République et canton de Genève

Grand Conseil

RD 469-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier le rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la gestion de la Fondation Start-PME (exercices 2000 et 2001)

Débat

M. Souhail Mouhanna (AdG). Lorsque je suis intervenu sur le projet de loi précédent, j'ai annoncé que je m'exprimerais à propos de Start-PME, car, à mon avis, les choses sont intimement liées.

A la lecture de ce rapport, je suis allé de surprise en surprise. Lorsque je lis, en page deux, que «Le but de Start-PME n'est pas la création d'emplois mais bien le soutien à des entreprises. Comme l'a d'ailleurs fort justement relevé un député Vert, le but d'une entreprise, fût-elle aidée par Start-PME, n'est pas non plus de créer des emplois. Il consiste à satisfaire des besoins de consommation. La création d'emplois ne constitue qu'une conséquence, heureuse certes, de la capacité de l'entreprise à répondre aux besoins du marché.»

Nous voilà dans une drôle d'économie ! On ne cherche pas à créer des emplois, on cherche à répondre aux besoins du marché: donc, les hommes et la société sont au service du marché, c'est-à-dire à ceux qui en tirent essentiellement profit, et non pas le marché et l'économie qui sont au service de la collectivité... Alors, je ne sais pas de qui provient cette appréciation, parce que, dans le rapport de M. Kunz, il n'est pas mentionné s'il s'agit de l'ensemble des intervenants dans le cadre des travaux de la commission, si c'est l'avis de la commission ou si c'est celui des gens qui ont été auditionnés... C'est donc le flou le plus total qui règne par rapport à cela, et je le regrette parce que j'aurais bien aimé savoir qui peut affirmer ce genre de choses et nous demander des millions et des millions pour créer des entreprises qui ne sont pas là pour répondre aux besoins de la population, mais à ceux du marché !

Deuxième chose: par exemple, les pertes subies par cette fondation. Apparemment, 50 millions ont été libérés jusqu'à présent, le nombre d'emplois est apparemment trop faible, mais, comme je l'ai lu tout à l'heure, il semble que le but ne soit pas de créer des emplois. En revanche, je lis que la fondation a perdu 1,4 million en 2000, 1,8 million en 2001; qu'elle a encaissé un million de revenus sur titres, mais a comptabilisé une moins-value de 3,1 millions de son portefeuille d'actions, ainsi qu'une perte effective de 0,2 million, etc. Eh bien, si Start-PME n'a pas pour but de créer des emplois, mais de jeter de l'argent par les fenêtres, de perdre de l'argent à coups de millions - alors que nous sommes en train de discuter de choses importantes au niveau du projet de budget 2004, tout comme il y a des prestations essentielles visées par certains de ce Grand Conseil qui voudraient faire des économies - je me demande donc quel est l'intérêt de Start-PME !

J'ai fonctionné moi-même dans une fondation créée par la Ville de Genève et qui lui a échappé complètement - on appelle cela une «créature». Je sais comment cela fonctionne, mais je sais que de gros problèmes surviennent par rapport à la gestion et à l'utilité réelle de ce genre de fondations... Lorsque j'ai dit, tout à l'heure, que nous ne voulions pas entrer en matière sur le projet de loi précédent, ce n'était pas parce que nous étions contre l'encouragement de la recherche, comme certains l'ont relevé. Mais ce que nous voulions, c'est que le Conseil d'Etat revienne à un projet de loi qui soit le résultat d'une étude sur l'efficacité, l'intérêt, l'utilité, en rapport avec la situation financière de l'Etat de Genève, et en comparaison avec d'autres priorités, que ce soit au niveau des prestations dévolues à la population ou à celui des investissements dans des écoles ou dans d'autres domaines. Je suis donc très étonné que nous ayons un rapport comme celui-ci...

Le président. Il faut conclure !

M. Souhail Mouhanna. J'y arrive. Je lis justement dans la conclusion du rapport, et c'est là où je vois un gros problème, que: «Il en est résulté surtout le constat que Start-PME ne saurait aujourd'hui se justifier mathématiquement.» Je ne sais pas ce que veut dire «mathématiquement»... Je poursuis: «Cette fondation est l'expression d'une volonté politique fondée sur une conviction, celle qu'il est possible et utile pour l'Etat de favoriser le développement des PME grâce à une intervention très directe à caractère financier. Pour l'instant il reste impossible de juger du bien-fondé de cette conviction.»

Cela confirme ce que j'ai dit tout à l'heure: on ne peut pas créer une nouvelle structure alors que, dans le rapport sur Start-PME, on relève que, de toute façon, on doute de l'utilité de cette structure... Maintenant, avant même d'avoir réexaminé cette dernière, on nous en propose une nouvelle. A mons avis, ces structures existantes doivent être examinées de très près et nécessitent d'étudier quelle orientation donner à l'action de l'Etat de Genève en ce domaine.

