il y a, en l'occurrence, un certain nombre de problèmes qu'il ignore. Il stigmatise bien évidemment, comme beaucoup le font en ce moment, l'augmentation de la violence pour reprocher à la gauche sa prétendue inaction ou sa tolérance vis-à-vis de ces phénomènes, ou, dans d'autres pays, son inaction et sa mollesse. Or, le problème n'est pas là, Mesdames et Messieurs les députés. La crise économique se fait sentir depuis bien dix ans. Les familles l'ont ressentie. Les enfants de la crise, malheureusement, sont à nos portes, en l'occurrence à la porte de la prison de Champ-Dollon pour les plus cassés d'entre eux. (Brouhaha.)Il y a quinze ans, un certain nombre d'adolescents étaient aussi violents. Mais, heureusement pour eux, ils vivaient dans une société qui savait au moins, non pas tolérer, mais avoir de la mansuétude et de la compassion par rapport à cette période de la vie qui s'avère très compliquée pour certains, pas pour la majorité, mais pour certains d'entre eux.

Qu'avez-vous fait, Mesdames et Messieurs de la droite ? Vous avez eu un conseiller d'Etat, M. Ramseyer pour ne pas le nommer, qui a trouvé la meilleure solution possible, La Clairière voyant le nombre de ses pensionnaires augmenter, celle de les placer à la prison de Champ-Dollon! Bien évidemment, un certain nombre de jeunes récidivent, parce qu'ils sont en contact avec des adultes, parce qu'ils sont en contact avec des milieux avec lesquels ils ne devraient pas avoir de contact. Et la spirale s'enchaîne! Nous avions instamment demandé, et j'en prends la responsabilité, nous avions exigé, lorsque nous avions la majorité, que La Clairière augmente le nombre de ses places d'accueil. Nous avions prévu une structure. Mais malheureusement, pour toute une série de raisons technico-financières, La Clairière n'est pas apte aujourd'hui à absorber en termes éducatifs le problème qui surgit à nos portes. Nous le regrettons.

Nous assistons aujourd'hui à une dérive de plus qui consiste à faire venir à La Clairière, puisque l'on n'arrive pas à faire face à la situation dans ce lieu qui doit rester éducatif, des gardiens de prison pour en faire une prison. Ce que nous refusons, parce que nous estimons, nous, par principe, que les adolescents de 12 à 18 ans ont encore une chance d'être éduqués et de ne pas être réprimés à priori. Il faut leur donner la possibilité de sortir de l'engrenage dans lequel ils sont pris. De ce point de vue-là, tant les juges que les éducateurs doivent prendre leurs responsabilités et faire preuve d'une part de compassion, d'une part, et d'exigence éducative, d'autre part, mais pas d'exigence punitive a priori! C'est notre principe de base. J'estime que le gouvernement n'a malheureusement pas pris ses responsabilités. Je l'avais dit voici quatre ans - et je me réjouis que Mme Brunschwig Graf soit là ce soir - je m'étais levé ici et j'avais demandé à Mme Brunschwig Graf d'ouvrir un foyer disponible pour faire ce que l'on appelle des évaluations éducatives puisqu'il y a, à La Clairière, douze places destinées aux évaluations d'enfants qui, à mon avis, ne devraient à mon avis pas se trouver à La Clairière, mais dans un autre foyer fermé, et en tous les cas pas dans les conditions actuelles de La Clairière. Cette solution permettrait à La Clairière d'accueillir douze enfants de plus.

J'avais aussi demandé à M. Moutinot de mettre très rapidement en chantier l'agrandissement de La Clairière, le projet Cla+. Il y a malheureusement une année de retard. Là-aussi, il y a des responsabilités à prendre! Nous avions également demandé, lorsque nous avions la majorité, à voir les plans et à procéder à toute une série de modifications pour que, je le répète, les enfants - les enfants qui tombent malheureusement dans la délinquance et, pour certains, dans la grande délinquance - continuent à être éduqués envers et contre tout, Mesdames et Messieurs les députés! C'est cela que nous voulons. Nous constatons malheureusement que tel n'est pas le cas. Certains s'évertuent à stigmatiser la situation, sans pour autant proposer de solutions. La démonstration en est faite avec M. Blanc. Or, des solutions existent, y compris à La Clairière! Il y a des protocoles d'accueil pour des enfants, je les ai moi-même appliqués, non pas en tant que délinquant, mais en tant qu'éducateur ! (Exclamations.)Et ces protocoles permettent à chaque éducateur d'une part de se protéger, d'autre part de casser toute formation de bandes à l'intérieur de l'institution. Ces protocoles ne sont donc pas respectés. Il n'y a pas de protocole à La Clairière. Là aussi, le gouvernement doit faire un effort considérable pour mettre en place des protocoles d'accueil qui tiennent la route face à ces adolescents en dérive sociale. Je me tourne du côté du gouvernement pour qu'il y mette bon ordre. On a peut-être commis une erreur en intégrant La Clairière à l'office pénitentiaire. Elle aurait, à mon avis, dû rester au sein du département de l'instruction publique... (L'orateur est interpellé.)Toujours est-il que c'était le département de l'instruction publique qui avait auparavant la haute main sur le financement de cet établissement.

