République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1456
Proposition de motion de Mmes et MM. Bernard Lescaze, Mireille Gossauer-Zurcher, Jean-Michel Gros, Michel Halpérin, Christian Luscher, Thierry Apothéloz, Maria Roth-Bernasconi, Christian Grobet, Pascal Pétroz, Pierre-Louis Portier, Pierre Froidevaux, Anita Frei, Ariane Wisard, Gilbert Catelain contre la violence domestique

Débat

Mme Ariane Wisard (Ve). La commission judiciaire a abordé le PL 8633 relatif à la violence conjugale et y a consacré quatre séances très enrichissantes. Les commissaires ont pu ainsi entrevoir l'ampleur du problème de la maltraitance dans le couple, un phénomène qui affecte 20% des femmes dans notre pays. En effet, une femme sur cinq subit des violences physiques et/ou sexuelles. La commission a auditionné les principaux services et associations concernés. Tous avaient collaboré au sein d'un groupe de travail intitulé «Prévention et maîtrise de la violence conjugale», mandaté par le Conseil d'Etat entre 1995 et 1997. En 1997, à l'unanimité du groupe, on avait adopté un catalogue de recommandations permettant de lutter contre la violence conjugale, largement repris par le PL 8633. Tous sont venus devant la commission nous affirmer à quel point la situation était préoccupante, voire alarmante : les associations manquent de moyens et ne peuvent pas prendre en compte la totalité des cas qui leur parviennent; la police a dit être souvent débordée et nous a avoué se sentir isolée face à ces délits, et décontenancée par l'attitude versatile des victimes par rapport à leur agresseur. La représentante du pouvoir judiciaire nous a décrit un tableau inquiétant quant aux suites judiciaires possibles données aux femmes violentées, car la simple allégation de violence ne suffit pas, et les traces de coups sont souvent liées ou imputées à d'autres causes par l'agresseur présumé. Elle se dit également tout spécialement préoccupée par les femmes en situation illégale ou précaire, qui n'osent pas porter plainte. Tous ces professionnels nous ont affirmé soutenir ce projet de loi et approuver la mise en réseau des différents acteurs concernés, afin d'apporter des réponses cohérentes aux victimes. Ce protocole de coordination est déjà appliqué dans plusieurs cantons.

Malgré tous ces constats, ce projet de loi n'a pas réussi à réunir une majorité de la commission. Le fait qu'il s'adresse principalement aux femmes victimes n'a pas plu. Il convient de relever qu'à chaque séance certains se sentaient obligés de rappeler que les hommes peuvent également être battus; ce qui est vrai: 5 à 10% des violences concernent les hommes. Il n'en demeure pas moins que 90 à 95% des victimes sont des femmes. Certains commissaires ont préféré le terme de violence domestique à celui de violence conjugale, pourtant usité par la plupart des professionnels. Mais ce terme de violence domestique a séduit certains, car il permettait d'englober les femmes, les hommes, les enfants, les personnes du troisième âge vivant au sein de la famille.

Finalement, il a été décidé à l'unanimité de proposer la motion adressée au Conseil d'Etat que l'on vous soumet ce soir, et ce texte a été élaboré dans un esprit constructif. Nous sommes sûrs que Mme Spoerri accordera à cette motion toute l'attention qu'elle mérite et nous attendons qu'elle apporte des réponses concrètes et rapides, au vu de l'énergie déjà dépensée par le groupe de travail et par les intervenants sur le terrain et, surtout, au vu de l'ampleur du problème que la motion aborde.

