République et canton de Genève

Grand Conseil

Déclaration du Conseil d'Etat sur la Poste

M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat a communiqué hier publiquement son indignation face à la décision unilatérale prise par le conseil d'administration de la Poste de fermer le centre de tri postal de Genève.

Sur la forme, on ne peut qu'être choqué par cette politique du fait accompli et du mépris qu'elle traduit pour la population genevoise et ses autorités.

Sur le fond, supprimer d'un trait de plume huit cents emplois locaux est proprement scandaleux.

Cette décision risque également d'affecter les conditions-cadres du développement de l'économie genevoise et de la région, sans compter le peu d'importance que l'on accorde à la Genève internationale et à ses nombreuses organisations gouvernementales et non gouvernementales.

Le Conseil d'Etat ne manquera pas d'entreprendre auprès du Conseil fédéral et du conseil d'administration de la Poste toutes les démarches pour mettre en cause un tel comportement d'une entreprise publique et pour éviter la fermeture du centre de tri de Genève. Dans l'immédiat, une rencontre avec les représentants du personnel et les syndicats est planifiée pour lundi prochain 28 octobre.

Je tiens à exprimer ma profonde préoccupation, non seulement quant à la suppression des postes de travail à Genève mais aussi à l'égard des travailleuses et travailleurs qui, inévitablement, pourraient faire les frais de ces mesures. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat prend d'ores et déjà contact avec la direction de la Poste, les syndicats concernés et le Secrétariat d'Etat à l'économie pour analyser les conséquences concrètes de ces décisions sur le marché de l'emploi.

Mon département, en relation avec ces partenaires, suivra en permanence l'évolution de la situation, contrôlera que les engagements pris par l'entreprise soient bien respectés et veillera à ce que les besoins professionnels et personnels des personnes qui devraient, le cas échéant, être réinsérées, soient pris en compte.

La mission est difficile, mais il faut essayer de la réussir. (Applaudissements.)

Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Je remercie le Conseil d'Etat pour sa déclaration.

Les socialistes ont également réagi fermement par un communiqué de presse à la nouvelle de la future disparition de quinze centres de tri postal, en condamnant avec vigueur cette prise de position de la part de la Poste, cautionnée par le Conseil fédéral.

Pour les socialistes genevois, une telle décision témoigne effectivement d'un profond mépris à l'égard, d'une part, des populations concernées par la fermeture de ces centres de tri et, d'autre part, des travailleuses en particulier et des travailleurs de la Poste. En effet, que feront les femmes qui sont des employées à temps partiel quand on leur proposera des postes en dehors de Genève ou en dehors des centres périphériques ? Que va-t-on leur proposer ? Cette politique est inacceptable !

Elle est d'autant plus inacceptable qu'elle n'est pas digne d'un service public tel que la Poste, qui doit placer la cohésion nationale et la solidarité au coeur de son action.

Nous ne pourrons pas non plus accepter l'argument qui a été avancé selon lequel il s'agirait d'une restructuration «socialement acceptable». Il n'est pas sérieux de tabler sur des retraites anticipées ou sur le fait que ces licenciements sont annoncés quelques années à l'avance. Cette solution a été conçue dans la tête de technocrates qui ne tiennent pas du tout compte du facteur humain, qui est pourtant primordial.

Si nous saluons la réaction du Conseil d'Etat, nous lui demandons toutefois avec insistance de prendre toutes les mesures possibles pour faire pression, à la fois sur la direction de la Poste et sur le Conseil fédéral, s'il le faut, pour que celle-ci revienne sur sa position désastreuse.

M. Rémy Pagani (AdG). La prise de position du Conseil d'Etat ouvre un débat, et ce débat doit avoir lieu. En effet, nous nous étions déjà mobilisés avec la population genevoise - je vous le rappelle - contre la disparition de certains bureaux de poste, notamment celui de Saint-Jean, puis celui de Plainpalais, etc. Nous nous sommes aussi mobilisés pour faire échouer le projet de disparition de la Douane-poste et nous avons réussi, heureusement. En revanche, c'est une poste rétrécie qui subsiste à Saint-Jean.

