République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 10499-A
Rapport de la commission d'aménagement du canton chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Geneviève Guinand Maitre, Laurence Fehlmann Rielle, Françoise Schenk-Gottret, Alain Etienne, Alain Charbonnier, Anne Emery-Torracinta, Alberto Velasco relative aux espaces publics
Rapport de majorité de Mme Beatriz de Candolle (L)
Rapport de minorité de Mme Geneviève Guinand Maitre (S)

Premier débat

Le président. Nous sommes au point 28 de notre ordre du jour. La rapporteure de minorité, Mme Geneviève Guinand Maitre, sera remplacée par la cheffe de groupe socialiste. Je donne la parole à Mme la rapporteure de majorité Beatriz de Candolle.

Mme Beatriz de Candolle (L), rapporteuse de majorité. Contrairement à ce que prétendent les auteurs de ce projet de loi, et fort heureusement, il n'y a pas de lacune majeure en matière d'aménagement d'espaces publics dans les communes, puisqu'il s'agit là de l'une de leurs prérogatives principales, et la très large majorité des instances communales y attachent une importance particulière. Il est vrai que l'on peut toujours faire mieux. Mais, en l'occurrence, force est de constater que, à quelques rares exceptions, les efforts consentis par les communes pour répondre aux attentes et aux besoins de leurs habitants sont à bien des égards exemplaires. Tant les aménagements pour les personnes âgées, les enfants et les personnes souffrant d'un handicap, qu'un éclairage adéquat et une utilisation de matériaux respectueux de l'environnement font partie des éléments déterminants lorsqu'une commune initie l'aménagement d'un espace public sur son territoire.

Dès lors, s'agissant de leur appréciation générale et des constats relevés, nous pouvons dire que, au pis, les auteurs... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...du projet de loi font preuve d'une méconnaissance générale de la réalité et que, au mieux, ils enfoncent des portes ouvertes. De plus, les moyens proposés par les auteurs de ce projet de loi pour régler ce qui est à leurs yeux une vraie problématique engendrerait en réalité davantage de problèmes qu'ils n'en résoudraient.

En premier lieu, on veut soviétiser un domaine qui, au contraire, doit non seulement rester un espace de liberté pour les habitants d'une commune, mais aussi une compétence essentielle des communes genevoises. On veut ainsi centraliser le traitement d'une thématique problématique alors que l'on devrait encourager et renforcer... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...sa décentralisation, principe de subsidiarité. Et on veut uniformiser l'aménagement des espaces publics, brimant par conséquent la créativité qui s'exprime dans les communes, au risque de restreindre l'expression artistique des paysagistes urbains à quelques règles et directives dictées par un service cantonal.

En deuxième lieu, on enlève une partie d'originalité et d'exclusivité de certaines communes dans l'aménagement de leurs espaces publics, alors que cela fait partie de leur identité propre. On ajoute une couche supplémentaire au millefeuille administratif de notre canton, alors que le Conseil d'Etat a clairement indiqué sa volonté de simplifier la vie des gens, l'organisation de son administration, et ainsi la relation entre Etat, communes et citoyens. Ce projet de loi crée donc une nouvelle usine à gaz pour l'aménagement du territoire: mise en place de groupes de concertation, multiplicité de préavis et avis d'experts en tout genre, etc. On parle de partenariat, mais est-ce réellement pertinent lorsque l'un des partenaires, l'Etat, aurait préalablement fixé des règles et des directives en matière d'aménagement de l'espace public ? En principe, qui paie commande. Or ce projet de loi prévoit que les communes passent à la caisse en perdant par la même occasion leur pouvoir décisionnel. On veut allouer des ressources financières à un nouveau champ pour l'Etat alors qu'il y a d'autres besoins urgents dans notre canton et que la crise économique est loin d'être terminée. On retire aux communes une autre de leurs prérogatives, au motif douteux qu'il faut une harmonisation de l'aménagement des espaces publics sur le canton car les dispositions légales existantes sur le plan cantonal sont suffisantes.

