République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9407-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Jocelyne Haller, Souhail Mouhanna, Salika Wenger, Jean Spielmann, Nicole Lavanchy, Jeannine De Haller, Jacques François, Rémy Pagani, René Ecuyer, Christian Grobet, Marie-Paule Blanchard-Queloz modifiant la loi sur l'assistance publique (J 4 05)
Rapport de majorité de Mme Janine Berberat (L)
Rapport de minorité de Mme Jocelyne Haller (AdG)
P 1516-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier la pétition contre la diminution du revenu d'assistance
Rapport de majorité de Mme Janine Berberat (L)
Rapport de minorité de Mme Jocelyne Haller (AdG)

Premier débat

M. Pierre Weiss (L), rapporteur de majorité ad interim. Le rapport dont vous avez certainement pris connaissance porte sur un projet de loi et sur une pétition qui visent à continuer de faire de Genève une exception: une exception par le refus des normes CSIAS, à savoir les normes de la Conférence suisse des institutions d'aide sociale; une exception aussi par le fait qu'il serait allégué que la diminution du revenu d'assistance serait insupportable pour les personnes qui en seraient les victimes.

Dans cette affaire, nous devons tout d'abord avoir trois considérations générales. La première est que la pauvreté à Genève est préoccupante. Mais, face à une situation préoccupante, le combat ne se mène pas par une augmentation des moyens mis à disposition de ceux qui se trouvent dans une situation difficile et pénible, pour eux et leur entourage. La solution se trouve dans un combat en amont, dans le domaine de la formation et dans celui de la réinsertion professionnelle.

Plus directement, la solution se trouve aussi dans une incitation au retour dans la société, pour sortir de l'exclusion sociale, notamment par un retour sur le marché du travail. Or si vous avez lu le rapport, vous aurez vu que le représentant de la CSIAS a déclaré lors d'une audition que la révision des barèmes CSIAS avait trouvé l'assentiment d'une majorité des 130 organisations et cantons consultés, précisément au motif que, dans sa version précédente, il défavorisait, retardait, voire empêchait ce retour sur le marché du travail, donc vers l'inclusion sociale.

Dans la proposition de non-entrée en matière qui est celle de la majorité de la commission, il y a donc une préoccupation éminemment sociale. Elle l'est d'autant plus qu'il s'agit ici de bien se rendre compte que la situation genevoise, jusqu'à ce que le RDU fût adopté par notre Grand Conseil, était une situation où la complexité le disputait à l'inefficacité, où les montants accordés ne permettaient nullement de réduire le nombre de bénéficiaires, mais au contraire les augmentait. Il y avait, en d'autres termes, une efficacité faible et une efficience nulle. Raison pour laquelle nous avons été convaincus par les propositions du RDU et nous attendons d'en voir la concrétisation par des normes.

En ce qui concerne maintenant les deux objets soumis à notre intention, j'aimerais relever que, concernant la pétition déposée par le cartel qui n'est plus représenté dans ce Grand Conseil que par Mme Pürro - puisqu'elle a repris le rapport rédigé par notre ex-collègue Mme Haller - le débat a déjà eu lieu dans le cadre du précédent budget: Genève ne peut plus vivre au-dessus de ses moyens; Genève ne peut surtout plus donner des moyens qui ne permettent pas la réinsertion. Au surplus, les calculs de la pétition sont faussement précis et le conseiller d'Etat Unger l'avait amplement démontré lors du débat du budget de l'an passé.

Enfin, à propos du projet de loi, son but essentiel est de transférer au parlement la compétence du Conseil d'Etat pour la fixation des barèmes. Or ce cadeau pour notre parlement est en réalité un cadeau empoisonné, car nous nous disputerions en ce lieu pour les barèmes et nous empoisonnerions une situation déjà suffisamment pénible pour ceux qui la vivent. Cette responsabilité doit être laissée au Conseil d'Etat, en qui nous faisons confiance. C'est en tout cas une confiance qui est partagée par l'ensemble de la majorité parlementaire, et si certains ont de la défiance, je me réjouis d'en connaître les raisons.