Alors, je trouve un peu facile que le Conseil d'Etat dénonce la situation aujourd'hui, comme d'ailleurs le parti socialiste le fait ! Depuis un certain nombre d'années, tant le Conseil d'Etat que le parti socialiste utilisent un double langage sur cette affaire. J'en veux pour preuve que le Conseil d'Etat a répondu au Conseil fédéral, pas plus tard que la semaine dernière, qu'il était d'accord avec la libéralisation du dernier kilomètre de télécom. Excusez-moi de le dire, Monsieur le président, mais vous tenez un double langage en faisant croire à la population genevoise, ici même, devant les caméras de télévision, que vous luttez contre la privatisation, contre cette concurrence effrénée qui conduit à des catastrophes tant dans des grosses entreprises privées comme Swissair que dans des entreprises publiques comme Telecom en France - cette dernière connaît une situation catastrophique et des milliards ont été perdus. Vous voulez faire croire que vous faites tout ce qui est en votre pouvoir pour lutter contre la privatisation et, par-derrière, vous cautionnez cette dérégulation dans vos écrits.

Quant à la position du parti socialiste, elle est encore plus grave ! En effet, ce sont M. Leuenberger et M. Gygi - tous deux membres du parti socialiste - qui mènent cette politique de privatisation et, maintenant, tout à coup, ils jouent les enfants de choeur en essayant de nous faire croire qu'ils sont contre la privatisation.

Je relève toutefois que M. Maillard, député aux Chambres fédérales, a eu l'honnêteté de demander le départ de M. Leuenberger - c'est le seul à être cohérent - car si vous voulez être cohérents, Messieurs les socialistes, vous devez... (L'orateur est interpellé.)Et Mesdames, oui ! ...demander à M. Leuenberger de quitter le parti socialiste, ne serait-ce que par décence, car sa politique ne correspond plus à celle du parti socialiste, du moins la politique qui a été décidée ces derniers temps en congrès extraordinaire ! Une fois de plus, ce double langage, même s'il a pu tromper un certain nombre de citoyens jusqu'à maintenant, ne les trompe plus beaucoup: on l'a vu lors de la votation sur la libéralisation du marché de l'électricité.

Mme Anne-Marie Von-Arx Vernon (PDC). Le parti démocrate-chrétien a entendu la déclaration du Conseil d'Etat et s'en réjouit.

Notre groupe est en effet particulièrement scandalisé de la manière dont la direction de la Poste a mené son projet de restructuration des centres de tri. En effet, les autorités cantonales n'ont pas été directement informées du projet REMA qui touchera environ huit cent cinquante personnes, dont bon nombre de mères de familles qui travaillent à temps partiel auprès du centre de tri de Genève.

Dans ces mesures, nous voyons une volonté de précariser les femmes qui n'ont déjà pas assez de ce salaire pour élever dignement leurs enfants. De ce fait, la Poste les pousse dans la spirale de l'exclusion. C'est la démonstration de ce qui peut arriver à une famille de «working poors» qui n'ont que les miettes de notre société...

Nous ne pouvons accepter que la réduction des coûts, la standardisation ainsi que la garantie de la capacité concurrentielle de la Poste, invoquées par cette dernière, se fassent sur le dos des employés. Nous savons maintenant par expérience qu'il n'y a aucune - aucune ! - garantie du maintien de la qualité des prestations d'un service public, lorsque la rationalisation est justifiée par des licenciements. Nous le savons tous: ce n'est en aucun cas une clé d'un projet social.

Le groupe PDC ne peut donc que se réjouir de la position du Conseil d'Etat et insiste pour que celui-ci exige de la direction de la Poste qu'elle informe régulièrement les partis politiques représentés au Grand Conseil ainsi que les autorités politiques du canton sur les processus qui nous ont été annoncés. Le groupe PDC demande au Conseil d'Etat d'insister auprès du Conseil fédéral, afin que la restructuration de la Poste n'handicape pas gravement le développement économique et social du canton de Genève, et de rappeler à la Poste, qui se prétend un employeur «socialement responsable», entre guillemets, que nous avons besoin d'un centre de tri à Genève pour maintenir et développer l'attractivité de notre territoire et ainsi préserver des emplois.

M. Pierre Vanek (AdG). Mon ami Rémy Pagani ayant dit l'essentiel de ce que je voulais dire, je serai court...

Je suis satisfait et content du contenu de la déclaration du Conseil d'Etat sur cette question, mais, c'est vrai - Rémy Pagani a eu raison de le relever - Monsieur Lamprecht, à quatre ou cinq occasions nous vous avons entendu déplorer la situation et vous indigner de la politique menée par la direction de la Poste, mais le rouleau compresseur est en marche et continue à oeuvrer pour le processus de libéralisation et, à terme, de privatisation. Il déploie ses effets néfastes.

