République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1711
Proposition de motion de Mmes et MM. François Thion, Roger Deneys, Véronique Pürro, Christian Brunier, Virginie Keller Lopez, Alberto Velasco, Alain Etienne : Etude de l'allemand dans les classes d'accueil du Cycle d'Orientation

Débat

M. François Thion (S). Cette motion concerne les élèves qui fréquentent les classes d'accueil du cycle d'orientation. Je rappelle que ces classes d'accueil sont destinées aux enfants migrants, non francophones, domiciliés dans notre canton. L'objectif de la classe d'accueil étant d'intégrer au plus vite les nouveaux arrivants, la plus grande partie des cours est consacrée à l'apprentissage du français. Des cours dans la langue maternelle des élèves sont également prévus, de même que, pour compléter le programme hebdomadaire, sont dispensées des connaissances du milieu environnant, des connaissances de mathématiques et de langues: l'allemand et l'anglais. Dès que possible, les élèves rejoignent une classe ordinaire, selon le préavis des maîtres de classe en accord avec les parents et la direction du collège. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)

Pour certains de ces élèves, le fait de devoir rattraper le niveau d'allemand et celui d'anglais - tout en apprenant le français et en se perfectionnant dans leur langue maternelle - pose un problème extrêmement important. Cela représente pour eux un obstacle souvent insurmontable qui peut compliquer leur avenir scolaire et, également, je tiens à le souligner, leur intégration en Suisse.

Rappelons au passage que l'allemand est maintenant enseigné depuis la troisième primaire, ce qui fait que des élèves de 14 ans qui arrivent au cycle d'orientation en huitième année doivent reprendre tout le programme depuis la troisième primaire, ce qui est souvent insupportable.

La motion que je vous propose de renvoyer en commission de l'enseignement demande au Conseil d'Etat: «d'étudier la possibilité de supprimer l'obligation d'apprendre l'allemand pour les élèves qui débutent l'école à Genève en classe d'accueil au moins dès la 8e;». Elle demande également d'étudier la possibilité de développer des cours d'appui d'anglais qui seraient destinés tout particulièrement aux élèves des classes d'accueil. Cette dernière demande a pour objectif de permettre à ces élèves d'avoir rattrapé le niveau d'anglais à la fin de leur scolarité obligatoire. (Brouhaha.)

Cette motion vous est proposée suite à des entretiens que j'ai eus avec des responsables de classes d'accueil qui m'avaient exprimé leurs inquiétudes pour l'avenir de leurs élèves.

En ce qui concerne les coûts, cette motion n'engendre aucun coût supplémentaire, parce que les économies qui seraient faites sur les cours d'allemand pourraient compenser les dépenses pour les cours de rattrapage d'anglais.

Je vous prie donc, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement pour qu'elle y soit étudiée.

M. Henry Rappaz (MCG). Le Mouvement Citoyens Genevois pense que la suppression de l'obligation d'apprendre l'allemand pour les élèves qui débutent l'école à Genève en huitième année dans les classes d'accueil n'est pas une excellente idée... Pas plus, d'ailleurs, que de vouloir augmenter les heures d'anglais pour quelque motif que ce soit. L'allemand reste une de nos langues nationales, et il n'y a aucune raison de favoriser, en échange, l'anglais qui déjà dévore notre propre langue au quotidien.

Pour ces raisons, le MCG ne soutiendra pas cette motion. Danke vielmal !

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Je serai brève... Nous allons exactement dans le même sens que M. Thion, qui a été très complet - je ne vais donc pas répéter tout ce qu'il a dit. De plus, un élément nous conforte dans notre position: lors d'une audition à la commission de l'enseignement, la direction du cycle d'orientation a tenu les mêmes propos. Il faut en effet savoir que les enfants qui fréquentent ces classes d'accueil sont souvent en grande difficulté et, la plupart du temps, ils n'iront pas au postobligatoire, au collège. Ne pas leur imposer d'étudier l'allemand ne va donc pas leur porter préjudice.

Nous soutenons donc le renvoi de cette motion à la commission de l'enseignement.

