République et canton de Genève

Grand Conseil

RD 491
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil concernant la politique de l'Etat de Genève en matière de VIH/sida

Débat

Mme Salika Wenger (AdG). Je n'ai pas de grandes critiques à faire. Au contraire, je n'ai que des compliments à adresser à cette république pour la politique que Genève mène dans le cadre du VIH/sida.

Par contre, j'ai quelques petites remarques à émettre à propos du rapport. Il y a une chose un peu dangereuse qui semble avoir été écrite légèrement: à la page 3 du rapport, il est mentionné que les conséquences favorables de la prise régulière de médicaments seraient une diminution de l'infectiosité des personnes séropositives ou malades. Je trouve que c'est un peu cavalier de l'affirmer de cette manière, d'autant plus qu'aujourd'hui on sait que les avis sont partagés et qu'il y a autant d'experts qui prétendent que d'experts qui réfutent que l'infectiosité soit diminuée par la prise de médicaments. Je trouve qu'il est un peu dangereux de le dire, parce que c'est une manière de banaliser cette maladie; cela pourrait faire penser aux jeunes qu'il s'agit d'une maladie comme les autres, qu'en prenant des médicaments on serait plus ou moins guéris, et qu'on ne transmettrait pas la maladie. Personne n'a cette assurance aujourd'hui. Par conséquent, il serait dommage de faire figurer cela dans ce rapport.

Il y a une autre chose sur laquelle j'aimerais vous alerter. En page 4, vous mentionnez dans les «Objectifs généraux» vouloir «poursuivre les actions de prévention pour toute la population et en particulier ceux qui ont des comportements à risque», ce que je comprends parfaitement; vous dites également vouloir «permettre à chacune et chacun de développer des comportements sexuels à moindre risque et responsables», et, encore une fois, je comprends très bien cela. Néanmoins, lorsque vous ajoutez, au dernier point - et je le trouve un peu maladroit - vouloir «favoriser la responsabilité des personnes vivant avec le VIH/sida sur leur risque de transmission», pensez-vous que ces personnes ne font pas partie des deux catégories ? Auquel cas vous seriez en contradiction avec le point qui indique vouloir promouvoir des politiques qui diminuent la discrimination.

Enfin, j'aimerais parler de la politique à développer, donc de la politique de communication. Je comprends qu'il est indispensable d'en promouvoir une. Cependant, compte tenu de ce que nous savons aujourd'hui - en tout cas ce que les personnes qui s'occupent du VIH savent des vecteurs de transmission - j'aimerais vous alerter sur la compagne de l'ASS qui a été faite récemment - la grande campagne jaune que nous connaissons tous - et qui, me semble-t-il, ne remplit pas sa fonction. En effet, cette campagne n'est faite qu'en français et ne s'adresse qu'à une certaine catégorie de la population, qui n'est pas le principal vecteur de transmission.

D'autre part, j'aimerais dire ou rappeler - mais j'imagine que tout le monde le sait, en tout cas les personnes préoccupées par le problème du VIH - que, quelles que soient la qualité de la politique à Genève et la qualité de la politique de prévention et de soins en Suisse, les frontières ne sont malheureusement pas étanches... Malheureusement ou heureusement, puisque c'est la garantie d'une égalité devant la maladie. Et tant qu'il restera dans le monde une personne séropositive qui n'a pas accès aux médicaments, il y aura toujours le danger d'une contamination. C'est pourquoi il faut effectuer un énorme travail, non seulement avec ONU-SIDA, mais aussi avec les pays qui en font la demande ! (Applaudissements.)

M. André Reymond (UDC). Le rapport du Conseil d'Etat concerne un sujet particulièrement grave. Beaucoup, parmi nous, avons connaissance d'un ou plusieurs cas de malades du sida.

Pour le groupe UDC, le VIH n'est pas une fatalité. La politique du Conseil d'Etat peut se résumer, pour ma part, comme suit: promouvoir des comportements visant à diminuer les risques; renforcer la solidarité avec les personnes séropositives; axer l'action sur la situation épidémiologique actuelle et non pas sur les mesures à prendre en amont; porter une attention aux groupes à risque, notamment les migrants; améliorer la détection précoce; favoriser la responsabilité des personnes vivant avec le VIH/sida sur le risque de transmission.

La situation à Genève se présente, à mon avis, comme suit: plus de 3500 personnes infectées, soit un pourcent de la population - le coût n'a pas été estimé par le canton. En 2002, plus de cent personnes supplémentaires ont été dépistées. La proportion de ceux qui ont contracté leur infection à l'étranger a augmenté, ce sont des immigrants plutôt que des touristes sexuels.

