République et canton de Genève

Grand Conseil

IN 135
Initiative populaire 135 "Anti-dette"
IN 135-A
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la validité et la prise en considération de l'initiative populaire 135 "Anti-dette"

Préconsultation

Le président. Je vous rappelle que nous sommes au premier débat sur la recevabilité de cette initiative, et que, par conséquent, elle sera ensuite renvoyée, à la fin du débat, à la commission législative qui devra statuer formellement sur sa recevabilité. Monsieur le député Alain Etienne, je vous donne la parole.

M. Alain Etienne (S). Merci, Monsieur le président. Les socialistes sont résolument favorables au redressement des finances de notre canton et à la réduction de la dette. (Exclamations de satisfaction. Applaudissements. Commentaires.)

Nous sommes tout aussi résolument opposés au raisonnement erroné de cette initiative... (Exclamations de déception.) La dette se monte aujourd'hui à 13 milliards, ce qui fait dire aux initiants que nous léguons une dette de 40 000 F par personne à la génération suivante... (Brouhaha.) Déjà sur ce point, le raisonnement est erroné, car le poids de la dette sera supporté par les citoyens en fonction de leur capacité contributive fiscale, autrement dit en fonction de leur taux d'imposition.

Ensuite, il faut aussi mettre en relation la dette avec les biens également légués à la génération suivante. Selon le raisonnement des initiants, une personne qui hériterait d'une dette de 40 000 F assortie d'un bien d'une valeur bien supérieure serait moins bien lotie qu'une autre qui hériterait d'une somme de 1000 F sans dette aucune... C'est tout simplement absurde ! Ne pas effectuer les dépenses nécessaires, notamment sur le plan social, en temps opportun aura immanquablement pour effet de devoir les faire plus tard à un coût bien plus élevé. Est-ce cela l'héritage que nous voulons transmettre aux générations futures ?

Les socialistes y sont fermement opposés. Le redressement des finances de notre canton ne peut pas se faire de cette manière !

Enfin, vouloir envisager qu'une minorité d'un tiers des députés puisse refuser un budget approuvé par une large majorité du parlement est contraire aux principes démocratiques.

Bien que l'initiative soit formellement recevable, les socialistes considèrent qu'elle est une absurdité sur le plan économique, que le but visé, à savoir le redressement des finances et la diminution de la dette, ne peut être atteint de cette manière, et, en plus, qu'elle est contraire aux principes démocratiques.

M. Olivier Jornot (L). M. Etienne a raison sur un point, et j'aimerais d'entrée de cause le dire: le chiffre annoncé de la dette que nous allons léguer à nos enfants, de 40 000 F par habitant, est en effet un peu faible depuis le lancement de l'initiative... Il aurait fallu l'adapter, compte tenu des 19 milliards d'endettement que nous avons aujourd'hui si l'on tient compte non seulement de la dette financière, mais aussi des engagements de l'Etat ! Certains cantons ont, grâce aux versements de la Banque nationale suisse découlant de la vente de l'or, réussi à effacer complètement leur dette, mais le canton de Genève, lui, a tout au plus réussi à effacer quelques écritures comptables qui grevaient encore davantage son bilan... Ce qui fait que nous n'en remarquerons même pas les effets sur le montant de la dette !

Alors les libéraux ont lancé cette initiative qui propose un catalogue de mesures pour faire en sorte de lutter contre l'endettement de l'Etat: l'inscription dans la constitution du principe de la gestion économe et efficace, la planification financière quadriennale, le durcissement des conditions pour voter un budget déficitaire dans ce Grand Conseil, l'inscription du principe de la légalité des dépenses et des prestations de l'Etat et, enfin, la vérification périodique des prestations et des subventions - des mesures qui évoquent le projet GE-pilote...

