République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8830
Projet de loi de Mmes et MM. Esther Alder, Christian Bavarel, Anita Frei, Morgane Gauthier, David Hiler, Antonio Hodgers, Michèle Künzler, Sylvia Leuenberger, Anne Mahrer, Ariane Wisard modifiant la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève (B 1 01) (horaires des sessions)

Préconsultation

M. Antonio Hodgers (Ve). Si certains groupes, face à la surcharge de nos travaux, proposent des projets de lois qui bricolent notre règlement, en supprimant les interpellations urgentes ici, les motions communales là, notre groupe fait en revanche une proposition qui va plus au fond du problème. En effet, la constante, ces dernières années, est que le volume et la complexité des objets que nous traitons ne font qu'augmenter. Face à cela, comme je l'ai dit tout à l'heure, une première option, que nous ne souhaitons pas, est de transformer ce parlement en une simple chambre d'enregistrement du Conseil d'Etat. Celui-ci, à l'instar de ce qui se passe dans d'autres cantons, présente ses projets, le parlement dit oui ou non, et la République fonctionne ainsi. Etrangement, ce genre de projet - tel que celui prévoyant la fusion des commissions en une seule commission par département - vient d'un groupe qui n'est pas gouvernemental, mais ce n'est pas le seul paradoxe dans ce parlement...

Nous ne soutenons pas cette option: nous estimons que notre parlement doit se donner les moyens d'assumer les tâches qui lui sont confiées. A cet égard, on doit aujourd'hui admettre que le travail d'un député ne peut pas se faire comme cela, pour l'honneur, pour le plaisir, en sus de ses activités professionnelles et familiales. Ce n'est pas un loisir: nous avons de réels pouvoirs que nous devons exercer.

Par ailleurs, nous constatons que le travail du parlement empiète essentiellement sur la vie familiale. Les horaires le démontrent: les commissions se réunissent toujours entre 12 et 14 h et entre 17 et 19 h, cela au détriment de la vie familiale. Je pense notamment à ceux d'entre nous qui ont de jeunes enfants, dont les horaires scolaires font qu'ils sont justement à la maison à midi et en début de soirée. Cela concerne particulièrement les femmes. Tout à l'heure, quand nous débattions du projet de loi socialiste sur les quotas de liste, nous nous posions la question de savoir pourquoi il y avait si peu de candidates. Voilà peut-être une réponse: les horaires de travail de notre parlement ne sont pas du tout adaptés à ceux de la vie de famille, et nous savons que ce sont encore essentiellement les femmes qui sont au centre de la vie de famille.

Dans ce sens-là, ce projet de loi vise à lancer le débat sur notre statut de miliciens. Aujourd'hui, être député prend facilement 20% de notre temps, et cela nous devons l'accepter. Ce n'est pas un hobby, ce n'est pas un loisir, c'est vraiment un travail. C'est pourquoi nous proposons de prévoir une journée par semaine dédiée exclusivement au travail du parlement. Une fois par mois, cette journée serait utilisée pour la séance plénière, les trois autres journées seraient utilisées pour les séances de commissions. Telle est notre proposition, mais nous pourrons bien sûr discuter d'autres options, telles que deux demi-journées par semaine ou autre. Il n'empêche que nous ne pouvons plus continuer comme cela et que nous devons faire quelque chose à ce sujet.

Enfin, un autre problème que ce projet de loi cherche à résoudre, c'est celui des déplacements: non seulement nous avons des séances de commission tous les jours, qui prennent du temps, mais en plus il faut compter les déplacements pour venir ici à l'Hôtel de Ville. Un député qui siège en moyenne dans trois ou quatre commissions doit faire six à huit déplacements. Avec ce projet de loi, nous gagnerons du temps à ce niveau-là, puisqu'il ne faudra plus nous déplacer que deux fois par semaine.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à renvoyer ce projet de loi en commission des droits politiques, à le traiter avec les autres projets de lois concernant le fonctionnement de ce parlement - car nous avons tous convenu qu'ils étaient liés - et à essayer vraiment, dans le cadre de nos travaux, d'aller au fond du problème, et de ne pas se contenter de quelques petites modifications de notre règlement. Je précise, pour terminer, que si ce projet de loi devait trouver une majorité, il n'entrerait évidemment pas en vigueur avant la prochaine législature, car il semble un peu difficile de changer les règles en cours de route.

