République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1371-B
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion concernant une demande d'étude des conséquences économiques de la journée "sans ma voiture" du 22 septembre 2000

Débat

M. Antonio Hodgers (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord de rappeler les objectifs de cette journée qui, à notre avis, sont avant tout pédagogiques. En effet, c'est une pédagogie pour la population que de vivre ces journées du 22 septembre, car si aujourd'hui cette journée «sans ma voiture» est l'exception dans l'année, d'ici dix ou vingt ans, c'est à celle-ci que devrait ressembler notre ville, c'est à elle que ressembleront les villes européennes. Face à la problématique de la pollution et de l'épuisement des ressources naturelles, nous n'aurons en effet pas d'autre choix que de vivre autrement. Cette journée est aussi un moment de festivités, d'échanges, de convivialité, et en ce sens-là - même si cela fait mal à certains - elle est très appréciée par la population, comme un récent sondage vient de le démontrer.

J'en viens maintenant à l'un des aspects qui avaient été soulevés par les auteurs de cette motion, à savoir que cette limitation du trafic privé pourrait être néfaste aux commerces. Eh bien non ! Les études ont montré qu'un nombre croissant d'habitants effectuent leurs achats en bus. Et la pratique démontre, que ce soit à Genève ou dans l'Union européenne qui connaît aussi cette journée, que les zones piétonnes sont plutôt dynamisantes pour les petits et les moyens commerces. On se rend donc compte à la pratique que les commerces ne sont pas du tout péjorés par une diminution des voitures dans leur périmètre mais, au contraire, que leur activité économique est stimulée. Dans ce rapport, on nous dit qu'il est difficile d'établir un bilan avec une seule journée par année, ce qui est vrai. C'est pourquoi le Conseil d'Etat pourrait peut-être proposer, afin d'avoir un bilan plus étoffé et des données plus concrètes, d'établir une journée par mois «en ville sans ma voiture».

M. Sami Kanaan (S). Monsieur le président, vous n'en serez pas surpris, je suis très proche de ce que vient de dire M. Hodgers, ce qui abrégera mon intervention. J'aimerais surtout attirer votre attention sur le fait que si nous voulons avoir une discussion constructive sur ce sujet, qui est visiblement sensible dans la politique genevoise, il faut éviter de faire des amalgames, tel que cela a été le cas à l'époque. Je crois que, depuis, nous avons tous fait du chemin sur ce sujet, puisqu'il y a eu deux nouvelles journées sans voitures depuis l'année 2000. Il serait malheureux d'attribuer à une journée sans voitures l'ensemble de la dégradation de l'emploi en ville de Genève sur dix ans - c'est un genre de raisonnement un peu court. On justifie la motion d'origine par la baisse du nombre d'emplois, mais heureusement, le rapport montre bien qu'il faut relativiser les liens de causalité, puisqu'une journée ne peut pas, à elle seule, expliquer des milliers de pertes d'emplois en ville de Genève. Il ne s'agit pas seulement de la ville de Genève, puisque nous savons que dans l'ensemble des villes, de façon relativement uniforme en Europe, il y a un phénomène de perte de substance économique dans les centres-villes. Cela mériterait une analyse plus approfondie que de considérer uniquement les effets de la journée sans voitures. Nous saluons d'ailleurs depuis - et c'était utile de ce point de vue-là - les clarifications faites par l'évaluation de la journée sans voitures, et je crois que la Ville de Genève a aussi fait preuve de bonne volonté en rendant plus crédible cette évaluation. Celle de la journée 2002 vient d'ailleurs d'être publiée, elle a été faite par une instance indépendante qui confirme que c'est un événement populaire. Je crois que la journée sans voiture est une occasion unique pour tous les bords, dans le cadre d'une journée symbolique, de discuter de différents scénarii pour la gestion de la mobilité au centre-ville. Je souhaite qu'il y ait une prise de conscience que la mobilité au centre-ville ne pourra certainement pas se régler à coups de solutions simplistes, dans un sens comme dans l'autre. Nous saluons donc ce rapport, qui vient relativement tard mais reste d'actualité, et espérons que ce processus qui tend à évaluer de manière plus systématique les effets de la journée sans voitures se maintienne, et espérons surtout que cette journée sans voitures soit à l'avenir moins polémique et plus consensuelle. C'est vraiment une occasion unique d'étudier ensemble ces questions.

