République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8660
Projet de loi de Mme et MM. Florian Barro, Luc Barthassat, Claude Blanc, Thomas Büchi, René Koechlin, Olivier Vaucher, Stéphanie Ruegsegger, Mark Muller, Philippe Glatz, Pascal Pétroz, Pierre-Louis Portier, Christian Luscher, Jacques Jeannerat, Hugues Hiltpold, Gabriel Barrillier, René Desbaillets, Patrick Schmied modifiant la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) (L 5 20) (Pour devenir propriétaire de son appartement)

Préconsultation

M. Carlo Sommaruga (S). Il s'agit donc, aujourd'hui, du deuxième projet de loi destiné à réviser la LDTR, ou plutôt à la démanteler. Et je crois qu'il est important de refaire l'historique de cette loi, car elle est trop souvent décrite comme étant une espèce de monstre juridique issu de nulle part. Il convient donc de la situer à nouveau pour comprendre la portée de ses normes.

Je dirai tout d'abord qu'avant la LDTR il y avait la loi sur les démolitions née en 1962 - c'est-à-dire il y a fort longtemps - née de l'initiative du Conseil d'Etat, lorsque celui-ci a constaté que nombre de vieux immeubles étaient détruits et que la population genevoise en était profondément émue. Ces démolitions étaient destinées à reconstruire plus dense, plus haut. Mais elles défiguraient la ville et, naturellement, chassaient les locataires des immeubles du centre-ville.

Dans les années 70, pour bloquer le processus de contournement de cette interdiction de démolitions, une initiative a été lancée par le parti socialiste visant à limiter les transformations luxueuses. En effet, les propriétaires avaient effectivement commencé à transformer les immeubles plutôt que de les démolir, et cela afin de pouvoir relouer, voire revendre plus cher.

En 1985, ce fut l'époque des congés-ventes, un troisième volet de la LDTR est entré en force: l'article 39. C'est une disposition qui concerne l'interdiction de l'aliénation des appartements locatifs. Il s'agit donc d'une modification, comme la précédente, qui avait été acceptée par le peuple - il est important de le rappeler.

Au début des années 90, cette loi a subi d'autres modifications, en vue de freiner et de bloquer la politique des logements vides, afin d'accroître la pression sur le marché et de disposer d'immeubles totalement inoccupés de locataires pour mieux pouvoir spéculer lors de leur vente.

En 1996, à l'époque du gouvernement monocolore et de la précédente majorité de l'Entente, la LDTR a été modifiée. Un compromis avait été trouvé. Toutefois, ce compromis a vite montré ses limites dans son application, dans la mesure où, malgré le maintien de certaines dispositions telles qu'elles existaient sous l'ancienne loi, les tribunaux ont tiré parti de nouvelles formulations et ont commencé à modifier leur jurisprudence.

C'est ainsi qu'en 1999 il y a eu une énième modification de la loi destinée à revenir sur certain point du texte de 1996. Cette révision a été attaquée par les milieux immobiliers dans le cadre d'un référendum. Comme je le disais ce matin, ce référendum a été perdu par les milieux immobiliers et le peuple genevois a accepté le renforcement de la LDTR.

On voit donc que les Genevois et les Genevoises ont toujours plébiscité les modifications de la LDTR tendant à protéger les locataires de ce canton qui représentent - rappelons-le - 85% de la population, à conserver des logements bon marché et à éviter les dérives spéculatives.

Ce matin, on s'attaquait par la bande à l'un des éléments clés de la LDTR, en visant le niveau des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population - non pas à la limite de base elle-même, mais aux exceptions, en les étendant et en les assouplissant.

Aujourd'hui, avec ce deuxième projet de loi on attaque de plein fouet l'article 39 de la LDTR, c'est-à-dire celui qui limite l'aliénation d'appartements locatifs.

Certes, on nous expliquera que c'est pour favoriser le locataire en place. Cela est inexact. L'application de cette loi, compte tenu du déplacement des locataires et de la population, aboutira en fait à ouvrir l'ensemble du parc immobilier à la vente d'appartements, cela au détriment des locataires dont les revenus sont modestes et qui ne peuvent acquérir un logement. Aucune limite de reventes d'appartements n'est fixée, ce qui permettrait à nombre de personnes de louer un appartement en attendant un certain délai pour l'acheter, puis, une fois acheté, de le revendre et de partir ailleurs. Cela n'est naturellement pas acceptable !

Il faut savoir qu'avec le système qui est proposé, chaque fois qu'une vente à un locataire en place intervient, l'appartement quitte définitivement le marché locatif pour le marché de la propriété du logement.

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !

M. Carlo Sommaruga. Dès lors, cette modification de la LDTR n'est évidemment pas acceptable, parce qu'elle porte atteinte au parc locatif des logements. Elle est également vicieuse au niveau du coût du logement, puisque les prix vont augmenter tant en ce qui concerne la vente que la location des logements.

