République et canton de Genève

Grand Conseil

No 37

Vendredi 15 septembre 1995,

nuit

Présidence :

Mme Françoise Saudan,présidente

La séance est ouverte à 21 h.

Assistent à la séance : MM. Olivier Vodoz, président du Conseil d'Etat, Jean-Philippe Maitre, Claude Haegi, Gérard Ramseyer et Mme Martine Brunschwig Graf, conseillers d'Etat.

1. Exhortation.

La présidente donne lecture de l'exhortation.

2. Personnes excusées.

La présidente. Ont fait excuser leur absence à cette séance : MM. Guy-Olivier Segond et Philippe Joye, conseillers d'Etat, ainsi que MM. Nicolas Brunschwig, René Ecuyer, Bénédict Fontanet, Henri Gougler, Claude Lacour, Alain-Dominique Mauris, Pierre Meyll et Jean-Pierre Rigotti, députés.

3. Discussion et approbation de l'ordre du jour.

Mme Claire Chalut (AG). Je voudrais formuler une petite demande, Madame la présidente.

Je dois développer une interpellation au point 47, mais vu l'ordre du jour pas mal chargé, je souhaiterais être sûre de pouvoir encore le faire ce soir. En effet, les questions posées dans cette interpellation s'adressent à M. Ramseyer et nécessitent une réponse aussi rapide que possible.

La présidente. Bien, mais alors vous accepterez que le chef du département de justice, police et des transports vous réponde à une séance ultérieure, comme c'est d'ailleurs prévu par le règlement !

Mme Claire Chalut. Oui, tout à fait ! Je veux juste pouvoir lire mon texte !

Mise aux voix, cette proposition est adoptée.

La présidente. Il en sera fait ainsi, Madame !

4. Annonces et dépôts:

a) de projets de lois;

Néant.

b) de propositions de motions;

Néant.

c) de propositions de résolutions;

Néant.

d) de demandes d'interpellations;

Néant.

e) de questions écrites.

Néant.

M 939-A
5. Rapport de la commission de l'environnement et de l'agriculture chargée d'étudier la proposition de motion de Mme et MM. Sylvia Leuenberger, Roger Beer, Dominique Belli et Chaïm Nissim concernant les CFC et la couche d'ozone. ( -) M939
Mémorial 1994 : Développée, 4251. Renvoi en commission, 4255.
Rapport de Mme Yvonne Humbert (L), commission de l'environnement et de l'agriculture

Lors des séances du 16 mars et du 6 avril 1995, la commission de l'environnement et de l'agriculture, présidée par M. Luc Barthassat, a examiné la motion 939 concernant les CFC et la couche d'ozone et la possibilité de la destruction de ce gaz.

L'ozone

L'ozone existe dans l'air à toutes les altitudes, c'est dans la stratosphère qu'il se rencontre aux plus fortes concentrations constituant «la couche» ou écran d'ozone. La stratosphère est la couche atmosphérique qui s'étend jusqu'à une cinquantaine de kilomètres d'altitude.

Selon l'altitude, la latitude et la saison, la teneur de l'air en ozone présente d'importantes variations. Le maximum de densité est atteint vers une trentaine de kilomètres dans les régions équatoriales et dix-huit kilomètres au niveau des pôles.

Cet «écran» d'ozone arrête la plupart des rayonnements ultraviolets et a joué un rôle essentiel dans l'évolution de la biosphère car sa fonction a permis la colonisation des continents émergés par les êtres vivants.

Une importante source de pollution de l'air provient de l'usage à vaste échelle de solvants chlorés ainsi que le chlorofluorocarbures dénommés Fréon qui servent comme liquide cryogène (basses températures) dans les réfrigérateurs et surtout comme gaz propulseur dans les innombrables bombes aérosols dont l'usage s'est accru considérablement au cours des dernières décennies mais qui, actuellement, tend à disparaître de nos marchés.

Récupération des anciennes armoires frigorifiques

M. François Cupelin, adjoint à l'écotoxicologue cantonal, nous informe que le recyclage des CFC dépend d'une loi fédérale qui exige que tous les vieux «frigos» inutilisables doivent être munis d'une vignette dont le prix s'élève à 70 F. Ces armoires frigorifiques sont récupérées par les communes puis acheminées à un centre intercantonal où elles sont démontées après récupération des CFC. Deux tiers de ces gaz sont contenus dans les compresseurs et un tiers dans la mousse isolante. Les CFC ainsi récupérés sont réutilisés pour des installations industrielles.

Actuellement, il est interdit d'exporter ou d'importer des CFC et, dans une première phase, la Suisse a décidé de liquider les stocks puis d'en détruire totalement tous les résidus. Cette mesure devra être prise à l'échelon international. Pour quelle raison notre pays a-t-il choisi d'agir en deux phases ? Cela, d'une part, du fait que les armoires frigorifiques actuellement mises sur le marché ne contiennent plus de CFC et, d'autre part, les produits de remplacement étant créés par les mêmes entreprises, l'idée fut d'utiliser les CFC récupérés uniquement pour les installations industrielles. Le produit de remplacement largement utilisé est l'ammoniac qui, lui, n'est pas dangereux pour la couche d'ozone.

Genève n'est pas équipée pour récupérer les CFC et il est exact que la Ville de Lausanne avait eu l'intention de le faire mais, pour des questions techniques et de coût élevé, elle a renoncé à cette technique et confié cette tâche à la société Kühlteg AG. Toutefois, la meilleure solution reste l'incinération de ces gaz qui, pour être brûlés, nécessite des fours dont la température s'élève à 3 200 degrés. Les Cheneviers disposent actuellement de tels fours, il serait donc tout à fait possible de brûler des CFC à Genève, toutefois le problème reste au niveau du démontage des apparels. M. Cupelin nous précise encore que, dans un document émanant de la Fondation pour la gestion et la récupération des déchets en Suisse (SENS), elle annonce qu'elle s'engagerait, désormais, à brûler tous les CFC.

En 1993, dans notre canton, les communes récupèrent 2 196 appareils frigorifiques et les privés 705.

Lors d'une séance suivante, la commission eut le privilège de pouvoir visionner l'émission de Temps présent consacrée au recyclage des CFC des frigos voués à la démolition. Cette motion fut inspirée par ce film et l'un des auteurs nous rappelle qu'il faut 100 à 250 ans pour que les CFC lâchés dans l'atmosphère cessent d'avoir des effets nocifs sur la couche d'ozone.

En outre, cette motion demande que les CFC ne soient plus recyclés pour éviter de prolonger les effets nocifs sur l'atmosphère et que l'on poursuive le prélèvement de la taxe destinée à la destruction des anciens appareils frigorifiques, l'avenir de notre planète n'étant pas à négliger.

Interpellation au Conseil national

Comme suite à l'émission de Temps présent sur l'élimination des anciens appareils frigorifiques, une interpellation fut développée devant l'assemblée du Conseil national.

Voici la réponse donnée par le Conseil fédéral:

«Il faut empêcher les CFC de parvenir dans la couche d'ozone, du fait de leur action destructrice. Ainsi, le Conseil fédéral a-t-il édicté des prescriptions à cet effet dans l'ordonnance sur les substances, et il a procédé, à plusieurs reprises, à leur renforcement. Grâce à ces mesures, l'utilisation des CFC, qui se montait à 8 400 tonnes en 1986, a diminué jusqu'à moins de 2 000 tonnes en l'an 1992. Cette réduction a été obtenue en particulier au moyen de l'interdiction des CFC pour les aérosols et dans les mousses isolantes. D'ici la fin de 1995, les CFC seront totalement interdits, exception faite pour leur utilisation dasn les aérosols nébulisants des médicaments antiasthmatiques.

Selon l'ordonnance sur les substances, dès le 1er janvier 1994, les nouveaux frigos ne peuvent plus contenir de CFC. La plupart des anciennes installations frigorifiques en contiennent, tant à titre d'agent frigorigène que dans les mousses isolantes. En Suisse, les milieux concernés ont assuré l'élimination de ce type d'appareil sur la base d'un accord privé. Grâce à quoi, en 1993, plus de 70 tonnes de CFC ont été épargnées à l'environnement.»

Il ajoute encore:

«A partir de 1996, conformément au protocole de Montréal, les Etats industrialisés ne seront plus autorisés à produire de nouveaux CFC»

et que

«Les prescriptions relatives aux appareils ménagers sont également applicables aux installations industrielles pour ce qui est de l'entretien et de l'élimination. Dans tous les cas, l'utilisation de CFC est soumise à autorisation.»

Nouvelle invite de la motion 939

Les membres de notre commission proposent, à l'unanimité, une nouvelle invite au Conseil d'Etat:

«étudier la possibilité pour Genève, d'incinérer les CFC plutôt que de les recycler.»

Il est précisé que cette motion ainsi amendée reste celle de ses auteurs.

La commission de l'environnement et de l'agriculture vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir accepter cette motion ainsi amendée et de l'envoyer au Conseil d'Etat.

Débat

M. Chaïm Nissim (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, une phrase en page 2 du rapport de Mme Humbert donne tout son sens à ce rapport. Je vais vous la relire : «M. Cupelin - fonctionnaire du département - nous précise encore que, dans un document émanant de la Fondation pour la gestion et la récupération des déchets en Suisse (SENS), elle annonce qu'elle s'engagerait, désormais, à brûler tous les CFC.».

C'était le sens même de notre motion. Notre problème était le suivant. Depuis que les CFC étaient interdits d'importation et de production, une grande partie de ceux-ci étaient recyclés par la SENS et, quelquefois, les installations industrielles profitant de ces CFC recyclés avaient des fuites ou d'autres imperfections, ce qui fait que ces CFC recyclés repartaient dans l'atmosphère. C'est la raison de notre motion, car nous voulions absolument que tous les CFC soient brûlés et non plus qu'une partie de ceux-ci soient recyclés.

A partir du moment où la SENS avait accepté de tous les brûler, notre motion n'avait plus vraiment de raison d'être, puisque c'était justement ce que nous demandions. Nous sommes donc très satisfaits.

Je tenais juste, en deux mots, à remercier la rapporteuse, ainsi que les membres de la commission, qui ont pris deux heures sur leur temps. Ce n'est bien sûr pas grâce à notre motion que cette décision a été prise, mais grâce à un immense mouvement mondial. Toutefois, peut-être que notre action, aussi minime soit-elle, y a été pour quelque chose. Nous sommes - je le répète - très satisfaits.

Mme Yvonne Humbert (L), rapporteur. Je puis juste rajouter aux propos de M. Chaïm Nissim que, selon une décision de l'Assemblée générale de l'ONU, le 16 septembre sera dorénavant appelé «Journée internationale pour la préservation de la couche d'ozone», cela afin de sensibiliser l'opinion publique mondiale.

La présidente. Merci, Madame, de cette précision !

J'attire votre attention sur le fait que l'invite a été modifiée en commission.

