République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8660-A
Rapport de la commission du logement chargée d'étudier le projet de loi de Mme et MM. Florian Barro, Luc Barthassat, Claude Blanc, Thomas Büchi, René Koechlin, Olivier Vaucher, Stéphanie Ruegsegger, Philippe Glatz, Pascal Pétroz, Pierre-Louis Portier, Christian Luscher, Jacques Jeannerat, Hugues Hiltpold, Gabriel Barrillier, René Desbaillets, Patrick Schmied modifiant la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) (L 5 20) (Pour devenir propriétaire de son appartement)
Rapport de majorité de M. Alain Meylan (L)
Rapport de première minorité de M. Christian Grobet (AdG)
Rapport de deuxième minorité de M. Alberto Velasco (S)

Suite du premier débat

Le président. En ce qui concerne le projet de loi 8660-A, nous avons fait effacer les deux ou trois personnes qui comptaient prendre la parole, à l'exception de M. Velasco, rapporteur. Nous reprenons nos travaux.

M. Alberto Velasco (S), rapporteur de deuxième minorité. Je souhaite simplement répondre à M. Pétroz sur la liberté d'acquisition. Il est vrai que la liberté constitue un élément essentiel dans la vie d'un citoyen pour autant qu'il possède les moyens de pouvoir exercer cette liberté. Sinon, il s'agit de ce que l'on appelle en économie une exclusion du marché: quand des citoyens sont libres d'acquérir un logement mais n'en possèdent pas les moyens financiers, ils se trouvent exclus du marché. Dans une situation pareille, l'Etat intervient pour permettre aux citoyens d'accéder à ce produit. C'est par exemple le cas pour les transports publics, l'enseignement ou encore la santé. Mais vous ne souhaitez tout de même pas, dans le cas qui nous occupe, que l'Etat intervienne, moyennant des subventions importantes, pour que des citoyens puissent accéder à l'achat de leur logement ?! Il est vrai que l'Etat intervient dans certains pays par le biais de subventions très importantes pour permettre aux citoyens d'accéder à ce marché, mais cela n'est pas le cas dans notre pays. La liberté dont parle M. Pétroz est donc toute relative aux moyens dont disposent les citoyens d'acquérir ou non leur logement. Cette forme de liberté se distingue selon moi clairement de la liberté telle que je l'entends.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Luscher... non, pardon: M. Luscher n'est plus ici ! La parole est à M. Muller.

M. Mark Muller (L). Je voudrais reprendre la parole suite aux arguments développés tout à l'heure par M. Sommaruga. Ce dernier nous a demandé pour quelle raison nous ne voulions pas retirer ce projet de loi si ce dernier ne changeait rien à la législation actuelle. Il s'agit d'une excellente question à laquelle je répondrai. La raison est la suivante: selon la jurisprudence actuelle, les locataires en place depuis environ trois ans peuvent acheter leur appartement, si le propriétaire est d'accord, pour y établir leur famille, se protéger contre une future augmentation de loyer ou encore contre un éventuel congé. Mais ce n'est pas ce que dit la loi ! On comprend mal, à la lecture de la loi, à quelles conditions un locataire peut acheter son propre appartement, car le texte de loi est, sur ce point, pour le moins obscur. J'affirmerai même que la loi est parfois appliquée, y compris par les services du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement, de façon contraire à ce que dit la jurisprudence. C'est donc dans une volonté de clarification que nous avons déposé ce projet de loi. Ce n'est pas un but secondaire que de faire en sorte que nos lois soient intelligibles et prévisibles par tout un chacun !

M. Sommaruga a énoncé toute une série de situations où l'on percevrait un retour des congés-ventes. Je souhaite faire remarquer que tous ces cas de figure peuvent déjà se produire dans le cadre de la législation actuelle. Prenons un cas particulier: imaginons que l'on donne le congé à un locataire en lui faisant remarquer qu'il pourra rester dans son appartement s'il l'achète. Mais un tel cas peut déjà se produire actuellement ! M. Sommaruga a du reste reconnu qu'il l'avait lui-même déjà rencontré. Ce n'est donc pas le changement de loi proposé par ce projet - changement qui, je le répète, ne fait que clarifier les dispositions actuelles - qui produira ce type de situations. La démonstration que je viens de faire s'applique à tous les exemples cités par M. Sommaruga, y compris le cas des appartements vendus dans le cadre de poursuites en réalisation forcée.

