République et canton de Genève

Grand Conseil

IN 137
Initiative populaire 137 "Pour l'interdiction des races de chiens d'attaque et autres chiens dangereux"
IN 137-A
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la validité et la prise en considération de l'initiative populaire 137 "Pour l'interdiction des races de chiens d'attaque et autres chiens dangereux"

Préconsultation

La présidente. Je vous rappelle, Mesdames et Messieurs les députés, qu'il s'agit de renvoyer cette initiative à la commission législative. Madame Françoise Schenk-Gottret, je vous donne la parole.

Mme Françoise Schenk-Gottret (S). C'est avec le plus grand intérêt que nous avons pris connaissance du rapport du Conseil d'Etat sur la validité et la prise en considération de l'initiative 137 «Pour l'interdiction des races de chiens d'attaque et autres chiens dangereux». Le plus grand intérêt, et le plus grand plaisir aussi. En effet, les explications tant au niveau de l'état du droit que de l'évolution de celui-ci, aussi bien à l'échelle cantonale que fédérale, sont un plaisir de l'esprit. Elles ne peuvent que conforter notre groupe dans sa prise de position, lors de nos travaux à la commission de l'environnement et de l'agriculture, dans le cadre de la révision de la loi sur la détention des chiens.

La position du groupe socialiste, qui demande l'interdiction des chiens d'attaque et des croisements issus de ceux-ci, était minoritaire en commission, mais se trouve aujourd'hui très forte à la lecture du rapport du Conseil d'Etat.

En ce qui concerne la validité de l'initiative et sa recevabilité formelle, chaque principe est respecté. Unité de la matière, à laquelle s'ajoutent diverses considérations très étayées sur l'unité de but. Unité de la forme, unité du genre...

En ce qui concerne la recevabilité matérielle et la conformité au droit supérieur, la situation est piquante: il n'y a pas encore de législation fédérale sur les chiens dangereux. Les cantons restent donc compétents en la matière.

Toute l'analyse très fouillée du contexte fédéral, de la page 12 à la page 19 du présent rapport, amène à constater qu'une première motion a été adoptée par le Conseil des Etats en mars 2006 et par le Conseil national en juin 2006, qui demande au Conseil fédéral d'interdire, sur la base des articles 7a et 7c de la loi sur la protection des animaux, les chiens susceptibles de représenter un danger considérable pour l'homme.

Arrivons-en enfin à la conformité au droit international... On peut lire en page 8: «Or tant le droit du commerce international, en particulier celui de l'OMC, que, implicitement, la loi fédérale sur le marché intérieur qui règle les échanges intercantonaux, contiennent des clauses d'exception pour les interdictions d'importation visant à protéger la vie et la santé - et donc l'intégrité corporelle - des personnes.»

Le contexte genevois vous est connu par les travaux de la commission de l'environnement et les différents rapports auxquels ils ont donné lieu et qui sont à notre ordre du jour.

Le groupe socialiste est sans illusion sur le cheminement de cette initiative dans les différentes commissions de notre Conseil. Le Conseil d'Etat la déclare valide et invite à refuser sa prise en considération sans lui opposer de contreprojet. Fort heureusement, elle passera en consultation populaire ! Quel que soit le sort que la majorité lui réservera dans notre Conseil, nous lui souhaitons bon vent en votation. Son texte est un bel exercice réussi de rédaction juridique, et nous félicitons le juriste qui l'a rédigé. En effet, la validité de cette initiative dûment constatée et argumentée l'amènera devant les citoyennes et les citoyens de notre canton. Ceux-ci réagiront sans aucun doute avec bon sens à la dramatique série d'incidents causés par les chiens d'attaque dont les victimes sont le plus fréquemment des enfants.

N'est-il pas plus simple d'interdire, plutôt que de proposer des dispositions légales lourdes dont l'application sera impossible vu les moyens budgétaires insuffisants à l'heure actuelle et ceux encore plus insuffisants voulus par l'austérité programmée des finances de l'Etat ?

L'interdiction des chiens d'attaque n'est pas encore acquise: elle fait son chemin lentement. J'espère simplement, comme le dit M. Martin Killias, professeur de droit pénal et de criminologie à l'Université de Lausanne, qu'il n'y aura pas encore trop de cas «Oberglatt» avant qu'on ne légifère dans ce sens. (Applaudissements.)

