République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 10928-A
Rapport de la commission de contrôle de gestion chargée d'étudier le projet de loi de Mme et MM. Patrick Lussi, Christo Ivanov, Christina Meissner, Antoine Bertschy, Stéphane Florey, Eric Leyvraz, Eric Bertinat, Bernhard Riedweg modifiant la loi instituant une Cour des comptes (LICC) (D 1 12) (Accès par la Cour des comptes à des données couvertes par le secret fiscal)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 12, 13 et 19 mars 2015.
Rapport de majorité de M. Bertrand Buchs (PDC)
Rapport de minorité de M. Christo Ivanov (UDC)

Premier débat

Le président. Nous abordons le PL 10928-A en catégorie II, quarante minutes. Monsieur le député Buchs, vous avez la parole.

M. Bertrand Buchs (PDC), rapporteur de majorité. Merci beaucoup, Monsieur le président. Je serai bref, parce que ce point a déjà été élucidé: actuellement, en accord avec le Conseil d'Etat, la Cour des comptes peut avoir accès à des données protégées par le secret fiscal; elle peut lui faire une demande pour y avoir accès. Si le Conseil d'Etat est d'accord, les magistrats ont juste à prêter serment devant lui. Ce projet de loi n'a donc plus aucune utilité. Je pense que M. Ivanov va nous annoncer qu'il le retire. Je vous remercie.

M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de minorité. Non, je rassure tout de suite M. Buchs, je ne vais pas retirer cet excellent projet de loi, comme vous venez de le dire vous-même. En effet, il propose d'autoriser la Cour des comptes à accéder aux données actuellement protégées par le secret fiscal, ce qui revêt la plus grande importance. Ainsi, en l'absence d'un cadre légal permettant la levée du secret fiscal, pas moins de 50% de l'effectif du département des finances peut faire l'objet d'une analyse de la qualité de son travail. Le contrôle de la légalité, de la régularité comptable ou de la gestion de 70% des revenus de l'administration cantonale ou encore celui de la légalité et de la gestion de certaines aides sociales ou allocations échappe à l'examen de la Cour des comptes. Je m'arrêterai là pour l'instant et reprendrai peut-être la parole plus tard, mais pour toutes ces raisons, je vous demande de bien vouloir accepter ce projet de loi.

M. Alberto Velasco (S). J'avoue que je ne comprends pas très bien ce projet de loi, parce qu'à la lecture du rapport de majorité, il semblerait que les dispositions demandées par le rapporteur de minorité existent déjà. La Cour des comptes a, de par les dispositions actuelles, des possibilités d'exercer ce pouvoir de lever le secret, avec les cautèles que l'on connaît. En lisant les dispositions proposées par l'UDC, on s'aperçoit qu'elles ne laissent même pas les cautèles mises par les dispositions auxquelles fait référence le rapporteur de majorité. Chers collègues de l'UDC, j'aimerais bien que vous m'expliquiez la raison pour laquelle vous ne voulez pas retirer ce texte. En réalité, en lisant les dispositions actuelles, on voit que la Cour des comptes a accès à ces données fiscales, avec évidemment, peut-être, des réserves. C'est autre chose si vous désirez une transparence totale, une levée du secret fiscal; mais ça, c'est au niveau fédéral, je ne pense pas qu'on puisse prévoir ce droit au niveau cantonal. A part cela, on pourrait aussi dire qu'idéologiquement, ça ne sert absolument à rien. Par conséquent, même si je n'étais pas moi-même dans la commission, je comprends mes collègues qui ont refusé ces dispositions, non pas parce que ce que vous voulez ne convient pas ou qu'ils auraient été contre, mais parce que ces dispositions existent et que ce projet de loi est donc redondant. C'est la raison pour laquelle, Monsieur le président, nous allons nous rallier à la décision du rapporteur de majorité.