M. Pierre Kunz (R), rapporteur. Monsieur Mouhanna, l'honnêteté commande tout simplement de relever, après cinq années d'existence de Start-PME, qu'on ne peut ni démolir Start-PME, comme vous le faites, ni l'encenser, comme certains voudraient le faire également. C'est une voie qui a été choisie, à l'époque, par le Grand Conseil, voie à laquelle la majorité de ce Grand Conseil croit toujours. Le rapporteur n'a eu que pour but, ici, de vous dire - et de dire à ceux qui pensent comme vous - qu'il ne faut pas vouer Start-PME aux gémonies. Manifestement, le rapporteur n'y est pas parvenu.

En revanche, il aimerait profiter de l'occasion pour rappeler qu'il est une réalité dans une économie de marché: les entreprises sont là pour répondre à des besoins. Et le but d'une entreprise n'est pas la création d'emplois. Il est évident - et vous en conviendrez aussi, je l'espère - que ce n'est pas parce qu'il y a une administration publique que l'on crée des postes de fonctionnaires, simplement pour le plaisir d'en créer. Vous admettrez probablement qu'il y a une administration publique pour qu'elle serve la population, et que cette administration publique doit être mesurée à l'aune des besoins de la population. C'est la même chose pour une économie de marché, Monsieur Mouhanna !

Maintenant, on peut vous donner partiellement raison sur un point: il est vrai, et toute la commission de l'économie s'en est rendu compte - d'ailleurs M. Barrillier et vous-même l'avez rappelé tout à l'heure - que l'ensemble du dispositif mériterait d'être repris. C'est ce que nous disons ici. Mais, avant de tout casser et d'inviter ce parlement à se prononcer sur l'opportunité ou non de créer un incubateur des biotechnologies, il faut simplement se demander s'il n'y a pas lieu d'amalgamer Start-PME et la LAPMI. Cela devrait se limiter à cela pour le moment, c'est en tout cas l'avis de la grande majorité de la commission.

Sur le fond, je crois qu'il n'y a aucune raison, d'une part, de ne pas entrer en matière sur le projet de loi précédent et, d'autre part, de refuser ce rapport, sous prétexte qu'il n'est pas tout à fait conforme aux vues de M. Mouhanna et de l'Alliance de gauche s'agissant du fonctionnement d'une économie de marché.

M. Robert Iselin (UDC). J'aimerais, en premier lieu, remercier mon collègue Mouhanna de son indépendance d'esprit. En deuxième lieu, après les balivernes que l'on a entendues au sujet des incubateurs, je trouve extraordinaire que juste après arrive un texte qui montre que tous ces trucs, ça ne sert à rien ! Quand vous avez un Etat qui donne 50, 60, 80 millions pour, prétendument, créer des entreprises, croyez-moi, cela pousse les gens à vouloir en créer et, les trois-quarts du temps, ils n'en ont pas les capacités ! Et les gens qui ont créé des entreprises sont des types qui avaient des capacités extraordinaires !

Et j'aimerais savoir combien d'incubateurs étaient, au départ, de Ares-Serono.

M. Souhail Mouhanna (AdG). En écoutant M. Kunz, je croyais rêver... Monsieur Kunz, vous avez dit que c'était moi qui démolissais l'histoire des incubateurs et de Start-PME, alors que je n'ai fait que lire votre rapport ! C'est vous qui l'avez écrit, pas moi; je n'ai fait que le lire.

Par ailleurs, j'ai expliqué que nous attendions que le Conseil d'Etat revienne avec un projet de loi issu de ce réexamen de l'ensemble. Mais vous avez dit que l'Alliance de gauche refusait d'examiner ce projet de loi sur les incubateurs, alors que j'ai dit - moi - être d'accord avec Barrillier - qui, lui, est radical, je crois ! C'est donc le parti radical qui n'est pas d'accord avec vous, puisque M. Barrillier s'est exprimé au nom du groupe radical.

Enfin, Monsieur Kunz, ce n'est pas moi qui ne sais pas lire - sans cela nous sommes plusieurs dans le même cas - c'est vous qui ne savez pas écrire... (L'orateur est interpellé. Le président agite la cloche.)Puisque M. Iselin a compris la même chose que moi, à savoir que, dans votre rapport, vous démolissez les structures existantes !

M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat. Je crois que quelques conclusions sont en train d'être tirées ici, parmi les aides à la création d'entreprises telles que nous les connaissons. Vous les connaissez aussi, Monsieur le député Mouhanna, puisque vous avez été à la tête de la Fondetec pendant quelques années, et que vous savez comment cela fonctionne ! En plus, et sauf erreur de ma part, vous êtes professeur à l'école d'ingénieur, vous devriez donc savoir l'importance qu'il y a entre les transferts des technologies pour la création d'entreprises et la création d'emplois, quoique M. Kunz en dise, puisque l'Etat n'investit pas pour faire plaisir aux entreprises. Il investit dans ces fondations Start-PME, dans la LAPMI et dans l'OGCM pour que des entreprises se créent, pour qu'elles survivent, pour qu'elles créent des emplois et pour qu'elles génèrent également de la fiscalité.