Mme Véronique Pürro (S), rapporteuse de minorité ad interim. En préambule, deux éléments. D'abord, je souhaite remercier Mme Jocelyne Haller pour son rapport de minorité, en regrettant qu'elle ne soit plus parmi nous pour le défendre. Deuxième chose, j'aimerais rassurer M. Weiss: je ne représente pas le Cartel intersyndical. En revanche, je suis totalement d'accord avec la pétition lancée par le cartel et soutenue par près de 4000 personnes.

M. Pierre Weiss. Je suis à moitié rassuré !

Mme Véronique Pürro. M. Weiss nous dit que ces normes CSIAS sont un cadeau empoisonné. Je partage votre avis, Monsieur Weiss: c'est un cadeau empoisonné pour les bénéficiaires de l'assistance publique. Aujourd'hui, un «client» de l'assistance publique - puisque c'est comme cela que l'on nomme les bénéficiaires de l'assistance publique - touche mensuellement 1346 F pour se nourrir, s'habiller, payer son téléphone, payer ses frais de gaz et d'électricité, ses loisirs, ses transports, etc. Avec les normes CSIAS - avec ce cadeau - ce même«client» de l'assistance publique va désormais toucher 1060 F, soit une diminution mensuelle de 286 F... Je ne pense pas que ce sont les salaires que nous avons, dans cette enceinte, l'habitude de toucher, mais c'est une réalité pour des milliers de personnes de notre canton. Les familles, quant à elles, seront bien plus atteintes, car, évidemment, les montants seront diminués dans des proportions similaires à celles que je viens d'énoncer.

La pétition - soutenue, comme je vous l'ai dit, par près de 4000 personnes - dénonce la reprise par des normes CSIAS par le canton et demande au Conseil d'Etat d'y renoncer; elle souhaite que l'on fixe dans la loi sur l'assistance publique les montants actuels touchés par les bénéficiaires de l'assistance publique. C'est l'objectif du PL 9407 déposé par l'Alliance de gauche, qui va dans le sens de cette dernière invite de la pétition.

Comme vous l'avez fait tout à l'heure, Monsieur Weiss, ceux qui n'ont pas soutenu la pétition ou ceux qui soutiennent l'introduction des normes CSIAS invoquent deux raisons principales. La première: l'alignement sur les autres cantons. Genève est une exception, mais elle n'est pas la seule à l'être. Bâle, Zürich et Berne sont également des exceptions. Et ce n'est pas un hasard ! Parce que tous ces cantons sont des cantons-villes. Et dans une ville - comme vous le savez probablement, Monsieur Weiss - la vie coûte plus cher. Donc, l'homogénéité voulue par les normes CSIAS et l'alignement de notre canton sur ces fameuses normes représentera pour les personnes concernées un véritable démantèlement et un véritable problème à la fin de chaque mois.

Deuxième argument - que vous avez également repris, Monsieur Weiss: l'incitation au travail. Je vous rappelle que notre canton compte, hélas, le taux de chômage le plus élevé de Suisse. Aujourd'hui, plus de 13% de la population - 13 %, vous vous rendez compte du nombre de personnes que cela concerne ! - est en recherche d'emploi... Oui, 13% ! Je compte les chômeurs et tous ceux qui souhaitent trouver un travail, c'est-à-dire retourner sur le marché de l'emploi ou à la fin d'études. Vous pouvez demander confirmation de ces chiffres à l'Office cantonal de l'emploi qui, du reste, les publie chaque mois sur le site officiel de l'Etat. Ces 13%, ce sont des milliers de personnes qui aujourd'hui cherchent désespérément du travail. Même si pour certains ici il est facile de dire que ces gens sont des profiteurs, qu'ils sont à l'assistance publique - et que tant mieux s'ils sont contents à n'être payés pour ne rien faire... - eh bien, la plupart de ces gens, Monsieur Weiss, souhaitent travailler !