Mise aux voix, cette motion ainsi corrigée est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

(M 939)

MOTION

concernant les CFC et la couche d'ozone

LE GRAND CONSEIL,

considérant:

- que le problème de l'amincissement de la couche d'ozone stratosphérique devient de plus en plus aigu, en Europe également;

- qu'une étude détaillée, parue dans le bulletin de l'office fédéral de la santé publique, fait état d'une dégradation de 2% tous les 10 ans de la couche d'ozone, entraînant une augmentation de 26% des cancers cutanés d'ici l'an 2000;

- que le département de l'action sociale et de la santé a pris les devants en publiant une petite brochure, «Mon enfant au soleil», pour prévenir les problèmes de cancers de la peau qui peuvent résulter d'une exposition trop importante aux UVB;

- qu'en Nouvelle-Zélande, pays où le problème est le plus aigu, on en est à tatouer le mufle des vaches pour leur éviter le cancer, et à recommander aux enfants de ne pas sortir plus de 20 minutes par jour (Temps présent: «L'arnaque des vieux frigos»);

- qu'en Allemagne le recyclage des CFC 11 et 12 (les plus nocifs, ils durent 250 ans) est interdit (à cause des fuites toujours possibles), seule leur destruction immédiate étant une solution véritablement écologique;

- que la Ville de Lausanne a déjà suivi l'exemple allemand,

invite le Conseil d'Etat

à étudier la possibilité pour Genève d'incinérer les CFC plutôt que de les recycler. 

R 299
6. Proposition de résolution de Mmes et MM. Claude Basset, Jean-Claude Dessuet, Janine Hagmann, Elisabeth Häusermann, Max Schneider, Jean-Claude Vaudroz, David Revaclier, Armand Lombard, Laurette Dupuis, Pierre Meyll, Olivier Lorenzini, Laurent Moutinot et René Longet concernant une politique régionale des déchets. ( )R299

EXPOSÉ DES MOTIFS

L'annonce de la construction d'une nouvelle usine d'incinération aux abords de Genève a soulevé bien des inquiétudes de part et d'autre de la frontière.

Cette résolution va dans le sens de la Convention de Madrid de 1980 qui a pour but de promouvoir la collaboration transfrontalière. Elle permet aux collectivités locales de gérer les problèmes de voisinage avec leurs homologues de l'autre côté de la frontière. Ces dernières peuvent notamment prendre des décisions communes qui doivent cependant toujours être conformes aux constitutions des Etats concernés. Le gouvernement genevois a grandement profité de ces dispositions internationales et le Grand Conseil entend à son tour faire de même. C'est pourquoi il adresse la présente résolution non seulement au Conseil d'Etat mais également aux organismes transfrontaliers concernés, soit le Comité régional franco-genevois et le Conseil du Léman.

La pollution ne connaît pas de frontières, c'est pourquoi, tout comme d'autres secteurs, la gestion des déchets, et notamment leur incinération, doit faire l'objet d'une coopération transfrontalière. Cela pour des raisons évidentes de coûts (financiers et environnementaux). En effet, l'incinération implique non seulement des investissements importants (l'usine proprement dite, ses accès et les investissements liés à la protection de l'environnement, filtres notamment) et des frais de fonctionnement, mais aussi des frais de stockage pour les résidus ultimes qui entrent dans la classification «toxiques dangereux».

Situation actuelle de l'usine des Cheneviers

L'usine des Cheneviers a été redimensionnée pour traiter entre 350 000 et 400 000 tonnes par an.

En 1994, cette installation n'a traité que 210 000 tonnes d'ordures. Ce tassement est dû à la politique de tri et d'économie mise en place, cette tendance devrait se poursuivre dans les prochaines années, ce qui est très positif.

Toutefois, ce tassement des volumes a pour corollaire une sous-exploitation de l'usine d'incinération, ce qui a une incidence sur son coût d'exploitation.

Dans l'état actuel, nous avons donc la possibilité de traiter plus de 150 000 tonnes par an en provenance de l'extérieur du canton, si cela était souhaité. Le Conseil d'Etat genevois a d'ailleurs proposé le traitement de 100 000 tonnes par an pour une durée de plus de 10 ans aux responsables politiques de la France voisine.

Un certain nombre d'aménagements seront cependant nécessaires pour répondre aux normes OPair et OPB, ainsi que pour limiter les nuisances dues au transport, conforme aux projets du Conseil d'Etat de compléter les équipements:

- construire dans les plus brefs délais l'installation de Nox à l'usine des Cheneviers conformément aux normes de l'OPair, dans le but de limiter les émissions des oxydes d'azote (voir les différentes études effectuées à ce jour et qui démontrent l'urgence de cet investissement);

- étudier l'aménagement d'un accès ferroviaire à l'usine (utilisation de la ligne de la Plaine et aménagement d'une ligne sur le barrage de Verbois).

Situation en France voisine

La France a lancé une série d'études pour implanter une usine d'incinération. Plusieurs sites ont été recensés, le dernier en date est à Bellegarde, site déjà fortement dégradé d'un point de vue environnemental. Certains travaux préliminaires auraient déjà commencé.

De l'avis des membres du Conseil lémanique pour l'environnement, «la création de cette nouvelle usine mettrait à disposition une capacité triple de celle nécessaire, et ceci à la charge des contribuables français».

L'industrie française des «transformeurs» est très avancée. Une grande partie des matières triées et récupérées dans notre canton est exportée en France, papier, verre et autres. Lors du colloque de Chambéry, du 23 au 24 mai 1991, sur le thème «les petits déchets toxiques font les grosses pollutions», les transformeurs ont démontré le potentiel de savoir-faire pour les techniques de recyclage et les traitements de ce que l'on appelle des déchets. Ces techniques mettent en valeur des possibilités de diminuer le potentiel à incinérer. Pour que ces technologies soient viables sur le plan industriel un certain volume est requis, d'où l'intérêt de la collaboration et d'une synergie régionale.

Une coopération transfontalière pour l'intérêt général

- Une planification et une coordination régionales pour le recyclage des déchets est d'intérêt vital.

- La mise en place d'une synergie régionale devrait permettre d'améliorer le cadre de vie de la population, de diminuer les impacts sur l'environnement, d'échanger nos expériences et savoir-faire, éventuellement de développer conjointement de nouvelles techniques.

- La diminution des déchets en amont, le tri à la source, la réutilisation, le recyclage sont d'autant d'activités cachant un potentiel d'emplois pratiquement inexploité à ce jour.

- La réduction des volumes de déchets incinérés est déjà une réalité, nous pouvons penser que ces volumes vont encore fortement diminuer.

- L'aménagement du territoire de notre bassin économique ne peut s'arrêter à la frontière: on peut dès maintenant, en plus des 12 000 tonnes du Pays de Gex, traiter 100 000 tonnes par an, comme promis aux autorités françaises par le Conseil d'Etat, pour 10 ans et plus.

- Les coûts économiques et environnementaux seront d'autant plus légers à supporter qu'ils seront partager par les citoyens de part et d'autre de la frontière.

- La mise à disposition de la surcapacité de l'usine des Cheneviers à nos voisins français est dans la droite ligne des principes de la politique suisse de gestion des déchets.

Toutes ces propositions sont en accord avec la politique suisse de gestion des déchets, soit:

1. Réduire la charge polluante des biens de consommation.

2. Limiter la production de déchets (améliorer la production, orienter la consommation, favoriser le recyclage).

3. Stabilisation des déchets.

4. Dépôt définitif de déchets inertes dont les émissions aqueuses et gazeuses seront compatibles avec l'environnement.

5. Planification dans la politique d'aménagement du territoire.

Nombreux sont ceux que cette question préoccupe:

· Le Conseil du Léman a entamé une concertation.

· Le Conseil régional franco-genevois (CRFG) a été saisi en effet de ce problème qui doit être examiné au niveau des instances transfrontalières pour des raisons de compétences administratives donc d'efficacité.

· M. Claude Haegi, conseiller d'Etat, chef du DIER genevois, est favorable à une ouverture de l'usine à l'extérieur.

· Le Conseil lémanique pour l'environnement (CLE), composé d'associations franco-suisses, met en avant l'utilisation par la France de la surcapacité de l'usine des Chenevier.

· Les riverains directs avec leurs demandes légitimes pour limiter les nuisances dues aux charges polluantes et auxquelles on devrait répondre.

Nous sommes convaincus que, si une politique régionale du traitement des déchets pouvait être mise en place, la construction de l'usine d'incinération de Bellegarde ne serait plus justifiée. Nous pensons qu'une politique de tri à la source et de recyclage est plus écologique et plus génératrice d'emplois de part et d'autre de nos frontières. L'impact sur l'environnement serait diminué. Ce résultat serait un résultat concret des efforts déployés à ce jour pour promouvoir une politique régionale cohérente.

La proposition d'incinérer aux Cheneviers les déchets régionaux offre la solution la plus acceptable pour plus de 10 ans et elle permet d'assurer le relais vers une politique de gestion des déchets «soutenable» à long terme.

Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs, d'accepter le renvoi de cette résolution au Conseil d'Etat, au Comité régional franco-genevois et au Conseil du Léman.

Débat

M. David Revaclier (R). L'exposé des motifs de cette proposition de résolution étant très complet, il n'est donc pas nécessaire d'y revenir.

Toutefois, il sied de relever les raisons qui ont incité les membres de la commission des affaires régionales à proposer à notre Grand Conseil cette proposition de résolution concernant la mise en place d'un concept régional pour le traitement des déchets. (M. Max Schneider est assis à la table des rapporteurs.)

La présidente. Monsieur Revaclier, je suis navrée de vous interrompre, mais nous ignorons le pourquoi de la présence de M. Schneider à la table des rapporteurs. Monsieur Schneider, ce n'est pas un rapport sur une proposition de résolution ! Il n'y a donc pas de rapporteur ! (Rires. M. Schneider regagne sa place.)

M. David Revaclier. J'avais bien remarqué cette présence inopportune, mais enfin...!

Cette proposition de résolution est innovatrice, car, pour la première fois, elle interpelle non seulement le Conseil d'Etat mais également le Comité régional franco-genevois, ainsi que le Conseil du Léman, afin de définir une politique régionale commune en matière de gestion des déchets. Cette proposition de résolution a également pour but de faire connaître aux représentants de ces diverses instances les préoccupations de notre parlement au sujet de cette importante question.

Quant aux motifs proprement dits, ils découlent de l'échec de la proposition faite à la fin de 1994 - il est vrai un peu tardivement - par notre gouvernement, par l'intermédiaire de M. Claude Haegi, conseiller d'Etat, lors d'une séance du Comité régional franco-genevois. Cette proposition visait à mettre à disposition l'usine des Cheneviers pour le traitement de 100 000 tonnes/an de déchets ménagers pour une période probatoire de dix ans. Cette proposition n'a pas été retenue par les autorités françaises compétentes, exception faite de l'accord conclu avec les communes du Pays de Gex pour le traitement par les Cheneviers de 12 000 tonnes/an de déchets ménagers.

A l'instar du Conseil d'Etat, les membres de la commission ont été déçus de l'échec de ces tractations et regrettent que nos voisins aient décidé, malgré cette offre, de construire leur propre usine d'incinération sur le site de Bellegarde, ville qui subit déjà fortement les émanations polluantes d'une importante usine. Etant donné que cette région est particulièrement touchée par la récession, il est également vrai que les incidences économiques ont joué un rôle important dans la décision prise par les autorités locales et régionales.