M. Christian Grobet (AdG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, j'aimerais abonder dans le sens des deux préopinants. Je constate en tous cas que la situation de la circulation, ou plus exactement de la mobilité en ville de Genève, s'est très fortement dégradée ces dernières années. C'est assez frappant: j'ai discuté par hasard ces derniers jours avec plusieurs personnes venant d'autres cantons qui m'ont dit ne plus vouloir venir à Genève en voiture - ce qui, du reste, est une bonne conclusion - mais préférer le train et les transports publics, parce que le taux d'augmentation des voitures automobiles fait qu'aujourd'hui les déplacements deviennent de plus en plus difficiles. A cela s'ajoute une dégradation importante de la qualité de vie.

J'ai eu l'occasion, pendant les vacances scolaires, d'aller en Italie, où l'on voit le pire, mais aussi des choses assez exceptionnelles. J'étais dans la ville de Lucca, ou tout le centre est piétonnier, où les gens se déplacent en bicyclette, et il y a là une qualité de vie absolument extraordinaire ! J'ai été enthousiasmé par cette ville. Il y a des villes italiennes qui se sont rendu compte qu'avec l'augmentation du trafic il fallait prendre de nouvelles mesures.

Je pense donc que cette «journée sans ma voiture», comme cela vient d'être dit, est en effet une excellente occasion de prendre conscience de ce phénomène, d'autant plus que - et on l'a entendu de délégués de Strasbourg et d'ailleurs - la France a connu une situation identique: la première réaction des commerçants a été négative. C'est vrai que c'est peut-être plus facile en France, où on a un régime préfectoral...

M. Claude Blanc. En France, il y a Sarkozy !

M. Christian Grobet. Je ne veux pas personnaliser le débat, Monsieur Blanc, il y a surtout un régime dit républicain, très centralisé, avec des préfets qui ont beaucoup de pouvoir, ce qui fait que lorsqu'une municipalité décide de mettre en place des zones piétonnes en ville, elles sont réalisées très rapidement. Or, tous les commerçants qui, au départ, y étaient opposés, ne voudraient plus aujourd'hui que cela change. Il faut donc faire prendre conscience aux gens de ces avantages.

Je voulais aussi insister sur un élément nouveau, apparu tout récemment, à savoir que les résultats de ces journées piétonnes ayant été contestés par certains sur le plan scientifique et sur le plan de la crédibilité, la Ville de Genève a eu l'heureuse idée de recourir aux services de l'université - voyez, Madame Brunschwig Graf ! - et je trouve qu'on devrait recourir plus souvent aux scientifiques dont on bénéficie dans l'université. Or, le laboratoire d'économie appliquée de la faculté des sciences économiques et sociales a rendu tout un rapport sur les effets de cette journée. Ce qui est intéressant, c'est que ce rapport tout à fait scientifique rejoigne et confirme les conclusions auxquelles la Ville de Genève était arrivée. En conclusion, je voudrais simplement dire à ceux qui seraient épris de pessimisme de demander à la Ville de Genève une copie de ces deux documents, tout à fait instructifs.

M. Pierre Kunz (R). Mesdames et Messieurs les députés, nous avons entendu un certain nombre de propos à caractère pédagogique venant des milieux de gauche, mais qu'ils soient de gauche ou de droite, lorsque ces milieux politiques se mettent à faire de la pédagogie, j'avoue que je me méfie toujours.

Cette journée sans voiture est en réalité, lorsqu'on va au fond des choses, une atteinte bureaucratique et simpliste à la liberté de mouvement, à la mobilité. La conséquence est évidente: le centre-ville y perd chaque fois un peu de son attractivité, de son potentiel économique et fiscal, et ceci pour le plus grand bonheur des centres commerciaux périphériques. (Protestations.)C'est pour cela, Mesdames et Messieurs - sans vouloir faire de pédagogie - que je me permets de prendre la parole, car, en tant qu'acteur économique, je ne me sens pas du tout concerné par la problématique du centre-ville.