Il y a donc une responsabilité, et j'en terminerai par là, une responsabilité essentielle, aujourd'hui et pas demain, Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, par rapport à ces jeunes! Demain, la crise économique s'accentuant encore plus, il va en arriver encore d'autres, de ces jeunes en rupture de ban.

Le président. M. le député Pagani a parlé six minutes et onze secondes. Pour ceux qui s'inquiétaient de son temps de parole, il ne l'a, pour une fois, pas épuisé !

M. Renaud Gautier (L). Le groupe libéral s'associe évidemment aux éloges qui ont été faits à Mme la «rapportrice» - elle tient beaucoup à son titre ! - sur la qualité du rapport. Je m'en voudrais bien évidemment de débattre sociologie avec mon éminent préopinant. A l'entendre, je me dis que les problèmes de délinquance à Genève peuvent, somme toute, être très facilement résolus. Y'a qu'à !

Cela étant, il est vrai qu'un certain nombre de problèmes se posent, mais il faut dire que la vigilance de la commission des visiteurs est là pour rappeler aux uns et aux autres les urgences. Je n'entrerai pas dans le débat quant au fait de savoir où s'arrête l'éducation et ou commence la prévention. Je constate simplement qu'il y a effectivement une évolution de la population mineure qui se trouve actuellement à La Clairière et que le type de violence que l'on relève maintenant n'existait pas dans le temps. Que cette violence soit due à ceci ou à cela m'a l'air relativement moins important que de savoir de quelle manière l'on peut, ou l'on doit, répondre à ces actes de déprédation. Il faut aussi reconnaître, Monsieur Pagani, que les éducateurs de La Clairière sont eux-mêmes relativement demandeurs de situations alternatives, tant ils n'arrivent plus, de fait, à répondre, à accepter ou à être en position éducative face à des enfants dont l'essentiel des activités consiste à démolir des portes. Je vous engage très vivement à être un jour le remplaçant de votre collègue de parti lorsque nous nous rendrons à La Clairière. Vous verrez l'évolution des dégâts !

La question ne se pose pas de savoir ce qui aurait pu être fait. J'aimerais juste dire que, si ce parlement mettait autant d'énergie au problème du logement des personnes privées de liberté qu'il en met et qu'il passe du temps à discuter de l'emplacement des HLM, je peux vous garantir, Monsieur Pagani, que nous n'aurions pas ces problèmes à Genève. Ni vous, ni probablement nous, n'avons mis assez de pression sur la nécessité qu'il y a à adapter, tant en termes de surface qu'en termes de qualité de logements, les lieux dans lesquels sont enfermés ceux qui sont privés de liberté. Mais, pour cela, il faut que chacun d'entre nous s'y mette plutôt que de brandir des anathèmes qui ne font pas avancer la résolution du problème.

Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Il me semble très important de relever ce qu'a dit M. Pagani. Ce n'est pas au moment où l'on doit faire face à la plus grande difficulté pour rappeler la notion d'ordre, la notion de limites, la notion de contenant à des jeunes qui ont perdu des points de repère, qu'il nous faut, nous, représentants du peuple, nous laisser aller à une synthèse extrêmement raccourcie, à l'exemple finalement le plus caricatural de ce qui donne aux jeunes l'envie de dépasser les limites. A partir du moment où l'on remet en question la présence momentanée ou à plus long terme de représentants de la loi et de notre ordre républicain, c'est le meilleur moyen de cautionner le manque de limites et le manque de cadre. Je ne peux pas imaginer un seul instant que l'on puisse utiliser des manières aussi simplistes pour faire parler de soi aussi longtemps !

Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Je vous prie d'abord de bien vouloir m'excuser, car j'étais absente en début de séance. Si je l'étais, c'est que j'avais des impératifs. Il m'a pourtant été relaté le début des débats.

Si je n'étais pas chargée de ce département et de ce problème, je me demanderais où je suis aujourd'hui. J'attribue l'émotion des débats à l'intérêt tout particulier que les visiteurs et ce parlement accordent légitimement au problème de la détention, particulièrement à celui des mineurs.

Vous l'avez dit, Madame Alder, à chacun son rôle. Ce n'est pas chose facile, non pas seulement à comprendre, mais aussi à faire. Très rapidement au début de mon mandat, j'ai indiqué clairement que les policiers n'étaient pas des éducateurs sociaux. Je le répète. Ils doivent avoir une sensibilité sociale et une éducation sociale, mais ils ont une mission. Ils doivent l'accomplir et ils doivent l'accomplir complètement. Les éducateurs ont une formation sociale. Ce ne sont pas des policiers. Il en est de même. Ainsi, sur le fait que chacun doive jouer son rôle, je souligne votre intervention. Là où je ne suis pas tout à fait d'accord, c'est lorsque vous dites que nous en avons les moyens. Je vous réponds: «non, Madame»!

Les parlements précédents, nous, tous ensemble - j'en étais de ce parlement - n'avons probablement pas été suffisamment attentifs aux vrais besoins. Cela peut arriver à tout le monde. L'évolution sociale n'est pas non plus si simple à prévoir. Nous avons pris du retard, il s'agit maintenant de le combler.

Lors de l'anniversaire de la prison de Champ-Dollon, après m'en être ouverte auprès de mes collègues du Conseil d'Etat, j'ai annoncé une volonté de planification de tout ce qui est lié à l'office pénitentiaire, auquel La Clairière appartient. Nous avons identifié les problèmes que la commission des visiteurs a elle-même pu reconnaître sur le terrain. Il ne s'agit pas, Mesdames et Messieurs, de publier un rapport tous les quatre ans! Je reviendrai dans quinze jours devant le Conseil d'Etat avec une planification. Dès que vous en serez convaincus, vous voterez sur cette planification. Nous n'en sommes pas au moment des mots, ni à celui des démonstrations politiques, mais nous en sommes au temps des décisions et des actions.

S'agissant du rôle des uns et des autres, nous sommes en train d'explorer, en particulier avec M. le chef de la police, mais également avec mon collègue, M. Pierre-François Unger, la nécessité de mettre en oeuvre à Genève ce que l'on appelle un SAMU social. Actuellement, dès qu'il y a un problème dans une famille ou ailleurs, on compose le 117. Aujourd'hui, il est évident qu'il y a précisément une non-adéquation entre le besoin, qui est réel - un besoin est de toute façon un besoin - et la question de savoir à qui l'on téléphone, quand et comment.

Vous parlez aussi de l'histoire - pardonnez-moi de le dire ainsi - des gardiens de Champ-Dollon à La Clairière et je vous dirais l'inverse : des éducateurs de La Clairière à Champ-Dollon. Mais il s'agit d'un non-sens total! C'est pour cela, Mesdames et Messieurs les députés, que vous ne pouvez pas dire que nous en avons les moyens. Donnez les moyens au gouvernement de le faire !

C'est moi, Monsieur le député, qui ai donné l'ordre impératif aux gardiens de Champ-Dollon d'aller protéger les éducateurs sociaux de La Clairière ! Est-ce que ces choses sont claires pour ce parlement ? Parce que les éducateurs étaient agressés ! J'étais sur le terrain avec l'ensemble de l'office pénitentiaire. Nous nous sommes longuement entretenus de ce problème. J'ai pris la décision, le jour même, d'envoyer à La Clairière des gardiens de la prison de Champ-Dollon. Je vous signale que celui qui était préposé de Champ-Dollon s'est fait démolir le lendemain à la Clairière.

Vous pouvez tout raconter autour de cette table, mais les réalités sont là ! Nous avons pris du retard. La volonté du gouvernement est d'aller de l'avant. M. le conseiller d'Etat Moutinot interviendra probablement tout à l'heure à propos des moyens complémentaires liés à la sécurité.