Nous vous entendons très régulièrement, avec plaisir, vous indigner des conséquences de ce processus. Vous m'entendez aussi - peut-être avec moins de plaisir, mais j'aimerais que vous m'écoutiez avec attention - vous appeler à faire quelque chose de concret et à ne pas vous contenter de faire des déclarations... Il faut en effet mettre en place les moyens pour mener un combat politique sérieux dans la durée contre ce processus de démantèlement d'un service public, que ce soit en termes de réseau de distribution - l'affaire n'est évidemment pas terminée sur ce plan - ou que ce soit en termes de «conditions de production» des prestations de la Poste.

Et de ce point de vue là, je partage les craintes de Rémy Pagani. Toute la population regrette, déplore, condamne, les conséquences de la politique menée par la Poste, les autorités cantonales les regrettent, les déplorent et les condamnent d'une seule voix: c'est bien, mais cela ne suffit pas ! Il faut se donner les moyens de mener un débat de fond, dans cette salle, sur cette question. Il ne faut pas se contenter de dire que ce type de décision est de la compétence fédérale. Puisque la Confédération, sous l'impulsion de la majorité de droite patronale qui trône à Berne, ne prend pas ses responsabilités en la matière, il faut que notre canton définisse une conception du service postal, du service public à la population, et la défende de manière plus systématique et - pour employer un néologisme que je n'aime pas - de manière «proactive» et non seulement de manière réactive. Ce serait plus efficace que de se contenter de s'indigner à chaque occasion.

M. Leuenberger lui-même - dont Rémy Pagani réclamait à juste titre la démission - a reconnu, au soir de la votation fédérale sur la loi du marché de l'électricité, que les résultats ont démontré l'attachement de la population à une certaine conception du service public - en particulier dans notre canton - à une électricité fournie effectivement dans des conditions de monopole. C'est ce qui est remis en cause et c'est au nom de la «capacité concurrentielle» avec le secteur privé qu'on est en train de démanteler la Poste.

De ce point de vue, le Conseil d'Etat peut, lors des discussions sur cette question, s'appuyer sur le mandat populaire - en quelque sorte - et le désaveu de la politique de M. Leuenberger qui lui a été infligé par l'ensemble des électeurs lors de la dernière consultation populaire du 22 septembre, pour faire pression. J'aurais aimé que ce point soit évoqué dans la déclaration du Conseil d'Etat, par la bouche de M. Lamprecht.

M. Christian Grobet (AdG). Je ne voudrais pas décevoir M. Lamprecht, mais, personnellement, je ne suis pas satisfait de la déclaration du Conseil d'Etat... (Exclamations.)

D'abord, j'aimerais dire que je trouve la situation exceptionnellement grave. Nous avons débattu, lors de la dernière session des Chambres fédérales à Berne, du problème du maintien des offices postaux. Je vous rappelle qu'une initiative a été déposée par les syndicats de la Poste demandant, précisément, le maintien des offices postaux: la moindre des choses serait donc d'attendre le résultat du vote de cette initiative ! Et, de plus, un texte qui va dans le même sens a été voté.

C'est par conséquent un mépris intolérable de la part du Conseil fédéral, un mépris intolérable de la part de M. Gygi et de son supérieur, M. Leuenberger, qui ne veut pas exercer son devoir de surveillance sur la Poste.

Pour en revenir à notre canton, j'aimerais rappeler que le groupe des députés de l'Alliance de gauche - cela fait deux ans, je crois - avait déposé un projet de loi visant à créer une commission cantonale pour s'occuper du problème de la fermeture des offices postaux. On voyait déjà à cette époque ce qui allait se passer, et il nous paraissait indispensable d'avoir une commission formée de représentants de l'Etat, c'est-à-dire du Conseil d'Etat, des communes, de ce Grand Conseil, d'un certain nombre de représentants de la société civile et des syndicats, précisément pour définir une stratégie de défense contre cette volonté de la Poste de démanteler le service public.