Il n'y a dès lors pas lieu de mener ici un débat de fond sur le droit du locataire d'acheter ou non son appartement et des conséquences terribles pour le marché locatif de ce type de transactions puisque aujourd'hui déjà ce droit est possible. Nous souhaitons simplement que la personne qui lira la loi connaisse cette possibilité.

Mme Michèle Künzler (Ve). En entrée en matière, nous avions dit que nous voulions clarifier cette loi en établissant une frontière claire entre le permis et le défendu tout en offrant au locataire la possibilité d'acheter son logement. Nous avons toujours soutenu cette possibilité, que nous défendons dans notre programme. En l'occurrence, on ne peut guère affirmer que ce projet de loi incite aux congés-ventes. C'est même exactement le contraire, puisque le locataire doit être en place pour pouvoir acheter son appartement; s'il recevait son congé, il ne pourrait plus acheter. Le congé et l'achat de tout appartement restent soumis à autorisation ! Ce point ne change pas par rapport à la loi actuelle !

Le seul changement engendré par le projet de loi est le suivant: l'acceptation des 60 % des locataires n'est plus requise pour qu'un locataire puisse acquérir son logement. Une telle condition était injuste, car les locataires voisins peuvent posséder toutes sortes de bonnes, mais surtout de mauvaises raisons, d'empêcher un individu d'acheter son logement: motifs racistes, famille nombreuse, etc. On peut imaginer toutes sortes de raisons pour lesquelles les voisins pourraient s'opposer à l'achat par une personne de son appartement. Or, il nous semble que l'acquisition d'un logement doit être possible ! Certains opposants au projet de loi ont fait remarquer que l'on pourrait installer des locataires fictifs pendant trois ans et racheter l'appartement par la suite. Mais cela est déjà le cas actuellement, et de manière beaucoup plus pernicieuse car, l'affaire ayant été arrangée au préalable, les60 % des locataires donneront automatiquement leur accord. Il est donc déjà possible de faire aujourd'hui ce que les opposants au projet de loi dénoncent ! Ce dernier permettra précisément de clarifier le sujet.

Certains dénoncent le fait que l'on réalisera des bénéfices indus sur le dos des locataires. Cela est vrai... mais c'est également vrai en cas de location ! Cette dernière ne constitue pas de beaucoup un manque à gagner pour les propriétaires. Pour ma part, si j'étais propriétaire, je continuerais à les louer plutôt que de les vendre, car cela est nettement plus profitable ! (Brouhaha.)

Un autre argument avancé par les opposants au projet de loi est le fait que presque personne ne possède les moyens d'acheter un appartement. Mais si personne ne peut en acheter, qui voudra les acheter ?! Le fait que personne ne puisse acheter d'appartement constitue-t-il réellement un problème ? De surcroît, cet élément fera baisser les prix, puisqu'il n'y aura qu'un seul acquéreur possible - à savoir, le locataire de l'appartement. Ce point constitue clairement un avantage pour le locataire.

En dernier lieu, les opposants au projet de loi évoquent le droit d'emption. Mais ce droit constitue une catastrophe pour les locataires: un propriétaire n'accepterait plus jamais de louer un appartement en sachant qu'il pourrait y avoir un droit d'emption sur son appartement ! Il ne s'agirait même pas d'un droit de préemption, mais d'un droit d'emption ! Ce propriétaire ne louerait dès lors plus son appartement, afin de ne pas se faire déposséder de son bien et de son outil de réalisation.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposons d'accepter cette loi. Dans un souci de clarification et afin de rassurer pleinement tout le monde, je vous suggère l'ajout de l'amendement suivant à l'article 39, alinéa 4, lettre e: «Dans ce cas, les locataires restants devront obtenir la garantie de ne pas être contraints d'acheter leur appartement ou de partir». L'intégralité de la loi actuelle serait ainsi conservée à l'exception de la clause relative aux 60 % des locataires de l'immeuble, qui n'est selon moi pas une très bonne clause. (Applaudissements.)

Le président. Nous sommes toujours en premier débat. Nous écouterons les interventions de MM. Grobet, Sommaruga et Moutinot, après quoi nous voterons l'entrée en matière sur le projet de loi. La liste des orateurs est donc close.