La présidente. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le député Christian Brunier... (Un instant s'écoule.) Excusez-moi, il s'agit de M. Christian Bavarel !

Des voix. Ah !

M. Christian Bavarel (Ve). Merci, Madame la présidente !

Une voix. Ce n'est pas le même !

M. Christian Bavarel. Non, ce n'est pas le même, mais les initiales sont les mêmes !

Mesdames et Messieurs les députés, la problématique des chiens ne laisse personne indifférent dans ce canton, et de loin pas. Encore faut-il comprendre pourquoi ce sujet soulève tant d'émotion... Il est vrai que, pour nos concitoyens, la sécurité de leurs enfants sur le chemin de l'école est essentielle, et je partage leur sentiment... Qu'un enfant puisse être déchiqueté par un chien au cours de ses activités quotidiennes, c'est inadmissible !

Par ailleurs, une partie de nos concitoyens ont un chien, avec lequel ils ont un rapport affectif très fort, c'est leur compagnon, il vit au quotidien dans leur maison. Lorsque nous légiférons, cela concerne en général des domaines que nous voyons de loin et qui touchent très peu la vie quotidienne des gens... Or en légiférant sur les chiens, nous nous introduisons dans les familles et dans la vie privée des gens. Il faut que nous gardions cela à l'esprit lorsque nous traitons de tels sujets, qu'il s'agisse, comme aujourd'hui, de l'initiative ou, d'ici peu, de la loi sur les chiens.

Le Conseil d'Etat nous a proposé un dispositif global, et non pas une solution simple ou simpliste par rapport aux chiens. Ce dispositif est une alternative à la proposition d'interdire purement et simplement les chiens dangereux, il porte sur différents niveaux: il prévoit des mesures extrêmement fermes pour les chiens potentiellement dangereux, mais, en même temps, de nouvelles dispositions pour tous les propriétaires de chiens. Les Verts soutiennent donc le dispositif prévu par le Conseil d'Etat, et c'est pourquoi ils s'opposent à cette initiative.

Nous devons nous prononcer sur l'unité de la matière de cette initiative - je pense qu'il n'y a pas de problème à ce niveau - et, en même temps, sur sa recevabilité et sur son application. Mais il nous semble qu'il y a encore une difficulté en ce qui concerne son application. En effet, aujourd'hui les races de chiens sont voulues, choisies, par l'homme: si un chien appartient à telle race, c'est qu'il est le fruit d'une sélection: si un caniche royal a été croisé avec un rottweiler, vous aurez beaucoup de peine à expliquer devant un tribunal à quelle race il appartient - et si je vous disais que c'est le bouvier de la salle Nicolas-Bogueret, vous auriez beaucoup de peine à me prouver le contraire...

Il est évident que l'application de cette initiative est difficile: l'établissement de la liste de chiens sera forcément arbitraire et il sera peu aisé, en cas de croisement, de déterminer la race de tel ou tel animal. De plus, le fait d'interdire certaines races entraînera des croisements clandestins.

En ce qui nous concerne, nous souhaitons qu'un contrôle soit exercé et nous pensons que le dispositif proposé par le Conseil d'Etat est adéquat. Je le répète: nous ne voyons pas de problème au niveau de l'unité de la matière; par contre, nous sommes conscients que l'exécutabilité de cette initiative peut poser des difficultés. Dans le doute, consultons le peuple !

La présidente. Merci, Monsieur le député. Je rappelle qu'à ce stade il n'y a pas lieu d'entamer un débat de fond, Mesdames et Messieurs les députés, vous aurez tout le temps de le faire au point 24. Ici, nous devons simplement nous prononcer sur la recevabilité de cette initiative.

M. Christian Luscher (L). Oui, Madame la présidente: c'est exactement ce que je voulais dire ! Je rappelle qu'en commission des droits politiques une mesure, sur laquelle notre plénière devra bientôt se pencher, a été adoptée. Elle consiste précisément à supprimer le débat de préconsultation lorsqu'une initiative doit être renvoyée en commission législative. Preuve est faite qu'il faut voter rapidement cette mesure, parce que, une fois de plus, ce sera à la commission de législative de statuer sur cette initiative, qui pose effectivement des problèmes de proportionnalité, comme était d'ailleurs disproportionnée la mesure prise de façon un peu épidermique par le Conseil d'Etat, visant à rendre le port de la muselière obligatoire pour tous les chiens de la République... C'est en commission législative que nous devrons traiter ce problème. Un rapport sera fait, et c'est à ce moment-là que le débat sur le fond pourra avoir lieu.