La commission des affaires régionales espère que cette proposition de résolution, si elle est acceptée, contribuera à faire avancer la mise en place d'une politique commune en matière de gestion des déchets par la poursuite des négociations entre les représentants de notre canton et des départements français limitrophes par le biais des organismes transfrontaliers concernés.

Nous tenons à remercier M. Claude Haegi, conseiller d'Etat, pour tous les efforts qu'il déploie pour promouvoir la région, même si parfois les résultats sont décevants. Nous demeurons optimistes et sommes certains qu'à force de persuasion le bon sens finira par l'emporter. Pour ces différentes raisons, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à accepter cette proposition de résolution.

M. Max Schneider (Ve). Veuillez m'excuser, mais j'ai pris cette proposition de résolution pour un rapport de la commission !

Cette proposition de résolution est une première pour notre Grand Conseil. En effet, pour la première fois, le Grand Conseil ne s'adresse pas seulement au Conseil d'Etat mais également au Comité régional franco-genevois et au Conseil du Léman, en accord avec la Convention de Madrid de 1980 qui vise à promouvoir une collaboration transfrontalière. Ainsi les collectivités locales peuvent gérer les problèmes de voisinage avec leurs homologues et conclure des accords directs. Cette proposition de résolution a donc toute son importance. Je tiens à remercier M. Michel Baettig, directeur du service des affaires régionales et européennes pour nous avoir conseillés et guidés dans cette démarche.

Lorsque nous avons appris qu'un incinérateur devait être construit à Bellegarde et après avoir auditionné le Conseil lémanique pour l'environnement - le CLE - qui condamne la construction de cette nouvelle usine d'incinération, nous avons réfléchi sur les possibilités d'action dans notre canton.

Nous avons évidemment reçu l'assurance de M. Haegi quant aux propositions et promesses faites par Genève aux différentes communes françaises, mais, apparemment, ces démarches n'ont pas abouti.

Nous venons de recevoir, ce soir, une "drôle" de lettre, une lettre peu sérieuse dont je demande la lecture, mais, auparavant, je souhaite attirer votre attention sur différents éléments. Le président du SIDEFAGE, ancien maire d'une commune de Haute-Savoie, n'a pas été réélu et, par cooptation, est malgré tout resté président de cet organisme chargé de la future usine d'incinération. Il prétend que les prestations offertes par Genève coûteraient 150 F français de plus. Mais, d'après les estimations et ses déclarations à la presse, le prix à la tonne pour l'usine française serait de 650 F français. Le prix définitif n'est pas encore connu, puisque les prix de cette installation prévue à Bellegarde varient constamment. Les 540 millions prévus pour la construction de l'usine de Bellegarde vont être dépassés. De même, les prix de l'incinération et du stockage des déchets pour les filtres de cheminées - déchets à haute toxicité - ne sont pas fixés.

Voilà pourquoi la proposition genevoise est encore d'actualité, malgré les affirmations du président du SIDEFAGE - qui n'est pas un élu du peuple - qui oublie de nous dire que, le 27 septembre, le Tribunal administratif devra se prononcer. Cette proposition de résolution est donc très importante, car elle prévoit que Genève traite 100 000 tonnes/an de déchets provenant de cette région.

Il est prévu, dans notre proposition de résolution, que ces déchets soient amenés par train. Un aménagement ferroviaire pourrait donc être envisagé sur la ligne de La Plaine. De même, nous attendons depuis plusieurs années des filtres afin de diminuer les émanations de Nox. Le Tribunal doit être informé de l'offre genevoise qui concurrence une future usine d'incinération à Bellegarde. Elle devrait influencer favorablement le Tribunal administratif qui planche sur ce sujet.

Je souligne que les quinze membres de la commission des affaires régionales ont reçu nominativement la lettre du SIDEFAGE. Je suis très surpris qu'une telle lettre nous parvienne aujourd'hui à 18 h 30, alors que le rapport a été déposé au mois de juin.

Annexe lettre du SIDEFAGE

page 2

Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). J'adhère bien évidemment à cette proposition de résolution, mais certains arguments avancés, notamment dans l'exposé des motifs, sont à prendre avec circonspection. Lorsque nous avons voté les crédits pour le renouvellement des Cheneviers, un seul four était prévu, ce qui a fait l'objet d'une longue bataille, menée notamment par l'Association des communes genevoises et par les partis de l'Entente qui voulaient imposer un deuxième four.

L'Association des riverains de l'usine des Cheneviers estimait que ce deuxième four offrirait une surcapacité. La crise économique nous a durement rappelé cet élément. Nous étions sûrs que ces deux fours poseraient des problèmes de marché des déchets, s'ils ne parvenaient pas à être rentabilisés.

Aujourd'hui, nous constatons une surcapacité évidente. Les frais sont inévitables. Les ordures doivent être brûlées à des taxes légèrement supérieures à celles pratiquées en France.

Par ailleurs, je suis surprise d'entendre, par la bouche de M. Revaclier, l'argument suivant : «Bellegarde a déjà suffisamment de pollution et doit donc renoncer à la construction de son usine. Que cette pollution aille à l'ouest du Mandement !». Vous n'habitez pas à Peney ou à Russin, sur les crêtes qui reçoivent les fumées souvent difficilement supportables.

Je veux bien croire que les technologies vont s'améliorer, que les nuisances vont être contenues et diminuées, même si j'en doute à court terme. Il faut éviter d'utiliser un argument de marché pour promouvoir une politique régionale qui ne sera justifiable que pour utiliser la pleine capacité de notre usine des Cheneviers.

Je soutiens bien évidemment une politique régionale de destruction des déchets, notamment dans la mesure où elle vise à en diminuer la production et à les recycler à la source. Je soutiens donc les invites de cette proposition de résolution, mais j'émets des réserves sur l'argument exprimé tout à l'heure consistant à dire que, Bellegarde étant suffisamment polluant, il faut se rabattre sur le Mandement.

M. Bernard Annen (L). Je m'inscris en faux quant à la déclaration de Mme Deuber-Pauli laissant entendre que les députés de l'Entente se sont battus pour ce deuxième four. Non, Madame ! Le seul qui s'est battu - et nous nous sommes rangés à ses arguments - est M. Christian Grobet, chef du département et membre de votre groupe. Alors ne dites pas n'importe quoi, lorsque vous n'avez pas connaissance du dossier !

J'étais membre de la commission des travaux, contrairement à vous. J'ai suivi tout le dossier, Madame ! C'est M. Christian Grobet qui nous a pratiquement forcé la main, entre guillemets. Christian Grobet, et lui seul, a pris la responsabilité de ce deuxième four, bien que nous ayons voté le crédit. C'est lui qui a présenté le projet.

M. Max Schneider (Ve). La décision de cette commission, bien évidemment, a tenu compte des éléments que vient de rappeler M. Annen. Nous en avons discuté. Lorsque nous avons débattu, dans ce Grand Conseil, de la construction d'un deuxième four, M. Grobet argumentait pour qu'il soit construit, mais, néanmoins, c'est bien l'ensemble des députés de ce Grand Conseil qui a voulu la construction de ce four.

Lorsque nous évoquions une possible diminution des déchets à Genève, nous avons été traités de "martiens", d' "écolos rigolos"... Pourtant dès cette période, en 1988, la masse des déchets incinérés a diminué jusqu'à l'arrivée du gouvernement monocolore. Depuis 1994, les déchets augmentent à nouveau ! (Rires. Exclamations.) L'économie flamberait-elle à Genève ? Si c'est le cas, tant mieux ! Mais je ne le crois pas, et nous avons à nouveau des efforts à faire pour que cette courbe rediminue, comme cela a été le cas de 1988 à 1993.

Pour les riverains des Cheneviers - et je remercie Mme Deuber-Pauli d'être intervenue à ce sujet - il est inacceptable aujourd'hui de continuer l'exploitation des Cheneviers. Il faudra arrêter l'exploitation des Cheneviers si les filtres ne sont pas installés dans les plus brefs délais. Il est insupportable qu'à Genève on se préoccupe des individus qui polluent quelque peu avec des véhicules et qu'on n'investisse pas dans des filtres pour les Cheneviers.

Je lis à la page 25 du rapport du Conseil d'Etat concernant la politique régionale : «...les communes gessiennes vont confier le traitement de 12 000 tonnes/an de leurs déchets à l'usine des Cheneviers. Pour accroître la rentabilité de cette dernière, il va falloir examiner d'autres demandes provenant d'autres cantons ou du nord de l'Italie». Cela ne reflète absolument pas l'esprit de cette résolution. Cette résolution a notamment pour buts de travailler en harmonie avec nos voisins et de diminuer les fameuses pluies du désert. A Genève, lorsque la pluie est très sale, on prétend que c'est le sirocco et les sables du désert. Pour ma part, je pense que c'est plutôt les émanations de Péchiney à Bellegarde ! Et, bientôt, la pollution de l'usine d'incinération de Bellegarde s'ajoutera à celle des Cheneviers !

Voilà les raisons de cette résolution. Nous souhaitons qu'elle soit massivement acceptée, qu'elle soit renvoyée - voilà un effort que vous pourriez faire, Monsieur Haegi - immédiatement au Tribunal administratif pour information, car ces personnes n'ont pas reçu notre rapport. Le président du SIDEFAGE nous a fait parvenir une lettre le 14 septembre de ce mois - deux jours avant cette session de notre Grand Conseil - et je trouve bizarre que ce rapport n'ait pas été lu avant. Je souhaite donc que cette résolution leur parvienne dans les plus brefs délais, afin que le Tribunal administratif puisse prendre sa décision en toute connaissance de cause.

M. Chaïm Nissim (Ve). Je me souviens très bien de cette séance de commission que vous évoquez, Monsieur Annen. J'ai assisté à toutes les séances de la commission des travaux à l'époque de ce double four. Vous avez tous voté, comme un seul homme, pour ce four. Il est vrai que certains d'entre vous avaient des réticences. Nous étions huit contre nonante-deux ! M. Grobet a effectivement beaucoup poussé pour ce deuxième four. Je me souviens également que, dans le groupe socialiste, régnait un véritable dilemme. C'était très tendu. Alain Rouiller, par exemple, qui était un "écolo"... (Protestations.) J'entends qu'il était un socialiste écolo !...

M. René Longet (S). Je ne pourrai pas arbitrer ce débat, car je n'appartenais pas au Grand Conseil à l'époque. Les propos de ce soir, la correspondance du SIDEFAGE, les observations de Mme Deuber-Pauli au nom des habitants du Mandement, nous montrent à quel point cette résolution, longuement préparée par la commission des affaires régionales, est opportune. Il est essentiel d'apprendre à réfléchir ensemble à un concept global, puis de le gérer. Ce qui se passe sur le territoire du Genevois est aberrant. Quelles qu'en soient les raisons, on a objectivement une installation des Cheneviers surdimensionnée. Un projet vise à augmenter encore ce surdimensionnement dans la région par la construction d'une autre installation à dix kilomètres, à vol d'oiseau, de la première. L'absence d'une véritable politique régionale conduit à de telles absurdités.

Il est de la responsabilité de la commission des affaires régionales de développer ce type de concept. Nous le ferons certainement dans d'autres domaines. J'estime que cette résolution est exemplaire sur trois plans.