Les Verts sont convaincus que la violence conjugale ne doit plus rester dans la sphère privée, mais doit entrer de plain-pied dans la sphère publique. Les victimes doivent être reconnues comme telles par la société, à commencer par nous, les politiques. A ce titre, la violence conjugale doit être considérée comme un problème de santé publique et les Verts vous proposent donc de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)

Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Le parti démocrate-chrétien ne peut que s'associer à ce qui a été dit précédemment. Il est évident que, lorsqu'on affirme vouloir élargir la notion de violence domestique, ce n'est pas pour mésestimer ou sous-estimer la violence faite aux femmes, mais c'est pour pouvoir l'englober dans une politique de lutte contre la violence plus générale, dont tout le monde peut être bénéficiaire. En effet, l'on sait bien que, lorsqu'il y a violence, les enfants en subissent très vite les conséquences, et c'est pour enrayer cette spirale qu'il est important que la motion soit un peu élargie. Nous ne pouvons que vous recommander de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat et nous sommes persuadés que le Conseil d'Etat saura faire au mieux pour que ce tabou, ce fléau continue à être combattu.

Mme Loly Bolay (S). Le groupe socialiste s'associe bien évidemment à ce qui a été dit par nos camarades du groupe des Verts et du PDC. Mesdames et Messieurs les députés, la violence est aujourd'hui un véritable problème de société. L'OMS a déclaré que la violence contre les femmes était un réel problème de santé publique. On assiste aujourd'hui à une prise de conscience de plus en plus fine des injustices et des inégalités qui affectent certains groupes, comme les femmes, les enfants ou les personnes âgées.

Il existe plusieurs formes de violence: la violence verbale, la violence physique, la violence sexuelle et la violence économique. La violence faite aux femmes est la plus courante, mais elle n'est que la pointe de l'iceberg des inégalités qui, aujourd'hui encore, frappent les femmes dans de nombreux pays. Certains pays, et non des moindres, connaissent de véritables drames, notamment l'Espagne, un pays que je connais bien. Dans certaines cultures, battre une femme n'est pas un délit: la femme est considérée comme inférieure à l'homme, comme un objet, voire une marchandise. Certaines femmes ont payé de leur vie leur choix de se battre, de se rebeller contre cette ignoble injustice.

Mesdames et Messieurs les députés, la violence est un problème de société et demande une solution de société. En 1995, à Pékin, la Suisse s'est engagée dans un plan d'action pour lutter contre la violence faite aux femmes. Dans les faits, ces bonnes intentions sont restées lettre morte. C'est pourquoi je vous demande de voter pour cette motion, qui va dans le bon sens et demande au Conseil d'Etat de prendre toutes les mesures pour véritablement s'attaquer à ce fléau.

M. Jean-Michel Gros (L). La commission judiciaire a été tout à fait consciente de la gravité du problème soulevé par les auteurs du projet de loi. Les auditions nous ont davantage encore montré tout ce que certains d'entre nous pouvaient ignorer, car il s'agit d'un sujet qui reste très souvent caché, il est vrai, puisque se passant dans la sphère privée. La commission a cependant considéré, comme Mme Wisard l'a dit, que le projet 8633 ne répondait pas vraiment au problème posé, qu'il avait surtout un caractère déclamatoire et n'envisageait pas tous les cas de violence domestique. Je vous demande de croire - Madame Wisard en particulier, mais vous le savez, puisque vous avez conclu ainsi votre intervention - que cette motion n'est pas faite pour esquiver le débat, mais bien pour demander au Conseil d'Etat une étude plus approfondie et surtout, bien sûr, des solutions. Faut-il, par exemple, poursuivre d'office le délit de lésions corporelles simples ? Faut-il, par exemple, inverser la procédure actuelle, qui consiste souvent à retirer la victime de son domicile pour la placer dans un foyer ? Ne vaudrait-il pas mieux éloigner l'agresseur du domicile et lui trouver des structures adaptées pour le soigner ou, en tout cas, pour l'empêcher de nuire davantage ? Nous avons la chance ou plutôt l'avantage d'avoir de nouveaux conseillers d'Etat aux départements concernés, à savoir la justice et police et la santé publique. Je crois que cette motion leur donnera l'occasion de définir la politique qu'ils entendent mener concernant ce problème douloureux. Cette motion, le groupe libéral la soutiendra et vous demande de l'envoyer au Conseil d'Etat, en espérant aussi que, très rapidement, des solutions soient proposées.

