République et canton de Genève

Grand Conseil

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R 835
Proposition de résolution de Mmes et MM. Frédérique Perler, Sophie Forster Carbonnier, Delphine Klopfenstein Broggini, Mathias Buschbeck, Boris Calame, Emilie Flamand-Lew, Olivier Baud, Bertrand Buchs, Sarah Klopmann, Guillaume Käser, Christian Frey, Claire Martenot, Jocelyne Haller, Delphine Bachmann, Anne Marie von Arx-Vernon, Geneviève Arnold, Vincent Maitre, Christian Zaugg, Jean-Marc Guinchard : La détention administrative d'enfants doit cesser ! (Résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VIII des 2 et 3 novembre 2017.

Débat

Le président. Mesdames et Messieurs, nous abordons notre première urgence, la proposition de résolution 835. Le débat est classé en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à Mme Perler, première signataire du texte.

Mme Frédérique Perler (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, cette résolution est simple et courte: elle stipule que la détention administrative d'enfants doit cesser et invite le Conseil d'Etat à demander à l'Assemblée fédérale de modifier les dispositions de la loi fédérale sur les étrangers - la LEtr - de sorte à la proscrire en Suisse.

Pour rappel, qu'est-ce que la détention administrative ? C'est la privation de liberté pour des raisons relatives au statut migratoire. La législation fédérale l'autorise pour des mineurs âgés de 15 à 18 ans, mais l'interdit pour ceux de moins de 15 ans. L'incarcération d'enfants pendant une si longue période - elle est en effet permise jusqu'à douze mois maximum - est extrêmement choquante et entraîne d'importants désordres cliniques: dépression sévère, anxiété, troubles d'origine post-traumatique, voire automutilation. Outre son coût et son inégalité, elle porte très sérieusement préjudice aux jeunes.

Dans sa réponse circonstanciée à la question écrite urgente 680 que j'avais déposée il y a un mois, le Conseil d'Etat, que je remercie ici, réaffirme sa position, à savoir qu'il est totalement défavorable à la détention administrative de mineurs dans les cantons concordataires et souhaite intégrer cet élément dans la discussion sur les concordats - ça, c'est encore de la musique d'avenir.

Maintenant, comment le canton de Genève, berceau des droits de l'Homme, peut-il agir ? Eh bien justement en demandant à l'Assemblée fédérale de modifier la loi dans ce sens. Cela fait suite à une étude effectuée par Terre des hommes et publiée en juin dernier, si j'ai bonne mémoire, qui préconise la révision de la loi fédérale afin d'interdire... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...l'incarcération de mineurs et de proposer le développement d'alternatives à la privation de liberté, des foyers, par exemple. L'ensemble des cantons devraient appliquer la recommandation du Comité des droits de l'enfant, selon lequel les mineurs ne devraient jamais être emprisonnés.

Le président. Vous prenez sur le temps de votre groupe, Madame.

Mme Frédérique Perler. Oui, Monsieur le président, merci. Je vous fais l'économie, Mesdames et Messieurs, de la liste de toutes les instances internationales qui recommandent de ne pas recourir à la détention administrative de jeunes en raison de leur statut migratoire, tout en soulignant que plusieurs pays y ont déjà renoncé. Il est important que Genève soutienne une initiative fédérale dans ce sens déposée à l'Assemblée fédérale - mais qui n'y a pas encore été traitée - afin d'appuyer cette volonté.

Enfin - j'en terminerai par là, Monsieur le président - pour celles et ceux qui douteraient des chiffres énoncés dans le texte, sachez qu'ils nous viennent directement du Secrétariat d'Etat aux migrations: en 2016, 64 enfants ont été privés de liberté à travers le pays et, en 2017, ce serait le cas de 19 mineurs; je précise à cet égard, comme l'a indiqué le Conseil d'Etat, qu'aucun enfant n'est incarcéré dans le canton de Genève. Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de renvoyer cette résolution directement au Conseil d'Etat dans une belle unanimité; elle est claire, précise, il n'y a pas lieu d'entamer tout un travail en commission. Merci. (Applaudissements.)

Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). L'essentiel a été dit. Pour le parti démocrate-chrétien, les choses sont très claires: nous savons que ce problème n'existe pas ici - nous en sommes d'ailleurs très reconnaissants au Conseil d'Etat et à M. Maudet tout particulièrement - mais il n'empêche qu'en cosignant cette résolution, nous souhaitons soutenir la position de Genève, de son gouvernement et de son parlement. Il ne doit jamais y avoir de mineurs incarcérés dans notre canton ! Le «jamais» pouvant parfois être variable, nous voulons renforcer cette prise de position pour demain, pour après-demain et pour le futur.

