République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8736
Projet de loi de Mmes et MM. Carlo Sommaruga, Esther Alder, Jocelyne Haller, Alberto Velasco, Michèle Künzler, Rémy Pagani modifiant la loi instituant la commission de conciliation en matière de baux et loyers (E 3 15) (Mesures de prévention des expulsions de locataires d'habitation)
M 1457
Proposition de motion de Mmes et MM. Esther Alder, Carlo Sommaruga, Rémy Pagani, Jocelyne Haller, Alberto Velasco, Michèle Künzler pour une trêve hivernale en matière d'évacuations de locataires défavorisés

Préconsultation

M. Rémy Pagani (AdG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi vise à atténuer les rigueurs de la crise économique que nos concitoyens ont traversée durant les années 90, ainsi que les effets de la nouvelle crise qui s'annonce. Je vous rappelle la procédure existante: en cas de non-paiement de loyer, une procédure devant la commission de conciliation en matière de baux et loyers est activée par le propriétaire qui, après jugement, obtient les services du Procureur général. Celui-ci tente de trouver des solutions à l'amiable, puis évacue, de manière forcée, les habitants. Je vous rappelle quelques chiffres, assez caractéristiques de la situation actuelle: concernant les familles évacuées, jetées à la rue, il y en a eu 1349 en 1998, 1457 en 1999, 1392 en 2000, et 1409 en 2001. On voit bien là la fin des dix années de crise, ainsi que la reprise de la crise, qui perdure actuellement. Nous estimons qu'il y a lieu de travailler, si faire se peut, à alléger l'ensemble des procédures et à soulager les gens qui subissent ces évacuations, notamment en trouvant des solutions pour les reloger. Ces gens ont en effet droit à un logement, tel qu'il est prévu dans la constitution de notre République. Le droit au logement doit leur être garanti, un logement qui corresponde à leurs capacités financières. Malheureusement, vu la crise du logement qui a pris une amplitude très importante ces deux dernières années, ces gens se retrouvent dans la plupart des cas à la rue. J'espère donc que ce projet de loi retiendra l'attention en commission et qu'il sera voté par la majorité de ce parlement comme une mesure humanitaire, visant à soulager nos concitoyens qui subissent les effets dramatiques de la crise que nous traversons.

M. Carlo Sommaruga (S). Monsieur le président, pour qu'il n'y ait pas de confusion, je précise que je m'exprime au nom du groupe socialiste.

Mesdames et Messieurs les députés, il y a effectivement un problème de taille à Genève. Nous avons plus ou moins deux à cinq personnes par jour qui voient leur bail résilié, en raison de leurs difficultés à payer le loyer. Il s'agit de personnes dont les revenus baissent brutalement ou cessent, c'est-à-dire des personnes qui tombent au chômage ou qui n'ont pas droit à des prestations de quelque nature que ce soit. Ces personnes vivent des drames personnels, des drames familiaux, qui aboutissent souvent à une isolation sociale et une précarité complètes.

Un des grands problèmes de la procédure actuelle, c'est qu'une fois passée la commission de conciliation, le locataire se retrouve au Tribunal des baux et loyers, avec un jugement d'évacuation. Cette procédure peut durer parfois quelques semaines, parfois quelques mois. En dernier lieu, elle aboutit, comme cela a été dit par M. Pagani, par une audience devant le Procureur général, qui décide s'il y a lieu d'évacuer les locataires par l'envoi de la force publique ou au contraire s'il faut reloger, lorsque la possibilité existe. Le relogement peut intervenir lorsque les services de l'Etat disposent de logements d'urgence ou lorsqu'un service social peut venir financièrement en aide aux locataires en difficulté. Malheureusement, la durée de la procédure est relativement longue. Ainsi, lorsque les locataires se retrouvent devant le Procureur général, les retards de loyer accumulés sont relativement importants, de sorte qu'il s'avère difficile de trouver une solution concrète pour qu'ils puissent rester dans leur logement, ou pour en trouver un autre.

Ce projet de loi est une réponse à cette situation difficile, et propose d'instaurer une prise en charge plus large, dès la procédure en commission de conciliation, en mettant directement en rapport la commission de conciliation, l'office cantonal du logement et l'Hospice général, pour aboutir à une réponse sociale coordonnée et à un relogement. Il s'agit aussi d'éviter que les locataires ne soient livrés à eux-mêmes tout au long de la procédure - ce sont souvent des personnes en difficultés sociales et parfois aussi personnelles - et ne se retrouvent finalement complètement démunis devant le Procureur général.

En d'autres termes, il s'agit de reprendre ce que M. Bertossa avait introduit au niveau du Procureur général, de l'instaurer plus tôt dans la procédure, pour éviter les difficultés croissantes qui découlent du cumul de non-paiements des loyers.

C'est un projet de loi qui se veut un élément d'ouverture du débat, pour trouver des solutions concrètes au niveau de l'administration, et de ses différents services, en collaboration avec la commission de conciliation. Il est naturellement perfectible, c'est pourquoi nous espérons que, dans le cadre du travail en commission, l'ensemble des partis du Grand Conseil, conscients des difficultés que connaît cette partie de la population, entreront en matière et participeront à l'élaboration de solutions concrètes pour venir en aide à des personnes, parfois complètement précarisées.