1) La commission souhaite que soit développée une conception globale pour un territoire. Il est urgent qu'on le fasse.

2) Cette résolution - M. Revaclier l'a déjà dit - s'adresse non seulement au Conseil d'Etat mais aussi aux instances de coopération transfrontalière.

3) Je tiens à rappeler à celles et ceux qui interviennent au sujet des équipements que la résolution propose d'agir tout d'abord au niveau de la prévention, puis du recyclage et, enfin, si les besoins s'en font encore sentir, à investir dans les équipements.

Pendant quinze ou vingt ans, nous avons fait le contraire. Mesdames et Messieurs, cette résolution ne doit pas être seulement votée, elle doit l'être avec conviction, parce que, sur les plans du contenu, de la forme, des priorités, un virage doit être pris. En votant cette résolution, ce Grand Conseil doit appuyer fortement ce virage.

M. Christian Grobet (AdG). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je suis assez étonné des propos tenus par certains députés qui me semblent frappés d'amnésie !

Monsieur Annen, si vous le souhaitez, vous pouvez relire le Mémorial de l'époque ! La situation était parfaitement claire en ce sens que l'Association des communes genevoises et les partis de l'Entente souhaitaient, dès le début, lors du projet d'extension de l'usine des Cheneviers, que l'on réalise deux fours de 45 gigacalories/heure, et vous le savez parfaitement bien !

Une contestation a été exprimée par les partis des bancs de la gauche qui souhaitaient une autre politique en matière de déchets et la mise en place d'une politique de recyclage des déchets. J'ai dû me battre contre la droite, Monsieur Annen... (L'orateur est contesté.) Parfaitement ! ...pour que le crédit ne porte que sur un seul four, ce qui a été fait. C'est après, à la demande insistante de l'Association des communes genevoises que le Conseil d'Etat a décidé de présenter ultérieurement un second crédit portant sur un deuxième four que vous et vos milieux avez accueilli dans l'enthousiasme. (L'orateur est contesté.) Parfaitement ! Vous relirez le Mémorial, et vous pourrez le constater ! Ecoutez, je l'ai relu il n'y a pas si longtemps parce que le journal «Extension», qui porte la politique du Conseil d'Etat, s'était penché sur cette affaire et j'ai voulu rappeler comment les choses s'étaient passées.

Ce sont l'Association des communes genevoises et les partis de l'Entente qui ont souhaité ce deuxième four ! Monsieur Annen, je vous le dis tout de suite, je ne retire aucune vanité d'avoir été favorable, à l'époque, à un projet plus modeste. En effet, il est extrêmement difficile de savoir comment dimensionner un équipement de ce type.

Il est évident qu'en réalisant une extension de l'usine des Cheneviers avec un seul four on aurait pu se trouver - et cela eût été effectivement dramatique - dans une situation difficile quelques années plus tard, comme celle que j'avais trouvée en arrivant au département des travaux publics, lorsque la deuxième extension des Cheneviers s'était révélée insuffisante. Moins de dix ans après Cheneviers 2, il avait fallu prévoir Cheneviers 3 !

Evidemment, il serait tragique, maintenant, en 1996 ou en 1997, de devoir prévoir une quatrième extension des Cheneviers. Personnellement - je le répète - je ne retire aucune vanité d'avoir prêché la modestie, à l'époque, et de ne pas avoir été entendu par vos milieux, parce que le contraire aurait pu se passer. Parfois, il vaut mieux surdimensionner un équipement que de le réaliser trop modestement. La conjoncture actuelle démontre que cet équipement est surdimensionné pour le moment, mais peut-être qu'il ne le sera pas dans dix ans. Je le rappelle, c'est à la demande expresse des communes genevoises que les deux fours ont été réalisés.

Alors, si vous le voulez, je vous ferai volontiers les photocopies du Mémorial, mais je suis un tout petit peu étonné de votre perte de mémoire dans cette affaire. En matière d'équipements réalisés, dans cette République, je suis toujours la personne visée, quoi qu'il se soit passé ! Mais, dans le cas d'espèce, il en va de votre responsabilité.

Cela étant dit, je suis surpris de la lettre de M. Doucet. En effet, nous savions tous, dès le départ, en votant ce crédit, que les deux fours entraîneraient une surcapacité de l'usine des Cheneviers pendant dix ans et que les deux fours de 45 gigacalories/heure ne pourraient pas être complètement utilisés dès le début.

Il fallait donc chercher d'autres collectivités intéressées à livrer leurs déchets à l'usine des Cheneviers. C'est ainsi que nous avons entrepris des tractations avec les communes vaudoises, ce d'autant plus que le Conseil d'Etat vaudois hésitait alors à réaliser une nouvelle usine d'incinération dans le canton de Vaud. Mais - je vous le rappelle - les Cheneviers traitaient déjà les déchets de la Terre Sainte, depuis une quinzaine d'années. Nous avons également pris contact avec les communes françaises.

Mais, ce que M. Doucet omet surtout de dire dans sa lettre, suite à l'entrevue du 7 janvier 1993 - je lui fais grâce de la date; peut-être a-t-il raison - c'est qu'un accord a été signé entre le département des travaux publics et le Syndicat des communes du pays de l'Ain. Nous avons effectivement consenti aux communes françaises un rabais non négligeable sur le coût de traitement des déchets en le fixant à 80% du prix payé par les communes genevoises. Nous avons justifié cette différence de coût par le fait que les communes françaises ne bénéficieraient pas du chargement des déchets à la Jonction et qu'elles devraient payer elles-mêmes le transfert des déchets depuis la France jusqu'aux Cheneviers. Il fallait évidemment proposer un prix attractif, mais jusqu'où fallait-il négocier à la baisse pour les attirer ? Il était difficile de demander aux communes françaises la moitié du prix fixé pour les communes genevoises, car ces dernières ne l'auraient pas compris.

Toujours est-il que cet accord a été signé. Il fallait, bien sûr, leur laisser la possibilité de se dégager de ce contrat. Les communes françaises du pays de l'Ain l'avaient accepté, mais je ne sais pas ce qui s'est passé depuis lors. M. Haegi pourra mieux le dire que moi, puisque c'est lui qui a repris la responsabilité des Cheneviers. Je considère la lettre de M. Doucet comme parfaitement désagréable, car le coût du traitement des déchets est bien évidemment plus élevé en Suisse qu'en France. A l'époque, nous étions prêts à leur rendre service, ils ont signé un accord, et j'ignore les raisons pour lesquelles ils ne l'ont pas honoré !

Mme Claire Torracinta-Pache (S). Je suis étonnée de la tournure de ce débat. Mais j'aimerais, en tant qu'ancienne députée, rendre à César ce qui est à César ! En effet, il se trouve que je faisais partie de la commission des travaux à cette époque et que je suis intervenue au nom du groupe socialiste.

Dans cette enceinte, la seule intervention clairement et nettement opposée à l'augmentation de la capacité des fours des Cheneviers était celle de nos collègues du PEG. Le parti socialiste était assez partagé à l'époque et il s'est rendu aux arguments du Conseil d'Etat et à ceux, très convaincants, de M. Grobet, conseiller d'Etat, qui, à l'intérieur du groupe, nous a rendus attentifs au danger que représenterait l'éventualité d'une panne importante. En effet, une telle éventualité nous obligeait à prévoir un potentiel suffisant pour pouvoir brûler ces déchets supplémentaires.

Personnellement, j'assume ce choix, même si c'était une erreur, mais il faut dire que la situation économique était différente. En tout cas, il est faux de dire que la gauche s'y est clairement opposée ! (Applaudissements.)

M. Chaïm Nissim (Ve). Je voulais seulement confirmer les propos tenus par Mme Torracinta-Pache. Je me souviens très bien de cette affaire. Monsieur Grobet, il est exact qu'un projet encore plus surdimensionné que celui que vous proposiez avait été présenté et que vous vous y étiez opposé. Mais vous étiez quand même favorable à la réalisation des deux fours de 50 gigacalories/heure. Vous vous êtes même battu comme un fou pour cela, alors que, nous, nous proposions seulement deux petits fours de 37,5 gigacalories/heure...

Des voix. Des petits fours, des petits fours !

M. Chaïm Nissim. ...et cette proposition a été refusée. Nous étions huit contre nonante-deux. Je m'en souviens parfaitement, alors, ne venez pas dire maintenant que c'était la gauche qui était modeste et qui avait vu juste : c'étaient les "écolos" ! A l'époque, l'Alliance de gauche n'était pas née et certainement que, sinon, elle se serait ralliée à notre proposition. (Contestation.) Voilà la vérité historique. Je suis désolé, mais c'est comme ça !

Cela dit, je vais poser une question, de la part de mon collègue Max Schneider, qui ne veut pas redemander la parole. Madame la présidente, il semble que vous ayez reçu un fax de M. Fillion, conseiller municipal, d'une liste "A l'écoute de Bellegarde". Pourriez-vous le lire, s'il vous plaît ?

La présidente. Monsieur Chaïm Nissim, nous avons bien reçu ce fax. Je veux bien le mettre à la disposition des députés, mais cela me pose un problème, parce que ce sont des élus français qui interviennent. Donc, si vous voulez le lire, il sera à votre disposition, à la salle des Pas-Perdus, sur la table qui vous est destinée.

M. John Dupraz (R). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, si Mme Torracinta-Pache s'est présentée comme étant une ancienne députée, je peux me présenter comme un député de l'ère préhistorique ! (Remarques.) Et j'ai aussi vécu le débat concernant le traitement des déchets.

En entendant les propos des uns et des autres, cela me fait penser aux personnes qui font les prévisions climatiques le lendemain du jour où on doit les annoncer ! Il est trop facile de dire maintenant que les fours ont été prévus trop grands, que M. Grobet s'est trompé, que la gauche y était opposée, que la droite n'y était pas favorable... Je trouve ce débat totalement ridicule !

A l'époque, nous nous trouvions face à certains problèmes très concrets :

Certains fours étaient obsolètes et à la limite de fonctionner convenablement. De plus, la décharge du Nant de Châtillon était saturée, et, si nous ne réalisions pas les deux fours proposés par le Conseil d'Etat, il aurait fallu ouvrir une autre décharge. Je me souviens qu'à l'époque... (Commentaires et remarques.) Laissez-moi parler ! Je trouve qu'il est un peu trop facile de critiquer, et patati et patata ! A l'époque, nous avions des problèmes avec l'entretien des installations et un problème d'élimination des déchets. Nous avions trouvé un consensus pour décider qu'il était préférable de les brûler que d'ouvrir une nouvelle décharge.

Je constate, malgré les accords passés à l'époque avec la France voisine, que la collaboration franco-genevoise est très intense au niveau gastronomique, mais qu'elle est plus difficile sur les faits concrets ! (Brouhaha. La présidente fait sonner sa cloche.) Il faut dire que nos voisins français sont souverains chez eux et font ce qu'ils veulent. S'ils ne veulent pas conduire leurs déchets chez nous pour les détruire aux Cheneviers et qu'ils veulent construire une usine pour les éliminer...