M. Christian Grobet (AdG), rapporteur de première minorité. Il ne faudrait pas que les représentants des milieux immobiliers qui siègent dans cette salle nous prennent pour plus bêtes que nous ne sommes ! M. Muller prétend qu'il s'agit d'une simple clarification de la loi. Mais s'il estime que la loi est claire, je vois dès lors mal pourquoi il conviendrait de la clarifier ! En réalité, et vous le savez fort bien, il ne s'agit nullement de clarifier la loi, mais de permettre l'engagement d'un processus de mise en vente des appartements dans un immeuble ! Mme Künzler aura au moins eu le mérite de la franchise à ce sujet, même si l'on peut s'étonner que les Verts se trouvent soudain du même côté que les promoteurs immobiliers... (Protestations.)Mais ce n'est pas la première fois que nous devons nous étonner d'une telle prise de position. (Le président agite la cloche.)M. Pétroz a déclaré tout à l'heure que ce projet de loi visait à garantir la liberté. Mais les locataires n'ont de fait aucune liberté ! C'est bien parce qu'ils n'ont pas de liberté face aux propriétaires - c'est le pot de terre contre le pot de fer ! - qu'un certain nombre de dispositions légales ont été introduites pour protéger les locataires. Sans ces dispositions, ces derniers se trouveraient totalement livrés à la merci de leurs bailleurs. C'est pourquoi je m'étonne des propos de Mme Künzler - mais peut-être n'a-t-elle pas l'occasion de s'occuper de la défense des locataires... Je m'étonne qu'on imagine aujourd'hui engager un processus de vente d'appartements dans un immeuble sans que cela constitue une pression sur les locataires.

Il est par ailleurs illusoire de penser qu'un locataire pourra acheter un appartement simplement en en faisant la demande. Beaucoup de propriétaires n'ont aucune envie de mettre en PPE leurs immeubles et de vendre leurs appartements les uns après les autres, avec tous les inconvénients que présente ce système pour la gestion de l'immeuble ! Je vous ferai grâce de ces inconvénients, les milieux immobiliers étant les premiers à connaître la situation d'immeubles partiellement en PPE. On s'aperçoit notamment que c'est la meilleure formule pour que les immeubles ne soient plus entretenus. C'est en réalité le propriétaire qui décide de mettre ses appartements en vente et qui s'adresse, nécessairement, aux différents locataires pour savoir s'ils seraient intéressés par un tel achat. Or, en période de crise du logement comme aujourd'hui, il suffit qu'un locataire soit contacté pour savoir s'il souhaite acheter son appartement pour qu'il se sente en péril. En dépit des amendements complémentaires que pourra faire voter Mme Künzler pour se donner bonne conscience - amendements qui ne possèdent aucune portée pratique - les locataires subiront la pression psychologique du propriétaire mettant en vente les appartements. C'est une chose de dire que le locataire doit avoir le droit d'acheter son appartement. Mais, à partir du moment où la moitié des appartements sont vendus à des propriétaires individuels, les pressions se font de plus en plus fortes. Faites-moi confiance à ce sujet ! Penser qu'aucune pression ne sera exercée sur les locataires d'un immeuble dont de nombreux appartements sont vendus est un pur leurre ! Par voie de conséquence, c'est la possibilité juridique accordée à des locataires d'acheter qui constitue le mécanisme même amené à déclencher des pressions sur les locataires et des congés ! Vous pourrez dès lors enrober cet article de toutes les couches de chocolat que vous voudrez: en réalité, vous êtes en train de remettre en marche le processus des congés-ventes !

Je vous annonce d'ores et déjà que l'Alliance de gauche et les milieux des locataires lanceront un référendum contre cette loi. Nous verrons ainsi quelle est la position de la population à l'égard d'une loi dont le but est, à l'évidence, non pas de favoriser les locataires, mais de favoriser les opérations spéculatives des propriétaires. Nous regrettons en outre qu'une formation politique membre de l'Alternative se prête à ce genre de manoeuvre.