M. Gabriel Barrillier (PLR). Chers collègues, le rapporteur de majorité a rappelé que l'accès de la Cour des comptes aux données couvertes par le secret fiscal est maintenant réglé par l'article 40 - j'ai vérifié - de la loi sur la surveillance de l'Etat. Cet article prévoit à juste titre que la levée du secret n'est pas automatique, mais doit être limitée, avec en plus une description précise des buts et du champ d'investigation souhaité. La loi accorde cette compétence au Conseil d'Etat. Le groupe PLR confirme son soutien à cette solution qui, Mesdames et Messieurs les députés, repose autant sur l'équilibre bien compris des pouvoirs que sur la protection optimale des personnes en matière fiscale. Il n'est pas question pour nous d'accepter d'accorder un pouvoir sans limite à la Cour des comptes en la matière, et je m'étonne, chers collègues de la minorité, que l'Union démocratique du centre, très chatouilleuse sur la défense des libertés individuelles et généralement assez méfiante à l'égard du renforcement des pouvoirs, quels qu'ils soient, n'ait pas retiré son projet de loi. Eu égard à la solution équilibrée inscrite dans la loi sur la surveillance de l'Etat, notre groupe vous demande de refuser cet objet.

Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Je ne vais pas répéter ce qu'ont dit nos collègues. En effet, la nouvelle loi sur la surveillance règle le problème. Cependant, pour rassurer l'UDC, nous allons rester attentifs à la manière dont la levée du secret fiscal sera accordée ou non par le Conseil d'Etat, et nous espérons vraiment qu'il va pouvoir travailler en bonne entente avec la Cour des comptes. Si cela devait ne pas être le cas, nous n'hésiterions pas à revenir à la charge avec un projet de loi un peu plus spécifique. Mais pour le moment, il faut laisser la loi sur la surveillance faire son oeuvre, voir dans la pratique comment les choses se passent, et si tout se passe bien, il n'y aura pas de raison de la changer. Je vous remercie, Monsieur le président.

Mme Salika Wenger (EAG). J'avoue ne pas avoir participé à ces travaux. Néanmoins, je me dis qu'il est inenvisageable, pour une démocratie comme la nôtre, une république comme la nôtre, de ne pas penser que plus nous offrons de possibilités à la Cour des comptes de faire son travail, plus nous aurons une transparence qui sera représentative de la réalité. Il se peut en effet que la Cour des comptes, par hasard, si on veut bien de temps en temps la lui donner, ait l'autorisation de pouvoir lever le secret bancaire... fiscal ! Le secret bancaire, c'est autre chose. Mais dans ce cas particulier, on est en train de dire qu'on veut que la Cour des comptes ait absolument ce pouvoir. Et ce n'est pas un luxe que de le demander. Aussi, je vous invite pour ma part à accepter ce projet de loi, et je crois que mon groupe vous y invite aussi. (Commentaires.)

M. Eric Leyvraz (UDC). Il faut quand même rappeler que la loi instituant une Cour des comptes, la LICC, prévoit que celle-ci dispose des mêmes moyens d'investigation que ceux dont dispose l'inspection cantonale des finances, aujourd'hui SAI, ainsi que le règle la loi sur la surveillance de la gestion administrative et financière et l'évaluation des politiques publiques, la LSGAF. Cela semble clair, mais en fait, la LICC doit avoir, dans la plus stricte légalité, une disposition indiquant que le secret fiscal peut être levé. On veut un contrôle efficace du département des finances; or, il a déjà été dit qu'environ 50% ne pourrait pas être contrôlé sans cette loi bien stricte. Il ne faut pas que quelque chose puisse échapper à la Cour des comptes, d'autant plus que maintenant elle va être chargée du contrôle des comptes de l'Etat, ce qui change fondamentalement la situation. Il est indispensable que cette loi soit claire et dépourvue d'ambiguïté sur ce point important, qui était bien prévu dans l'esprit même de la loi comme prérogative de la Cour des comptes, mais qui n'a pas été formellement inscrit dans la loi. Nous voulons donc que cela soit formellement inscrit dans la loi, nous ne voulons pas que ce soit le Conseil d'Etat qui donne les autorisations à la Cour des comptes, car il peut changer: peut-être qu'il ne sera pas toujours d'accord de le faire; et quand on voit la bonne ambiance qui règne actuellement entre la Cour des comptes et le Conseil d'Etat, je pense qu'il est beaucoup mieux que cela soit inscrit dans la loi et que ce soit clair, plutôt que cela soit laissé au bon vouloir du Conseil d'Etat. Je vous prie donc de bien vouloir voter cette loi.

M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, il est certain qu'on doit avoir le courage de regarder pourquoi ce projet de loi a été déposé. En définitive, quelle est la principale opposition que nous voyons et peut-être même que nous entendons à nouveau ces temps à la Cour des comptes ? Elle ne concerne ni son fonctionnement ni son travail, mais les personnalités qui s'y trouvent. Il est vrai que ce projet de loi est parti d'un fait concret - ne citons pas de nom, il y avait un magistrat élu à la Cour des comptes, d'un groupe politique présent ici, qui déplaisait, et par rapport à l'audit qui devait être mené - nous avons eu quand même le retour de la Cour des comptes - ils n'ont pas pu faire leur travail parce que le Conseil d'Etat n'a pas donné l'autorisation. Alors bien sûr, on cite l'article 40. (Remarque.) Premier alinéa: «Nul ne peut opposer le secret de fonction à la Cour des comptes.» Après, on se dit que c'est peut-être trop beau, que cet organisme, qui, je le rappelle, n'émet que des recommandations mais pas de sanctions, est là justement pour aider le Grand Conseil - on est en train de le voir actuellement - face à des habitudes, à des pratiques qui peut-être ne sont pas tout à fait dans le droit fil de notre démocratie. Bien, Mesdames et Messieurs, ce projet de loi est ainsi. Donc, est-il correct - j'ai entendu M. Velasco, je veux bien comprendre la position du groupe socialiste - que dans le cadre d'un audit, qui a dû être défini, on décide - même si ce sont ces messieurs du Conseil d'Etat, ce n'est pas contre eux que je le dis, c'est eux maintenant, ce seront peut-être d'autres ensuite - que pour finir non, ce sur quoi ils vont enquêter ne nous plaît pas et qu'on ne leur donne pas l'autorisation ? En tant que démocrate, je pense qu'un Grand Conseil doit avoir confiance dans sa Cour des comptes, qui est son seul bras pour aller vraiment enquêter et nous envoyer des rapports qui nous disent exactement ce qui s'est passé. Il ne s'agit pas de démonter le mécanisme de l'Etat. (Brouhaha.) Chaque fois que la Cour des comptes a mené des audits, cela a été justifié, cela a concerné des faits avérés. Donc, Mesdames et Messieurs les députés, pour l'exercice sain de notre démocratie, nous ne pouvons que vous inciter à accepter ce projet de loi.

M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai de la peine à suivre les conclusions du rapporteur de majorité, parce que finalement - et cela a été sanctionné par le peuple - il a été décidé que les comptes seraient désormais contrôlés par la Cour des comptes, et non plus par le service de l'audit interne. Par conséquent, il faut lui donner les moyens de faire son travail. J'ai bien entendu et vu ces dispositions, mais elles sont trop restrictives. Si la Cour des comptes, qui devra définir très exactement le périmètre de ses contrôles, veut éventuellement aller trop loin, ou tout simplement faire son travail pour contrôler les comptes de l'Etat, on va lui dire non ? Mais c'est quoi, ce boulot ? Ça n'a pas de sens. Je crois qu'on doit aller en effet dans le sens de la transparence, et si on n'est pas content de la Cour des comptes, on change les lois, on change ses magistrats, mais a priori, on doit lui faire confiance. Je rappelle que ce Grand Conseil a voulu - et le peuple a sanctionné cette décision - que la Cour des comptes contrôle à terme - il faut un temps de mise en place, ils doivent constituer une équipe - les comptes de l'Etat. Il faut donc lui donner la possibilité d'avoir accès à toutes les données fiscales sans restriction. Je vous invite à voter le projet de loi qui vous est soumis.