Aujourd'hui, ce débat n'a strictement aucun sens, et j'aimerais qu'il soit abrégé pour que l'on aborde les sujets plus importants que nous devons traiter ce soir !

La présidente. Merci, Monsieur Luscher. Mesdames et Messieurs les députés, le Bureau vous propose de clore la liste des intervenants. Sont encore inscrits: Mme Béatrice Hirsch-Aellen, Mme Sandra Borgeaud, M. Eric Stauffer, M. Eric Leyvraz et M. le député Robert Cramer...

Une voix. Conseiller d'Etat !

La présidente. Oui, «Conseiller d'Etat»  ! Vraiment, je suis désolée, Monsieur le conseiller d'Etat ! Madame la députée Hirsch-Aellen, vous avez la parole.

Mme Béatrice Hirsch-Aellen (PDC). Merci, Madame la présidente. Je ne vais donc pas m'exprimer sur le fond, puisque nous aurons le loisir de le faire lorsque nous débattrons du projet de loi 9835.

Concernant la recevabilité, nous avons entendu ce que le Conseil d'Etat en disait... Et je ne vais pas répéter les propos de M. le député Bavarel sur la difficulté d'application d'une telle loi dans les cas de croisement de races. Le groupe démocrate-chrétien se prononcera en faveur de la validité de cette initiative.

Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Concernant cette initiative, je fais totalement confiance à la commission législative. Nous ne sommes en effet pas là pour parler du fond de cette initiative, mais bien pour nous prononcer sur sa recevabilité. Etant donné les événements qui se sont déroulés, il ne faut pas non plus en faire une usine à gaz... Ce sujet touche effectivement les gens de très près, et je pense que la commission législative fera un travail efficace. Je soutiens donc le renvoi en commission de cette initiative.

M. Eric Stauffer (MCG). Le groupe MCG soutiendra le renvoi en commission de cette initiative. (Rires.)

Je tiens néanmoins à dire qu'il aurait été opportun de surseoir à ce vote. En effet, le canton du Valais a fait l'objet d'un recours au Tribunal fédéral, parce qu'il a édicté une liste des races de chiens interdites. Il aurait donc été judicieux d'attendre la décision du Tribunal fédéral en la matière, car, selon le sens dans lequel elle ira, cette initiative risque d'être non conforme au droit supérieur, ainsi que le projet de loi du Conseil d'Etat.

Je veux être bref, mais je tiens tout de même à dire, pour conclure, que nous avons quand même dû déposer deux résolutions et une motion pour arriver à faire reculer le Conseil d'Etat, puisque celui-ci avait édicté une loi transitoire imposant la muselière à tous les chiens. Je trouve, avec tout le respect que je dois au Conseil d'Etat, que cette décision était complètement déplacée: elle a choqué la population, car elle obligeait les propriétaires de chiens à acheter une muselière pour leur chien, même les tout petits chiens. C'était vraiment ridicule !

La présidente. Merci, Monsieur le député. Je vous rappelle simplement qu'il est impossible de reporter le débat, puisque la date limite est le 15 décembre... Et le 15 décembre, c'est demain ! Monsieur Eric Leyvraz, je vous donne la parole.

M. Eric Leyvraz (UDC). Merci, Madame la présidente. Le groupe UDC sera bref, comme il a été demandé. Pour nous, cette initiative est recevable, et nous demandons son renvoi à la commission législative. Ce sera tout !

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Dans ce débat, le Conseil d'Etat jouit d'un privilège: il ne doit pas uniquement se déterminer sur la recevabilité formelle de l'initiative, en d'autres termes déterminer si elle est juridiquement valable ou pas. En effet, la constitution - notre loi suprême - lui demande de se déterminer également sur le fond. Ainsi, alors que les députés qui sont dans cette enceinte et qui sont invités à un débat de renvoi en commission sur la recevabilité de l'initiative sont limités à des questions de droit, le Conseil d'Etat peut s'exprimer sur le droit, mais aussi sur l'opportunité de l'initiative.