La présidente. Monsieur le député, je suis navrée de vous interrompre, mais je vous prie d'attendre que le calme revienne, car vous avez le droit, également, de vous exprimer dans un silence au moins relatif !

M. John Dupraz. Cette fois, ce n'est pas moi !

Les choses étant ce qu'elles sont, les Français étant souverains chez eux et nous chez nous, les investissements étant faits, nous devons vivre avec la réalité des Cheneviers. Si nous n'avions pas connu la récession que nous connaissons malheureusement, personne ne parlerait d'installations surdimensionnées. Je n'accuse personne. Je trouve, étant donné les circonstances de l'époque, que ce qui a été décidé était juste, car nous n'avions pas le choix de faire autrement.

M. Christian Grobet (AdG). En 1987, le Conseil d'Etat a présenté une demande de crédit au Grand Conseil concernant l'extension de l'usine des Cheneviers. Cette demande portait sur un four de 45 gigacalories/heure.

Monsieur Nissim, votre groupement avait proposé la construction de deux petits fours au lieu d'un grand. Le Grand Conseil, lui, avait opté pour le four unique.

Mais à l'examen du projet de loi, la commission des travaux avait entendu l'Association des communes genevoises; celle-ci avait instamment demandé que le projet porte sur deux fours de 45 gigacalories/heure. Une motion a même été déposée par les partis de l'Entente, demandant que le Conseil d'Etat présente rapidement...

M. Armand Lombard. Une amicale !

La présidente. Monsieur Lombard, vos interjections sont inadmissibles !

M. Christian Grobet. Ne nous étonnons pas du niveau des interventions de M. Lombard ! Lors de ce débat, Monsieur Nissim, l'Entente avait déposé une motion demandant la présentation d'un crédit portant sur un deuxième four. Et c'est en 1989 que le Conseil d'Etat a présenté un crédit additionnel portant sur ce deuxième four de 45 gigacalories/heure, lequel a été accepté à l'unanimité, excepté par les écologistes. Néanmoins, je tiens à préciser clairement que l'affaire s'est déroulée en deux temps. Le premier projet du Conseil d'Etat ne présentait qu'un seul four. C'était la position que nous défendions et, si nous sommes venus, ensuite, avec un crédit additionnel portant sur un deuxième four, c'est suite à la motion votée par les partis de l'Entente et à la demande de l'Association des communes genevoises.

Je ne fais de grief à personne, car l'usage d'un seul four, comme l'a relevé M. Dupraz, présentait certains inconvénients, surtout lors des deux révisions annuelles, dont l'une dure six semaines. Il était donc difficile de faire fonctionner l'usine des Cheneviers avec un seul four, indépendamment du potentiel des déchets à traiter, sachant que les deux fours Von Roll de 1965 allaient être mis hors service et que le four Martin, mis en service en 1975, était programmé pour durer vingt à vingt-cinq ans, c'est-à-dire jusqu'en 1995, voire en l'an 2000.

Dès lors, il a été décidé de construire deux fours simultanément, en sachant, dès le départ, qu'il y aurait surcapacité, d'où nos négociations avec les Vaudois et les Français.

M. Bernard Annen (L). En l'occurrence, nous pouvons tous nous référer de telle ou telle séance. Du 6 mai 1987 au 13 mai 1991, nous avons reçu huit rapports du Conseil d'Etat sur la problématique des Cheneviers. Il est donc facile pour chacun, Monsieur Grobet, d'extraire un quelconque passage de ces rapports pour prouver que l'un a raison et que l'autre a tort.

Je vous remercie, néanmoins, d'avoir reconnu la nécessité de ce deuxième four pour les raisons évoquées notamment par M. Dupraz. C'était la sagesse même. A l'époque, j'ai souvenir que vous nous aviez organisé un déplacement aux Cheneviers, lors d'une période de révision du four. Vous nous démontriez le danger qu'il y aurait si cet unique four tombait en panne, d'où la forte motivation d'en avoir un deuxième.

Ma réaction est due au discours de Mme Deuber-Pauli. Vous n'étiez pas là quand elle nous a attribué l'entier de la faute. Je suis alors intervenu pour déclarer que si vous n'étiez pas intimement convaincu du bien-fondé de cette décision, il en allait de votre seule responsabilité, en tant que chef du département. Vous devez donc l'assumer aujourd'hui.

M. Max Schneider (Ve). Je ne pensais pas que cette résolution porterait sur l'historique du deuxième four des Cheneviers.

A l'adresse de MM. Dupraz et Annen, je me dois de préciser que, lors des débats, nous ne nous sommes pas seulement opposés à la mise en place de ce deuxième four, mais avons proposé les solutions que M. Roch avait faites pour le compte du WWF. Ces solutions, qui partaient du recyclage et du retraitement, étaient, en fait, les bonnes.

En matière de politique transfrontalière, je souhaite que ce que nous avons proposé en 1987, pour Genève, puisse être partagé avec nos voisins français, parce qu'à Chambéry et dans d'autres villes de France le recyclage, la réutilisation, l'élimination ou la diminution des déchets à la source sont pratiqués avec succès. En Allemagne, le même effort est consenti. Par conséquent, c'est au département des affaires régionales de mettre en oeuvre la politique que nous avions préconisée en 1987, d'être en synergie avec les expériences françaises pour qu'elles bénéficient à l'ensemble de notre région. Il s'agit là d'une invite de notre résolution et j'espère qu'elle sera suivie dans un bref délai.

Nous ne désespérons pas d'avoir, un jour, une "société sans déchets". C'est peut-être une utopie, mais nous devons nous battre pour elle. En attendant, pratiquons une politique transfrontalière plus concrète, non seulement dans les termes mais aussi dans l'action.

Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Je n'ai pas attendu les conseils de M. Lombard pour entrer dans une amicale. L'Association des riverains des Cheneviers se bat depuis des années pour que l'on remédie aux émanations, bruit et autres nuisances des fours. Par conséquent, je me souviens parfaitement de ce débat et j'espère, Monsieur Annen, que l'on a entendu mon message, à savoir que l'on n'argumente pas de la rentabilisation de ce deuxième four et du marché pour tenter, au nom d'une politique régionale, d'attirer sur notre territoire des déchets en provenance de régions extérieures. A elles seules, les nuisances actuelles des Cheneviers sont déjà trop importantes.

M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. La dernière remarque de Mme Deuber-Pauli révèle l'esprit, parfois un peu villageois, que l'on peut avoir dans l'analyse des choses. Russin est certes un beau village, mais ce n'est pas une raison pour considérer la présente situation à partir d'un espace aussi réduit.

Si nous tenons un tel débat ce soir, c'est parce que nous nous sommes uniquement préoccupés de notre territoire. Nous avons réfléchi en termes genevois : «De quoi avons-nous besoin à Genève, et à Genève seulement ? Si le four X tombe en panne, en aurons-nous un autre ?», etc.

M. le député Schneider vient de nous proposer une réflexion sur la région, mais son invite ne concerne que la France. Si, aujourd'hui, une usine est construite à Bellegarde, cela ne sera pas de la responsabilité des Français seulement. C'est parce que notre réflexion a été purement genevoise que nous avons pu nous tromper dans nos évaluations. Le surdimensionnement de l'usine résulte de décisions prises à un certain moment. Et je n'ai pas le moins du monde l'intention de faire le procès de qui que ce soit.

La vérité est ce qui ressort de la lettre de M. Doucet, à savoir que nous n'avons pas pris d'engagements dans le temps, nous réservant la possibilité de dénoncer à court terme nos contrats avec la France voisine. Mais il est évident qu'on ne peut renoncer à construire une usine de traitement des déchets, dès lors que la gestion de ceux-ci n'est offerte qu'au moment où Genève a cette disponibilité. Et c'est bien cela qui a provoqué la situation actuelle.

Nous n'avons jamais voulu d'une politique qui aille au-delà de la frontière. En soutenant la résolution qui vous est présentée par vos collègues de la commission la plus concernée, vous tentez d'encourager, non pas un état d'esprit totalement nouveau, mais un pas en avant.

Ce n'est pas en rendant nos voisins responsables de nos problèmes que nous réglerons ces derniers. Le chantier de l'usine de Bellegarde est ouvert. Qu'il y ait des recours ou pas, ne nous berçons pas d'illusions : d'ici quelques années, l'usine fonctionnera. Et je ne vous cache pas, Monsieur le député, que je nous vois assez mal, dans la phase où nous nous trouvons, compromettre l'aboutissement d'un chantier ouvert sur le territoire d'un pays qui en a pris l'initiative, parce que nous ne lui avions pas proposé, à une certaine époque, la possibilité de gérer durablement ses déchets sur notre territoire.

Il s'agit maintenant d'avoir une vision plus large et une conception plus globale des choses. Comme je l'ai dit ici et suggéré au Conseil du Léman, j'espère que nous procéderons à la radiographie complète du bassin versant lémanique. A partir notamment d'informations envoyées à la population, il faudra évaluer le volume des déchets produits et apprécier l'état des installations sur l'ensemble du territoire. Ensuite, nous serons à même de procéder aux investissements les mieux appropriés pour faire un bon usage des deniers publics.

Les mentalités sont ce qu'elles sont, de ce côté-ci de la frontière comme de l'autre. Nous n'avons de leçon à donner à personne. En revanche, nous pouvons être les acteurs de la promotion d'une politique meilleure que celle conduite jusqu'à présent.

Voilà pourquoi j'accueille très favorablement la résolution proposée et j'ose espérer qu'elle contribuera à une politique qui touchera un espace plus large que celui pris en compte jusqu'à ce jour.

Mise aux voix, cette résolution est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

rÉsolution

concernant une politique régionale des déchets

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que la question des déchets constitue un enjeu important de la coopération régionale;

- le souhait que la région développe et mette en oeuvre un concept harmonisé en la matière;

- la Convention, dite de Madrid, de 1980 qui a pour but de promouvoir la coopération transfrontalière,

invite le Conseil d'Etat, le Comité régional franco-genevoiset le Conseil du Léman,

- à mettre en place un concept régional des déchets qui permettra d'éviter des surcapacités coûteuses. Ce concept concrétisera prioritairement:

· la prévention des déchets et le tri à la source;

· le recyclage et la réutilisation des matières;

- de tenir le Grand Conseil informé au plus tard dans le rapport sur la politique régionale et européenne.

La présidente. Ecoutez, Monsieur Ducommun, je suis navrée ! Modifiez le règlement, mais cessez de manifester ! Vous nous faites perdre encore un peu plus de temps ! (Le député interpellé conteste.) Oui, mais c'est votre problème cela n'est pas le mien, en l'état. Je crois que si quelqu'un est rapide dans la procédure de vote, c'est bien moi ! On me le reproche, d'ailleurs, parfois ! (Commentaires.)

 

R 300
7. Proposition de résolution de Mmes et M. Fabienne Bugnon, Micheline Calmy-Rey et Pierre Vanek : Mururoa-Superphénix. ( )R300

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le gouvernement français a pris récemment deux décisions qui ont soulevé une très large réprobation, celle de laisser redémarrer le surgénérateur de Creys-Malville et celle d'entreprendre une nouvelle série de tests atomiques sur l'atoll de Mururoa dans le Pacifique. Le gouvernement chinois a procédé fin août à une explosion nucléaire sur son territoire qui a également été très largement condamnée.