Dans la situation du marché de l'emploi que nous connaissons, il est très difficile de trouver un emploi dans des domaines peu qualifiés, peu rémunérés, parce que les postes proposés requièrent des qualifications que n'ont généralement pas les bénéficiaires de l'assistance publique. Alors, permettez-moi de vous dire que l'argument de l'incitation à l'emploi n'est pas très crédible !

Voilà très brièvement les raisons pour lesquelles en commission, avec l'Alliance de gauche et les Verts, nous avons accepté la motion et l'entrée en matière du projet de loi déposé par l'Alliance de gauche. Et je vous prie, chers collègues, d'en faire de même aujourd'hui.

Mme Esther Alder (Ve). Je tiens à m'associer à Mme Pürro pour ses remerciements à l'égard de Mme Jocelyne Haller qui, par ses compétences, a été un membre très précieux à la commission des affaires sociales, et nous sommes nombreux à la regretter aujourd'hui. Je tenais à la féliciter pour son excellent rapport de minorité.

Effectivement, les Verts déplorent l'entrée en force en janvier des nouveaux barèmes d'assistance: l'Etat va économiser quelques millions, mais sur le dos des plus faibles. Les Verts sont opposés à ces nouvelles normes qui, je vous le rappelle, ont été instituées sous la pression des gouvernements cantonaux qui souhaitent - ne nous cachons pas les choses - faire des économies et, aussi, anticiper la montée croissante de demandeurs d'aide. On va instaurer une assistance au mérite, pour ceux qui feront un effort pour s'intégrer au monde du travail, mais, Mme Pürro l'a dit, le monde du travail ne veut plus de ces gens, puisqu'ils en ont été écartés ! On aura beau leur demander de se former, on aura beau les inciter à retourner au travail, mais le monde économique n'attend plus ces gens !

On va donc baisser les barèmes et limer sur le quotidien de personnes qui sont déjà dans la difficulté. On va supprimer l'abonnement TPG, et nous verrons à la commission des grâces le nombre de personnes qui n'auront pas pris leur titre de transport, car elles n'en ont plus les moyens... Elles vont devoir séjourner à Champ-Dollon, car vous savez que, si l'on ne prend pas un ticket, la seconde fois l'amende double et ainsi de suite... Pour avoir siégé à la commission des grâces j'ai vu des personnes avec amendes atteignant des montants incroyables, et seulement pour des infractions aux règles concernant les titres de transport ! Ainsi, on va encore «limer» sur les frais d'habillement de ces gens, et c'est vraiment malheureux. Lorsque l'on a déjà peu, Mesdames et Messieurs, enlever ne serait-ce qu'un petit peu représente beaucoup !

Par rapport à ces normes CSIAS, il aurait été plus logique de partir de ce dont nous avons besoin ici pour vivre mensuellement. Mais non, on s'est basé sur la consommation des 10% des ménages les plus pauvres de Suisse, alors que ces mêmes ménages vivent déjà au quotidien la difficulté de boucler les fins de mois ! Et ces mêmes ménages, on doit déjà les aider par le biais de l'assistance: on prend donc le problème à l'envers.

Je trouve bien que les fonctionnaires manifestent quand on met en cause leurs prestations, malheureusement les assistés sont des gens laminés qui n'auront pas le courage d'aller dans la rue pour se faire entendre, et nous sommes ici pour les représenter. Cette économie que l'on veut réaliser n'est vraiment pas juste ! Je suis fière que Genève n'ait pas adopté ces normes CSIAS jusqu'à maintenant. En effet, pourquoi s'aligner sur ceux qui donnent moins que rien aux gens ? Ces normes CSIAS ne sont que des recommandations, il n'y a donc aucune force obligatoire.

Mesdames et Messieurs, je vous invite à soutenir le projet de loi et à renvoyer la pétition au Conseil d'Etat.