M. Claude Blanc (PDC). Je ne m'étendrai pas sur la totalité des objets qui nous ont été soumis aujourd'hui concernant le fonctionnement du Grand Conseil: je crois avoir déjà dit tout ce qu'il fallait en penser. Mais ici, nous nous trouvons en présence d'un projet qui, à mon sens, est important, parce qu'il tend à changer fondamentalement le système dans lequel nous travaillons. Ce projet, c'est l'ouverture à la professionnalisation du travail de député. Nous passons, avec ce projet, du statut de député de milice au statut de député professionnel. En effet, consacrer un jour entier par semaine au travail du Grand Conseil, c'est y consacrer 20% du temps de travail de la majorité des gens. De plus, compte tenu de ce que je disais tout à l'heure, compte tenu du comportement que nous avons, compte tenu du nombre de commissions - chaque législature voit se créer une ou deux commissions supplémentaires, on n'en a jamais supprimé aucune, si ce n'est la commission LCI, et encore cela a fait une telle histoire ! - je vois mal comment vous pourrez, Mesdames et Messieurs les députés, absorber le travail des commissions en un jour par semaine, d'autant qu'un jour par mois sera consacré au Grand Conseil. On se retrouvera vite devant les mêmes problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui et le résultat des courses, c'est que, n'arrivant pas à traiter les sujets, on passera d'un jour par semaine à un jour et demi, puis à deux jours... C'est pourquoi je le répète: il faut être bien conscient que c'est le pas qu'on essaie de nous faire franchir vers le parlement professionnel. On peut être pour, on peut être contre, mais il faut en être conscient et c'est de cela que la commission devra parler, car c'est vraiment important.

M. John Dupraz (R). Le jeune chef de groupe des Verts estime que le projet de loi radical concernant le regroupement des commissions est un mauvais projet, mais moi je prétends qu'à l'heure de la globalisation c'est un bon projet, car cela permettrait de définir des priorités à l'intérieur d'un département, en dialoguant avec le Conseil d'Etat et le parlement pour effectuer un travail qui soit suivi, cohérent et efficace. Actuellement on se disperse dans de nombreuses commissions, on siège entre midi et 14 h, entre 17 et 19 h, et M. Hodgers pense qu'en se réunissant un jour par semaine, on va pouvoir assumer les séances plénières et tous les travaux de commission ! Comme l'a dit M. Blanc, c'est le doigt dans l'engrenage du professionnalisme... (Exclamations et brouhaha.)Monsieur le président, vous pourriez faire taire ces mécréants qui se moquent d'un petit paysan qui parle au nom du peuple? (Rires et exclamations.)

Pensez-vous qu'en un jour par semaine nous pourrons améliorer le système de travail dans lequel nous sommes enferrés actuellement avec cette pléthore de commissions? Très vite, il nous faudra deux jours par semaine et nous en serons à un semi-professionnalisme. Si, dans une petite province comme Genève, nous ne sommes pas capables de régler nos problèmes entre 17 et 19 h, comme on l'a toujours fait jusqu'à maintenant, cela commence vraiment à m'inquiéter... Mais il est clair qu'actuellement on se complaît à débattre sur des histoires de détail, ou sur des histoires importantes comme les droits de l'homme en Chine... Mesdames et Messieurs, vous n'avez pas été en Chine, que savez-vous de ce qui se passe en Chine? (Brouhaha.)On veut se mêler de tout: la Ville de Genève, gouvernée par un ramassis d'incapables, veut fermer le tunnel du Mont-Blanc aux camions... Mais où va-t-on, Monsieur le président? Alors, revenons à des conditions de travail un peu plus simples, restons-en à notre cinq à sept... (Rires et exclamations.)

Enfin, pour ma part, je doute que le fait de siéger un jour entier, tout le lundi par exemple, faciliterait la vie des femmes. J'en doute encore plus que pour ce qui est du système actuel. Alors, vraiment, le projet de loi des Verts est un projet malvenu, mais nous irons en commission, et nous le démantibulerons !

M. Sami Kanaan (S). J'interviens après notre cher collègue paysan qui, on le sait, fait de la politique uniquement à ses heures perdues et de manière très marginale par rapport à son emploi du temps...

M. John Dupraz. La nature travaille pour moi, Monsieur ! (Rires et exclamations.)

M. Sami Kanaan. Eh bien, tu as de la chance, mon vieux ! Notre collègue Dupraz a beaucoup de chance, parce que moi, quand je siège, la nature ne travaille pas pour moi et mon revenu ne s'améliore pas! (L'orateur est interpellé.)

Le président. Messieurs de la terre, un peu de silence !

M. Sami Kanaan. Plus sérieusement, j'ai eu l'occasion, avant d'entrer dans cette enceinte, de siéger au Conseil municipal de la Ville de Genève où nous avons eu une discussion similaire. Les dangers dont parle M. Blanc n'ont rien à voir avec le projet des Verts, parce qu'ils sont déjà réalité. Quelles que soient les raisons, bonnes ou mauvaises, quelles que soient les responsabilités, notre parlement est surchargé. Il se peut qu'il y ait trop d'objets, il se peut que les objets soient trop complexes, il se peut que nous parlions trop, tout cela est bien possible. N'empêche que la réalité est déjà là: le fameux cinq à sept de M. Dupraz, c'est du passé, puisque l'exception de 14 h le vendredi est devenue la règle. Un jour, on va nous dire que le jeudi aussi, notre séance commence à 14 h...