La généralisation des trithérapies ou l'absence de particules virales détectables dans le sang entraînent une recrudescence des comportements sexuels à risques. Les décès, chez les séropositifs, sont dus à des pathologies associées au sida, comme les complications de l'hépatite C. Malgré les progrès enregistrés, les rapports sexuels entre hommes sont la cause de trente pourcent des nouvelles infections. On sait aujourd'hui que la consommation d'opiacés et de cocaïne entraînent de tels bouleversements au niveau des connexions nerveuses que le sevrage, à la méthadone ou par d'autres méthodes, est voué à l'échec dans la majorité des cas. La neurobiologie moderne explique ces échecs observés depuis trente ans... (Brouhaha. Le président agite la cloche.)

En clair, un toxicomane a de fortes chances de le rester toute sa vie, respectivement un facteur de risque au niveau de la contamination du VIH - je me réfère au rapport Phénix 2002.

Nos questions sont les suivantes... (Brouhaha.)L'UDC aimerait recevoir des précisions par rapport aux zones d'ombre de l'excellent rapport du Conseil d'Etat. Combien de malades sont-ils traités par des trithérapies ? Quel est le coût annuel d'une trithérapie ? Il y en a 450 à 100'000 francs, ce qui représente 45 millions uniquement pour le traitement, sans compter l'AI et les rentes complémentaires.

Le Conseil d'Etat souhaite, dans sa politique de réduction des risques liés à l'usage des stupéfiants, offrir un ou des lieux d'injections. Combien de toxicomanes font usage de ce type de structures ? Quelles sont leurs conditions de séjour, respectivement où sont-ils domiciliés ? (Rires.)J'aimerais avoir les statistiques, s'il vous plaît ! Quelles sont les estimations pour ces cinq prochaines années ?

Un contrôle efficace de la distribution des drogues de substitution est-il en place ?

Le rapport du Conseil d'Etat montre clairement que la politique de prévention ne permet pas à elle seule de stabiliser le niveau des contaminations. Envisage-t-il d'autres voies, comme la répression des comportements à risques, en collaboration avec le DJPS pour des individus qui n'ont, manifestement, aucun respect pour la vie humaine ?

La Fondation Phénix, dans son rapport 2002 distribué en septembre dernier, affirme que de plus en plus de jeunes, constatant que la consommation de haschich est devenue problématique pour eux, lui demandent de l'aide; le problème de l'abus de cannabis, pour certains jeunes, est au centre de leurs préoccupations. La Fondation ajoute que cinq à six pourcent d'entre eux développent des dépendances plus graves - aux drogues dures - ce qui laisse présager au cours des années à venir une explosion du nombre de toxicomanes à prendre en charge dans des programmes de substitution et, par conséquent, une élévation du degré de risques de contamination au VIH dans cette catégorie de la population.

Pourquoi le DASS ne s'engage-t-il pas fermement, en collaboration avec le DIP, pour une campagne massive de prévention sur les dangers de la consommation de hasch que des adolescents angoissés, déprimés, ou des enfants hyperactifs avec un déficit d'attention... (Brouhaha.)Et de concentration...

Le président. Un peu de silence, s'il vous plaît !

M. André Reymond. Puisque ces jeunes courent un grand danger de dépendance toxicomane en découvrant dans les drogues un moyen de calmer leurs souffrances...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur Reymond !

M. André Reymond. ...et, au début, d'échapper à leur angoisse.

Ces dernières années, Phénix a assisté à une augmentation très nette des consommateurs de cocaïne dans la population délinquante. Cette situation n'est pas près de s'améliorer: les saisies de cocaïne ne cessent de progresser. Or les sanctions prises par le pouvoir judiciaire, dans le cadre de l'action Task Force Drogue, ont clairement démontré que ces peines n'avaient aucun effet sur les réseaux de distribution de drogue. Ne pensez-vous pas que la politique du Conseil d'Etat dans ce domaine doit également s'accompagner d'une intense collaboration avec le pouvoir judiciaire ?

La doctrine du droit pénal, selon laquelle la personne qui, volontairement, se mutile et, ce faisant, engendre une lésion corporelle grave, ne peut pas prétendre à une rente AI. Au vu de la politique menée par le Conseil d'Etat, il apparaît que des personnes décident, malgré toutes les mises en garde, d'adopter des comportements à risque, voire de se mettre volontairement dans un état de santé inférieur. Par analogie, est-il juridiquement correct de faire porter le poids financier de tels comportements sur la société ?

Le président. Il vous reste une minute...

M. André Reymond. Je termine. Le Conseil d'Etat souhaite-t-il améliorer la prise en charge des personnes vivant avec le VIH/sida, celles vivant dans la clandestinité incluses ? (Brouhaha.)

Le Conseil d'Etat n'a pas mentionné le coût de mise en oeuvre de sa politique. Quand on sait que le budget de la modeste association Phénix s'élève, à lui seul, à plus de six millions, le Conseil d'Etat ne peut-il pas se poser la question de savoir s'il s'agit d'un oubli ? En clair, le Conseil d'Etat a-t-il estimé l'effort financier, prestations AI comprises, qu'il faudra y consacrer pour ces cinq prochaines années.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous signale que, depuis la fin de l'intervention de Mme Salika Wenger, nous ne sommes plus télévisés, puisque Léman Bleu Télévision s'arrête à 19h... (Applaudissements.)En revanche, pour des raisons liées à notre règlement, si nous voulons vraiment renvoyer le projet du cycle d'orientation de Cayla, nous sommes obligés de le faire avant la pause.

Et pour l'instant sont encore inscrits M. le député Gautier et M. Unger, conseiller d'Etat.

M. Renaud Gautier (L). Je dois dire deux choses: je parle bien évidemment en mon nom personnel et je suis membre du bureau du Groupe sida Genève. Comme cela, j'indique mes intérêts.

Monsieur le Président, je voudrais que vous transmettiez à notre honorable collègue que, point numéro un, le sida ne s'attrape pas par le nez.

Deuxièmement, comme il y est fait référence dans le rapport du Conseil d'Etat, je crois qu'il est urgent qu'un grand effort d'information sur la problématique du sida à Genève - qui devrait avoir lieu dans tout Genève, donc y compris dans ce parlement - soit accompli.

Troisièmement, il me semble qu'on ne peut pas, aujourd'hui, avoir des attitudes qui tendent à ostraciser.

Enfin, et une fois de plus à titre personnel, je m'opposerai au fait qu'on mette dans les pièces d'identité un «S» pour sidéen. (Applaudissements.)

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Mon intervention sera brève. Je vous demanderai de prendre acte de ce rapport, qui est une production, si j'ose dire, spontanée, du département, tout simplement pour vous rappeler que le sida existe. Ce vieil ennemi, qui a maintenant pratiquement vingt ans à Genève, est un ennemi que l'on a faussement apprivoisé. A cet égard, Madame, je vous sais gré d'avoir souligné les quelques aspects, même dans notre rapport, qui auraient peut-être pu passer pour banalisants, alors même que l'essence de ce document était de rappeler que tout cela existe et continue bel et bien à exister.

Alors, j'adresserai, comme à chaque séance du Grand Conseil, et je vous prie de m'en excuser, quelques coups de bâton particuliers au député de l'UDC, capable de mélanger, s'agissant d'un rapport sur le VIH/sida, l'ensemble de la toxicomanie, la répression, la lune qui tourne dans le mauvais sens, le haschich, les tags, et probablement nous a-t-il fait grâce de la fin de son discours...

Monsieur le député, Mesdames et Messieurs, j'aimerais vous rappeler qu'à travers le rapport qui vous a été distribué l'Etat entend porter un accent tout particulier sur les populations fragilisées. Qu'elles soient fragilisées par la migration - c'est le cas des Africains de l'Ouest lorsqu'ils sont réfugiés chez nous - ou qu'elles soient composées par les homosexuels, souvent fragilisés pour d'autres raisons  -d'ostracisme social, notamment - eh bien, pour ces deux populations, contrairement à ce que vous imaginez, Monsieur, nous prendrons plutôt plus de mesures que vous nous pensez vouloir prendre... Je ne suis peut-être pas très bon dans le texte, mais vous n'étiez pas très bon non plus dans l'exposé... (Rires. Applaudissements.)

Nous poursuivrons ainsi deux axes: tout d'abord l'accès aux dépistages et aux traitements. Et, Madame, un jour, je l'espère, nous ferons - idéalement - tout ce qu'il est possible pour favoriser cet accès aux traitements dans le monde entier ! Mais aussi la lutte... La lutte contre le discours même que nous venons d'entendre, qui est le prototype de l'attitude discriminatoire avec laquelle plus aucun malade n'aura un jour accès à aucun soin ! (Applaudissements.)

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.