Le président. Le Bureau vous propose de clore la liste. Sont encore inscrits: Mmes et MM. Fehlmann Rielle, Weiss, de Tassigny, von Arx-Vernon, Borgeaud, M. le conseiller d'Etat et Mme la rapporteure de minorité.

Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). On ne peut pas laisser passer un certain nombre de propos tenus par M. Weiss. Je saisis également l'occasion pour vous rappeler que, quand nous avons examiné ce projet de loi, on a pu mettre en évidence la considérable augmentation du nombre de dossiers d'assistance en 2004. Pourquoi cela ? Tout simplement parce que la population a augmenté. Il y a aussi un nombre de croissant de jeunes qui ont des problèmes de défaillance dans leur formation et il y a aussi une augmentation du nombre de ces travailleurs pauvres, les working-poors, pour parler français.

Malgré cela, personne ne conteste la gravité du chômage qui sévit dans notre canton actuellement. A titre d'exemple, si l'on se réfère aux statistiques du DEEE en juin 2005, il y avait 22 406 demandeurs d'emploi pour 640 offres de travail. Prétendre, Monsieur Weiss, que les gens se complaisent dans leur situation d'assistés, insinuer qu'ils ont des rentes de situation et qu'ils se plaisent dans ces conditions, c'est leur faire affront ! Et cela a malheureusement été relayé dans le rapport de majorité, où il est écrit qu'il faut inciter les chômeurs à retrouver un emploi et qu'une augmentation de l'aide financière ne favoriserait pas la réinsertion. Plusieurs de mes préopinantes l'ont dit, des milliers de chômeurs ne demandent qu'à retrouver du travail, certains sont en emploi temporaire, au RMCAS, d'autres se retrouvent à l'assistance. C'est la situation que l'on vit actuellement dans notre canton.

Le rapport de majorité indique quand même des choses intéressantes. Par exemple, il relève qu'il faut agir en amont, sur la formation, sur l'orientation et sur l'incitation des entreprises à engager des jeunes. Là-dessus, nous sommes parfaitement d'accord. Par contre, on s'aperçoit que ce ne sont que de vaines paroles. J'en prends pour preuve que. récemment, le parti socialiste avait déposé deux projets de loi pour que les allocations de retour en emploi soient plus attractives pour les entreprises. Vous vous souvenez peut-être que lors du débat sur les référendums du mois d'avril dernier vous avez voulu réduire la durée des emplois temporaires ? Eh bien, vous avez décrié ces emplois temporaires en disant qu'ils ne servaient à rien et qu'il fallait promouvoir les allocations de retour en emploi !

Nous vous avons pris au mot et nous avons déposé un projet de loi qui demandait que l'Etat puisse contribuer à raison des 80% du salaire des personnes engagées dans ces conditions, mais avec, en contrepartie, des obligations pour les entreprises d'engager des demandeurs et demandeuses d'emploi et, également, de participer à leur formation. Or qu'avez-vous fait de ce projet de loi, peut-être pas vous en particulier mais en tout cas les partis de l'Entente ? Ils ont tout simplement balayé ce projet de loi ! Vous devez arrêter de dire qu'il faut à tout prix agir en amont alors que vous vous escrimez sur les personnes les plus pauvres du canton et que vous refusez les solutions que nous proposons.

Nous estimons que ce projet de loi déposé par l'Alliance de gauche doit être soutenu. Et, pour revenir à la question des normes des prestations d'assistance, il est important qu'elles soient inscrites dans la loi. C'est effectivement plus sûr, dans la mesure où le droit à l'assistance est devenu un droit assorti de devoirs. Ce n'est plus le fait du prince, et cela doit donc être soumis au débat démocratique.

Nous vous demandons d'entrer en matière sur ce projet de loi.

Le président. J'indique aux députés Pierre Weiss et Eric Stauffer que la liste était close avant leur inscription.

Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Nous entrons dans une nouvelle ère: le recentrage et la transparence des prestations sociales à la population. En effet, Genève a toujours un peu misé vers le niveau supérieur pour distribuer ses allocations. Toutes les familles de notre cité bénéficient-elles de 60 F par enfant pour le budget vestimentaire, comme c'est la pratique de la prestation actuelle ? J'en doute.