M. Carlo Sommaruga (S). Il est vrai que j'ai de la peine à comprendre le pas de deux des Verts, qui parfois soutiennent les projets de vente d'immeubles appartement par appartement, parfois les contestent. Leur message sur cette question est particulièrement brouillé, et les locataires ont de la peine à suivre. Mais peut-être que là n'est pas la préoccupation majeure. Le fait de pouvoir assister jour après jour aux permanences de l'Asloca permet de prendre conscience du sentiment de peur des locataires qui viennent nous voir lorsqu'un voisin a reçu soit un congé, soit la visite du régisseur - voire du propriétaire individuel - lui annonçant la vente de son appartement. Il s'agit de créer une quasi-psychose chez les locataires de certains immeubles, qui s'interrogent sur l'avenir de leur logement. Vous avez beau rigoler, Monsieur Vaucher, mais vous ne connaissez pas la situation de ménages qui rencontrent des difficultés financières, qui peinent à boucler leur mois pour payer leur loyer ! Ces personnes craignent qu'on vende, au-dessus ou au-dessous d'eux, des appartements à des individus plus fortunés et qu'eux-mêmes en viennent à se trouver dans une situation semblable. Voici quelle est la réalité sociale actuelle ! Je vous renvoie au rapport de M. Velasco, qui nous fournit les tranches des revenus imposables à Genève: il n'y a pas aujourd'hui une majorité de la population, ni une large minorité, qui puisse acheter son appartement - qu'il s'agisse d'un apaprtement d'une, deux, trois, cinq ou six pièces. La population ne possède actuellement pas les moyens de le faire ! Introduire une modification de la loi telle qu'elle est proposée ébranlera la protection contre les congés-vente. Nous sommes aujourd'hui en train de passer d'une protection du parc locatif global à une protection en fonction du statut du locataire - soit qu'il veuille ou non acheter. Voilà quel est le grand problème ! Or, il s'agit de défendre le parc immobilier pour que la majorité de ce canton, c'est-à-dire la majorité de la population locataire, puisse retrouver des conditions d'habitation compatibles avec leur revenu. Je répète que les appartements qui seront vendus en premier seront les appartements dont les loyers sont bon marché, et les prix d'achat proposés seront relativement forts. Si cette méthode ne fonctionne pas, le propriétaire attendra que le locataire s'en aille pour placer un locataire possédant les moyens d'acheter. Il pourra même donner le congé au locataire sans rien lui dire et attendre de trouver un locataire doté de moyens financiers plus importants. Cette situation ne relève pas de la fiction, mais de la réalité ! M. Muller ne connaît pas son sujet lorsqu'il affirme que cela est faux. Des procédures administratives sont en cours sur la base de situations fictives, où les charges de PPE ont été payées sous forme de loyer pour attendre un certain délai avant d'acheter. Voilà quelle est la réalité ! Un certain nombre de logements seront vides, ce qui provoquera une pénurie.

Quant au fait de favoriser les locataires pour l'achat d'un appartement, le seul moyen est de mettre en oeuvre une réforme au niveau du droit fédéral pour que l'ensemble des propriétaires soit soumis à la possibilité du droit d'emption. Il s'agit de la seule manière de permettre aux locataires d'acquérir leur appartement. Bien qu'on puisse en exclure les entités de droit public et les caisses de pension pour protéger leur capital et leurs investissements, c'est ainsi qu'il faudrait envisager la favorisation de l'accession à la propriété. Il n'y a finalement aucune opposition ni sur le point principal, ni sur le plan idéologique; il n'y a opposition qu'en cas d'attaque à l'ensemble des locataires d'un immeuble. Prétendre que ce sont les locataires qui, pour des raisons de racisme ou de familles nombreuses, seront à l'origine de situations conflictuelles dans les immeubles me fait rire ! J'assure des permanences toutes les semaines, et ceci depuis quinze ans: il n'existe aucun problème de ce genre ! Les pressions et les angoisses proviennent de la majoration de loyer, des congés ou encore du manque d'entretien. Voici quelles sont les préoccupations des locataires ! L'attitude de certains voisins peut certes représenter un problème, mais il s'agit d'une infime minorité. Quelle que soit la manière dont on puisse enrober ce projet de loi, cela ne changera rien ! Il est par exemple inutile d'ajouter la clause selon laquelle le locataire acquiert librement puisque le droit suisse stipule que l'acquisition est libre. En d'autres termes, vous êtes conscients de la nécessité d'ajouter ce terme en raisons des pressions existantes. Vous cherchez à cacher des éléments en faisant croire à l'existence d'une liberté de choix alors que ce n'est pas le cas ! Quant à l'amendement proposé par Mme Künzler, il ne correspond pas à la réalité à venir puisqu'une fois le processus en marche le propriétaire pourra obtenir, en vertu de la jurisprudence, la possibilité de vendre les autres appartements de manière individualisée. Même si cet amendement était adopté, il ne modifierait nullement la réalité: à terme, on ne pourra pas garantir aux locataires ne voulant pas que leur appartement soit vendu que ce dernier restera sous forme locative globale !