M. Thierry Apothéloz (S). Le sujet est suffisamment important pour que les arguments qui ont été évoqués par les différents préopinants soient relevés. En effet, le groupe socialiste appuiera la demande de renvoi au Conseil d'Etat, avec un souhait particulier, celui que ce dernier réponde bien évidemment aux invites de la motion, mais sans oublier que la commission ad hoc formée en son temps au sein du département de justice et police avait émis un certain nombre de recommandations. Force est de constater à ce jour qu'elles n'ont pas été suivies. Nous pouvons donc encourager la cheffe du département à tout mettre en oeuvre pour que ces recommandations puissent être mises en place rapidement.

Par ailleurs, et M. Gros l'a relevé, il est urgent d'évoquer la possibilité de créer une structure pour les hommes qui rencontrent un certain nombre de difficultés avec la violence. En effet, il n'est plus tolérable, il n'est plus tolérable, Mesdames et Messieurs les députés, que des familles, que des femmes et leurs enfants soient obligés de quitter leur foyer, leur appartement, pour entrer dans un autre foyer, qu'il s'agisse d'un foyer d'accueil d'urgence ou d'un lieu de vie à plus long terme. Ceci déracine les enfants, les coupe de leurs structures sociales, culturelles et sportives. Aussi, je souhaiterais effectivement profiter de la présence de la présidente du département pour l'inviter également à la réflexion sur ce point-là.

Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je suis extrêmement touchée, permettez-moi de vous le dire, par l'unanimité qui règne dans ce parlement et je tiens à m'y associer. Plus consciente de la complexité du problème en tant que conseillère d'Etat, même si je ne le suis que depuis récemment, je suis totalement déterminée à tout mettre en oeuvre pour que non seulement ce qui est demandé dans la motion, mais évidemment ce qui était visé par le projet de loi 8633, puisse être, si j'ose dire, satisfait.

En l'occurrence, lorsque vous m'avez auditionnée, Mesdames et Messieurs les députés, à la commission judiciaire, je vous ai fait part de mes réticences par rapport au projet de loi 8633. Non que son objectif ne me paraisse pas opportun et largement important, mais comme je suis arrivée au département précisément en 2002 et que je n'ai pas eu à disposition un bilan actualisé de ce groupe de travail - groupe qui, d'ailleurs, a fait un excellent travail, mais en 1997 ! - je n'aurais pas trouvé très sérieux de ma part de considérer que l'hypothèse de travail, si bonne soit-elle, ait été vraiment avalisée. A ce titre-là, j'ai dit aux commissaires de cette commission que, d'abord, le problème s'était largement aggravé entre-temps. Vous me direz que ce n'est pas une raison pour attendre plus longtemps. Je considère la motion comme contraignante. Je préfère attendre un peu plus longtemps, mais être sûre de détenir tous les éléments et, par conséquent, de mettre en oeuvre des actions qui soient suffisamment bien adaptées, suffisamment bien coordonnées. Je vous rappelle en effet qu'entre 1997 et 2002 la complexité des statuts familiaux est devenue tellement grande que nous ne pouvons plus partir des hypothèses de départ qui avaient été établies. Donc, si nous voulons - et je le veux comme vous - être efficaces en la matière, nous devons absolument être conscients que le partenariat qui devra travailler sur ce sujet, les moyens qui devront être engagés, devront vraiment être faits, je dirais presque sur mesure de cas en cas, faute de quoi, Mesdames et Messieurs, nous aurons tous eu de belles intentions, mais nous aurons eu peu de résultats. Or, comme vous, je ne participe pas de cette politique qui consiste à parler et ne rien faire. Je vous remercie donc infiniment ce soir de me renvoyer cette motion et je vous dis à mon tour que, avec le concours du Conseil d'Etat et, notamment, du département de la santé, je m'engage à ce que cette motion soit suivie d'effets et rejoigne à son tour l'objectif du projet de loi 8633.

Mise aux voix, la motion 1456 est adoptée.