Nous aurons la possibilité de réexaminer ce projet de loi en commission, certes, mais il faut déjà savoir que les milieux immobiliers, par le biais de l'Entente, ont déposé devant la commission du logement des projets de lois en application de l'IN 116, en vue de réformer la LDTR, allant encore plus loin que ce projet de loi. Il s'agit donc là d'une vraie remise en question de la LDTR sans aucune limite, et, je le répète, cela n'est pas acceptable pour les locataires.

M. Christian Ferrazino (AdG). Je vais enchaîner sur les propos de mon collègue Sommaruga en précisant - je ne referai pas tout l'historique, puisqu'il vient d'être brièvement rappelé - qu'il s'agit ni plus ni moins de la réintroduction, d'une manière totalement hypocrite, des congés-ventes dans notre République.

Pourquoi ? Tout simplement parce que les députés qui ont déposé ce projet de loi nous disent qu'un certain nombre de précautions vont être prises pour éviter que la loi ne soit contournée... Et que l'acquisition de son logement n'est possible que si le locataire l'occupe depuis deux ans, et cela, justement, pour éviter que certains n'éludent la loi...

On peut donc constater que les auteurs de ce projet de loi sont particulièrement bien au fait de ce qui se pratique en matière immobilière, car il est vrai que certains sont souvent tentés d'éluder la loi.

Pour nous, Mesdames et Messieurs les députés, le logement n'est pas une marchandise comme les autres. Et, si vous essayez - en tout cas certains d'entre vous - par tous les moyens possibles et inimaginables, de faire en sorte que la pression foncière puisse rapporter toujours plus à son propriétaire, notre préoccupation à nous, c'est de faire en sorte, au contraire, que la partie faible du contrat qu'est le locataire soit protégée correctement.

Nous avons obtenu cela avec les modifications successives de la LDTR, qui ont été à chaque fois confirmées par le peuple. Pourquoi l'ont-elles été ? Parce que les milieux immobiliers - certains représentants sont là dans cette salle pour relayer ce discours... - ont lancé à chaque fois des référendums. Et, à chaque fois, la population les a désavoués.

Eh bien - M. Sommaruga l'a laissé entendre - un prochain référendum vous attend peut-être, mais, cette fois-ci, il viendra de nos milieux, et pas des vôtres. Car il est clair que si cette loi devait être modifiée dans le sens que vous souhaitez, un référendum s'imposera. Nous ne pouvons en effet pas accepter que vous puissiez de la sorte réintroduire en toute hypocrisie - je le disais tout à l'heure - les congés-ventes à Genève.

J'aimerais simplement donner un exemple pour montrer l'hypocrisie qui est la vôtre dans ce projet de loi: il suffirait d'installer un locataire en lui faisant une promesse de vente pour lui permettre d'acquérir son logement au bout de deux ans. Cela démontre que, finalement, les gardes-fous que vous prétendez avoir mis ne servent absolument à rien ! Rien n'empêcherait un propriétaire d'arriver à ses fins, c'est-à-dire d'imposer la vente des logements aujourd'hui offerts en location à de futurs acquéreurs qui auraient conclu une promesse de vente afin de devenir eux-mêmes propriétaires au bout de ce délai de deux ans. Vous démontrez par là qu'il s'agit d'une volonté pure et simple de réintroduire un phénomène que nous avons voulu proscrire une fois pour toutes dans cette cité. Et si d'aucuns veulent le réintroduire, soyez convaincus que nous serons là pour tenter d'éviter qu'on y parvienne !

M. Hugues Hiltpold (R). Il n'est pas inopportun de rappeler que Genève connaît le système le plus restrictif de Suisse en matière d'acquisition d'appartements loués. En effet, la vente d'un appartement doit faire l'objet d'une autorisation délivrée à des conditions qui sont assez restrictives.

Il est vrai - il est utile de le rappeler également - que ces conditions restrictives sont liées à la pratique des congés-ventes qui laissait le choix aux locataires soit d'acquérir leur logement soit de partir, pratique tout à fait condamnable, et il est également important de rappeler que le droit du bail l'interdit.

Le Tribunal administratif, Mesdames et Messieurs les députés, considère que le locataire en place doit être autorisé à acheter son propre logement, lorsqu'il l'occupe depuis quelques années et qu'il souhaite l'acquérir tout à fait librement.

Il est important de préciser que ce projet de loi ne modifie pas la réglementation en vigueur. En revanche, il clarifie et précise les conditions auxquelles un locataire en place peut acquérir son propre logement. Les auteurs de ce projet de loi ont voulu faire deux propositions.

La première est la suppression de l'alinéa 3 de l'article 39 de la LDTR qui spécifie les conditions qui doivent être remplies pour qu'un locataire puisse acheter son appartement. C'est un artifice - c'est vrai - qui a un effet somme toute assez rédhibitoire sur la possibilité réellement offerte aux locataires d'acquérir leur logement.