Nous ne pouvons pas continuer à faire cavalier seul et ne pas s'aligner sur les normes CSIAS, véritable carte de référence au niveau suisse. La pratique des normes CSIAS, même si elle est légèrement pondérée par rapport aux normes actuelles, est indispensable pour mieux asseoir et justifier leur validité. Le développement du social ne pourra se faire qu'à ce prix !

Nous refusons d'inscrire ces normes dans la loi, puisque c'est la responsabilité du Conseil d'Etat d'appliquer la loi sur l'assistance publique, en référence avec les directives de la Confédération.

En applaudissant cet alignement sur les normes CSIAS, nous n'entrerons pas en matière sur le projet de loi, et nous souhaitons déposer la pétition sur le bureau du Grand Conseil.

Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Pour le PDC, il n'est évidemment pas question de refuser de prendre en compte les difficultés des personnes les plus fragiles de notre société. Le Conseil d'Etat et le DASS, puisque cela s'appelle encore ainsi jusqu'à lundi, ont anticipé les craintes des auteurs du projet de loi en reportant à juillet 2006 - c'est ce qui nous a été dit en commission - l'adaptation de l'aide sociale aux normes CSIAS.

Ces normes nationales, évidemment, quant à l'aide sociale publique, nous savons tous que dans l'idéal - même si cet idéal, nous ne l'atteignons pas - qu'elles doivent être comme il est dit, une étape incitative, et, toujours dans l'idéal, une reprise de travail. Bien sûr qu'une majorité de bénéficiaires le souhaitent, nous le savons. Nous savons également que cela ne doit pas être un pis-aller qui engendre un découragement à reprendre un travail qui pourrait ne pas rapporter plus que l'aide sociale. Pour rectifier ce paradoxe, nous le savons aussi, le revenu déterminant unifié est un outil pragmatique. Et surtout, la révision du seuil de revenu imposable est un chantier incontournable pour ne pas pénaliser les travailleurs par rapport aux bénéficiaires de l'aide sociale.

En conclusion, ce projet de loi, qui parle de vrais problèmes, n'apporte pas la réponse à long terme que nous attendons sur l'harmonisation de l'aide sociale. Et si nous le refusons, c'est parce que nous faisons confiance au Conseil d'Etat qui va nous proposer, à n'en pas douter, des réponses tout à fait adaptées aux besoins de la société genevoise la plus fragile.

Mme Sandra Borgeaud (MCG). Au Mouvement citoyen genevois, nous approuvons ce projet de loi présenté aujourd'hui, mais nous constatons une chose: c'est que le riche continue à s'enrichir et que le pauvre continue à s'appauvrir. Il y a énormément de chômage à Genève aujourd'hui; et nous sommes des élus du peuple pas seulement pour les riches mais aussi pour les gens qui, malheureusement, cherchent du travail depuis des années et n'en trouvent toujours pas. Et pour la plupart des femmes, il est malvenu de leur demander de se marier, de faire des enfants et de rester à la maison: elles sont obligées de travailler, les maris ne pouvant plus subvenir seuls aux besoins de leur famille.

Il y a un énorme travail à réaliser au niveau du chômage et de l'OCE. Les mesures cantonales actuelles ont pour but de relancer le travail, mais le problème est qu'aujourd'hui elles servent à retourner au chômage pour avoir un délai-cadre, ce qui n'est absolument pas normal. Beaucoup de gens veulent travailler. Une minorité de gens abuse effectivement des systèmes sociaux mis en oeuvre, c'est pourquoi un contrôle doit être effectué, mais nous ne pouvons pas prétériter les honnêtes gens qui cherchent vraiment à travailler. C'est un phénomène de société que tout le monde ici doit prendre en compte.