Cela a une conséquence très simple: je souhaite qu'on fasse un jour une étude de la situation personnelle des cent membres de ce Conseil au niveau professionnel et familial. Nous arriverons à la conclusion qu'il faut un profil très particulier pour siéger ici: ce parlement à la longue devient de plus en plus anti-démocratique, parce qu'il n'arrive plus à être représentatif des différentes composantes de notre population. Bien des gens qui voudraient siéger, qui en auraient les compétences, ne le peuvent tout simplement pas, soit parce qu'ils ont un emploi à plein temps qui ne leur laisserait jamais la disponibilité nécessaire pour siéger, que ce soit de 17 à 19 h, de midi à 14 h, la journée ou le soir, soit parce qu'ils ont des situations familiales qui ne le leur permettent pas non plus. Cela n'est pas normal et nous avons tous la responsabilité, quel que soit notre parti politique, de nous en préoccuper car cela va en empirant.

Un des leaders intellectuels du SPD en Allemagne disait: «Le danger, c'est d'avoir un jour un parlement composé uniquement de représentants des appareils associatifs, syndicaux ou patronaux, des gens payés pour faire de la politique, ou des retraités, ou des étudiants.» C'est déjà partiellement le cas, il suffit d'examiner les occupations des uns et des autres ici pour s'en rendre compte. Cela, on ne peut pas l'accepter, ou alors il faut en faire le choix conscient et dire que seuls peuvent siéger des gens délégués par des organisations diverses, des célibataires, des gens qui n'ont pas d'occupation, ou pas de vie familiale, ou alors qui ont quelqu'un qui assume à leur place. Et encore, ce n'est pas forcément une solution pour l'éducation des enfants... On ne peut pas nier ces problèmes.

La solution des Verts n'est certainement pas parfaite, il faut en discuter, mais elle a au moins le mérite de poser le problème, et là il ne faut pas faire d'hypocrisie ou mettre la tête dans le sable. J'aimerais aussi signaler, et les Verts l'ont dit dans leur exposé des motifs, que ce système est pratiqué dans pas mal de cantons et, autant que je sache, ces cantons vivent très bien, voire mieux que nous. On sait aussi l'effet des séances du matin: les gens sont moins bavards, moins fatigués, moins énervés. On peut bien sûr se demander s'il est aussi facile que ne le disent les Verts de rattraper, dans son travail, les heures consacrées au Grand Conseil, on peut aussi se demander si une journée suffira, mais ne pas se poser de questions du tout, c'est inacceptable !

M. Jean-Michel Gros (L). Le groupe libéral ne s'opposera évidemment pas au renvoi en commission de ce projet de loi, puisqu'il fait partie de toute une série de projets visant à réformer le parlement.

Cela dit, je voudrais attirer l'attention de M. Hodgers sur le fait que, si les horaires actuels ne conviennent peut-être pas à tout le monde, ils sont relativement compatibles avec une journée de travail. En général, les gens terminent leur travail aux environs de 17 h et peuvent venir siéger. Dès lors qu'il faudra consacrer une journée par semaine au Grand Conseil, j'attire votre attention, Monsieur Kanaan, vous qui êtes socialiste, sur le fait qu'il n'y aura vraisemblablement plus un seul salarié dans ce Grand Conseil, mis à part les salariés des associations professionnelles ou des groupes de pression. C'est actuellement ce qui se passe aux Chambres fédérales à Berne où, je crois, sur 246 membres il n'y a pas un seul salarié ! Car quel patron voudrait laisser un employé partir une journée entière par semaine? Actuellement, avec les horaires qui sont pratiqués, un employeur peut admettre de libérer un employé un quart d'heure ou une demi-heure avant la fin du travail. Ce ne sera plus le cas avec la proposition de M. Hodgers. Je ne m'oppose pas à la discussion, mais je relève que la proposition de M. Hodgers pourrait représenter une alternative beaucoup plus antidémocratique que le système en vigueur.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je soumets à votre sagacité un chiffre qui demandera à être vérifié: nous avons 700 jours de commission, valeur aujourd'hui, à deux heures en moyenne, soit 1400 heures: divisées par 40 semaines, cela fait 35 heures. On en est presque à la semaine de 35 heures, soit en plein dans la professionnalisation... Voilà ce que je tenais à dire, mais la commission et le parlement en débattront !

Ce projet est renvoyé à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil.