République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1666-A
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition pour la création de logements pour étudiants et la préservation du patrimoine architectural genevois et suisse
Rapport de majorité de M. Roger Golay (MCG)
Rapport de minorité de M. Roberto Broggini (Ve)

Débat

M. Roger Golay (MCG), rapporteur de majorité. Pour rappel, la pétition 1666 intitulée «Pour la création de logements pour étudiants et la préservation du patrimoine architectural genevois et suisse», munie de 539 signatures, a été déposée au Grand Conseil le 2 juillet 2008. En substance, les pétitionnaires estiment que l'immeuble à coursives du 28, route des Franchises, construit dans les années 1930 à 1931 par l'architecte genevois Frédéric Mezger, selon les plans de l'architecte et urbaniste genevois Maurice Braillard, a une valeur historique, étant le dernier témoin de l'ensemble des immeubles sociaux de la Cité Vieusseux.

Comme vous l'aurez compris, les pétitionnaires souhaitent que ce bâtiment soit classé au patrimoine genevois, puisqu'il relate le passé des maisons ouvrières des années 30. Malheureusement, il faut savoir que la Société d'art public a déposé une demande de classement en 2003, que le Conseil d'Etat a refusée le 25 août 2004. Il y a ensuite eu une longue procédure administrative qui a duré jusqu'en mars 2009, où le Tribunal administratif a rejeté cette demande de classement.

De ce fait, la commission des pétitions a estimé qu'il valait mieux classer cette pétition car elle n'avait plus aucun sens, puisqu'une décision d'un autre pouvoir que le nôtre a eu lieu. Ainsi, par respect de la séparation des pouvoirs, il n'a pas semblé opportun que la commission des pétitions intervienne au-delà de la décision du pouvoir judiciaire.

M. Roberto Broggini (Ve), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, nous savons que la ville de Genève est la ville la plus dense de Suisse pour son territoire, sur lequel se trouve ce bâtiment qui est extrêmement intéressant. De plus, les communes - et nous l'avons encore vécu ce week-end - refusent par contre quant à elles de densifier leur territoire.

Nous avons ici affaire à un témoin du patrimoine ouvrier historique - comme l'a dit le rapporteur de majorité - du patrimoine de ce mouvement moderne des années 30, l'«Existenzminimum», qui était extrêmement simple. Ceci est le dernier bâtiment qui reste sur les quatre qui avaient été construits dans la Cité Vieusseux, cité de développement. Or, vu qu'il a été amorti depuis de nombreuses années, il pourrait très bien convenir pour des logements extrêmement bon marché, pour des personnes en formation, que ce soient des apprentis, des étudiants ou encore des personnes seules, ce qui permettrait une sociabilisation, notamment grâce à la dynamique architecturale, avec ses coursives qui font en sorte que les gens se rencontrent sur le palier. Et ceci est l'un des rares exemples - si ce n'est le dernier - que nous ayons à Genève.

Il convient donc peut-être à un certain moment de savoir conserver certaines traces patrimoniales, tout en notant qu'il faut bien entendu construire des logements. Cela dit, je pense que sur cet objet nous pourrions très bien conserver ce bâtiment qui a été construit en 1930 et 1931, à titre d'exemple d'une typologie extrêmement intéressante. C'est pour cela que la minorité vous encourage, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer cette légitime pétition au Conseil d'Etat. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)

M. René Desbaillets (L). Je ne veux pas trop rallonger le feuilleton de cet immeuble du 28, route des Franchises, mais il faut savoir ce que l'on veut. On souhaite des logements à Genève, mais il faut conserver des taudis. Je vous rappelle, puisque beaucoup - notamment sur les bancs de gauche - se veulent européens, modernes et pour tout ce qui est nouveau, que si vous allez voir un peu dans les grandes villes à l'étranger, vous constaterez que l'on rase des quartiers entiers pour construire des tours. Je reviens d'un voyage en Chine et les exemples existent à tous les coins de rue. C'est pareil à New York.

A Genève, je suis d'accord que nous n'allons pas employer cette méthode parce que nous avons un réel patrimoine à conserver, notamment dans la Vieille-Ville, mais des immeubles construits en 1930 qui n'ont même pas de WC, ni de bains privatifs, puisqu'il y en avait seulement à l'étage... Les personnes qui souhaitent les conserver sont les mêmes qui accusaient notre conseiller d'Etat M. Mark Muller de vouloir construire des cages à lapins bon marché ! Alors entre une cage à lapins avec le chauffage, les sanitaires et autres, et des immeubles des années 30 où les WC sont à l'étage, je pense qu'il n'y a pas photo ! Il faut quand même un peu progresser, parce que si on avait fait comme ça - si nos aînés avaient fait comme ça - Genève serait toujours sur pilotis. Je pense donc que, pour cette pétition, il faut procéder au classement vertical.

M. Pascal Spuhler (MCG). Je pense que les Verts devraient commencer à réfléchir plutôt que d'essayer de conserver des espèces de bâtiments qui ne ressemblent à rien, comme l'a dit mon préopinant, qui n'ont même pas de WC ni aucun confort, et de vouloir investir des millions pour tenter de revaloriser ce bâtiment. A croire qu'ils sont pris du syndrome de Diogène, puisqu'ils veulent garder tout le cheni qui traîne dans nos rues. Je ne peux donc que vous recommander de classer cette pétition et de ne pas entrer en matière.

M. Roger Golay (MCG), rapporteur de majorité. J'ai envie de dire à mon collègue M. Broggini: nostalgie, quand tu nous tiens ! C'est malheureux, mais cela ne peut pas être ainsi, parce qu'on ne peut pas combattre une décision de justice ce soir. La fondation propriétaire de ces blocs ne veut pas rénover ce bâtiment pour la simple raison qu'il faudrait quatre millions de francs d'investissement par bloc, pour des appartements qui seraient petits et sans WC, puisqu'ils se trouvent sur les coursives. En plus, l'état de délabrement des immeubles est important, car ils ont été squattés de longues années. Ils ne peuvent plus être remis en état assez facilement pour avoir ensuite des loyers avec des rendements positifs; ce n'est pas possible. La fondation a pu obtenir un plan localisé de quartier qui va compter plus de 300 logements supplémentaires par rapport à ce qui existe avec ces blocs actuels qui sont délabrés.

Le président. Je vous demande de conclure, Monsieur le député.

M. Roger Golay. Oui, je conclus. On voit alors que c'est une question qui touche aussi au fait d'augmenter le nombre de logements à Genève, puisque chaque parti politique a fait état de cette problématique dans ses programmes. Aujourd'hui, nous avons l'occasion de créer 300 logements de plus dans un quartier, il faut les réaliser. Il ne sert à rien de vivre avec une certaine nostalgie, Monsieur Broggini. Je pense que ces immeubles font partie du temps passé et n'ont pas de valeur historique. Il faut ainsi classer cette pétition et aller de l'avant.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est au rapporteur de minorité, M. Roberto Broggini, à qui il reste trente secondes.

M. Roberto Broggini (Ve), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Il n'y a aucune nostalgie dans mes propos. Mon but n'est pas de figer la ville; hier soir encore je participais à l'inauguration d'un nouvel immeuble... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...en plein coeur de Saint-Gervais qui se transforme, vit et se construit. Mon objectif n'est donc pas du tout celui de figer la ville.

J'aimerais juste dire encore une chose avant qu'on ne conclue ce débat, Monsieur le président, si vous le permettez.

Le président. Oui, mais il vous faut conclure.

M. Roberto Broggini. Il y a un scandale énorme concernant ces immeubles... (Exclamations.) ...c'est qu'ils ont été murés, alors que l'on aurait très bien pu les garder en contrat de prêt à usage pour héberger des gens en attendant, puisque nous sommes face à une crise du logement. Et l'attitude menée autour de ces logements est juste inadmissible ! (Commentaires.) Je demande bien entendu le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat. Je vous remercie, Monsieur le président.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Nous allons passer au vote.

Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (classement de la pétition 1666) sont adoptées par 43 oui contre 21 non et 1 abstention.