Messieurs les conseillers d'Etat, le Conseil d'Etat admet la recevabilité de cette initiative, dont acte. Mais il le fait avec des considérations qui nous laissent pour le moins sceptiques. Vous reprochez à cette initiative de s'appeler «Anti-dette», de s'attaquer au déficit de l'Etat... Eh bien, quoi ? Vous auriez peut-être préféré, comme quelque monarque médiéval, que nous proposions de faire banqueroute, d'effacer la dette de l'Etat par un simple texte ? Cela serait probablement plus simple, mais nous ne sommes plus aujourd'hui à l'époque des assignats !

Vous avez raison, Messieurs les conseillers d'Etat, le fait que l'Etat ne fasse pas de déficit ne signifie pas que la dette n'augmente pas... Comme vous le dites, l'on peut faire du déficit et diminuer la dette.

Mais, pour cela, il faut beaucoup d'or de la Banque nationale, très peu d'investissements - ce qui n'est pas forcément une bonne idée - et le moins possible de décaissements en faveur de la Fondation de valorisation ! Pour les libéraux, il faut tout simplement... être simple et reconnaître que le meilleur moyen de stabiliser et, peut-être un jour, de diminuer l'endettement de ce canton, c'est d'éviter d'empiler les déficits année après année !

Le Conseil d'Etat reproche encore à cette initiative d'inscrire le plan financier quadriennal dans la constitution... Eh bien, même si cette initiative a été lancée avant le changement de législature, elle était sans doute prémonitoire, puisque la première action accomplie par le Conseil d'Etat après les élections, a été d'abandonner le plan financier quadriennal pour lequel le précédent gouvernement s'était battu ! Ce soir encore le Conseil d'Etat montre, en retirant son projet de loi, qu'il n'entend apparemment pas - mais peut-être aurons-nous de bonnes nouvelles à ce sujet - financer concrètement l'activité et la mise en oeuvre de GE-pilote.

Alors, Mesdames et Messieurs les députés, au-delà de la recevabilité de cette initiative, au-delà des mots, nous pouvons nous interroger - et c'est ce qui inquiète aujourd'hui des libéraux - sur la réelle volonté politique du Conseil d'Etat de s'attaquer effectivement aux déficits et à la dette de l'Etat. Il suffit de se reporter à ce qui est écrit dans son rapport à propos du vote sur le frein à l'endettement: il dit de très belles paroles, mais, ensuite, il refuse de se donner les moyens de les concrétiser en actes. Les libéraux aiment bien les paroles, mais ils préfèrent encore les actes ! Et nous verrons, lorsque la recevabilité de cette initiative aura été confirmée par la commission législative, de quelle manière il conviendra que, tous, nous nous efforcions d'agir conformément à nos paroles !

M. Jean-Marc Odier (R). Tout d'abord, je comprends que vous vouliez aller vite dans les débats, mais il me semble, étant donné que nous en sommes au stade de la préconsultation, que nous pouvons nous exprimer en termes généraux que ce soit sur la validité ou sur le fond d'une initiative. C'est seulement lorsqu'une initiative revient de la commission législative que nous ne devons nous exprimer que sur sa validité... Je comprends si bien votre désir d'aller vite que je vous propose, avec le Bureau, de déposer un projet de loi pour supprimer le stade de la préconsultation. Nous nous épargnerons ainsi des heures de débat.

Toutefois, comme vous voulez aller vite - et je pense que c'est essentiel pour tout le monde - je n'aborderai que deux points.

Tout d'abord, l'interprétation qui est faite par rapport à l'alinéa 5 de l'article 174 qui nous est proposé. Il parle de: «subventions supportables financièrement», que le Conseil d'Etat interprète ainsi: «... une aide financière accordée sur trois ans ne pourrait pas, sous peine de violer l'article 9 de la constitution, être révoquée au bout d'un an suite à la constatation du caractère non supportable financièrement de cette dépense.» Il me semble que c'est l'un des points cruciaux qu'il va falloir étudier, parce que cela veut tout simplement dire que nous ne pourrons pas renoncer à une subvention que nous avons votée dans ce parlement, même si nous n'en avons pas la capacité financière. Ce point méritera un grand débat.