Mme Magali Orsini (EAG). Je viens de m'apercevoir qu'au fond, on ne sait pas très bien de quoi on parle. On a bien défini qu'il y avait à la Cour des comptes une séparation stricte entre son rôle actuel, celui de mener des audits ponctuels, dont elle peut s'auto-saisir, et son rôle de réviseur des comptes de l'Etat. Il ne faut donc pas tout confondre. Il est évident que dans ce rôle de réviseur, avec les personnes qui seront désignées pour contrôler les comptes de l'Etat, elle a accès à l'ensemble des comptes de l'administration. Cela va sans dire. Maintenant, pour les audits, c'est une autre histoire: effectivement, on peut supposer que pour les données sensibles, il y ait une habilitation particulière, je n'y vois pas d'objection. Alors qu'on soit bien d'accord: quand elle agit comme réviseur des comptes de l'Etat - mais peut-être que ça vaudrait la peine de le préciser quelque part par un amendement - elle a accès à tous les comptes qu'elle a besoin de certifier, c'est évident.

M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de minorité. En effet, ce projet de loi propose de modifier la LICC pour lever les obstacles empêchant la Cour des comptes d'effectuer dans de bonnes conditions les audits qu'elle a choisi de mener; pour le groupe UDC, la minorité que je défends, il faut que cela soit inscrit dans la loi de manière claire. C'est pour cette raison que je vous demande de bien vouloir accepter ce projet de loi.

M. Bertrand Buchs (PDC), rapporteur de majorité. Eh bien c'est inscrit dans la loi ! C'est inscrit dans la loi sur la surveillance. Quand cette loi a été écrite, la Cour des comptes a été auditionnée et ne s'est pas opposée au texte qui a été mis dans la loi. Je rappelle aussi que la Cour des comptes n'a pas demandé à notre commission à être auditionnée sur ce projet de loi. Si elle n'était pas d'accord et avait des objections à faire, elle aurait demandé à l'être; ça n'a pas été le cas. La Cour des comptes se satisfait tout à fait du texte de la loi sur la surveillance. Maintenant, comme le Grand Conseil a la haute surveillance sur la Cour des comptes, si un jour celle-ci n'est pas satisfaite parce que le département des finances ou le Conseil d'Etat s'oppose systématiquement à ses demandes, elle pourra revenir devant la commission de contrôle de gestion et nous ferons notre travail pour voir qui a raison. Il faut refuser ce texte qui ne sert strictement à rien. Je vous remercie.

M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, cela a été dit et redit, la loi sur la surveillance permet à la Cour des comptes d'accéder aux données fiscales. Je crois que c'est Mme Forster Carbonnier qui a dit dans cette enceinte qu'elle allait être attentive à la manière dont cet accès pourrait se dérouler. Je voudrais juste vous indiquer que la Cour des comptes a procédé très récemment à un audit complet de l'administration fiscale cantonale, extrêmement intéressant - il figure sur le site de la Cour des comptes; et à cette fin, j'ai fait prêter le serment fiscal aux collaborateurs de la Cour des comptes, qui ont pu accéder sans aucun problème à toutes les données qu'ils souhaitaient voir. C'est bien démonstration, Mesdames et Messieurs, que la disposition légale qui figure dans la loi sur la surveillance est parfaitement adéquate, et c'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat vous invite à refuser ce projet de loi. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés... (Remarque.) Monsieur Pierre Vanek ?

M. Pierre Vanek. Encore une fois, je suis très maladroit, Monsieur le président ! (Exclamations.)

Le président. C'est la deuxième fois !

M. Pierre Vanek. Je m'excuse ! «Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa !»

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, nous pouvons passer au scrutin d'entrée en matière.

Mis aux voix, le projet de loi 10928 est rejeté en premier débat par 55 non contre 28 oui et 1 abstention.