Le président. La parole est à M.  Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Je suis désolé, Madame Künzler, mais la liste des intervenants est close.

M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Le système actuel de la loi est clair: il existe une interdiction de principe quant à la vente d'appartements loués tant que sévit la pénurie. Parallèlement à ce principe de base, il existe un certain nombre de cas d'autorisations automatiques, notamment pour les immeubles ayant toujours été prévus comme relevant de la propriété individuelle. Entre ces deux situations, il existe une exception, à savoir la vente aux locataires en place. Le projet de loi soumis à votre Grand Conseil aujourd'hui propose de passer de cette exception, avec le pouvoir d'appréciation qui est celui du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement, à un motif obligatoire de délivrance d'autorisation. Il ne sera en outre plus nécessaire d'obtenir l'accord des 60% des locataires de l'immeuble concerné. Je pars ici de l'idée qu'au vu des signatures y figurant l'amendement sur les garanties données aux locataires restants sera adopté.

Des propos relativement contradictoires ont été tenus dans cette salle. Pour certains, il ne s'agirait que d'une clarification de l'existant, tandis que pour d'autres, il s'agirait d'un véritable retour en force des congés-ventes. Il est extraordinairement difficile aujourd'hui d'être catégorique sur l'impact d'une telle mesure. Il me semble en revanche illusoire de penser qu'elle n'en aura pas, car auquel cas il n'y aurait pas eu ce projet de loi. L'impact existe donc; mais nous ne sommes actuellement pas en mesure de mesurer complètement jusqu'à quel point il changera le marché de l'acquisition de logements. Vous prenez dès lors un risque en votant un tel projet de loi, à savoir le risque que les dérapages ou les effets d'entraînement dénoncés par certains s'avèrent réels. Compte tenu de la structure du parc immobilier genevois, qui est pour une large part entre les mains de caisses de pension ou de collectivités qui, elles, n'entreront pas dans ce jeu, il est également possible que l'impact ne soit pas aussi important que le craignent certains.

Je vous rappelle que le projet maximaliste que constituait l'IN 116, projet qui a été clairement rejeté par le Conseil d'Etat, doit être soumis au vote populaire. Je trouve dès lors regrettable, sur le plan politique, qu'au milieu de ce processus, un pas soit fait - qui plus est vers l'inconnu - avant même que la population genevoise ne se soit prononcée sur l'IN 116. Attendre le résultat du vote populaire aurait été de nature à clarifier le débat de manière utile plutôt que de se retrouver dans la situation quelque peu bizarre où l'on sait déjà que le pas maximaliste sera soumis au peuple et où l'on nous annonce que le pas intermédiaire le sera également.

Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat par 45 oui contre 22 non et 1 abstention.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.

Mis aux voix, l'article 39, alinéa 3 (abrogé) est adopté.

Le président. Nous sommes saisis de deux amendements à l'article 39, alinéa 4, lettre e). Le premier amendement est signé par Mme et MM. les députés Künzler, Hiltpold, Blanc et Muller. Le second amendement, proposé par le rapporteur de minorité Alberto Velasco, figure à la page 15 du rapport.

Mme Michèle Künzler (Ve). Il me semble nécessaire, afin de clarifier l'enjeu de ce débat, de rajouter l'amendement suivant à l'article 39, alinéa 4, lettre e): «Dans ce cas, les locataires restants devront obtenir la garantie de ne pas être contraints d'acheter leur appartement ou de partir». M. Grobet prétend que cet amendement ne vaut rien. Mais il s'agit de la loi actuelle ! Si elle ne vaut rien, je saisis mal pourquoi il la défend bec et ongles ! Je pense pour ma part que l'ajout de cet amendement est nécessaire. Il clarifiera également la situation lors du référendum.

Nous ne suivrons à ce propos pas l'Alliance de gauche dans ce référendum. Il nous est cependant complètement égal que ce référendum réussisse ou échoue, car nous ne défendons aucun intérêt particulier. Nous pensons simplement qu'il doit être possible d'acheter son logement sans en faire toute une histoire ! (Applaudissements.)

M. Gilbert Catelain (UDC). Le groupe UDC, qui est composé à 90 % de locataires mais qui ne partage pas les craintes de M. Sommaruga - comme quoi certains paradigmes devraient être changés - partage en revanche les propos exprimés dans le cadre de l'initiative 116, propos selon lesquels 77 % des locataires souhaitaient accéder à la propriété. Nous partageons également certaines craintes par rapport aux effets pervers liés aux congés-ventes que l'on a connus dans les années 80. C'est pourquoi nous soutiendrons l'amendement déposé par Mme Künzler.