Je rappelle que ce Grand Conseil - seule l'Alliance de gauche soutenait ce projet de loi - n'a pas voulu entrer en matière. Alors, vous pouvez aujourd'hui verser des larmes de crocodile, Mesdames et Messieurs, qui êtes intervenus tout à l'heure: je tiens à dire que vous portez une lourde responsabilité en n'ayant pas accepté la création de cet organisme cantonal, tant il est évident que M. Lamprecht, avec toute la bonne volonté qui est la sienne et que je ne mets pas en doute, ne peut pas mener cette affaire tout seul ! Il faut la mobilisation du canton: il ne suffit pas, Monsieur Lamprecht, que vous alliez, tout seul, discuter avec je ne sais qui pour essayer de limiter la casse suite à la fermeture du centre de tri - qui a coûté, tenez-vous bien, 300 millions, si je ne me trompe ! Alors, cette dilapidation des fonds publics n'a d'égal que la dilapidation des fonds de Swisscom dans des placements boursiers en Extrême-Orient où 2 ou 3 milliards ont été perdus... Je ferme cette parenthèse.

Vous avez demandé, Monsieur Lamprecht, aux chefs des députations de ce Grand Conseil de signer une lettre à M. Gygi: je vous en remercie; nous l'avons fait.

Vous avez eu l'amabilité de nous communiquer le résultat de cet échange de correspondance. Je ne sais pas si cela a été communiqué à tous les députés... Mais, au vu de ce qui vient de se passer, il vaudrait la peine que tous les députés aient la réponse de M. Gygi en main, parce qu'elle est édifiante ! Savez-vous comment Gygi veut régler les problèmes ? Il invite M. Lamprecht à un déjeuner à Berne !

Cela montre son total mépris à l'égard du Conseil d'Etat ! Organiser un déjeuner dans l'idée qu'autour d'un bon repas et d'un verre de vin les choses vont s'arranger est une pratique commerciale ! Ce n'est pas comme cela qu'on traite les affaires publiques, et j'ose espérer que vous avez refusé ce déjeuner, parce que c'est une méthode de travail scandaleuse ! Vous souriez, Madame la présidente du Conseil d'Etat, moi je suis choqué ! En tant qu'ancien président du Conseil d'Etat, je suis profondément choqué de la manière dont M. Gygi pense régler les problèmes: c'est inadmissible ! Ce qui est encore plus inadmissible, c'est un autre courrier que j'avais demandé que vous me communiquiez, car il ressort - tenez-vous bien - que l'une des personnes qui a cosigné cette lettre, à savoir une représentante des syndicats du personnel, a été menacée de congé... Voilà comment M. Gygi - au demeurant, vous m'excuserez de le rappeler, membre éminent du parti socialiste - se comporte avec des employés qui ne font que leur devoir en représentant le personnel !

Monsieur Lamprecht, je vous demande formellement de réunir les signataires de cette lettre, pour voir comment l'échange de correspondance dont vous avez pris l'initiative - bonne initiative - va continuer, parce qu'on ne peut pas rester sur ce qui a été écrit par M. Gygi !

Deuxième chose: je demande formellement au Conseil d'Etat de mettre sur pied une délégation pour faire le siège à Berne. Il serait heureux du reste, Monsieur Lamprecht, que cette délégation - et on verra à ce moment-là qui se bat réellement pour le maintien des offices postaux - soit composée de la totalité de la députation genevoise aux Chambres fédérales.

Personnellement, je n'ai jamais attaché beaucoup d'importance au déjeuner organisé par le Conseil d'Etat avec les députés aux Chambres fédérales, car je ne partage pas...

Le président. Monsieur Grobet, vous devez conclure ! Il vous reste une minute !

M. Christian Grobet. ...je ne partage pas, Madame la présidente du Conseil d'Etat, les positions politiques du Conseil d'Etat, tout particulièrement en ce qui concerne ses réponses au Conseil fédéral. Mais on verra si ceux qui aiment bavarder à ce sujet sont également prêts à se déplacer à Berne pour défendre les intérêts de notre canton.

Je demande donc avec force au Conseil d'Etat qu'il passe aux actes et réunisse les personnes intéressées pour définir une stratégie de «combat» - je n'ai pas d'autre terme - contre les méthodes qui sont actuellement utilisées par le Conseil fédéral et le directeur général de la Poste.