Ce qu'il faut - si j'ose vous le dire en ma qualité de citoyen - c'est que le monde politique, sans dogmatisme et avec pragmatisme, s'astreigne à mettre en place des conditions-cadres qui favorisent le rôle historique de la ville de Genève, un rôle de catalyseur de la vie sociale, culturelle et économique. Pour cela, il n'y a pas besoin de limiter le mouvement des gens ! Il faut favoriser le développement harmonieux des transports publics et des transports privés.

M. Jean Rémy Roulet (L). Monsieur le président, chers collègues, en entendant M. Grobet nous narrer avec conviction ses vacances en Italie, je me suis souvenu d'une citation d'un conseiller d'Etat radical qui disait qu'il y a autant d'ingénieurs de la circulation dans ce canton qu'il y a de citoyens.

M. Jean-Michel Gros. Il y en a un de moins !

M. Jean Rémy Roulet. Ceci étant dit, la motion traite d'un point tout à fait précis: il s'agit de redonner un équilibre en matière de développement durable entre les trois pôles qui le constituent, à savoir l'économie, le social et l'environnement. Or, la première manifestation d'«une journée sans ma voiture» orchestrée par M. Ferrazino était exclusivement centrée sur les problématiques sociale et environnementale - auxquelles chacun d'entre nous ici est fortement attaché - mais tout le volet économique a été sciemment ou inconsciemment négligé. C'est pour cette seule et unique raison que les auteurs de cette motion ont demandé au Conseil d'Etat non pas de sévir, mais de demander au Conseil administratif de la Ville d'être beaucoup plus égal dans le traitement des trois paramètres que j'ai préalablement indiqués.

Je dois dire que le rapport qui a été rendu récemment dans la presse à ce sujet est partiellement satisfaisant, parce qu'il continue de nier l'impact économique réel sur le commerce et sur d'autres activités du centre-ville. Mais disons qu'un premier pas a été fait et nous sommes sûrs que pour les prochaines journées sans voitures, le pôle économique sera d'autant plus martelé. Je dirais en conclusion que dans tout ce débat sur la mobilité, il ne faut pas oublier que le peuple genevois a récemment voté l'égalité de traitement entre les différents modes de transports, privés ou publics, et nous souhaiterions, pour la suite des travaux, que ce type de considération soit mieux pris en compte.

Le président. Merci, Monsieur le député, la parole est à M. le député Rodrik. Je vous rappelle qu'il s'agit de la deuxième mouture de ce rapport du Conseil d'Etat sur la journée 2000.

M. Albert Rodrik (S). Merci, Monsieur le président. Bien entendu, nul ne va plaider dans cette enceinte pour des rapports pas sérieux ! Le problème, c'est que dans cette enceinte, chacun trouve sérieux les rapports qui lui conviennent... Je me lève pour vous rappeler une seule chose, puisque je ne l'ai pas entendue de tout ce débat: il y a encore et toujours, depuis environ cinquante ans, mettons trente ans, un véhicule pour moins de deux habitants dans ce canton. Ce chiffre - un véhicule pour moins de deux habitants ! - est en lui-même monstrueux. Je vous remercie.

M. Jean-Michel Gros (L). Mesdames et Messieurs les députés, on nous a parlé pédagogie, on nous a parlé du trop grand nombre de véhicules, notre chef de groupe libéral a évoqué la valeur économique des commerces du centre-ville, moi je voulais juste ajouter quelque chose à ce qu'a dit M. Grobet. M. Grobet s'est félicité d'une étude commandée à l'université. Bien sûr, tout le monde se félicite d'une étude commandée à l'extérieur par la Ville de Genève, car cela donne plus d'objectivité au rapport. Cependant, les résultats de cette étude me laissent tout de même songeur... Lorsque cette étude conclut simplement qu'il y avait x % de véhicules en moins ce jour-là en ville de Genève, et que les TPG ont été utilisés x % de plus, cela me paraît être quelque chose que l'on aurait pu deviner tout seul... Evidemment, lorsqu'on nous annonce à force médias que le centre-ville sera bouclé à la circulation tel jour, il est évident que si nous avons effectivement besoin de descendre en ville ce jour-là, nous prendrons les TPG ! En tout cas, il serait complètement aberrant de prendre sa voiture, sachant qu'il y aura perspective de bouchons.

Ces études me semblent donc véritablement réductrices. Lorsque la Ville de Genève ou d'autres communes genevoises fermeront l'entier de leur voirie de circulation pendant un jour par semaine, je peux imaginer que l'étude sera encore plus favorable à vos thèses, et qu'il y aura peut-être une diminution de 100% de la circulation automobile à Genève, et une augmentation de près de 100% de l'utilisation des TPG. Ces études ne sont donc pas sérieuses ! Je crois vraiment qu'une étude doit absolument être faite sur les pertes éventuelles pour l'économie du centre-ville - étude impossible cette année, puisque cette journée tombait un dimanche. C'est à ce niveau-là qu'une étude scientifique aurait vraiment de la valeur. Quant au rapport du Conseil d'Etat sur cette motion, nous ne pouvons qu'en prendre acte, tant il est - pardonnez-moi l'expression - un peu léger.

Le président. Il y a encore deux orateurs inscrits, le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants.

Mise aux voix, cette proposition est adoptée.

Le président. Très bien, sont inscrits MM. Muller et Kanaan. Monsieur Muller, c'était une erreur ? Bien, M. Kanaan, ce n'est sans doute pas une erreur.

M. Sami Kanaan (S). Non, je ne suis pas une erreur, du moins je n'espère pas l'être. (Rires.)

M. Gros vient de donner l'illustration parfaite de ce que vient de dire notre collègue Rodrik, soit qu'on ne considère comme sérieux que ce qui nous convient. Il l'a fait de manière encore plus précise, puisqu'il a choisi dans le rapport ce qui ne lui convenait pas ou ce qu'il ne trouvait pas crédible pour critiquer un rapport entier qui contenait bien plus d'informations.

Evidemment, un rapport commence par des constats, et c'était un constat et non un jugement que faisait ce rapport en disant qu'il y avait moins de trafic. Vous avez raison, Monsieur Gros, certaines personnes ont renoncé à prendre leur voiture sachant qu'il y aurait un problème. C'est là un constat qu'il fallait faire pour mesurer à quel point les gens avaient ce choix. Mais le rapport montre aussi toute une série d'autres éléments, notamment que ce genre de journées est apprécié, même s'il est vrai que cette année était un cas particulier, puisque la journée est tombée un dimanche. On sait que dans la population suisse, il y aurait peut-être une certaine sympathie pour les dimanches sans voitures, que ce soit par nostalgie des dimanches sans voitures des années 73 et suivantes, par conviction ou pour d'autres raisons. Nous aurons d'ailleurs un vote fédéral à ce sujet dans les mois ou années qui viennent.

Pour en revenir à l'impact économique qui vous préoccupe tant, je souhaiterais que l'on fasse une étude sur l'impact économique sur le commerce du trop-plein de voitures au centre-ville. Et je suis persuadé que si elle est menée sérieusement, vous verrez que l'augmentation massive de voitures dont parlait entre autres M. Grobet est justement extrêmement négative pour le commerce du centre-ville. Je pense en particulier aux petits et moyens commerces, mais même les grands commerces de la zone centre-ville profiteraient bien plus d'une politique qui consisterait à éviter les bouchons, le stationnement sauvage et l'absence de contrôle. Je peux vous garantir que ces points-là sont particulièrement néfastes et que les gens ne se sentent pas incités à aller au centre-ville si même les trottoirs sont couverts de voitures. Cela est à mon avis beaucoup plus grave à long terme pour la situation économique du centre-ville qu'une journée sans voitures.

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.