République et canton de Genève

Grand Conseil

R 634
Proposition de résolution de Mmes et MM. Patrick Saudan, Pierre Weiss, Gabriel Barrillier, Serge Hiltpold, Pierre Conne, Daniel Zaugg, Michel Ducret, Olivier Jornot, François Haldemann, Claude Aubert, Frédéric Hohl, Fabienne Gautier, Jacques Jeannerat, Antoine Barde, Charles Selleger, Nathalie Schneuwly pour soutenir des réseaux de soins intégrés qui maintiennent une activité médicale de qualité au service de la population genevoise et suisse

Débat

Le président. Je donne la parole... (Remarque.) Il faut demander la parole, Monsieur le député ! Voilà. La parole est donc à l'un des auteurs de la résolution, M. le député Patrick Saudan.

M. Patrick Saudan (R). Je suis désolé, cette résolution sera peut-être un peu moins divertissante pour notre parlement... Comme vous le savez tous, les Chambres fédérales s'apprêtent, en juin, à apporter la touche finale à la révision de la LAMal, qui va consacrer le principe des réseaux de soins intégrés comme étant le maillon essentiel de notre système de soins.

Alors, en deux mots, en quoi consistent ces réseaux de soins intégrés ? Le principe le plus important est qu'il y aura un recours prioritaire à un seul interlocuteur - qui sera le médecin de premier recours - et une collaboration plus ou moins contraignante entre les membres du réseau de soins intégrés. En outre, les patients seront incités financièrement à y adhérer.

Ces réseaux de soins intégrés, Mesdames et Messieurs les députés, ont entraîné une vive résistance du corps médical, en particulier à Genève et à Bâle, deux cantons limitrophes. Pour votre information, sachez que 88% des médecins de l'AMG étaient prêts à lancer un référendum contre cette révision de la LAMal. Quelles sont leurs craintes ? Que les patients chroniques soient pénalisés; qu'il y ait une limitation de leur liberté thérapeutique; qu'il y ait une mise en concurrence de ces réseaux de soins, avec une discrimination pour ceux qui auraient trop de malades chroniques; que ces réseaux de soins intégrés entraînent une surcharge administrative.

Ces craintes sont probablement exagérées, mais certaines paraissent légitimes aux yeux des signataires de cette résolution, les groupes radical et libéral. A ce propos, je tiens à préciser que le premier signataire de cette résolution, votre serviteur, est un médecin cadre hospitalier, qui n'est touché en rien, ni financièrement ni professionnellement, par la problématique des réseaux de soins intégrés.

Que veulent nos deux groupes ? Le maintien d'une médecine de qualité en Suisse, et particulièrement à Genève. Ils ont donc essayé, dans cette résolution, de répondre aux inquiétudes du corps médical genevois, en sachant que c'est le Conseil fédéral qui va édicter les exigences de qualité déterminant le succès et le devenir de ces modèles de soins.

Quelles sont les invites de cette résolution ? Premièrement, les réseaux de soins intégrés doivent avoir une taille critique importante et regrouper vraiment tous les partenaires de soins, tant ambulatoires qu'hospitaliers. Deuxièmement, le choix pour les patients de participer à ces réseaux de soins intégrés ne doit pas être faussé par de trop grandes incitations financières qui seraient sans commune mesure avec la diminution réelle des coûts obtenue par ce système. Troisièmement, et c'est fondamental, les critères de qualité qui vont être édictés par le Conseil fédéral doivent prendre en compte les éléments suivants: les prestataires de santé, les médecins qui vont participer à ces réseaux de soins intégrés doivent avoir une formation postgraduée équivalente à notre formation FMH en qualité et en durée. Actuellement, pour s'installer, avec les bilatérales, il suffit d'avoir trois ans de formation postgraduée...

Le président. Monsieur le député, il vous faut conclure !