M. Christian Luscher (L). J'aimerais simplement, à ce stade et avant que le projet de loi ne soit envoyé en commission, atténuer légèrement les propos qui ont été tenus par M. Sommaruga. Les gens qui sont en procédure d'évacuation ne sont jamais laissés à eux-mêmes. Ils sont, de manière générale et presque dans chaque cas qui passe devant les tribunaux, défendus par les brillants avocats de l'Asloca, qui connaissent bien le droit, qui connaissent bien la procédure, de sorte que je m'étonne qu'un membre de la même Asloca vienne dire aujourd'hui que les gens sont laissés à eux-mêmes. Cela n'est pas vrai. Il faut également dire ici, même si on en parlera largement en commission, que les gens qui sont de bonne foi et font des efforts sont récompensés par des solutions. On se trouve rarement, voire jamais, dans une situation où quelqu'un qui est de bonne foi et qui a fait des efforts est expulsé contre son gré, car des solutions sont systématiquement trouvées. Cela étant dit, mon intervention se limitera aujourd'hui à demander que ce projet de loi soit renvoyé devant la commission judiciaire, qui est visiblement la plus compétente pour traiter cette affaire.

Le président. On nous a plutôt proposé la commission législative, qui traite en ce moment un sujet similaire. Je pense qu'il serait plus rationnel de tout renvoyer à cette commission, sauf si vous avez une autre proposition...

M. Christian Luscher. Non, c'est bien ainsi !

M. Gabriel Barrillier (R). Sur ce point, je voudrais, Monsieur le président, soutenir la proposition de renvoyer ce projet de loi à la commission législative. J'avais pensé à la judiciaire, mais puisqu'on nous dit que la législative s'occupe de ce type de dossiers, je pense que ce serait plus opportun ainsi.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi porte sur un objet important, parce que nous savons que la perte de son appartement, l'expulsion d'un appartement est l'un des facteurs déclencheurs de l'exclusion sociale en général. L'idée du projet de loi, qui consiste à traiter le plus en amont possible des difficultés liées à une résiliation de bail, est fondamentalement juste. Cela revient à transférer les démarches ultimes, que l'on fait en catastrophe le dernier jour, le plus tôt possible dans la procédure, afin d'éviter, d'une part, une augmentation des pertes pour le propriétaire et, d'autre part, les angoisses et les difficultés liées à la procédure, pour les locataires. L'idée est donc juste.

En revanche, en ce qui concerne certaines modalités, certaines dispositions proposées, j'aurai quelques critiques à apporter, mais dans le sens constructif de tout faire pour que le problème soit traité le plus rapidement possible et le plus en amont possible. En ce qui concerne le choix de la commission, je n'ai effectivement pas d'objection à ce que ce projet aille devant la commission législative.

M. Carlo Sommaruga (S). Sauf erreur de ma part, nous traitons aussi la motion 1457...

Le président. C'est le cas et j'allais vous proposer, comme cela a été décidé au niveau des chefs de groupe et du Bureau, de tout renvoyer à la commission que vous avez désignée, soit à la commission législative, si vous êtes d'accord.

M. Carlo Sommaruga. J'aimerais me prononcer sur la proposition de motion...

Le président. Allez-y.

M. Carlo Sommaruga. J'aimerais juste rappeler que cette motion propose l'instauration d'une trêve hivernale en matière d'évacuation des locataires défavorisés. Elle a été motivée par des évacuations de personnes cet hiver, qui, contrairement à ce que disait M. Luscher, n'ont pas trouvé de solution de relogement, malgré la bonne volonté des services sociaux, et malgré les efforts entrepris par ces personnes. En effet, il s'avère parfois que même des personnes de bonne foi, qui s'efforcent de payer leur loyer mais qui n'ont pas de ressources financières importantes, n'arrivent pas à trouver de solution de relogement ni auprès des régies ni auprès des propriétaires de logements sociaux, qui exigent des garanties financières; malheureusement, aujourd'hui, il arrive qu'il n'y ait plus de solution de relogement d'urgence. Ainsi, cet hiver, les logements d'urgence étaient tous pleins. Un certain nombre de personnes ont été évacuées et se sont retrouvées à la rue.

L'idée est d'instaurer à Genève, dans notre législation cantonale, une solution déjà adoptée par nombre de pays européens, en France et ailleurs, et qui est celle d'éviter que des personnes ne se retrouvent à la rue pendant la période hivernale. Il s'agit en effet d'aller à la rencontre de personnes de bonne foi en difficulté, et non pas des profiteurs, et ceci à l'aide de l'Etat. C'est pourquoi nous proposons cette motion qui invite le Conseil d'Etat à faire des propositions dans ce domaine.

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, autant j'étais positif en ce qui concerne le projet de loi, autant je suis négatif en ce qui concerne la motion. Pourquoi ? Parce que la législation en vigueur dans les autres pays d'Europe, concernant l'interdiction d'évacuation pendant l'hiver, date du XIXe siècle, lorsque la police intervenait et mettait les gens à la rue purement et simplement et que, le climat étant rude, il était déraisonnable de le faire en hiver. Je pense aujourd'hui que la question de l'évacuation n'est pas une question climatologique et qu'évacuer quelqu'un le 15 août, quand il fait 30 degrés, ou le 15 novembre, quand il fait moins 5 degrés, est inacceptable dans les deux cas s'il n'y a pas de solution de relogement. Je crains qu'une telle motion n'ait un effet pervers, qui consisterait à protéger les locataires tant qu'il fait froid, pour les expulser dare-dare dès qu'il fait chaud. Je sais bien que telles ne sont pas les intentions des auteurs de la motion, mais je voudrais le dire clairement: c'est une motion qui me paraît inadéquate pour résoudre un problème autrement plus grave que celui d'une simple date.

Le président. Mesdames et Messieurs, si vous êtes d'accord, nous allons suivre l'avis des chefs de groupe et du Bureau et renvoyer le tout à la commission législative.

Le projet de loi 8736 et la proposition de motion 1457 sont renvoyés à la commission législative.