M. Christian Grobet (AdG), rapporteur de première minorité. Madame Künzler, j'ai pris acte de votre déclaration selon laquelle le destin des locataires vous était parfaitement égal ! (Protestations.)En ce qui concerne l'amendement que vous proposez, vous vous montrez assez érudite en matière du droit de la construction et du droit des locataires - ou du droit des propriétaires, devrais-je peut-être dire - pour savoir que toute la réglementation en matière de congé relève du droit fédéral. Dès lors, vous pouvez mettre ce que vous voulez dans cette loi, puisque vous savez parfaitement qu'il s'agit de bouillon pour les morts ! (Brouhaha.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous voudrez bien écouter les orateurs avant de voter ! La parole est à M. le député Sommaruga.

M. Carlo Sommaruga (S). Je constate que les méthodes de M. Pierre Muller sont reprises par Mme Künzler au niveau de la technique législative ! (Rires et protestations.)

Une voix. Tu regardes trop d'affiches !

Le président. Mesdames et Messieurs, nous avons parfaitement compris que M. Sommaruga...

M. Carlo Sommaruga. (Voix amusée.)Je voulais effectivement parler de Mark Muller ! Mais au niveau idéologique, c'est kif-kif !

Ceci dit, je constate que la démarche consistant à proposer un amendement relatif à une disposition déjà prévue par la loi est exactement semblable à la démarche de M. Muller au sujet de l'article lui-même - M. Muller déclarant que, bien que les dispositions prévues à l'article 39, alinéa 4, lettre e) soient déjà prévues, il vaut mieux le préciser. Cela n'est pas le cas: il existe effectivement un article de la loi stipulant qu'il n'existe aucune contrainte lorsqu'un certain type de décision est prise. Mais dans ce cas précis, je répète que l'amendement proposé n'aura aucune incidence. Ce n'est qu'un peu de glycérine sur le suppositoire qu'on veut bien faire passer aux locataires ! (Exclamations, rires et protestations.)

Une voix. C'est explosif comme comparaison!

M. Carlo Sommaruga. Pour répondre à M. Catelain, je lui ferai remarquer que, si l'UDC est certes composée à 90 % de locataires, elle n'a jamais mené de politique en faveur des locataires, que ce soit au niveau national, cantonal ou municipal. De la même manière, elle est composée à 95 % de personnes âgées, mais elle remet en cause l'AVS en Suisse ! Voilà quelle est la politique et les contradictions de l'UDC ! (Applaudissements.)

M. Hugues Hiltpold (R). A ce stade du débat, il me paraît utile de rappeler les objectifs de ce projet de loi. Ces objectifs sont, ni plus ni moins, de permettre au locataire en place de pouvoir acquérir le logement qu'il occupe. Il est vrai que cette modification législative comporte un certain nombre de dangers. Des contraintes pourraient notamment être mises en place pour obliger les locataires occupant leur logement à acheter ce logement. Ce danger concerne à la fois les locataires déjà en place et les futurs locataires.

S'agissant du projet de loi tel qu'il ressort des travaux de la commission, nous estimons qu'il remplit les conditions dont j'ai fait état précédemment. Il convient également de préciser que la durée d'occupation du logement a été modifiée: elle a été portée à trois ans. Quant à l'amendement qui nous est proposé, il permet d'éviter tout système de contraintes qui pourrait être décrié. C'est la raison pour laquelle le groupe radical vous invite à réserver un bon accueil à cet amendement.

M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Je vous apporte la précision suivante: il est vrai que, pour des raisons de droit fédéral que M. Grobet a rappelées, cet amendement ne constitue pas une garantie absolue. Je ne peux cependant pas non plus laisser dire qu'il n'est d'aucune utilité dès lors qu'il apparaît déjà dans la loi actuelle. S'il faut avoir un garde-fou, autant avoir celui-là. S'en priver serait une erreur.

Le président. Je mets maintenant aux voix l'amendement de Mme et MM. Künzler, Hiltpold, Blanc et Muller. Je rappelle que cet amendement consiste en l'ajout suivant à l'article 39, alinéa 4, lettre e) (nouvelle): «...du même droit aux mêmes conditions. Dans ce cas, les locataires restants devront obtenir la garantie de ne pas être contraints d'acheter leur appartement ou de partir».