Maintenant, je ne reprendrai pas les différents arguments du Conseil d'Etat, car nous ne sommes pas favorables à la plupart d'entre eux, sauf sur le point concernant la condition des deux tiers de votes pour faire adopter un budget déficitaire. Cette condition ne correspond pas à notre conception de la démocratie. La démocratie, c'est la majorité simple, c'est-à-dire la moitié plus une voix ! Nous nous opposerons fermement à ce qu'une minorité, dans cette enceinte, puisse opposer une sorte de veto.

Quoi qu'il en soit, dans l'ensemble, le groupe radical accueille très favorablement cette initiative, dans le sens que toute initiative qui vise à réduire l'endettement de notre canton nous semble bienvenue et que toutes les solutions doivent être étudiées.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je suis sensible à votre réflexion - vous êtes le deuxième, ce soir, à la faire... Je pense que l'on trouvera peut-être, dans ce Grand Conseil, une majorité pour revoir l'opportunité de la préconsultation qui pourrait nous conduire à proposer une loi constitutionnelle, car les textes sur les initiatives se trouvent déjà dans la constitution avant de figurer dans le règlement.

Monsieur Yves Nidegger, je vous donne la parole.

M. Yves Nidegger (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe UDC a également quelque peine à prendre pour argent comptant les viriles déclarations du Conseil d'Etat en matière d'assainissement des finances, suivies de réactions généralement allergiques à tout ce qui ressemble à un début d'ordre contraignant dans la manière de réaliser ces assainissements.

Alors, bien sûr, le texte un peu fourre-tout qui est proposé dans cette initiative n'est probablement pas un chef-d'oeuvre de technique législative qui restera dans les annales historiques du canton... (Exclamations faussement choquées.) Probablement aussi, s'il était introduit ainsi dans la constitution genevoise, il apporterait de l'eau au moulin à ceux qui pensent déjà que celle-ci ne répond pas à toutes les qualités esthétiques que l'on pourrait souhaiter pour un texte d'une si grande solennité.

Il n'empêche que toutes les mesures proposées sont des mesures de bon sens, et il faut les prendre en considération. En tous les cas, s'agissant de la recevabilité formelle à laquelle l'on veut limiter ce débat ce soir, il n'y a pas d'objection. Et puis, nous verrons bien en commission s'il est bon de proposer un contreprojet meilleur encore.

Le président. Merci, Monsieur le député. L'initiative 135 et le rapport du Conseil d'Etat qui l'accompagne sont renvoyés à la commission législative...

Nous avons terminé avec les initiatives, nous passons aux urgences, avec le point 30 de notre ordre du jour, soit le rapport 605 de la commission des visiteurs, la pétition 1530-A et le rapport divers 595-A. Le rapporteur est M. Velasco, que je ne vois pas... (Exclamations.) Excusez-moi ! Sur quoi avez-vous demandé la parole, Monsieur le conseiller d'Etat ? Sur le point précédent ? Alors, je vous donne la parole, je n'ai pas vu que vous l'aviez demandée.

M. David Hiler, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. En deux mots. Le problème principal de cette initiative n'est pas son énoncé. Elle est effectivement «anti-déficit» et pas «anti-dette»... Mais, peu importe !

Le problème est double. Le premier a été soulevé par le parti radical, à juste titre. Les majorités qualifiées sont compliquées, et, sur le fond, probablement à rejeter. Elles posent en outre - je tiens à vous le dire - un problème de gestion: qu'en serait-il d'un Conseil d'Etat à qui une majorité de plus de 50% imposerait de nouvelles dépenses, alors que cette même majorité serait incapable de voter un budget comportant ces nouvelles dépenses ? Vous voyez le problème ! D'un côté, nous aurions une majorité à 51/49 ou, même, à 60/40, pour introduire de nouvelles dépenses ou diminuer les impôts et, de l'autre côté, il nous faudrait trouver une majorité beaucoup plus large - 67 - pour voter un budget... Voulons-nous revenir à la paralysie et l'immobilisme ? C'est sans doute une bonne manière de le faire !