Nous ne vous ferons pas l'injure de récapituler les raisons qui militent en faveur d'un arrêt rapide du surgénérateur de Creys-Malville. Les député-e-s de notre Grand Conseil, comme tous les Genevois-e-s, les connaissent. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs d'ores et déjà annoncé qu'il déposerait un nouveau recours en la matière au nom du canton de Genève.

La présente résolution représente, bien sûr, un soutien politique de notre part à cette démarche. Mais elle demande également une intervention des autorités fédérales en la matière. Cet appui du gouvernement helvétique nous a fait défaut à ce jour et les positions lénifiantes du Conseil fédéral ont même pu être utilisées par les autorités françaises comme représentant un «soutien» suisse à l'expérience de Superphénix.

Il est grand temps que cela change !

Il faut signaler également que la décision française concernant Creys-Malville viole un engagement électoral de M. Jacques Chirac qui avait promis de soumettre le problème de Superphénix à une commission d'experts indépendants. Il n'en a rien été.

Sur le plan des essais nucléaires, la décision du président de la France se pose largement dans les mêmes termes que pour Creys-Malville. Les populations locales n'ont pas été consultées, la majorité des Français semble s'y opposer et les motivations de cette décision relèvent plus de la raison d'Etat que de la raison tout court.

Il s'agit, semble-t-il, de permettre à la France de terminer la mise au point de nouvelles armes atomiques miniaturisées qui risqueraient de banaliser l'usage du feu nucléaire. Cela va contre toute la logique du désarmement atomique et représente un encouragement inquiétant à la prolifération et à la relance de la course aux armements nucléaires.

Les dirigeants chinois ont, entre autres, profité de cette «ouverture» pour procéder fin août à un essai que nous devons, bien entendu, condamner avec une vigueur égale à celle dont nous faisons preuve en ce qui concerne les essais français.

Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs les député-e-s, nous vous invitons à soutenir la présente résolution.

Débat

M. Pierre Vanek (AdG). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, à l'instant M. Haegi critiquait notre esprit villageois et nous demandait d'avoir une vision politique qui aille au-delà de nos frontières. Je crois que l'objet du point 42 de l'ordre du jour nous permet, précisément, d'aller dans ce sens, et bien au-delà, puisqu'il nous conduit jusqu'aux antipodes ! Ce n'est plus "d'esprit villageois" dont il s'agit, mais bien d'esprit mondial.

Cette résolution porte sur deux objets : Malville et Moruroa qui ont déjà fait l'objet de prises de position de notre Conseil. Il n'y a guère besoin de revenir sur Malville et vous avez certainement souvenir que nous avons voté, avant les vacances, une résolution concernant les essais nucléaires. Alors, pourquoi y revenir ? Parce que, depuis lors, il s'est produit un certain nombre d'événements et que ces deux objets sont extrêmement connexes. J'expliquerai en quoi ils le sont et les raisons pour lesquelles il me semble utile de voter cette résolution qui les lie.

Mais avant cela une remarque liminaire : je vois dans le texte - qui ne correspond pas - je le crois - à celui qui a été fourni au secrétariat du Grand Conseil - une erreur dans "Mururoa". Je voudrais que l'on corrige et qu'on écrive "Moruroa" qui est le nom effectivement donné à cet atoll par les gens de cette région. L'autre orthographe correspond pour les populations de Polynésie à un élément de dépossession de leur patrimoine, puisque c'est comme ça que la puissance coloniale l'a appelé ! Mais c'est un détail !

Vous pouvez constater que cette proposition de résolution a été déposée le 29 août. Depuis lors, il s'est tout de même produit deux phénomènes qui méritent d'être évoqués en préambule, même s'ils ne modifient pas le sens et la teneur de cette résolution.

Le premier porte sur Malville : une panne s'est produite douze ou treize jours après son redémarrage ! C'était le lundi 4 septembre. Cela a démontré, encore une fois, que cette installation ne fonctionne pas de manière "normale". La gestion de cette panne démontre aussi que les autorités compétentes pratiquent une politique de non-transparence. En effet, elles n'ont avoué cette panne qu'après l'avoir démentie formellement pendant plusieurs jours.

Le deuxième est l'explosion d'un engin nucléaire français, d'une puissance légèrement supérieure à celle d'Hiroshima, dans le sous-sol de l'atoll de Moruroa.

Bien évidemment, ces deux événements ne font que renforcer la nécessité de prendre une position politique marquée à leur sujet. Ces objets méritent-ils d'être liés dans une seule et même résolution ? A mon avis, oui, car ces deux sujets sont très connexes. En effet, ils procèdent d'une même politique. Il s'agit dans les deux cas de "jouer" et de faire des expériences - je dis bien "expériences" - à Malville et dans le Pacifique avec des produits tels que le plutonium qui engendre des déchets radioactifs d'une durée de vie très longue et qui est d'une extrême toxicité. Dans le cas de Malville, les installations sont plus ou moins "péclotantes" et "foireuses" et l'enceinte de Malville comporte un certain nombre de fissures. L'atoll de Moruroa est lui aussi en train de se fissurer sous les coups de butoir successifs des explosions atomiques qui s'y déroulent.

Ces deux expériences sont également liées, car elles émanent de cette espèce de chapelle de "l'église nucléaire" française qu'est le Commissariat à l'énergie atomique. Elles sont caractérisées par un fonctionnement non démocratique de l'Etat français en la matière. Vous le savez, les décisions concernant Creys-Malville n'ont jamais été débattues, comme elles l'ont souvent été dans ce parlement, par le parlement français. De plus, la décision arbitraire de redémarrage viole l'engagement électoral de M. Chirac de constituer une commission pour étudier le problème. J'ai, du reste, déjà mentionné ce fait hier. Enfin, une majorité de Français sont aujourd'hui opposés au projet de Malville et les populations locales - dont nous sommes - n'ont pas été consultées. La procédure n'est donc vraiment pas démocratique !

Il en va de même, évidemment, pour les expériences atomiques françaises dans le Pacifique. Les populations locales se sont exprimées, mais n'ont malheureusement pas pu le faire démocratiquement. Ce fait crée un lien étroit entre ces deux objets qui relèvent d'une même logique du gouvernement français visant à ne pas vouloir reconnaître un certain nombre d'erreurs, visant à faire primer une certaine conception de la "grandeur" - avec beaucoup de guillemets ! - de l'Etat français et de la raison d'Etat.

Voilà pourquoi ces deux sujets ont fait l'objet d'une même résolution.

On pourrait développer ces éléments davantage. Mais je ne veux pas monopoliser la parole sur les raisons qui doivent nous pousser à nous opposer à Malville ou pousser la grande majorité des peuples de cette planète à s'opposer aux essais nucléaires à Moruroa. Ce serait presque vous faire injure de les développer maintenant.

Nous devons nous manifester à nouveau, en votant cette résolution qui invite le Conseil fédéral à protester vivement sur ces deux objets, et d'abord sur la question de Malville, parce que nous avons là un réel manque de solidarité confédérale - M. Haegi en sait quelque chose ! La politique de la Confédération sur cette question n'a jamais consisté à soutenir notre canton, les collectivités locales et les associations de Suisse romande qui sont pourtant en première ligne face au danger et qui s'opposent à Malville.

Les prises de position des autorités fédérales, de ce début d'année notamment, ont permis aux autorités françaises qui étaient en passe de faire redémarrer le surgénérateur de Malville de se prévaloir d'une espèce de soutien suisse. Des déclarations un peu délirantes ont même été faites par M. Adolf Ogi - je pèse mes mots - dont la teneur était à peu près que le surgénérateur Superphénix n'était pas plus dangereux qu'une centrale nucléaire ordinaire ! Ce point de vue a été confirmé par la manière dont le débat fédéral, qui pourtant avait été accepté à la suite d'une demande critique du Conseil national, a été organisé à l'EPF de Zurich ! Les autorités suisses ne se sont faites que le porte-parole de la position très officielle de "l'establishment" nucléaire français !

Dans une affaire comme celle-ci, nous opposant au gouvernement français, nous avons besoin du soutien de l'Etat fédéral suisse. C'est, entre autres, à cela qu'il doit servir, et il me semble que c'est une bonne occasion de le lui rappeler.

Les essais nucléaires à Moruroa relèvent du domaine des relations internationales de la Suisse. C'est un objet sur lequel, certes, des protestations helvétiques se sont élevées, mais elles n'ont pas été émises avec toute la vigueur qu'il aurait fallu dans le concert des protestations internationales. C'est vrai que le concert était tellement fort qu'il fallait beaucoup de vigueur pour se faire remarquer. Aujourd'hui cette vigueur est nécessaire, et c'est pour cela que l'invite, sur ce double objet, adressée au Conseil fédéral demande à celui-ci de protester vigoureusement contre Superphénix, contre les essais nucléaires français, et aussi - je tiens à le souligner - contre la politique du gouvernement chinois qui poursuit...

La présidente. Monsieur Vanek, il ne vous reste même pas une minute !

M. Pierre Vanek. C'est parfait, j'allais justement finir ! Je suis donc, pour une fois, remarquablement dans les temps !

Je soulignais simplement que cette résolution invitait les autorités fédérales à protester également contre la politique poursuivie par la Chine dans le domaine des essais nucléaires. Il n'y a aucune raison, même si nous sommes plus proches géographiquement de la France et que sa politique nous semble déraisonnable et dangereuse, de ne pas traiter la Chine de la même manière. Nous devons donc également adresser nos protestations au gouvernement chinois.

M. Chaïm Nissim (Ve). Mon collègue, Pierre Vanek, vient de vous expliquer très clairement les raisons pour lesquelles nous avons lié dans cette résolution les objets concernant Malville et Mururoa. Je n'y reviendrai donc pas.

Pour ma part, je parlerai de trois documents sur lesquels je suis tombé dernièrement et qui m'ont beaucoup touché. Je voudrais vous les montrer de loin et j'espère vous faire partager un tout petit peu les sentiments qui m'ont assailli en les lisant.

Le premier est une statistique effectuée par le ministère de la santé de la Polynésie française qui montre l'augmentation vertigineuse des cancers. Je suis en mesure de le dire parce que, entre 1973 et 1977, il n'y avait pratiquement aucun cancer en Polynésie, la courbe étant toute proche de zéro. Ensuite, depuis 1978, la courbe monte brutalement...

M. Bernard Lescaze. Depuis les essais nucléaires dans l'atmosphère !

M. Chaïm Nissim. Vous avez raison, Monsieur Lescaze, depuis les essais nucléaires dans l'atmosphère. En effet, en l'occurrence, il ne s'agit pas d'essais nucléaires souterrains. Néanmoins, cette courbe m'a terriblement bouleversé et il se pourrait - j'y viens maintenant - que les essais nucléaires souterrains aient, eux aussi, dans quelques années - l'écart est toujours très grand entre la période des essais et l'apparition des cancers dans la population - des conséquences très néfastes.