M. John Dupraz (R). Je dois dire que je n'ai été qu'à moitié surpris par l'annonce faite par M. Gygi... J'ai eu l'occasion dernièrement de le rencontrer lors d'une séance de travail à Berne, où la Poste invitait les parlementaires fédéraux à une discussion sur l'évolution et la restructuration de l'entreprise. A cette occasion, je me suis permis de lui dire que si la loi sur la Poste avait été votée, c'était pour avoir un service public de qualité et certainement pas pour un programme de fermeture de huit cents bureaux de poste. Je lui ai aussi dit que nous nous sentions floués.

Je lui ai cité le cas du bureau de poste de ma commune et de celui de Laconnex, bureaux qui ont fait l'objet d'une proposition concrète de regroupement par le biais d'un cofinancement. Il m'a alors donné une explication évasive disant que la Poste avait des projets pour être plus performante et m'a demandé ensuite si son explication me satisfaisait. Je lui ai répondu par la négative et j'ai ajouté que les discussions avec lui tenaient plus du dialogue de sourds que d'un véritable échange...

Je trouve dramatique d'avoir à la tête d'une régie publique - pour moi, ça reste une régie publique qui doit offrir des services à la population - un homme qui appartient encore au parti socialiste et qui se conduit comme le dernier des Américains partisans du néolibéralisme économique !

Mesdames et Messieurs, il ne faut pas accepter qu'une grande régie publique, surtout après les investissements qui ont été effectués, comme l'a rappelé M. Grobet, il n'y a pas si longtemps à Genève - et certainement ailleurs, du reste - abandonne des sites de travail au nom de la rentabilité, de la performance de l'entreprise, au détriment de toutes considérations sociales, d'économie régionale et de proximité.

Cette attitude est profondément scandaleuse. Nous sommes plusieurs à être intervenus au Parlement à Berne pour demander d'assouplir le processus de libéralisation du service public. M. Gygi s'en moque éperdument - éperdument ! La mission, pour lui, est d'être performant et concurrentiel: le reste il «s'en fout» complètement.

Il est absolument inacceptable que de telles méthodes soient utilisées dans ce pays, surtout que nous sommes dans une période économique très déprimée - il n'y a qu'à voir comment se comportent les actions de certaines entreprises en bourse. De telles décisions ne sont pas favorables au pays: elle sont prises pour servir le dogme, au détriment du service public, de l'économie de proximité et de la disponibilité au service des habitants et des entreprises de ce pays !

Le Conseil d'Etat ne peut pas se contenter de faire de simples lettres: je suis d'accord de faire partie d'une délégation qui irait à Berne pour dire à M. Gygi que nous n'admettons plus ses méthodes, que le plus libéral des radicaux réprouverait !

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, il reste quatre intervenants... Si vous étiez passés par le biais des interpellations urgentes je pense que vous auriez déjà fini de vous exprimer ! Il n'en reste pas moins que je vous propose de clore la liste des intervenants.

Mise aux voix, cette proposition est adoptée.

Le président. Sont donc inscrits M. Spielmann, M. Schifferli, M. Hodgers et M. Iselin. Monsieur Spielmann, vous avez la parole.

M. Jean Spielmann (AdG). Il est clair qu'une décision comme celle qui est envisagée par la Poste a des conséquences importantes sur l'emploi, comme cela a largement été évoqué, mais aussi sur le développement économique et les conditions-cadres qui l'accompagnent.

Permettez-moi de donner quelques exemples de ce qui pourrait se passer si cette décision était appliquée. Dans l'échange de correspondance qu'il y a eu avec M. Lamprecht, des dates précises ont été données: on parle de 2006 pour la mise en place de la future stratégie de tri et de 2008 pour la fermeture des centres de tri actuels. Cela veut dire qu'une lettre envoyée par un citoyen genevois des Eaux-Vives aux Pâquis va transiter par Zurich, par Bâle ou par Berne, avant de revenir à Genève. Cela existe déjà: en raison de la politique européenne, notamment avec l'introduction des lois de Schengen, une lettre postée à Moillesulaz doit passer par Bâle ou par Lyon avant d'arriver à Annemasse. Eh bien, avec la modernisation des services postaux, cette lettre transitera d'abord par Zurich, puis elle repassera à Bâle ou à Lyon avant d'arriver à Annemasse, alors qu'il y a seulement quelques mois un camion du centre de tri de la poste de Genève allait portait le courrier à Annemasse et reprenait le courrier d'Annemasse à Genève pour le distribuer. Cela semble tellement simple et tellement évident d'offrir ce service à la population ! Maintenant, ce n'est plus possible.