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 49 oui contre 8 non et 13 abstentions.

Le président. Avant de mettre aux voix dans son ensemble l'article 39, alinéa 4, je demande à M. Alberto Velasco s'il maintient son propre amendement.

M. Alberto Velasco. Absolument, Monsieur le président.

Le président. L'amendement de M. Velasco, qui se trouve en page 15 du rapport, consiste en l'ajout suivant à l'article 39, alinéa 4, lettre e) «Est librement acquis par le locataire en place depuis au moins trois ans pour y maintenir son domicile, les personnes faisant ménage commun avec lui bénéficiant, avec l'accord du locataire, du même droit aux mêmes conditions notamment de durée».

M. Alberto Velasco (S), rapporteur de deuxième minorité. Je voudrais apporter une précision. Monsieur le président, vous avez procédé de manière très rapide au vote en déclarant que l'article 39, alinéa 3 était abrogé sans opposition. Cela est inexact, puisque nous nous opposons à cette abrogation ! (L'orateur est interpellé.)Il doit être clair que nous nous opposons à cette abrogation !

Le président. Monsieur Velasco, votre amendement figure à l'alinéa 4...

M. Alberto Velasco. D'accord, Monsieur le président, mais vous avez procédé trop rapidement au vote ! Je tiens à vous dire que nos prises de position nous amènent à nous opposer à l'abrogation de l'article 39, alinéa 3. Ceci doit être clair !

Le président. Je suis navré, Monsieur Velasco, mais cette opposition ne figure pas à la page 15 de votre rapport ! Le seul amendement qui est en ma possession concerne l'alinéa 4, lettre e) de l'article 39. Aucun amendement n'a été déposé concernant l'abrogation de l'article 39, alinéa 3. Or, je ne peux pas faire voter des amendements qui ne sont pas en ma possession !

M. Alberto Velasco. D'accord. Concernant ma proposition d'amendement, j'indique que lorsque la commission a débattu de l'alinéa 4, lettre e), il nous a semblé important, puisque l'expression «ménage commun» y figure, de mentionner la question de la durée. C'est pourquoi nous avons proposé d'ajouter l'expression «notamment de durée». Cet amendement avait en son temps été proposé et accepté par l'ensemble de l'Alternative. Je suppose que ce même ensemble, et pourquoi pas l'UDC, votera aujourd'hui cet amendement. Il me semble important de clarifier ce point.

M. Mark Muller (L). Nous sommes très heureux de voir le parti socialiste contribuer à la qualité de ce projet de loi tel qu'il sera soumis au peuple. On pourrait éventuellement vous suivre pour autant que vous approuviez le projet de loi. Mais comme j'en doute fort et que je juge cet amendement inutile - il s'agit d'une redondance ! - je propose de refuser cet amendement.

M. Carlo Sommaruga (S). L'intervention de M. Muller montre combien il peut être le «père vert» de cette modification législative... Ce projet de loi, soutenu par les Verts, propose de vendre un appartement au locataire en place au bout de trois ans. Bien. Mais non content de pouvoir proposer la vente de l'appartement au locataire en place, le projet de loi offre la possibilité de le vendre à une personne partageant l'occupation de l'appartement avec le locataire. En rejetant l'amendement de M. Velasco, M. Muller et son groupe refusent d'exiger que la personne partageant le logement du locataire occupe également cet appartement depuis trois ans. Si, comme le souhaitent les milieux immobiliers, cet amendement est refusé, la possibilité de faire venir un individu dans l'appartement sera facilitée; cette personne qui partage l'appartement pourra, même au bout de quelques mois, acquérir l'appartement alors que le locataire n'en a pas les moyens ! Voilà la preuve de ce que nous soupçonnions tout à l'heure, à savoir la volonté d'ouvrir le marché de la vente des appartements occupés par les locataires non seulement aux locataires, mais également à des tiers.

S'il possédait un minimum d'honnêteté intellectuelle, l'ensemble de ce Grand Conseil voterait cet amendement, qui ne modifie ni l'essentiel ni l'essence des propositions contenues dans le projet de loi. Vous pourriez faire preuve de ce minimum de cohérence. J'attends de voir quelle sera la position des différentes composantes soutenant ce projet de loi lors du vote de cet amendement.