Chaque fois que nous pourrons tenter de convaincre le reste de la Suisse, qui n'a pas toujours l'ouverture d'esprit de Genève, nous le ferons, nous serons aux côtés de celles et ceux qui veulent éviter l'inacceptable, c'est-à-dire la détention d'enfants. C'est pourquoi le parti démocrate-chrétien vous invite, Mesdames et Messieurs, à renvoyer cette résolution au Conseil d'Etat, qui saura nous rassurer et sera ainsi convaincu que nous sommes derrière lui pour cette cause tout à fait fondamentale. Je vous remercie.

Le président. Merci, Madame. Je rappelle juste qu'il est prévu que cette résolution soit renvoyée à l'Assemblée fédérale, et non au Conseil d'Etat. La parole est à M. Florey.

M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. En voilà une résolution pleurnicheuse et alarmiste ! En réalité, la situation n'est pas du tout celle qui y est décrite. Le plus gros mensonge se situe au deuxième paragraphe, quand on parle d'incarcérations: ce n'est absolument pas le cas, il faut vraiment faire attention à ce qu'on dit. La détention administrative telle que décrite dans ce texte ne reflète en rien la réalité, car les jeunes qui sont détenus le sont avec leur famille.

Ce que vous demandez dans les faits, Mesdames et Messieurs, c'est d'extraire ces mineurs de leur famille, ce qui est hautement plus traumatisant que la situation que vous décrivez, c'est de faire éclater des familles qui sont en attente de renvoi. Or c'est bien cela qui est bouleversant pour les jeunes, ce n'est pas d'être détenus avec leur famille dans des centres - ce ne sont pas des prisons, mais bien des centres de détention. Ces familles sont détenues en attente de renvoi, c'est pour ça qu'on les détient, c'est parce qu'on attend de pouvoir les renvoyer, et il n'y a rien de traumatisant à cela. Ils bénéficient d'un régime de semi-liberté, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent pas sortir comme ils l'entendent, mais ils ne sont pas non plus enfermés 24 heures sur 24 dans une cellule comme des prisonniers. Ce que vous décrivez est totalement faux.

Il faut quand même considérer que cette loi a été décidée par le Parlement fédéral et qu'elle n'a jamais fait l'objet d'un quelconque référendum, elle n'a jamais été contestée directement, donc il n'y a aucune raison que le législateur change une loi qui n'a fait l'objet d'aucun recours. Nous vous recommandons de rejeter purement et simplement cette résolution qui est alarmiste, comme je le disais, et ne sert pas à grand-chose, si ce n'est à faire du pur électoralisme et à décrire des situations qui sont fausses ou n'existent pas. Je vous remercie.

Une voix. Très bien !

Le président. Merci, Monsieur. La parole va à Mme Schneider Hausser.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). ...Mme Schneider Hausser, qui va essayer de se tenir par rapport à ce qui vient d'être dit, Monsieur le président ! Je m'excuse, Monsieur Florey, mais la détention administrative à Genève sera fonctionnelle à La Brenaz II, qui sert actuellement de prison, donc venir dire que les gens en détention administrative ne sont pas en prison, même si c'est pour une nuit ou quelques jours, constitue un mensonge.

Pour nous, pour moi, priver des enfants de liberté parce qu'ils suivent leurs parents dans leur parcours migratoire... (Remarque.) Oui, jusqu'à 18 ans, ce sont des enfants, et après ce sont de jeunes adultes ! ...parce qu'ils fuient une situation de guerre ou de troubles politiques, parce qu'ils espèrent trouver ici... (Remarque.) Je suis désolée, mais les requérants d'asile viennent ici pour trouver un refuge, c'est ce que ces personnes et ces mineurs recherchent en Suisse. Pour nous, socialistes, il est inadmissible de soutenir des mesures telles que la détention administrative pour des mineurs, même si les raisons de la demande d'asile n'ont, d'après nos critères, pas de fondement.

Je ne le dis pas souvent, mais en tant que mère de quatre enfants, je pense que si les enfants et les jeunes adultes sont solides, même dans un contexte favorable tel que nous le connaissons à Genève, ils ont besoin d'éducation et de soutien. Ce n'est pas simple tous les jours de vivre dans notre monde, et ils ont besoin d'être accompagnés. Proposer la prison comme seule réponse aux jeunes qui viennent chercher refuge ici, ce n'est pas une solution.