M. Patrick Saudan. ...en Europe, pour obtenir un diplôme FMH. Par ailleurs, les réseaux de soins intégrés ne doivent pas entraîner une surcharge administrative, et, enfin, les critères de qualité et leur taille minimale, édictés par le Conseil fédéral, découleront d'une concertation avec les autorités cantonales et sanitaires.

Dernière invite - et je finirai par là, Monsieur le président, si vous m'octroyez encore vingt secondes - les caisses maladie doivent être dans l'obligation de contracter avec tous les réseaux de soins intégrés qui remplissent les critères de qualité édictés par le Conseil fédéral.

Nous savons que ces réseaux de soins intégrés vont être une réalité dans l'avenir: ils ne peuvent pas s'édifier sans la collaboration des acteurs de santé, et c'est pour cela que nous vous demandons - et aussi pour des questions de calendrier, car nous allons traiter ce sujet en juin - d'adopter cette résolution et de la renvoyer à nos instances fédérales.

Mme Christine Serdaly Morgan (S). Cette résolution ouvre le chapitre suivant de la révision de la LAMal, et le groupe socialiste espère que l'attention qui sera consacrée à cette importante question des réseaux de soins sera meilleure que celle portée jusque-là à la résolution qui suit, concernant le financement des soins de longue durée.

La question étant complexe et les invites touchant à divers aspects - formation, partenaires impliqués, financement - le groupe socialiste demande que la résolution soit renvoyée à la commission de la santé.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes saisis d'une demande de renvoi à la commission de la santé.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 634 à la commission de la santé est rejeté par 36 non contre 29 oui.

M. Bertrand Buchs (PDC). Les réseaux de soins intégrés, c'est un peu l'oreiller de paresse de M. Burkhalter ou l'oeuf de Colomb au niveau de la santé... Il semble que cela va régler absolument tous les problèmes des coûts de la santé en Suisse, mais cela ne sera certainement pas le cas !

J'aimerais juste signaler que les réseaux de soins existent depuis longtemps et que le canton de Genève était précurseur en la matière, puisque deux réseaux ont été créés avant même l'entrée en vigueur de la LAMal, en 1996. En outre, ces réseaux de soins n'ont jamais intéressé les caisses maladie, et l'on n'a jamais pu faire un travail efficace avec eux.

La résolution proposée aujourd'hui est intéressante sur un point, car elle rappelle certains éléments qui doivent être respectés au niveau des Chambres fédérales: un réseau de soins de qualité, mais, aussi, un réseau de soins qui soit accepté par toutes les caisses maladie. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Je rappelle à ce propos que le groupe démocrate-chrétien a déposé un amendement, il y a une année, devant les Chambres fédérales, pour demander que les caisses maladie remboursent tous les réseaux de soins qui seraient créés dans un canton, dans une région. Eh bien, cet amendement a été refusé à une très forte majorité par les Chambres fédérales !

Les discussions qui ont lieu actuellement, au niveau de la Confédération et au niveau des réseaux de soins, ne sont pas satisfaisantes pour les médecins. C'est la raison pour laquelle, à Genève et à Bâle, il est probable, si la loi est votée telle qu'elle est et si la voix genevoise n'est pas écoutée, qu'un référendum sera lancé; les médecins se mobiliseront pour obtenir les signatures nécessaires.

Ce n'est pas que nous voulons une augmentation des coûts de la médecine, nous voulons simplement éviter que les réseaux de soins soient pilotés par les caisses maladie, que celles-ci les dirigent, et que l'on se retrouve avec une nette diminution de la qualité des soins, ce qui sera sûrement le cas si les demandes contenues dans l'invite de la résolution de M. Saudan ne sont pas respectées.

Mme Esther Hartmann (Ve). Je suis consternée que cette résolution ne soit pas passée en commission de la santé, parce que nous la trouvions - nous, les Verts - intéressante. Intéressante, car les réformes envisagées au niveau fédéral vont effectivement impliquer une adaptation des réseaux de soins dans le canton.