J'aimerais conclure avec le problème des mineurs. Victimiser les mineurs parce que, les pauvres, ce sont de pauvres victimes, est un discours qui a prévalu pendant longtemps. Je ne partage pas cette analyse aujourd'hui. Tous les enfants ne sont pas bons à la base ! Je ne suis pas d'accord avec cette analyse. (L'oratrice est interpellée.)C'est la biologiste qui parle maintenant ! Nous avons tous des instincts. Parmi ceux-ci, nous avons un instinct de violence. Lorsque nous n'avons pas eu la chance d'avoir une autorité parentale, d'avoir une autorité institutionnelle ou autre, qui nous a appris qu'à partir du moment où l'on va trop loin et que l'on est un brise-fer parce que l'on a quelques mois, que ce moment-là doit être traversé limité par une autorité, si nous n'avons pas eu cette chance, nous serons demain des violents! L'instinct de violence existe en chaque être humain. Si la première phase d'autorité n'a pas été provoquée - lorsqu'on parle d'autorité, on ne parle pas de violence - tout enfant devient un brise-fer si vous ne lui laissez pas faire ce qu'il veut. Il y a donc une première phase dont un certain nombre d'enfants n'ont pas pu bénéficier. C'est là où l'injustice sociale existe, parce que ces enfants-là n'ont pas eu de parents, ni de contexte. Il faut commencer par cela! Les bandes de casseurs - qui commencent malheureusement à sévir à Genève, c'est une des raisons qui m'ont retardée ce soir - ces casseurs existent et doivent comprendre qu'il y a des règles sociales! Il faut d'abord leur apporter l'autorité et les limites pour pouvoir enchaîner sur l'éducation. Ces jeunes ne savent pas ce que veut dire l'éducation, ils n'en ont pas eu les premiers éléments! D'ailleurs, ce n'est pas trahir le Code pénal suisse actuel et futur, puisqu'il conduit inéluctablement et légitimement à une action éducative associée à la détention ou à toute action liée à la détention. Il y a des moments pour faire quelque chose et des moments pour faire autre chose! Aujourd'hui, les infractructures que nous avons à Genève ne sont pas adaptées, ni en nombre, ni en aucune façon pour aller dans ce sens-là par rapport aux mineurs.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais tout de même rappeler aux uns et aux autres. Je peux vous dire que la volonté du département, et celle du Conseil d'Etat confondue, est de ne pas banaliser la situation. Mais nous ne pouvons pas nous tromper d'analyse en permanence. Cela ne sert à rien de victimiser sans arrêt les enfants, de dire que les éducateurs sont de pauvres êtres qui ne savent pas faire et que la police ou les instances de police sont là pour taper sur la table. Les problèmes sont un tout petit peu plus subtils. Je croyais, et j'espère encore pouvoir le croire ce soir, que la commission des visiteurs avait compris tout cela. C'est dans ce sens-là que nous irons. Voilà tout ce que j'avais à vous déclarer. (Applaudissements.)

M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Dans le débat de ce soir, des avis assez divergents ont été exprimés et ce débat va certainement continuer. Mais j'observe cependant une chose, c'est que le rapport dont nous discutons a été adopté à l'unanimité par votre commission et que le Conseil d'Etat accepte ce rapport. Je me souviens d'autres rapports de la commission des visiteurs, faisant l'objet d'assez solides divergences entre les membres de la commission d'une part, entre la commission et le Conseil d'Etat d'autre part. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. Par conséquent, vous allez adopter ce rapport que le Conseil d'Etat accepte.

En ce qui concerne la problématique des travaux qui a été soulevée, qu'il s'agisse des travaux de sécurité à Champ-Dollon ou qu'il s'agisse des travaux à La Clairière, je me propose, plutôt que d'allonger les débats, de me rendre, si la commission des visiteurs de prison le veut bien, devant elle et de lui exposer dans le détail où l'on en est sur ces différents projets. Il faudra juste que vous nous laissiez quelques jours, parce que Mme Micheline Spoerri et moi-même devons nous rencontrer avec nos différents services, dès lors que la situation a effectivement quelque chose d'évolutif et qu'un certain nombre de plaintes, justifiées ou moins justifiées, d'angoisses, de réalités font que les projets bougent un peu. Ce qui explique d'ailleurs en partie le retard, à force de devoir intégrer ou de ne pas intégrer un certain nombre de demandes qui nous sont soumises. Il est donc prévu très prochainement un point de situation entre nos deux départements. Je vous suggère, si vous le souhaitez, d'exposer devant votre commission, à votre meilleure convenance, la partie construction, travaux et autres.

Mis aux voix, ce rapport est approuvé.