M. Pierre Weiss (L), rapporteur de majorité ad interim. Si je souhaite prendre la parole avant Mme Pürro, c'est pour lui permettre de «critiquer les critiques» que je vais faire à son égard: tout d'abord en lui rappelant que Berne n'est pas un canton-ville; ensuite en lui signalant que, selon les déclarations du secrétaire général de la CSIAS, le canton de Zurich vient d'adopter les normes CSIAS et que les cantons de Bâle et de Berne vont suivre. C'était à l'époque des auditions. On peut donc imaginer que, depuis l'audition, ils ont effectué les réformes nécessaires en ayant pour but d'inciter au travail ceux qui se trouvent dans la situation de devoir recourir à l'aide sociale.

J'aimerais également ajouter que, contrairement à ce qui a été allégué, il n'y a pas 13% de personnes qui recherchent désespérément du travail: non ! Puisque 7,5% des Genevois qui se trouvent sur le marché du travail sont des chômeurs. Les autres sont des travailleurs qui peut-être recherchent du travail, mais ce ne sont pas des chômeurs ! (Exclamations.). Je ne vais pas recommencer ici une longue distinction, que j'avais faite en son temps, sur les différentes catégories de personnes considérées dans les statistiques comme étant des demandeurs d'emploi, mais ayons au moins - au moins ! - la correction intellectuelle de reconnaître qu'il y a deux catégories principales: les personnes qui sont au chômage et les personnes qui recherchent un emploi. On ne peut pas assimiler les unes aux autres.

Pour conclure, une dernière remarque à celle qui accusait l'Entente en général, et la droite encore plus en général, de se remplir de bonnes paroles à propos des mesures en amont: eh bien, une mesure en amont extrêmement efficace serait de faire preuve de rigueur à l'école ! Jusqu'à présent, il me semble qu'en termes de rigueur à l'école les bancs d'en face n'ont pas donné le bon exemple, quels qu'aient été les relais qu'ils aient pu utiliser.

Mme Véronique Pürro (S), rapporteuse de minorité ad interim. J'ai demandé la parole, Monsieur le président, lorsque j'ai vu la lumière verte de M. Weiss clignoter, car j'étais convaincue qu'il allait dire des bêtises qui allaient m'agacer, ce qui est le cas. (Brouhaha.)

Le président. Bravo pour cette excellente anticipation !

Mme Véronique Pürro. D'abord, je le remercie pour ses cours de géographie. Effectivement, Berne n'est pas un canton-ville, mais Berne est quand même le canton qui a sur son territoire la quatrième ville de Suisse... C'est bien cela, Monsieur Weiss ?

M. Pierre Weiss. Attendez, je vais sortir mes notes, Madame Pürro...

Mme Véronique Pürro. Ensuite, j'ai dû mal m'exprimer - ou M. Weiss m'a certainement mal comprise - quand j'ai parlé des 13,4%, il s'agissait bien des demandeurs d'emploi ! Donc, des gens qui sont en recherche d'emploi. Pour ma part, quand on recherche un emploi, on demande un emploi. (Remarque de M. Pierre Weiss.) Voilà! Ainsi, je n'ai pas confondu le chômage et la recherche d'emploi.

Pour le cas qui nous préoccupe et pour le projet de loi qui fait l'objet de notre discussion, c'est bien la capacité à trouver un travail qui est au centre du problème, c'est donc la concurrence entre tous ceux qui sont en recherche d'emploi, qu'ils soient au chômage ou pas. Si vous voulez inciter des gens déjà fragilisés - parce qu'ils sont à l'assistance publique - à trouver un travail, je ne pense pas que ce soit en agissant sur l'argent que l'Etat leur donne pour pouvoir vivre dignement qu'on arriverait à le faire - et ce ne sont pas forcément des montants qui le permettent.

Avec 286 F sur un montant de 1 346 F, Monsieur Weiss, j'aimerais quand même vous rappeler... J'ai été à l'école, alors j'ai fait des calculs, mais peut-être que l'école était mieux à l'époque où j'y étais... (Remarque de M. Pierre Weiss.) Eh bien, cela fait un peu plus de 20% ! Imaginez-vous, Monsieur Weiss, avec 20% en moins dans votre porte-monnaie... Je ne suis pas sûre que l'on puisse dire que ce soit une légère pondération, comme l'a laissé entendre Mme de Tassigny. (Remarque de M. Pierre Weiss. Protestations.) Je parle de ce qui vous reste dans votre porte-monnaie ! Parce qu'une fois mon loyer réglé, de même que mon assurance-maladie et tout ce que je dois payer, eh bien, ce qui reste dans mon porte-monnaie pour vivre, pour manger, pour me transporter, pour mes loisirs, si on le diminue de 20%, je ne pense pas que l'on puisse qualifier ces 20% d'une «légère pondération» !

Alors, je vous remercie, Mesdames et Messieurs les députés, de ne pas vous tromper de cible: ne nous trompons pas de cible ni de moyens ! Nous sommes tout à fait d'accord qu'il faut agir en amont, mais, dans ce cas précis, on parle de personnes qui sont déjà à l'assistance publique et déjà dans une position fragilisée. Il ne s'agit plus d'agir en amont, il s'agit de garantir que ces personnes puissent vivre dignement. Et que toutes les conditions soient effectivement mises sur pied pour qu'elles puissent trouver du travail sur un marché de l'emploi qui, chez nous, n'est malheureusement pas facile pour ce type de population.

C'est pourquoi je vous encourage une fois de plus, chers collègues, à accepter l'entrée en matière de ce projet de loi et à accepter la pétition.

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. J'aimerais commencer mon intervention par ce que vient de dire ma préopinante: ne nous trompons pas de cible et ne nous trompons pas de moyens. Il est évident que, face à cette situation, il ne peut y avoir que des réponses mesurées et d'une immense modestie. Les normes CSIAS en elles-mêmes ne régleront rien, pas plus d'ailleurs que le projet de loi, mais tous les interlocuteurs se sont mis d'accord à ce sujet. On ne peut évidemment qu'adhérer à la préoccupation que nous inflige la situation de ces gens en grande détresse, dont l'accroissement a été de 18% par année au cours de ces deux dernières années. Cela n'est pas rien: c'est un drame effroyable que ces personnes vivent au quotidien.

Je n'adhère pas non plus à l'idée qu'il y aurait dans cette catégorie une majorité de personnes dont le seul plaisir d'une majorité d'entre elles serait de bénéficier d'un revenu qu'il faut bien qualifier de «misère» - cela n'est pas autre chose qu'un revenu de misère, et, pour une durée longue, ce sont des gens qui cherchent une place dans leur société. Alors, c'est là que nos divergences commencent. Tous ne cherchent pas une place sous forme d'un emploi, car tous n'en ont plus forcément la force. Et l'arrivée à l'assistance publique de gens au-delà de trente ans - environ - stigmatise un parcours de vie dont les difficultés ont forcément été importantes et croissantes. Il y a donc une dynamique de désinsertion qui amène à ce qu'était l'assistance publique. Mais, Dieu merci, l'assistance publique est devenue - grâce à votre parlement, grâce à notre initiative - l'aide sociale. Ce qui est tout de même notablement différent.

Je séparerai du débat la discussion sur les jeunes, dont l'accroissement, là aussi numérique, est important. Cette discussion est probablement le reflet de ce que nous avons pu vivre, nous aussi, quand nous étions jeunes. Lorsqu'on sait que l'on a droit, et plus particulièrement si c'est dans une loi, à un revenu de l'ordre de 1000 F- et c'est vrai que, sur les montants de base, il y a 20% de différence - il ne sert à rien de tourner au tour du pot, ce n'est pas 20% sur le total mais sur le montant de base. Et si l'on n'est pas très motivé, pour mille raisons - d'ordre familial ou émotionnel, et on en connaît bien d'autres - mais qu'en plus on vous paie votre assurance-maladie et votre loyer, eh bien, un certain nombre de gens de 18 à 25 ans peuvent imaginer qu'on peut s'habituer à vivre avec ces montants ! En vivant par ailleurs de petits boulots dont on sait qu'ils ne sont que rarement déclarés. C'est pour cela que, au moins dans cette première discussion, j'aimerais que l'on imagine que ce qui touche les jeunes n'est pas forcément de même nature que ce qui touche les personnes plus âgées.

Quant aux gens peu qualifiés, auxquels il a été fait référence et pour lesquels il faut être juste face à la réalité, ce ne sont pas les emplois que nous créons en ce moment à Genève qui répondront à leurs possibilités d'insertion. En effet, 76% des emplois sont dans le secteur tertiaire et très peu dans le secondaire. Et, quand ils sont secondaires, ils sont qualifiés à un niveau tertiaire en termes de spécialisation; il faut être honnête, il n'y a pas beaucoup de places pour des gens peu qualifiés. C'est la raison pour laquelle nous devrions travailler ensemble sur ce que l'on connaît dans le reste de l'Europe, comme la notion de second marché de l'emploi, où des personnes qui n'ont pas un impératif de productivité immédiate peuvent trouver une place, un poste, une respectabilité, une dignité et une reconnaissance d'eux-mêmes qui, peut-être, dans un second temps - voire dans un troisième temps - leur permettra d'acquérir les compétences nécessaires.

Cela étant dit, je m'opposerai assez fortement au projet de loi, pour deux motifs principalement. C'est que le montant de l'aide tel qu'il est conçu à Genève actuellement - dont je vous rappelle que les montants que vous avez sous les yeux doivent être majorés du loyer qui est payé, de même que l'assurance-maladie - vous amène tout près, voire légèrement au-dessus, de certains salaires de gens qui travaillent, eux, à 100%. Et un monde qui prévoirait que le montant des rentes peut excéder le montant que l'on perçoit par le travail est un monde qui, de notre point de vue, fait fausse route.

Deuxièmement, vous imaginez sortir les gens de la trappe de pauvreté par ce projet, mais en réalité vous les y précipitez. Puisque vous fixez par voie légale un droit inaliénable sur lequel n'importe quelle personne pourrait refuser l'aide sociale en demandant au Tribunal administratif de lire la loi et de dire à l'Hospice général ce qu'il lui doit, que la personne accepte ou non un accompagnement social. C'est un système dont la perversion est bien connue. L'expérience du RMI en France a maintenant quinze ans et les innombrables bilans démontrent ce que je suis en train de vous raconter: on a précipité les gens dans une trappe de pauvreté. L'inondation à mi-paupière de ces gens permet au payeur de se donner bonne conscience, car ils ne sont pas morts, mais ceux qui y sont n'ont pas d'air à respirer et c'est la pire des choses que l'on puisse envisager. Et c'est là, la force des normes CSIAS !

Vous avez parlé des minimums, mais vous avez oublié de citer la franchise sur les revenus. A l'heure actuelle, si vous êtes à l'aide sociale et que vous gagnez quelque chose, ce quelque chose est automatiquement déduit de l'aide que vous touchez. Les normes CSIAS permettent une franchise sur le revenu allant jusqu'à 500 F, voire jusqu'à 800 F, si nous le décidons ensemble.

Il y a un forfait d'intégration que l'on peut parfaitement placer dans un contrat d'aide sociale individuel, tel qu'il s'appliquera lorsque votre Grand Conseil aura - je l'espère - voté la loi sur l'aide sociale individuelle.

J'ai entendu dire des vérités de part et d'autre; mais de part et d'autre j'aimerais que l'on prenne conscience que la notion de dynamique que permet l'application des normes CSIAS est la seule notion importante pour des gens dont on ne peut pas figer le parcours de vie à un revenu, quel qu'en soit le montant, par un texte législatif.

Mis aux voix, le projet de loi 9407 est rejeté en premier débat par 53 non contre 36 oui et 1 abstention.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des affaires sociales (dépôt de la pétition 1516 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 74 oui contre 7 non et 8 abstentions.