Enfin, l'exposé des motifs stipule que l'une des questions importantes est la répartition des compétences entre l'Etat et les communes. La majorité des espaces publics relèvent des communes...

Le président. Il vous reste trente secondes, Madame la députée.

Mme Beatriz de Candolle. ...et leur aménagement constitue l'une de leurs prérogatives. L'aménagement des espaces publics doit se faire selon ces besoins, les besoins et les attentes des habitants d'une commune. Dès lors, il est plus pertinent que cette compétence incombe aux autorités communales, plutôt qu'à un service de l'Etat qui coordonnerait le tout. Raison pour laquelle je vous encourage à refuser ce projet de loi.

Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse de minorité ad interim. Ce projet de loi des socialistes considère l'espace public - parcs, rues, trottoirs - comme fondamental d'un ensemble construit. Nous désirons répondre par cette loi à l'envie de plus en plus de personnes, résidant dans une ville ou un canton-ville comme Genève, de travailler sur l'espace et sur l'environnement de leur lieu de vie proche. En effet, Mesdames et Messieurs, pas tous les Genevois peuvent prétendre avoir une résidence secondaire à la campagne ou un jardin privatif dans une villa ou un lotissement. (Remarque.) La densification des lieux de vie à Genève est réelle et, de ce fait, les espaces publics ne peuvent plus se résumer actuellement en routes ou en trottoirs. Les habitants des centres urbains veulent que leur ville, leurs rues, soient avant tout un lieu de vie: un lieu qui fasse envie. Preuve en sont les résultats de l'initiative de la mobilité douce et de l'initiative des deux cents rues fermées à Genève, au centre-ville. Ici, les socialistes veulent donner des compétences au canton pour permettre un développement harmonieux des espaces publics dans le canton, en collaboration et en coordination avec les communes. Et non pas, comme l'indique le rapport de majorité, en éliminant l'avis des communes.

Pensons à deux exemples opposés. L'aménagement du quartier de la Tambourine, qui a bien eu lieu dans une commune, et l'aménagement de la commune elle-même, Carouge, sont deux choses complètement différentes en termes de qualité de vie. Pensons aussi à la rue de Lyon, où le trafic est dense et ininterrompu, ou à la rue de Lausanne, qui, grâce à un nouvel aménagement concerté et au tram, est redevenue une rue de quartier.

C'est certainement en opposition à ce mouvement important des habitants des zones urbaines que les partis de droite ont refusé ce projet de loi. Il faut dire que ce projet de loi, en tant que tel, a subi le même sort que beaucoup d'autres lois importantes proposées par les socialistes. Les travaux ont eu lieu en commission en septembre 2009; le rapport est sorti en février 2012. Mais plus grave encore - et c'est ce que je voudrais relever ici en termes de processus démocratique - la proposition de ce projet de loi socialiste, pour le moins importante dans un contexte urbain dense, a été balayée en un quart d'heure en commission, sans audition aucune, par une majorité. Je vous recommande de lire les remarques figurant dans le rapport de majorité, qui montrent bien l'ambiance: aucune ouverture d'esprit, aucune envie de connaître la réalité - à part la réalité vécue par chacun des commissaires en commission, peut-être, mais pas une réalité globale.

Ce projet de loi considère l'espace public comme un bien de la collectivité et un espace primordial pour lequel il est important de donner du sens, de la beauté, une âme, par un aménagement adapté et réfléchi. C'est ainsi que l'espace, non seulement entre les immeubles mais aussi sur les places de villages et de quartiers, créera une vie et des lieux sociaux; il proposera une protection et une sécurité, par des espaces adaptés, réalistes, qui permettent aux gens de se rencontrer. Cela contribuera à une attractivité des quartiers et du lieu de vie que peuvent représenter ces derniers, et non pas...

Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée.

Mme Lydia Schneider Hausser. ...et non pas, comme dans certains endroits du canton, particulièrement en zone urbaine, uniquement à développer des voies de transport.