Et tout cela au nom de quoi ? Au nom de la rentabilité ! M. Gygi a été clair dans sa lettre au Conseil d'Etat. Il dit: «La Poste suisse doit donc se préparer en conséquence à l'ouverture du marché et se montrer concurrentielle, orientée vers la clientèle, et rentable.» Pour ceux qui n'auraient pas tout compris, il poursuit un peu plus loin: «Compte tenu du mandat qui nous est assigné, nous estimons par conséquent qu'il est juste de placer les critères économiques au premier plan.»

Moi, je veux bien... Mais quelles en seront les conséquences pour les conditions-cadres de l'économie ? Quelles en sont les conséquences sur la loi qui a été votée aux Chambres fédérales ? Je rappelle quand même que la Poste n'a pas été privatisée entièrement: on a voulu maintenir son rôle de service public, notamment dans les régions périphériques; on a voulu qu'elle continue à être au service de l'ensemble de la population et de son économie. Certains estiment en effet que la prospérité de la Suisse vient aussi de la qualité des services publics mis en place, de l'acheminement de la correspondance et des paquets, de l'équilibre qui avait été trouvé entre les régions: même qualité de services, mêmes prestations au même prix. C'est dans la loi. Alors, au nom de quoi la direction de la Poste se permet-elle de tout centraliser à Berne et à Zurich et de pénaliser l'activité économique des autres cantons, notamment de Genève ?

C'est un point qui doit être mis en avant, Monsieur le conseiller d'Etat: il faut demander de respecter de la loi ! Il ne suffit pas de prendre des mesures d'accompagnement pour atténuer les conséquences sociales qui découlent de ce processus. Il faut le combattre et exiger que d'autres dispositions soient prises. Il faut savoir que des citoyens de ce canton sont étonnés et choqués.

M. Gygi est intervenu parce que d'autres camions jaunes sillonnent aujourd'hui notre pays... Eh oui ! La privatisation a des conséquences: les citoyens d'Onex, de Carouge ou de la Ville de Genève voient ainsi passer les camions concurrents de la Deutsche Post. Les employés chargés de la livraison des paquets ne connaissent pas les adresses, ne parlent pas le français et ont donc des difficultés à communiquer avec les gens... C'est cela la modernité ! Et M. Gygi dit que les seuls véhicules jaunes qui devraient avoir le droit de circuler sont ceux de la Poste... Comme s'il avait le monopole du jaune ! Mais au nom de quoi et au nom de qui va-t-on continuer ainsi dans l'absurdité ? Qui va payer le prix de ces transports ? Qui va payer le prix du démantèlement du service public ? Qui va payer le prix de la détérioration des conditions-cadres de l'économie et des conditions d'acheminement du courrier, dans une période où c'est si important et dans une région orientée tertiaire comme Genève ? C'est inacceptable ! C'est inadmissible ! On ne peut pas fermer le centre de Cornavin-Montbrillant - qui a coûté, cela a été dit, 300 millions de francs et qui est à la pointe de la technologie en matière de tri du courrier - pour envoyer le courrier à Zurich par camions, afin de le trier et de le rapporter à Genève !

Je le répète: c'est inacceptable et inadmissible ! On ne peut pas accepter une telle orientation: il est temps que des gens se lèvent et disent avec nous que cela suffit, qu'il faut maintenir le service public, offrir des conditions-cadres à l'économie et maintenir les activités périphériques. Sinon, c'est tout le pays qui va subir les conséquences de cette politique imbécile !

M. Pierre Schifferli (UDC). Manifestement, la décision qui a été prise par la direction de la Poste relève de la gestion d'entreprise. La question est de savoir s'il s'agit d'une bonne gestion et si elle est adaptée au but que doit poursuivre une entreprise qui relève également du service public.

Nous avons nous-mêmes été très étonnés de cette décision massive. Nous comprenons la réaction du Conseil d'Etat et nous le remercions de sa prise de position.