En ce qui concerne le droit, le Conseil d'Etat a - vous le savez - une position constante, que je suis heureux de défendre; il soutient avec force le principe: in dubio, pro populo, c'est-à-dire: dans le doute, toujours pour le peuple; dans le doute, toujours pour les droits populaires. Cela fait quelques années que le Grand Conseil ne fait pas sien ce principe, et nous assistons à des joutes juridiques autour de la recevabilité des initiatives. Le Conseil d'Etat, pour sa part - et je suis heureux d'affirmer que c'est le cas depuis que j'ai eu l'honneur d'être élu pour la première fois au Conseil d'Etat, où je siège pour une troisième législature - estime toujours, s'il n'est pas évident qu'une initiative est irrecevable, que c'est un devoir et un honneur de la considérer comme recevable, parce que nous vivons dans un système de démocratie semi-directe et qu'il est important, quelle que soit notre opinion sur celle-ci, qu'elle puisse être soumise au suffrage populaire ! Le Conseil d'Etat ne s'est jamais départi de ce point de vue, quelle que soit son opinion sur les initiatives. Il est arrivé fréquemment qu'il soit fort critique sur les initiatives déposées, mais toujours, lorsqu'il y avait quelque argument qui permettait de les considérer comme recevables, il a estimé qu'il fallait aller dans ce sens. Et il a la conviction que cette façon de procéder est celle qui est conforme à la constitution genevoise.

Je sais qu'il est question de la modifier... Peut-être demain voudra-t-on mettre des entraves à l'exercice du droit d'initiative... Aujourd'hui, nous avons la chance de vivre dans un canton dont la constitution est favorable à l'exercice des droits populaires, et le Conseil d'Etat estime, pour sa part, que son rôle, lorsqu'il faut juger de la recevabilité d'une initiative, est de soutenir de façon très rigoureuse ces dispositions constitutionnelles. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons de considérer cette initiative comme juridiquement recevable.

Dans le même temps - et parce que la constitution nous demande également de nous exprimer sur ce point - nous vous indiquons que nous ne partageons pas le point de vue des initiants. Nous ne le partageons pas pour les raisons qui ont été exprimées tout à l'heure par M. Bavarel et par Mme Hirsch-Aellen. Nous partageons l'opinion majoritaire de la commission de l'environnement et de l'agriculture du Grand Conseil, qui a tout d'abord proposé au Grand Conseil d'adopter une loi sur les chiens à Genève et qui, ensuite, a estimé que cette loi devait être modifiée: pas dans le sens de l'interdiction de certaines races de chiens, mais, plutôt, dans le sens d'un meilleur contrôle.

Pourquoi, comme la commission, le Conseil d'Etat a-t-il fait ce choix ? Tout simplement parce qu'il estime que l'interdiction est une mesure illusoire; parce qu'il estime que l'interdiction est une mesure inapplicable; parce qu'il estime que l'interdiction, étant donné la facilité de procéder à des croisements entre les races de chiens, est une mesure tatillonne; parce qu'il estime que l'interdiction est une mesure qui procure une fausse sécurité, puisque les agressions sont le plus souvent commises par des chiens qui n'appartiennent pas à telle ou telle liste de chiens réputés dangereux; ils appartiennent à des races très diverses.

Voilà les raisons pour lesquelles le Conseil d'Etat estime que cette initiative est erronée. Et, malgré les bons motifs sur lesquels elle se fonde, protéger la population, elle va aboutir à des résultats contraires. Et voilà les raisons pour lesquelles le Conseil d'Etat estime également que la législation voulue par la majorité de ce Grand Conseil et, aujourd'hui, par la majorité de la commission - celle-ci a dû examiner des mesures visant à rendre cette législation encore plus efficace - constitue la bonne voie, plutôt que l'interdiction pure et simple, qui est illusoire.

Cela étant, le Grand Conseil devra dans un premier temps se déterminer quant à la recevabilité juridique de l'initiative. Nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, d'arrêter d'ergoter et de faire du juridisme... Il faut simplement considérer que les citoyens et les citoyennes doivent pouvoir légiférer lorsqu'ils le souhaitent, sans que le parlement ne joue le rôle du censeur !

L'IN 137 est renvoyée à la commission législative.

Le rapport du Conseil d'Etat IN 137-A est renvoyé à la commission législative.