C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous demandons, vu le traitement qui a été réservé à ce projet de loi, de le renvoyer à la commission d'aménagement du canton, afin que de réels travaux puissent se faire et qu'un réel rapport sur des auditions puisse être présenté à notre Grand Conseil.

Le président. Merci, Madame le rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission. Chaque rapporteur peut s'exprimer, de même que le Conseil d'Etat. Ensuite, nous passerons au vote sur le renvoi demandé par Mme le rapporteur de minorité. Madame le rapporteur de majorité, souhaitez-vous prendre la parole ?

Mme Beatriz de Candolle (L), rapporteuse de majorité. Monsieur le président, cela devient maintenant une habitude dans ce parlement: une fois qu'un objet a été traité dans une commission, on le renvoie de nouveau dans la même commission. Donc je demande aux députés de ne pas accepter la proposition de la rapporteure de minorité.

Le président. Je vous remercie. Madame la rapporteure de minorité, il me semble que vous venez de vous exprimer suffisamment clairement. Souhaitez-vous prendre encore une fois la parole ?

Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse de minorité ad interim. J'aimerais reprendre la parole.

Le président. Volontiers.

Mme Lydia Schneider Hausser. Je serai assez brève. Il y a eu une majorité pour refuser l'entrée en matière. Mais il y a quand même eu un élément important entre le moment où ce projet de loi a été traité en commission et aujourd'hui: une majorité du peuple genevois a voté pour la mobilité douce, vraiment dans l'esprit que la ville doit être rendue aux habitants. Je crois que l'on ne peut pas considérer cela juste comme des peanuts et ne rien en faire. C'est pour cela que j'aimerais - et nous vous le demandons vraiment - que ce projet de loi puisse recevoir un traitement digne, c'est-à-dire au moins quelques auditions de personnes ou de mouvements qui souhaiteraient être entendus.

Le président. Merci, Madame la députée. Je donne la parole à Mme la conseillère d'Etat Isabel Rochat, sur le renvoi... (Remarque.) Je vous prie de m'excuser, Madame la conseillère d'Etat ! La parole est ainsi à Mme Michèle Künzler.

Mme Michèle Künzler, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. (L'oratrice regagne sa place habituelle.) Certains événements ont fait que l'on a un peu changé de place.

Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat pense qu'il serait judicieux de renvoyer en commission ce projet de loi. Non pas qu'il soit parfait, et je crois que, au fond, les deux rapporteures sont d'accord sur un point: c'est l'importance que doit revêtir l'espace public. Nous pensons qu'il est essentiel que les communes s'en chargent, mais ce sont parfois des espaces publics qui sont d'importance cantonale et mériteraient un traitement bien plus considérable, notamment un traitement avec concours, avec un appui beaucoup plus conséquent. A la place de Bel-Air, par exemple, le résultat est insatisfaisant; on l'a vu, il n'est pas pratique, il n'est pas esthétique et il ne convient pas à la majorité de la population. Donc le Conseil d'Etat a déjà pris en charge un groupe de travail. Nous avons eu une réunion la semaine dernière, de sorte à améliorer cet espace public et faire le bilan afin de comprendre comment cela s'est passé. Entre plusieurs départements d'une commune et plusieurs départements de l'Etat, on arrive à une sorte de course relais et personne ne suit la globalité du projet.

Actuellement, nous avons besoin de retrouver un sens, de trouver un point de vue beaucoup plus global sur les espaces publics et, surtout, une autre manière de travailler pour arriver à quelque chose qui convienne à toute la population; c'est en tout cas ce que nous vous présenterons en commission. C'est pour cela que nous appuyons ce renvoi en commission. Je crois que tout le monde pourra exprimer ses opinions, montrer l'importance de ces espaces et arriver à une solution que nous espérons meilleure que celle que nous vivons actuellement.

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Je mets aux voix le renvoi de ce projet de loi à la commission d'aménagement du canton.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 10499 à la commission d'aménagement du canton est adopté par 56 oui contre 28 non.