Le deuxième document m'a également beaucoup ému. Il a été publié dans le bulletin des scientifiques atomiques américains. Ce document a été réalisé par l'armée française. Il montre l'atoll de Mururoa entouré de grandes barres noires qui représentent des fissures de 850 mètres, dont certaines sont longitudinales. La pêche y est interdite et les points représentent les puits où les bombes sont introduites. Mesdames et Messieurs les députés, si vous êtes comme moi, en regardant ce document vous devriez "flipper" ! Il est extrêmement incroyable de procéder à des essais nucléaires dans un atoll qui ne cesse pas de bouger, suite, justement, aux essais précédents. Un jour - même si ce n'est pas demain - peut-être dans vingt ans, dans un siècle, une partie de la radioactivité se répandra dans le lagon, les poissons concentreront de la radioactivité dans les chaînes alimentaires et les cancers augmenteront encore davantage !

Le troisième représente un des rescapés de Tchernobyl, parmi les cinq mille six cents morts dus à cette catastrophe. Il faut savoir que les pompiers qui ont passé quelques minutes dans ce "sarcophage", juste après l'accident, ont tous été gravement irradiés. Celui-ci se trouve maintenant dans une enveloppe en plastique et une infirmière lui tend la main pour le nourrir à l'aide d'une pipette. Voilà ce qui pourrait nous arriver si nous continuons à jouer avec le feu. Le plutonium est véritablement pire que le feu : c'est un poison avec lequel il faut absolument cesser de jouer !

Je crois avoir tout dit !

M. Bernard Lescaze (R). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, il est évident que le sujet dont traite cette résolution est important, car il nous concerne tous. Je suis reconnaissant aux résolutionnaires d'avoir mentionné trois sujets, mais je leur suis moins reconnaissant, ce soir, de n'avoir entendu parler que de deux sujets : celui de Superphénix et celui du Pacifique Sud, les résolutionnaires ayant omis de développer les essais nucléaires chinois ! (L'orateur est interpellé.) Pas de chinoiseries, s'il vous plaît !

Je prends au sérieux cette résolution, tout comme mon groupe ! Mais nous pensons qu'il ne s'agit pas simplement de pousser un cri du coeur ou de propagande; si cela était, ce serait parfaitement inefficace. Vous demandez que l'on s'adresse au Conseil fédéral, ce qui est une démarche intelligente et sérieuse. Elle mérite donc d'être étudiée pour savoir exactement ce que cela implique pour Genève et pour connaître les réelles possibilités d'action.

Nous proposons donc le renvoi de cette résolution à la commission des affaires régionales, puisque, effectivement, le sujet qui nous est le plus proche est celui de Superphénix, sans négliger les deux autres. Cela permettra probablement - pour terminer par une note plus légère - au conseiller d'Etat en charge du dossier de se rendre sur place sur les plages de Polynésie, afin de récolter un maximum d'informations et de nous donner des renseignements de première main.

M. Max Schneider (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, en accord avec les signataires de cette résolution, je propose un bref amendement. Il n'a pas une grande portée, mais il a le mérite de rechercher la cohérence. En effet, nous savons que le plutonium nécessaire à Superphénix et aux essais nucléaires à Mururoa proviennent de la Cogema, au Cap de La Hague. C'est là que les déchets radioactifs suisses sont envoyés pour y être retraités et pour en extraire le plutonium. Je vous propose donc l'amendement suivant :

« - à prendre les mesures requises, afin de ne plus envoyer nos déchets radioactifs pour retraitement et extraction du plutonium à la Cogema, mais de les stocker in situ.».

Je vous rappelle que cette proposition a aussi été faite par les "Verts" au Parlement européen pour l'ensemble des pays européens. Ce sujet est d'ailleurs actuellement en discussion au Japon, afin que les déchets soient également stockés in situ.

La présidente. Pour la clarté des débats, Monsieur Schneider, le but de votre amendement est bien de compléter les invites de la résolution ? Je précise de "compléter" et non de "remplacer". Bien !

M. Bernard Annen (L). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je n'ai pas les compétences spécifiques pour me prononcer sur les aspects scientifiques de cette résolution. Certains ont l'air d'en savoir plus. Mais, ce qui est certain, c'est que la corrélation entre les deux objets que M. Vanek tente de nous démontrer n'existe pas. Ça, j'en suis sûr ! On parle d'un plan militaire, d'une part, avec Mururoa et d'un plan civil, de l'autre, avec Superphénix. Nous devons clarifier la situation sur ce point, d'autant plus que M. Schneider propose un amendement.

Nous pourrions au moins reconnaître la prise de position du Conseil d'Etat quant à Superphénix et apprécier ses réactions immédiates, lors du redémarrage de la centrale de Creys-Malville ou lorsque la procédure juridique n'est pas respectée, comme il le désire et comme vous le désirez et comme nous, Grand Conseil, le désirons.

C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, je vous propose - sans aucun esprit de polémique, Monsieur Nissim - de soutenir la proposition de notre collègue de renvoyer cette résolution aux affaires régionales. Pourquoi aux affaires régionales ? Eh bien, tout simplement parce que c'est le département de M. Haegi qui réagit, lui, systématiquement à tous les événements liés à la centrale de Superphénix. Nous devrions donc présenter deux résolutions, de manière à nous permettre de nous prononcer sérieusement. Si tel n'était pas le cas, vous nous contraindriez à refuser purement et simplement cette résolution, et j'engagerais notre parlement à en faire autant !

M. René Longet (S). Suite à l'intervention de M. Annen, qui a au moins le mérite de la clarté, après celle quelque peu alambiquée et faussement drôle de M. Lescaze, je crois qu'il faut tout de même regarder de quoi il s'agit.

Mesdames et Messieurs les députés, je ne sais pas comment vous avez réagi en votre âme et conscience quand vous avez suivi à la télévision, ou par d'autres médias, la commémoration digne et triste de ce qui s'est passé au mois d'août, au Japon, à Hiroshima.

M. Bernard Annen. On le sait !

M. René Longet. Ah, oui, on le sait ! Eh bien, alors, on en tire les conséquences, Monsieur Annen ! (Contestation.)

Mesdames et Messieurs les députés, Hiroshima n'est pas simplement un événement parmi d'autres dans la longue histoire de l'humanité. Cet événement a tout changé en mettant l'humanité face à elle-même, face à une possibilité totalement nouvelle : celle de mettre fin à la vie sur la seule planète qui porte la vie !

Que s'est-il passé ces cinquante dernières années ? Pendant quarante ans, le monde a vécu sous l'équilibre de la terreur, a frôlé l'abîme à plus d'une reprise - vous le savez très bien. Je pense, par exemple, aux épisodes de la crise de Cuba et d'autres, périodes où l'on ne savait pas si le lendemain la planète serait encore entière et si la vie serait encore présente. Aujourd'hui, il est un peu facile... (L'orateur est gêné par les conversations.) Je vois que ce sujet n'intéresse pas tout le monde ! (Manifestation.) Mesdames et Messieurs les députés, chacun prendra ses responsabilités, mais je trouve qu'il est un peu facile d'invoquer des difficultés de compréhension, de compétences, de procédure, sur une affaire dont les tenants et aboutissants sont tout à fait clairs.

Je ne veux pas revenir sur les motifs qui ont pu conduire le président français, fraîchement élu, à choquer le monde entier en prenant une décision saugrenue. Mais il faut savoir une chose : après que la fin de la "guerre froide" nous eut délivrés de l'équilibre de la terreur, une autre menace nucléaire est apparue : celle de la prolifération atomique, la "démocratisation" de l'atome. Pourtant, s'il y a bien une chose qui ne doit pas être "démocratisée", c'est l'arme atomique !

Vous le savez, il y a quelques mois à peine, le traité de non-prolifération a été renégocié. Cela n'a pas été facile du tout et un certain nombre de petites puissances dans le monde - vous les connaissez bien : on peut citer l'Iran, le Pakistan, etc. - dont les valeurs ne sont certainement pas celles de nos démocraties, sont fortement tentées d'avoir accès à la bombe. Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, le traité de non-prolifération n'a été renégocié que d'extrême justesse. Et voilà que la patrie des droits de l'homme, la France, donne un immense quitus à tous ceux qui voudraient jouer à la bombe ! Cela me semble autrement plus grave que certains voudraient le faire croire ici. La décision du président de la France n'est pas innocente. Elle est extrêmement lourde de conséquences et, si demain la prolifération reprenait, cela relèverait de la responsabilité de la France.

Comme canton voisin de la France, comme représentants du peuple genevois, nous devons le dire ! Tout à l'heure, j'ai entendu dans les couloirs demander à quoi servait une telle résolution. Eh bien, des centaines de parlements régionaux, communaux et nationaux dans le monde se sont exprimés comme nous. Peu importe si ces résolutions ont un effet réel sur l'Elysée et sur ceux qui y résident. Ce qui importe c'est qu'on soit en accord avec nos préoccupations fondamentales et notre conscience. Et tous ceux qui veulent arriver à maîtriser cette prolifération doivent aujourd'hui le dire clairement.

Tout renvoi en commission me paraît relever d'une attitude véritablement hypocrite. A mon avis, c'est ce soir que nous devons dire si oui ou non nous voulons exprimer une opinion face au monde. Nous ne devons pas nous dérober. Notre participation doit se joindre à l'effort qui doit être fait sur le plan mondial pour arriver à refermer la parenthèse du nucléaire.

M. Pierre Vanek (AdG). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais tout d'abord faire une remarque à M. Lescaze. Peut-être ne m'écoutait-il pas, peut-être me suis-je mal fait entendre à la fin de mon intervention, mais j'ai précisément mis l'accent sur le fait qu'il était important de condamner de la même manière les essais nucléaires français et chinois ! Je suis donc un peu surpris de m'entendre reprocher de ne pas avoir évoqué ces derniers.

Ma deuxième observation se rapporte aux propos tenus par M. Annen. En effet, il indique qu'il n'a pas les compétences voulues sur le plan technique pour juger des deux objets traités...

M. Bernard Annen. Scientifique !

M. Pierre Vanek. ...sur le plan scientifique. Excusez-moi, Monsieur Annen ! C'est une preuve de modestie qui vous honore, mais c'est un des graves problèmes du nucléaire civil et militaire, car ces domaines sont délégués à des experts qui ont soi-disant les compétences scientifiques et, face à cette situation, les citoyens sont priés de se fier complètement à leur avis !

Quant à moi, je crois que le rôle de citoyen, et a fortiori le rôle de parlementaire qui est le vôtre, Monsieur Annen, est tout de même de se forger une opinion, avec les éléments fournis. L'affaire de Malville et celle de Moruroa ont fait l'objet d'abondantes publications, diverses et contrastées, et je crois que c'est un devoir de prendre position. On ne peut pas se contenter de se fier aux "experts", comme le fait, précisément, M. Adolf Ogi. Comme par hasard ces "experts" font partie de l'establishment nucléaire. Vu que c'est leur gagne-pain, ils ne peuvent pas désavouer le nucléaire, ce qui est bien humain. En dehors de ce "sérail" de nucléocrates, les citoyens, les scientifiques et les parlementaires doivent prendre une position claire.