Maintenant, j'aimerais, dans le débat technique qui va s'ouvrir concernant la recevabilité, que les initiants précisent un ou deux concepts qui me gênent. Qu'est-ce qu'un plan financier quadriennal ? Est-ce le plan financier de l'Union soviétique consistant à mettre d'abord des chiffres et, ensuite, à fausser les statistiques pour atteindre ces chiffres ou est-ce ce qu'on appelle couramment un «business plan» ? Alors, si c'est un «business plan» par métier que fait l'Etat de Genève, il est forcément évolutif: il change chaque année ! Cela n'a aucun sens - Mme Brunschwig Graf l'a dit et redit - de ne faire un plan qu'une fois tous les quatre ans. On doit, si on veut avoir la moindre possibilité de l'appliquer véritablement, faire un plan réactualisé chaque année. C'est un plan financier quadriennal révisé chaque année. Je me suis engagé, au nom de l'Etat de Genève, à présenter ce plan. C'est un plan nouveau; c'est un plan différent. J'ai pris cet engagement devant vous, puis devant Standard & Poors, ce qui - je le suppose - est une garantie pour certains d'entre vous que je le respecterai.

Soyez très prudents par ce que vous entendez par «plan financier quadriennal», parce qu'il ne faut pas figer cet objet. Tout ce qu'il y a dans cette loi, à l'exception de la majorité qualifiée, est déjà dans la loi: vous voulez mettre dans la constitution ce qui est dans la loi ! J'aimerais vous dire - je m'adresse en particulier aux membres de la commission des finances qui connaissent bien le problème - qu'en réalité ce n'est pas en montant d'un cran dans la contrainte que nous arriverons à faire respecter les principes déjà contenus dans la LGAF, mais bien plutôt en descendant d'un cran. Et pour en avoir fait l'expérience, Mesdames et Messieurs les députés, sur la LIAF - une toute nouvelle loi votée par ce parlement, qui, contrairement à notre loi financière, sera immédiatement dotée d'un règlement d'application - je peux vous dire que c'est le règlement d'application qui est le bon outil, celui qui est utilisé par les services, qu'il a fallu écrire et réécrire jusqu'à ce qu'il devienne utilisable comme outil de gestion.

Mesdames et Messieurs, si vous souhaitez élaborer un contreprojet - ce qui n'est pas l'option du Conseil d'Etat - ce n'est pas la piste d'une majorité différente de l'autre majorité qui est paralysante, qu'il faut creuser. Si vous pensez que c'est adéquat, il faut nous imposer encore et toujours de nouveaux outils de gestion ! Cela ne sert à rien de faire des proclamations constitutionnelles. La LGAF, Mesdames et Messieurs, a été bafouée, depuis sa rédaction, par tous les gouvernements et tous les parlements, et je ne pense pas que ce soit en inscrivant quelques phrases de plus dans la constitution que nous résoudrons le problème. Aujourd'hui, tout est dans l'articulation entre ce que la loi nous impose et sa réalisation dans la pratique. Nous avons en commun un long chemin à parcourir pour rapprocher le texte légal de la réalité, et, en l'occurrence, essentiellement la réalité de nos comptes à la législation déjà approuvée par ce parlement.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Donc, pour le Mémorial, cette intervention figurera sous le point précédent de notre ordre du jour.

Le rapport du Conseil d'Etat IN 135-A est renvoyé à la commission législative.

L'IN 135 est renvoyée à la commission législative.

Le président. Nous passons ainsi au point 30, dont je ne vais pas relire l'énoncé.