Mme Michèle Künzler (Ve). J'aimerais réagir aux propos de M. Sommaruga, car je commence à me lasser de ses remarques perfides sur les Verts. Nous sommes unanimes... (L'oratrice est interpellée.)Nous ne sommes pas des fondamentalistes de la non-accession de la propriété ! Oui: nous nous distinguons de vous sur ce point, comme en témoigne notre programme ! C'est dans cet esprit que j'en défends les objectifs. M. Sommaruga n'a pas à me faire de telles remarques ! J'ai mes propres idées ! (Vifs applaudissements.)

Le président. Je mets aux voix l'amendement de M. Velasco par vote électronique. Je vous rappelle qu'il figure en page 15 du rapport... Monsieur Letellier, vous souhaitez intervenir ? Vous intervenez plutôt tardivement mais enfin, allez-y !

M. Georges Letellier (UDC). Je m'excuse, mais je ne peux m'empêcher de répondre à la provocation de M. Sommaruga. En premier lieu, les retraités qui sont chez nous - peut-être - les personnes âgées qui sont chez vous, elles vous emm... !

Des voix. Ohhhh !

M. Georges Letellier. Non, non, je vous le dis clairement: c'est de la provocation ! Vous continuez à provoquer sans arrêt ! Je citerai en second lieu à M. Sommaruga le proverbe arabe suivant: «Les chiens aboient, la caravane passe.» (Manifestation dans la salle.)C'est tout ce que je souhaitais dire.

Le président. J'aimerais beaucoup que les députés ne s'injurient pas, ne s'invectivent pas ! Vous pouvez prendre le président comme punching-ball si vous voulez, mais j'aimerais qu'il y ait... (Exclamations.)

Une voix. Ahhh ! Enfin !

Le président. Cela plaira à M. Luscher, mais je souhaite un tout petit peu de dignité et des propos d'une certaine tenue dans ce parlement.

M. Carlo Sommaruga (S). Je m'en suis effectivement pris tout à l'heure à la politique de l'UDC et je pense que l'on peut, au sein de ce parlement, s'en prendre aux politiques défendues par les autres groupes qui siègent. Je trouve inadmissible, et je demande à ce que le président exige des excuses de la part de... (Protestations.) (L'orateur est interpellé.)Je ne me suis jamais permis d'insulter à titre personnel quelqu'un dans cette assemblée. Il m'est en revanche arrivé de subir des insultes personnelles, mais la personne qui m'avait insulté a eu la correction de s'excuser (L'orateur est interpellé par M. Letellier.)Ceci est inexact ! Je vais répéter à M. Letellier les propos que j'ai tenus précédemment: bien que de nombreuses personnes âgées figurent parmi vos électeurs et parmi vos membres, vous remettez en cause l'AVS - ce que vos électeurs n'ont pas compris. (Manifestation dans la salle.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, reprenons notre calme et passons au vote de l'amendement de M. Velasco. Vous voyez comme la situation peut rapidement déraper alors même que les uns et les autres ne le souhaitent pas !

Je vous rappelle que l'amendement de M. Velasco consiste à l'ajout suivant à l'article 39, alinéa 4, lettre e): «Est librement acquis par le locataire en place depuis au moins trois ans pour y maintenir son domicile, les personnes faisant ménage commun avec lui bénéficiant, avec l'accord du locataire, du même droit aux mêmes conditions notamment de durée».

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 40 non contre 31 oui et 6 abstentions.

Le président. Je mets maintenant aux voix l'article 39, alinéa 4, lettre e) avec le seul amendement de Mme et MM. Künzler, Hiltpold, Muller et Blanc: «Est librement acquis par le locataire en place depuis au moins trois ans pour y maintenir son domicile, les personnes faisant ménage commun avec lui bénéficiant, avec l'accord du locataire, du même droit aux mêmes conditions. Dans ce cas, les locataires restants devront obtenir la garantie de ne pas être contraints d'acheter leur appartement ou de partir».

Monsieur Velasco, vous souhaitez prendre la parole sur la procédure de vote ?

M. Alberto Velasco. Oui. Je propose de procéder à un vote nominal. (Protestations.)

Le président. Il en sera fait ainsi.

Mis aux voix à l'appel nominal, l'article 39, al. 4, lettre e) (nouvelle) ainsi amendé est adopté par 50 oui contre 26 non et 2 abstentions.

Appel nominal

Troisième débat

La loi 8660 est adoptée article par article.

Mise aux voix à l'appel nominal, la loi 8660 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 52 oui contre 26 non et 2 abstentions.

Appel nominal