Toutefois, nous émettons une importante réserve concernant quelques invites et nous éprouvons de la frustration en voyant que seuls certains professionnels de la santé sont mentionnés dans cette résolution. Or, il y a des infirmières qui travaillent dans des groupements médicaux, de même que des psychologues et des ergothérapeutes, qui mériteraient, eux aussi, d'être pris en considération lors de l'examen du fonctionnement des réseaux de santé, examen devant être plus adéquat qu'il ne l'est actuellement au niveau fédéral.

C'est pourquoi, en l'état, nous ne pouvons, étant donné son contenu et telle qu'elle est rédigée, soutenir cette résolution en vue de son renvoi direct au Conseil fédéral, et nous en sommes désolés.

M. Claude Aubert (L). Lorsque des enseignants expliquent qu'il faut prendre en considération la qualité de l'enseignement, tout le monde parle du lobby des enseignants; et lorsque des médecins expliquent qu'il faut protéger la qualité des soins, évidemment, tout le monde parle du lobby des médecins... Par conséquent, à mon avis, il faut regarder ce problème sous un angle relativement simple, celui de la protection du consommateur. Pourquoi ? Parce que toute personne qui se rend en consultation, d'une certaine manière, consomme des soins, et elle a le droit de savoir qui la soigne et quelle est sa formation. Aussi, lorsque ces réseaux de soins seront mis sur pied, il sera absolument indispensable que l'on puisse indiquer qui fait quoi, et avec quelle formation.

Je rappelle, d'un point de vue tout à fait factuel, qu'en Suisse un médecin peut s'installer après deux ans de formation postgraduée - deux ans ! - c'est l'OAMal qui le précise. Toutefois, très peu de médecins ont le culot, je dis bien «le culot», de s'installer après deux ans de formation postgraduée. Etudier la médecine est une chose, pratiquer des soins en est une autre; et la plupart des médecins, avant d'avoir un titre de spécialiste, suivent une formation postgraduée durant au minimum cinq ans.

Les conditions européennes sont telles que les «Eurodocs» peuvent s'installer après trois ans de formation - trois ans ! En Suisse, nous nous retrouverons avec, en quelque sorte, sur le marché - si vous me permettez cette expression - des médecins qui auront suivi deux ans de formation; d'autres, trois ans; et d'autres encore, cinq ans. Le risque étant, bien évidemment, que les réseaux de soins puissent recruter des médecins dont la formation ne sera pas forcément la meilleure. Je vous rappelle, à cet égard, tous les problèmes que nous avons connus avec les permanences, il y a dix, quinze ou vingt ans !

Par conséquent, du point de vue de la protection du consommateur, on sort du problème du lobby ou on prend le lobby du consommateur, et cela me semble être le seul moyen d'avoir une vision pas trop biaisée.

Dernier point. Je lance un appel qui n'a rien à voir, mais je saisis cette occasion: nous sommes dans l'Année internationale des forêts, c'est pourquoi je renonce consciemment à demander l'appel nominal. Que toutes celles et ceux qui passent leur temps à évoquer la forêt, la biodiversité, etc., en fassent autant ! Car il faut savoir qu'à chaque fois qu'un vote se fait à l'appel nominal, cela représente des tonnes et des tonnes de sapins et de grumes pour fabriquer le Mémorial ! (Exclamations.) Alors j'aimerais bien, pendant cette année, que nous renoncions à lancer: «Appel nominal !», de la même manière que, quand on était jeunes, on menaçait: «Na na na, on le dira à la maîtresse !» Merci. (Exclamations.)

Une voix. Sacré Aubert !

M. Mauro Poggia (MCG). C'est vrai que la première réaction, en lisant cette proposition de résolution, est de se demander ce que l'on essaie de nous faire avaler, car elle a l'air corporatiste... Non, je vous rassure, je pense que c'est dans notre intérêt ! On parle de «consommateur»; je pense que le patient, le malade, n'est pas un consommateur. Les prestations de soins ne sont pas un bien de consommation, j'utiliserai d'autres termes pour cela. C'est vous et moi, donc des assurés, nous espérons rester des assurés, et non pas devenir malades; mais si nous devenons malades, nous devons pouvoir compter sur des prestations de soin de qualité.