La seconde proposition, Mesdames et Messieurs, consiste à ajouter un alinéa supplémentaire spécifiant la liste des cas où l'autorisation peut être délivrée. Tout d'abord, le locataire doit occuper l'appartement depuis deux ans - introduction, donc, d'une durée de deux ans. Ensuite, les personnes faisant ménage commun avec lui peuvent également l'acquérir aux mêmes conditions.

Les auteurs sont tout à fait conscients que le projet de loi qui vous est soumis suscitera un certain nombre de débats qui vont être assez vifs, raison pour laquelle ils vous invitent à renvoyer ce projet de loi à la commission du logement qui l'examinera avec bienveillance.

M. Olivier Vaucher (L). Le préopinant ayant dit l'essentiel sur ce projet de loi, j'aimerais juste préciser qu'il faut absolument permettre à des locataires de pouvoir acquérir leur appartement à Genève.

Je comprends très bien la réaction de M. Ferrazino - et du groupe de l'Alliance de gauche - qui ne souhaite pas que les gens acquièrent leur appartement, puisque son électorat se trouve chez les locataires... Bien sûr, c'est facile ! Nous savons très bien que vous vous opposerez à toute mesure qui aiderait les locataires à acquérir leur logement, puisque, à chaque fois qu'un locataire deviendra propriétaire, vous perdrez un électeur !

Alors, nous souhaitons quand même que la nouvelle majorité de ce parlement, même si vous faites tout pour empêcher que cette modeste mesure ne soit adoptée - notre pays compte tout de même le plus grand nombre de locataires au monde - votera ce projet de loi, ce qui permettra enfin à des locataires de pouvoir acquérir leur logement à Genève dans des conditions normales. Nous espérons vivement que la commission du logement, à laquelle il faut renvoyer ce projet de loi, l'étudiera avec la plus grande bienveillance.

Mme Michèle Künzler (Ve). Les Verts ont toujours été favorables à la démocratisation de la propriété, mais, en l'occurrence, et comme pour l'initiative qui est déjà en commission «Un toit pour soi», je pense que les limites ne sont pas fixées assez clairement. J'aimerais en effet souligner que ce projet de loi est bien en deçà de ce qu'on nous propose déjà en commission et à quoi nous avons déjà exprimé notre désaccord. C'est effectivement ouvrir la porte à l'acquisition de n'importe quel logement, puisqu'il nous est proposé non seulement de donner cette possibilité pour les logements dont les locataires sont en place mais aussi pour tous les logements qui seraient vacants, c'est-à-dire un potentiel de vingt mille par année ! C'est absolument impossible et insensé !

Nous pensons que la seule chose à faire, c'est de trouver une marge de manoeuvre entre ce qui est actuellement défendu et ce qui est permis. Je pense que l'article que vous voulez abroger doit être remanié. C'est la seule solution que nous voyons pour trouver un moyen d'assouplir très légèrement les conditions d'acquisition. Cette possibilité doit s'ouvrir, mais pas à n'importe quel prix.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous avait en son temps proposé de ne pas entrer en matière sur l'IN 116 «Pour un toit à soi». Dans un deuxième temps, il vous avait suggéré de vous diriger vers un contreprojet. Vous avez décidé de concrétiser cette initiative et le projet de loi qui vous occupe maintenant en préconsultation, s'agissant de la quatrième invite de l'initiative, est un texte qui est d'ores et déjà à l'examen devant la commission du logement.

Compte tenu des positions du Conseil d'Etat que je viens de rappeler, vous imaginez bien que nous accueillons avec la plus grande crainte des projets qui font manifestement courir le risque d'une nouvelle bagarre sur le logement à Genève, dont nous n'avons pas besoin à l'heure où toutes les énergies devraient tendre à résoudre la pénurie et non pas à se battre sur ce genre de questions. Nous avons également les plus grandes craintes sur le fait que, malgré les précautions prises par les auteurs du projet de loi, qui nous assurent qu'il n'y aura pas de dérapages, le risque d'un retour des congés-ventes existe bel et bien si on libéralise par trop les ventes d'appartements actuellement loués.

La véritable réponse à l'accès à la propriété, c'est la propriété par étages d'immeubles, conçus comme tels dès le début, mis en vente par étages. Parce que, vous le savez aussi - et c'est une question pratique - lorsqu'un immeuble compte une partie de locataires et une partie de propriétaires, la gestion du dit immeuble et l'atmosphère dans l'immeuble sont extrêmement conflictuels et difficiles.

C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, je ne peux que vous inviter à la plus grande prudence sur un sujet dont vous savez qu'il est sensible au coeur d'une très grande partie de notre population.

Ce projet est renvoyé à la commission du logement.