Genève, en tant que ville des droits de l'Homme, en tant que ville qui héberge autant d'instances internationales, doit porter cette résolution à Berne. En effet, la Suisse a ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant, qui est beaucoup plus stricte que le droit fédéral. Ce n'est pas une histoire d'électoralisme, ce sont des questions fondamentales de positionnement de société. Si des sociétés riches comme la nôtre ont pour seule réponse à un besoin de refuge la prison pour mineurs, eh bien c'est vraiment déplorable et triste. Le débat doit avoir lieu à Berne, car c'est là que la loi fédérale peut être modifiée. Mesdames et Messieurs, nous vous demandons bien évidemment d'accepter cette résolution. (Applaudissements.)

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, Genève a banni la pratique de la détention administrative des mineurs; nous aurions pu nous arrêter là et nous féliciter d'être de braves gens, si ce n'est qu'on nous dit qu'il existe 64 cas de détention d'enfants en Suisse. Voilà un motif suffisant pour qu'aujourd'hui, fort de son expérience en la matière, notre canton adresse une résolution à l'Assemblée fédérale pour faire en sorte que cette pratique cesse et que soit totalement éradiquée la détention administrative des jeunes.

Justifier la privation de liberté parce qu'il serait apparemment moins pire de ne pas séparer les enfants de leur famille et leur imposer l'expérience traumatisante de la prison parce que ce serait mieux pour eux revient tout simplement à ignorer la réalité de l'incarcération, l'expérience traumatisante qu'elle peut représenter pour des jeunes. C'est une forme de banalisation de l'exil qui est intolérable et qui n'a aucun sens, si ce n'est promouvoir une politique de dissuasion à l'égard des requérants d'asile, quitte à bafouer les conventions internationales. Nous n'entrerons pas dans cette démarche, nous refuserons ce discours et, résolument, nous soutiendrons ce texte. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

Mme Nathalie Fontanet (PLR). Le groupe PLR s'est toujours montré sceptique quant aux résolutions à renvoyer à l'Assemblée fédérale, parce qu'on sait que leur succès est malheureusement assez modeste et qu'en règle générale, elles ne sont suivies d'aucun effet. Nous avons toutefois accepté l'urgence, parce qu'on est en train de parler de mineurs et que les conditions de détention administrative d'enfants nous interpellent.

Cela dit, nous sommes un peu étonnés par votre demande de renvoi direct parce que, comme vous l'avez dit, Genève ne pratique pas la détention administrative de mineurs. Pour ma part, j'aurais trouvé intéressant qu'on commence par étudier cette résolution ici, qu'on profite du fait qu'elle a été établie par le groupe des Verts et signée par les autres partis pour l'examiner en commission. En effet, comment se fait-il que la détention administrative de mineurs se pratique dans les autres cantons, mais pas chez nous ? Est-ce parce qu'on mène une politique différente, plus rapide en matière d'expulsion lorsqu'il y a des familles, est-ce parce que notre magistrat est extrêmement attentif à ce genre de problématiques ?

Nous voudrions obtenir de véritables chiffres, savoir ce qu'il en est de la politique genevoise en la matière avant d'aller donner des leçons aux autres cantons et de demander à l'Assemblée fédérale de suivre un texte alors même que, chez nous, nous n'avons pas pris la peine de l'étudier et de déterminer les raisons pour lesquelles nous arrivons à de tels résultats. Aussi, Mesdames et Messieurs, je vous encourage à renvoyer ce texte à la commission judiciaire; il n'a pas besoin d'y passer des années, mais je pense qu'il serait dommage de nous priver de son étude. Merci.

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat n'a pas d'avis à exprimer quant à cette requête, si ce n'est qu'il vous rappelle le sort généralement réservé aux propositions de résolutions que nous adressons directement à l'Assemblée fédérale. Je relève que trois des partis dont sont issus les signataires sont représentés au Parlement fédéral et, partant, m'étonne que ce travail de conviction ne commence pas au sein de leurs rangs: Mesdames et Messieurs, pourquoi ne faites-vous pas en sorte que vos représentants à Berne soutiennent ce qui vous semble évident ?

Cela a été dit et répété, Genève n'emprisonne pas de mineurs, même en détention administrative, et il serait ainsi particulier que ce genre de démarche émane de notre canton, qui risquerait d'être perçu comme un donneur de leçons. Cela dit, le Conseil d'Etat ne s'oppose pas à ce que vous demandiez que l'on fasse partout ce qui se fait ici, donc à votre bon coeur, Mesdames et Messieurs.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi à la commission judiciaire et de la police, que je mets aux voix.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 835 à la commission judiciaire et de la police est adopté par 57 oui contre 31 non.