M. Annen a dit que ces deux objets n'étaient pas liés. Monsieur Annen, les Français sont sûrs, justement, qu'il y a un rapport étroit entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire, car les deux sont chapeautés par le Commissariat à l'énergie atomique. Du reste, un certain nombre des travers de la France en matière de nucléaire civil proviennent de ce mariage avec le "secret-défense". Des habitudes de non-transparence ont été prises à ce niveau. La connexion est même si étroite que l'acte de naissance de Superphénix est signé et scellé du sceau de la volonté de produire davantage de plutonium de qualité militaire pour que l'armée dispose de plus de bombes ! C'était un des arguments, et non des moindres à l'époque, avancés pour mettre en route ce projet.

J'ai évoqué d'autres aspects : les décisions en matière nucléaire et le jeu avec le plutonium, mais, lorsque cela aura sauté, vous ne distinguerez pas si c'est à Malville ou à Moruroa, au niveau de la contamination, et - pour passer au terrain politique qui est le nôtre - il y a une même absence de démocratie. Vous le savez, les sondages le disent - en l'occurrence, cela doit être vrai - les deux tiers des Français sont opposés à cette décision de reprise des essais nucléaires, et, pourtant, M. Chirac va de l'avant, en se cachant derrière les avis des "experts", comme l'a fait M. Annen.

L'objet politique est très simple, Mesdames et Messieurs les députés : veut-on exprimer notre opposition à Malville et à Moruroa et veut-on demander au gouvernement fédéral d'agir dans ce domaine ? Il est vraiment inutile d'étudier cette question en commission. Ce dossier est brûlant, car, dans quelques semaines, les Français vont faire sauter la prochaine bombe atomique, selon leur planning d'essais. Ce n'est donc pas en enterrant cette résolution en commission que nous ferons avancer les choses !

Le cas échéant, il faut avoir le courage de le dire, Mesdames et Messieurs : vous êtes contre cette résolution et vous n'êtes pas d'accord avec la démarche politique qui est la nôtre, c'est-à-dire notre opposition à Moruroa et Malville et notre demande, adressée au Conseil fédéral, pour qu'il agisse dans le même sens. Vous connaissez ces dossiers, puisque nous en avons débattu souvent. Ce parlement a déjà voté une résolution sur les essais atomiques. Alors, pour ma part, je refuserai le renvoi en commission de cette résolution.

Mme Micheline Calmy-Rey (S). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, le sujet que nous traitons, à ce point de l'ordre du jour, est un sujet trop important pour faire l'objet de calculs politiques. Or, le renvoi en commission, Mesdames et Messieurs de l'Entente, est un calcul politique ! La résolution reviendra de son "séjour" en commission, au bout de huit mois, lorsque tous les essais nucléaires français seront effectués et, surtout, lorsque la période électorale sera passée. Cela n'est franchement pas digne de vous !

En effet, s'agissant du fond, Mesdames et Messieurs les députés, cela n'est pas la première fois que le sujet du nucléaire est traité dans ce parlement. La volonté des Genevois tous confondus est claire : les habitants, le Conseil d'Etat, le parlement, nous sommes tous favorables à l'arrêt du surgénérateur de Creys-Malville. Vous le savez bien, puisque ce n'est pas la première résolution, ni la première motion, que nous votons ensemble, dans cette enceinte, sur cette question.

Une voix. Ni la dernière !

Mme Micheline Calmy-Rey. Ni la dernière d'ailleurs, vous avez raison !

La présente résolution s'inscrit donc dans une suite d'interventions du parlement et du gouvernement genevois, avec trois objectifs.

Le premier objectif est d'exprimer notre opposition, durable et ferme, au redémarrage du surgénérateur de Creys-Malville.

Le deuxième objectif est de montrer notre capacité à nous mobiliser, pas seulement pour défendre nos propres intérêts, soit pour faire stopper un surgénérateur à 60 km de Genève, mais que nous pouvons également nous mobiliser, toujours aussi fermement, lorsque les intérêts d'habitants situés à des milliers de kilomètres d'ici sont en jeu. Et ils le sont ! Ces intérêts sont menacés, Mesdames et Messieurs les députés, par le nucléaire ! Les essais nucléaires qu'ils soient français ou chinois sont effectués dans le mépris le plus total de la démocratie et des habitants qui servent de cobayes involontaires ! Nous commémorions, il y a quelques semaines seulement, une grande catastrophe : l'anéantissement de Hiroshima et de Nagasaki. A cette occasion, nous avons pu nous rappeler combien les armes nucléaires sont destructrices et barbares !

Le troisième objectif de cette résolution est de convaincre, si ce n'est de convaincre, au moins de faire prendre conscience aux autorités fédérales de la gravité de la situation et d'obtenir un soutien politique de leur part, ce qui n'a pas été le cas jusqu'ici, loin s'en faut !

Alors, Mesdames et Messieurs les députés, moi, je ne comprends pas votre volonté de renvoyer cette résolution en commission ! Cette résolution est un cri de protestation, c'est un acte politique qui doit être fait aujourd'hui. Nous sommes des parlementaires, nous sommes des politiciens, et il ne me semble pas possible que nous soyons moins politisés que l'équipe suisse de football ! (Remarques.)

M. Luc Gilly (AdG). M. Vanek a exprimé en grande partie ce que je voulais dire.

Je m'étonne tout de même que M. Annen persiste à croire que Malville ne produise que du nucléaire à usage civil ! (L'orateur est interpellé par M. Annen.) Vous avez suffisamment de documents à votre disposition, Monsieur Annen ! Il n'est pas nécessaire d'avoir des connaissances scientifiques pour les comprendre ! Malville produit de la matière à usage militaire à des fins qui sont évidentes !

Bien sûr, nous refusons le renvoi de cette résolution en commission, comme vient de le dire Mme Calmy-Rey.

M. Pierre Kunz (R). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, M. Vanek nous disait tout à l'heure qu'il fallait se forger une opinion.

S'agissant du contenu de la résolution, Monsieur Vanek, elle était forgée depuis longtemps et la quasi-totalité des membres de ce parlement était prête à voter votre résolution.

Par contre, au sujet du fonctionnement de ce Grand Conseil, j'aimerais tout de même attirer votre attention - pour parodier Victor Hugo - pour vous dire que ce Grand Conseil n'est plus une réunion d'hommes et de femmes, mais qu'il est devenu une terrible complication d'hommes et de femmes. Je suppose qu'à la tribune on doit largement approuver mes dires !

Une voix. Non !

M. Pierre Kunz. Le fonctionnement de ce Grand Conseil, par le blabla invraisemblable que vous nous infligez depuis trois quarts d'heure, sur une résolution qui était quasiment acquise d'avance, est absolument intolérable ! C'est une perversion de la vie parlementaire et nous allons "crever" tous ensemble, notamment sous le feu de la critique qui a bien raison de nous prendre pour des "rigolos" ! (Rires et applaudissements.)

Pour protester contre cette attitude scandaleuse de votre part, Mesdames et Messieurs, j'invite tous mes collègues de l'Entente à rejeter votre résolution définitivement, afin que vous compreniez que vous ne pouvez pas agir ainsi au sein de ce parlement !

Une voix. Bravo !

M. Bernard Annen (L). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, j'ai essayé de ne pas polémiquer au sujet de cette résolution pour tenter de faire une proposition concrète.

Malheureusement, Madame Calmy-Rey, vous m'incitez à vous répondre qu'en 1986 la France a effectué vingt-six essais souterrains dans le Pacifique Sud sous la présidence de M. François Mitterand ! Alors, Madame, je crois que les bombes ne sont pas bonnes parce qu'elles viennent de gauche et mauvaises quand elles viennent de droite ! Nous sommes tous d'accord sur ce point.

Madame, j'ai tout simplement demandé le renvoi de cette résolution en commission parce que nous sommes en partie liés par la constitution genevoise sur la problématique de Creys-Malville. Mais vous ne pouvez pas empêcher les uns et les autres d'avoir des avis différents sur les expériences qui se déroulent dans le Pacifique Sud ! Il n'est pas normal que vous nous entraîniez à prendre une position politique sur un objet pour lequel nous avons des obligations constitutionnelles et, en même temps, sur un autre objet qui n'a pas du tout la même corrélation. C'est sur ce point que je désire que la situation soit clarifiée, Monsieur Vanek.

Alors, je ne suis pas d'accord avec certains de mes collègues appelant à l'intransigeance, mais si vous nous y poussez, alors là, oui, Monsieur, je suivrai leur appel !

M. Pierre Vanek (AdG). (L'orateur est contesté d'entrée.)

La présidente. Non ! M. Pierre Vanek est auteur de la proposition de résolution, il n'est donc pas limité dans le nombre de ses interventions !

M. Pierre Vanek. Ce n'est que la troisième, d'ailleurs ! Et je serai très, très bref ! Excusez-moi, mais, Monsieur Kunz, nous avons passé près d'une heure sur l'historique de l'usine des Cheneviers, alors je crois qu'il est possible de consacrer également un peu de temps à cet objet très important !

Je considère votre prise de position comme étant parfaitement ridicule ! Vous avez dit que tout le monde voulait voter cette résolution, mais, comme nous nous sommes montrés méchants et que nous avons utilisé un peu trop de votre temps, que vous alliez la rejeter ! Monsieur Kunz, est-ce bien sérieux ? Votez-vous dans ce parlement en fonction d'accès d'humeur subits, en raison de votre tempérament caractériel ? Non, bien sûr, vous ne le faites pas, vous votez sur la base de vos convictions politiques ! Et je dois dire que, moi, comme nos concitoyens, bêtement, j'interpréterai un vote contre cette résolution comme émanant de gens qui sont opposés au contenu de celle-ci. C'est tout simple. C'est comme cela que cela fonctionne dans ce parlement, comme pour d'autres votes.

Monsieur Annen, nous ne soutenons absolument pas la politique nucléaire effectuée pendant la présidence de M. Mitterand ! C'est évident ! On pourrait énumérer d'autres Etats, s'étant prétendus de gauche, qui ont mené une politique nucléaire détestable ! En l'occurrence, nous nous prononçons sur le fond du problème.

C'est dans ce sens, puisque, comme le disait M. Kunz tout à l'heure, nous sommes tous d'accord sur le fond, que nous devons voter cette résolution !

La présidente. Nous allons voter sur le renvoi en commission, nous voterons ensuite sur l'amendement présenté par notre collègue Max Schneider et, enfin, sur la résolution elle-même.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette proposition de résolution à la commission des affaires communales et régionales est rejetée.

La présidente. Nous passons maintenant à l'amendement de M. Max Schneider, qui vise à compléter l'invite de la résolution par une deuxième invite dont la teneur est la suivante :

« - à prendre les mesures requises afin de ne plus envoyer nos déchets radioactifs pour retraitement et extraction du plutonium à la Cogema, mais de les stocker in situ.».

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Mise aux voix, cette résolution est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

rÉsolution

Mururoa-Superphénix

LE GRAND CONSEIL,

considérant:

que certaines expériences nucléaires, tant civiles que militaires, exposent les populations voisines à des dangers inacceptables, cela sans leur consentement,

invite le Conseil fédéral

à protester vivement auprès des autorités concernées (gouvernements chinois et français) contre le redémarrage de Superphénix, les essais nucléaires français dans le Pacifique, ainsi que les essais nucléaires chinois.

 

La séance est levée à 22 h 40.