L'Etat ne fait donc pas de philanthropie ! Et dans tout ce qui a été voté aujourd'hui pour les aides aux entreprises, Monsieur Iselin, je vous invite à venir voir le nombre de gens qui ont des beaux projets et qui ont besoin d'un soutien financier ! S'il n'y avait pas d'aide initiale de l'Etat ou de la Ville de Genève, ces entreprises n'existeraient pas !

Maintenant, j'aimerais dire que les rapports que vous avez sous les yeux datent de 2000 et de 2001, cela signifie que les entreprises et les emplois créés par Start-PME à ce moment-là étaient encore modestes. Il faudra voir un peu ce qui se passe par la suite, bien entendu ! On pourra établir un bilan, parce que ce n'est pas avec une entreprise de six mois ou d'une année de vie que l'on peut mesurer ses effets. J'aimerais beaucoup vous avoir les deux dans la commission de l'économie, puisque vous avez des critiques fortes à émettre et puisque, pour vous, les incubateurs ne servent à rien...

L'incubateur est tout à fait autre chose ! Ce n'est absolument pas un simple financement qu'on accorde pour aider une entreprise à se créer après avoir analysé les dossiers, le business plan, etc.; l'incubateur dans les biotechnologies, c'est tout à fait autre chose !

Vous avez renvoyé cela en commission, donc on pourrait s'arrêter là et en parler en commission. Mais j'aimerais tout de même rappeler que la région lémanique - avec l'Ecole polytechnique fédérale, les Hôpitaux universitaires de Genève et de Lausanne, avec nos universités - est l'une des régions au monde qui crée le plus de produits, de projets et d'études au niveau de la recherche. Nous avons un potentiel extraordinaire au niveau des sciences de la vie ! Quand vous parliez de Serono, tout à l'heure... On pourra en parler un jour et voir comment Serono et d'autres entreprises, comme Gindayo, se sont développées. Eh bien, ces sociétés ont été créées avec des aides de l'Etat et sont aujourd'hui de très grande taille.

Quant à l'incubateur, c'est autre chose ! Il ne suffit pas à l'incubateur des sciences de la vie d'avoir un ordinateur et un comptable. Pour effectuer des transferts dans les biotechnologies, il faut des laboratoires, des fluides, des salles blanches: une infrastructure totalement différente ! Cela fait quatre ans que l'on travaille sur l'incubateur, il y a deux ans, mon département - avec le département de l'instruction publique ainsi que celui de l'action sociale et de la santé, avec l'appui de tous les gens éminents de nos hautes écoles - a essayé de trouver un projet pour exploiter cette richesse que nous avons là.

Croyez-moi, Monsieur Iselin, le monde compte beaucoup d'incubateurs ! Il n'y a que chez nous qu'il n'y en a pas. Quand on sait qu'il y a 500 postdocs aux Etats-Unis, à Philadelphie et à Boston, qui ont coûté plus d'un million pour leur formation ! Nous donnons 500 millions aux Etats-Unis pour que nos jeunes, qui sortent de nos écoles, créent des entreprises aux Etats-Unis. C'est peut-être le moment d'y réfléchir et de se dire qu'ici aussi nous pouvons utiliser ces capacités.

Vous le verrez lorsque nous en parlerons en commission, les gens qui sont derrière ce projet ne sont pas des amateurs. Ce ne sont pas forcément des hommes politiques, ce sont des professeurs et des éminences grises de nos hautes écoles... On parlera donc des deux projets.

Je reviens maintenant sur le fait - et vous avez raison, M. Barrillier l'a d'ailleurs souligné - qu'on se rend compte que la LAPMI, l'OGCM et Start-PME pourraient effectivement être fusionnées en une seule structure. Il faut encore voir les modalités, mais le travail est prêt. Aujourd'hui, nous sommes justement en train de travailler sur ce chapitre en commission. Et je serai très heureux, puisque vous émettez des critiques - dont il y a toujours quelque chose de bon à prendre - que vous participiez à ces travaux de commission, d'autant plus que, à vous entendre, la chose est nulle, etc. Alors, venez et on en parlera ! Je suis prêt, et les gens qui soutiennent cet incubateur - des éminents professeurs et chercheurs, qui ont déjà créé des sociétés et qui sont des références dans le domaine - vous expliqueront ce qu'est un incubateur.

En tant que ministre de l'économie, je considère que c'est un projet très important et je ne veux pas seulement vous séduire, j'aimerais vous convaincre. Je vous attends en commission. (Applaudissements.)

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.