Mme Janine Hagmann (L). Il ne me semble pas que cette motion soit une bonne idée, pour la bonne raison que l'on est en train de mélanger les rôles: en somme, on enjoint le chef du département de l'instruction publique de prévoir tel ou tel cours dans la grille horaire... Mais depuis quand les députés doivent-ils se mêler de l'organisation de la grille horaire ? Si nous demandions à chaque groupe de cette enceinte ce qu'il veut inclure dans la grille horaire, je suis persuadée qu'il «pignoterait» et se plaindrait de ne pas avoir obtenu ce qu'il voulait... Non, il ne faut quand même pas mélanger les rôles !

De plus, tout le monde sait très bien que l'intégration passe par l'étude de la langue de l'endroit où l'on vit. Et puis, vous pouvez imaginer qu'un pourcentage, même minime, de ces enfants en classe d'accueil peut ensuite faire une très bonne scolarité ! Et vous voudriez qu'on leur enlève la possibilité d'être au même niveau que les autres ?! Mais c'est scandaleux ! C'est les «ghettoriser» ! Même si je n'ai pas de conseils à donner au conseiller d'Etat sur ce que doit comporter la grille horaire - car c'est lui et ses fonctionnaires qui s'en chargent - je pense que ce n'est pas une bonne idée de différencier les enfants de chez nous des enfants des classes d'accueil. Et la meilleure façon de s'intégrer est de bénéficier des mêmes conditions que les gens d'ici.

C'est pourquoi le groupe libéral refusera cette motion.

M. François Gillet (PDC). La motion qui nous est présentée soulève un réel problème que nous rencontrons au cycle d'orientation avec les élèves non francophones qui entrent en classes d'accueil. Il n'est en effet pas évident pour un jeune élève qui ne maîtrise pas le français de consacrer encore du temps à l'apprentissage de l'allemand et de l'anglais. Ce problème est réel.

Les solutions qui sont proposées méritent en tout cas réflexion. Si nous reconnaissons la difficulté, nous savons que, déjà aujourd'hui au cycle d'orientation, il est possible de déroger à l'obligation d'étudier l'allemand; en tout cas temporairement, pour permettre à l'élève de renforcer ses connaissances en français - ce qui est effectivement prioritaire. Maintenant, généraliser cette possibilité mérite réflexion. Il serait paradoxal, dans un souci d'intégration, de pénaliser l'avenir des jeunes non francophones en leur interdisant la possibilité d'apprendre l'allemand. Car certains élèves qui sont passés par les classes d'accueil - et j'ai connu des cas - poursuivent ensuite brillamment leurs études dans un cursus normal. Et il pourrait être dommageable pour eux qu'ils ne puissent pas intégrer des filières d'études qui nécessitent l'allemand.

C'est la raison pour laquelle nous sommes prêts à étudier cette question en commission, tout en n'étant pas convaincus que la solution proposée soit forcément la meilleure.

M. Philippe Guénat (UDC). Autant pour nous, UDC, l'allemand est important - vous pouvez bien l'imaginer - autant il est clair que l'anglais est un atout et un avantage, surtout pour des jeunes qui habitent Genève et qui cherchent du travail, étant donné l'évolution de l'économie. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) C'est pourquoi nous pensons que cette motion est intéressante et qu'elle mérite d'être développée.

L'allemand doit-il être complètement abandonné ? Pour ma part, en tant qu'employeur qui rencontre régulièrement des étrangers, qui sont venus s'établir à Genève et qui y ont suivi leur scolarité tant bien que mal, je souhaiterais que l'on mette un accent important sur le français et sur l'anglais. L'anglais est vraiment la première langue étrangère utilisée à Genève et aujourd'hui nous manquons cruellement de personnes qui parlent l'anglais dans notre secteur d'activité.

Je soutiendrai cette motion et j'aimerais qu'elle soit renvoyée dans une commission de l'enseignement, si c'est possible, Madame la présidente.

Mme Sandra Borgeaud (Ind.). En ce qui me concerne, je ne suis pas vraiment du même avis. Nous sommes sans doute un petit pays, mais nous avons l'avantage d'avoir quatre langues nationales... Même si l'anglais est au goût du jour et qu'il est important de le parler pour pouvoir travailler dans la plupart des multinationales, j'aimerais toutefois que ne soient pas négligés l'italien et l'allemand qui sont nos langues.