Ces réseaux de soins, qu'on le veuille ou non, vont progressivement s'imposer en Suisse, et, à mon avis, ce n'est pas une mauvaise chose, pour autant, bien évidemment, que l'on sache à qui l'on s'adresse et que les critère de qualité soient sauvegardés. Mais, surtout - vous le savez, ma crainte va toujours en direction des assureurs - j'imagine que les assureurs vont choisir ce qui va leur coûter le moins cher, qui ne correspond pas toujours à la meilleure qualité. C'est même souvent le contraire. Il faut donc savoir exactement à qui l'on s'adresse et, d'abord, contrôler ces réseaux de soins au niveau de la qualité. Ce n'est pas une question de protectionnisme en faveur des médecins locaux, mais, puisqu'il y a libre circulation, nous devons aussi savoir quels sont les médecins qui vont venir s'installer chez nous.

Je vous dirai qu'actuellement les médecins étrangers qui s'installent chez nous commencent par mettre le pied dans la porte par le biais des expertises médicales. En effet, des bureaux d'expertises engagent à tour de bras des médecins étrangers, qui font les expertises de nos assurés, des expertises qui, trop souvent, sont rendues en faveur des assureurs. Ce serait donc une bonne chose qu'un contrôle soit effectué à ce niveau-là.

Il faut qu'il y ait un contrôle des réseaux de soins et que les assurances maladie soient obligées de couvrir les frais de ces réseaux. Organiser un réseau de soins coûte évidemment beaucoup d'argent, surtout si l'on veut qu'il soit efficace, dans l'intérêt des patients. Mais que va-t-il se passer ? A un moment donné, si l'on n'oblige pas les assureurs à contracter avec tous les réseaux de soins - pour autant que les critères de qualité soient remplis - les assureurs vont choisir les meilleur marché ! C'est-à-dire ceux qui auront les coûts, par patient, les plus bas. Et, vous le savez, les malades qui coûtent le plus cher sont les malades chroniques. Donc, on va finalement pénaliser ces malades chroniques en pénalisant les réseaux de soins qui s'en occupent. Il est ainsi très important qu'un contrôle soit effectué au niveau national. Et, comme l'indiquait très justement M. Saudan...

Le président. Monsieur le député, il vous faut conclure !

M. Mauro Poggia. Je finis tout de suite, Monsieur le président ! ...un débat va avoir lieu à Berne, en juin, et il est important que ce signal soit donné, même si je suis toujours réservé quant à l'écoute que Berne peut prêter à nos démarches.

M. Marc Falquet (UDC). C'est vrai, cette résolution paraît très sensée et assez intéressante. Cependant, comme nous ne sommes pas tous médecins, je pense qu'il aurait été judicieux de pouvoir l'étudier, voire la peaufiner, en commission de la santé. Je trouve dommage qu'elle n'ait pas été transmise à cette commission.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je donne la parole à Mme Schneider Hausser, à qui il reste deux minutes.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Merci, Monsieur le président, ce sera bien suffisant ! Nous, les socialistes, sommes plutôt favorables à ce type de réseaux de soins, mais, étant donné la complexité du sujet, il est indispensable de pouvoir étudier un minimum cette proposition de résolution en commission, afin de la compléter.

Comme elle ne pourra pas être travaillée en commission - cela a été refusé - nous ne soutiendrons pas, malheureusement, son renvoi direct.

Le président. Merci, Madame la députée. (Remarque.) Monsieur le député, auteur de la résolution, je suis désolé, vous avez déjà largement usé voire abusé de votre temps de parole; si je commence à faire des exceptions, je vais très vite me retrouver avec cent demandes dans cette salle !

Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes en procédure de vote. Celles et ceux d'entre vous qui sont favorables à cette résolution votent oui, les autres votent non ou s'abstiennent.

Mise aux voix, la résolution 634 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 41 oui contre 28 non et 6 abstentions.

Résolution 634