Il est difficile de juger la décision de la direction de la Poste sans connaître les critères qui ont conduit, de façon plus précise, à l'adoption de cette décision... Pourquoi Genève a-t-elle été abandonnée ? Etait-elle moins concurrentielle ? Quels sont les critères qui ont conduit à la décision de choisir trois centres, dont Fribourg pour la Suisse romande ? Dans quelle mesure les autorités genevoises n'auraient-elles pas pu influer sur l'adoption de ces critères ?

Nous partageons les réactions de nos collègues au sein de ce parlement et nous pensons qu'il y a lieu de ne pas se contenter du déjeuner offert par M. Gygi et le chef du département, qui sont effectivement socialistes. Si M. Leuenberger doit véritablement quitter sa place, sur l'injonction de certains de ses collègues de parti, il est certain qu'un représentant de l'UDC sera prêt à reprendre son poste... (Exclamations.)Nous comprendrions peut-être mieux les décisions prises et peut-être aussi que ces décisions pourraient être revues.

M. Antonio Hodgers (Ve). Comme la plupart des membres des autres partis, les Verts trouvent que les décisions prises par la direction de la Poste sont un scandale. C'est un scandale, mais c'est aussi une absurdité !

Une absurdité sociale tout d'abord, qui consiste à mettre un grand nombre d'employés à la rue - à la rue: je veux dire à la charge de l'Etat, parce qu'il semble que la Poste ne fasse plus vraiment partie de l'Etat et qu'elle se débarrasse de certaines charges qu'elle estime inutiles.

C'est aussi une absurdité environnementale: en effet, quand un Meyrinois postera une lettre pour un destinataire de Vernier, cette lettre devra transiter à Fribourg au préalable pour y être triée avant d'être rapatriée dans notre canton, ce qui génère transport et pollution.

Si ces décisions nous paraissent illogiques, elles répondent en fait - et vous le savez - à une logique bien simple: celle de la rentabilité maximale. Et cette recherche de rentabilité, qui a été voulue dans la vague des privatisations votées par la majorité parlementaire à Berne au cours de la dernière décennie, nous conduit à la situation actuelle, qui n'est finalement qu'une conséquence logique de ce qui a été décidé.

M. Dupraz a dit que cette décision n'était pas prise dans l'intérêt du pays... J'ai aussi entendu dire que la Poste n'était plus au service de la population... Je suis surpris que certains en soient étonnés: les entreprises privées ne cherchent pas l'intérêt du pays ni l'intérêt de la population, elles ne poursuivent que leur propre intérêt !

Dans cette optique, nous, les Verts, continuerons à combattre les privatisations abusives des services publics.

M. Robert Iselin (UDC). Celui qui vous parle a un pied outre-Sarine et un pied ici à Genève, qu'il considère vraiment comme sa deuxième patrie. En tant que tel, il a été choqué par la décision que nous avons apprise aujourd'hui par l'organe de M. Lamprecht.

Je pense - je ne veux pas revenir sur les trente-six arguments qui ont déjà été avancés et qui ont certainement de la valeur - qu'il est urgent - urgent - que le gouvernement genevois choisisse un représentant à Berne qui comprenne la mentalité - je veux bien admettre qu'elle est un peu bizarre - de mes concitoyens de mon lieu de naissance. Je reconnais qu'ils ont une mentalité différente de la nôtre, mais quelqu'un qui la connaît bien peut les manier très facilement. Je n'ai aucun mérite en la matière, mais je me permets de rappeler un incident qui s'est produit quelques semaines après que j'eus débarqué, un peu étonné, dans ce Grand Conseil. Lorsque nous avons eu un problème avec Berne à la commission sociale, j'ai - sans vouloir me vanter, je n'en ai pas besoin - dit que je téléphonerai au monsieur en question - en l'occurrence, il s'agissait de M. Otto Piller - et que j'arrangerai la situation en cinq minutes... En fait, il m'a fallu tout juste trente secondes pour résoudre le problème !

Alors, que le gouvernement genevois trouve un bon représentant, quelqu'un qui parle les deux langues et qui comprenne la mentalité des Suisses-Allemands !

Le président. Mesdames et Messieurs, ce débat est clos. Nous avons appris au cours de ce débat qu'une lettre avait été signée par l'ensemble des chefs de groupe. Je serais très heureux que le gouvernement nous en fasse parvenir une copie, puisqu'il a omis de la présenter au Bureau du Grand Conseil - ce qui n'est pas bien grave par ailleurs.