Une personne qui vit en Suisse romande et qui aurait envie de faire un stage ou d'être mutée dans une filiale en Suisse allemande ou en Suisse italienne pourrait être désavantagée de ne pas connaître pas l'allemand. Vous savez tous ici, en tant que députés, et je m'adresse à celles et ceux qui auraient envie de devenir conseillers nationaux,... (Rires.) ...que l'allemand et l'italien sont des langues plus importantes que l'anglais, qui n'est pas pratiqué au Palais fédéral. (Rires.) Il faut donc que nous privilégions nos langues nationales. Et je suis tout de même choquée de constater qu'à Zurich on privilégie l'anglais par rapport au français.

Alors, renvoyez cette motion en commission, essayez de trouver un équilibre et de faire de faire en sorte que les langues nationales de notre pays ne soient pas abandonnées.

Mme Virginie Keller Lopez (S). Je crois que le groupe libéral n'a pas bien lu cette motion... Elle ne vise en aucun cas à empêcher les enfants qui sont en classe d'accueil et qui en ont envie ou qui en ont les moyens d'étudier l'allemand au cycle d'orientation ! Elle supprime seulement l'obligation d'étudier l'allemand ! Je le répète: Il n'est nullement question de les empêcher d'étudier l'allemand !

Et puis, je suis étonnée d'entendre Mme Hagmann et Mme Borgeaud nous expliquer que l'étude de l'allemand est un moyen d'intégration... Je ne sais pas si vous vous êtes amusées à parler allemand à des enfants qui, à la fin de la neuvième, ont fait trois années d'allemand - je ne parle pas de ceux qui sont en classe d'accueil... Leur niveau de connaissances en allemand n'est, de loin, pas ce que vous imaginez ! Et ce n'est certainement pas sur ces connaissances que les jeunes en classe d'accueil vont avoir la capacité de s'intégrer ou non au cycle d'orientation !

De plus, un enfant qui ne choisirait pas d'étudier l'allemand en classe d'accueil du cycle d'orientation, mais qui, à l'âge de 18 ou de 19 ans, aurait tout à coup besoin, pour une question professionnelle, de parler l'allemand, n'aurait qu'à s'immerger en Suisse allemande pendant trois mois ! Tout le monde sait que cela rattrape facilement quatre ou cinq ans d'allemand à l'école obligatoire ! (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)

Alors, cette motion est une proposition pragmatique destinée à des enfants qui sont en difficulté et je vous remercie de la renvoyer en commission pour l'étudier.

M. Georges Letellier (Ind.). J'aimerais m'adresser à M. Thion - que j'aime bien, par ailleurs... Monsieur Thion, il est primordial de maintenir l'unité nationale de la Suisse, pour préserver notre identité, et supprimer l'allemand est tout simplement une aberration idéologique.

Bien sûr, je ne conteste pas l'utilité de l'anglais, qui est indispensable dans les rapports internationaux, toutefois nous devons faire un effort pour nous mettre au niveau des Suisses allemands et des Allemands !

Voilà, Madame la présidente, c'est tout ce que j'ai à dire ! (Exclamations.)

M. Charles Beer, président du Conseil d'Etat. Je serai extrêmement bref. Je tiens d'abord à dire qu'en cas de besoin nous pouvons déjà, Mesdames et Messieurs les motionnaires, libérer de l'apprentissage de l'allemand les élèves qui sont en classes d'accueil en 8e et en 9e. Cet élément est quand même important à rappeler, puisque c'est l'une de vos demandes. Actuellement, l'apprentissage de l'anglais est obligatoire et, de cas en cas, les élèves qui sont en classe d'accueil peuvent être libérés de l'apprentissage de l'allemand.

Pour clarifier l'ensemble de ces pratiques et pour que sachiez exactement de quoi il s'agit, je pense qu'il faudra également tenir compte de cette préoccupation, au moment où nous menons une réflexion sur la politique des langues sous tous ses aspects.

La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets le renvoi de cette motion à la commission de l'enseignement.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1711 à la commission de l'enseignement et de l'éducation est adopté par 35 oui contre 29 non et 2 abstentions.