République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1642
Proposition de motion de Mmes et MM. Anne-Marie von Arx-Vernon, Nelly Guichard, Luc Barthassat, Mario Cavaleri, Guy Mettan, Pascal Pétroz, Pierre-Louis Portier, Patrick Schmied : Genève, capitale de l'éducation

Débat

M. Guy Mettan (PDC). Le PDC s'excuse d'être, pour une fois, en vedette sur le chapitre de l'école... (Exclamations.) ... en présentant des projets dont certains sont soutenus par nos amis les radicaux - mais pas tous...

Quoi qu'il en soit, je suis sûr qu'ils seront d'accord avec cette proposition de motion en particulier, car elle comporte une idée assez nouvelle, à savoir que la promotion économique du canton de Genève ne doit pas seulement servir à attirer des industries lourdes et polluantes mais aussi les industries du savoir. D'ailleurs, dans ce sens-là, la décision du Conseil d'Etat de créer un département de l'économie et de la santé était peut-être - cela n'a pas été perçu tout de suite comme tel - assez visionnaire. En effet, mettre ensemble l'économie - c'est-à-dire l'aspect promotion économique - et la santé - avec la recherche en génétique, dans le domaine de la médecine ou en biologie - va dans la direction que nous souhaitons: faire de Genève un pôle de recherche compétitif sur le plan mondial.

J'aimerais faire un petit retour en arrière. Une votation importante a eu lieu en 1952: Genève devait décider de la création ou non du CERN sur son territoire - le Centre européen de recherche nucléaire.

A l'époque, beaucoup de personnes, y compris dans notre Université, se sont opposées à la création du CERN pour toutes sortes de raisons... Heureusement, le peuple genevois, en votation populaire, a accepté que Genève abrite le CERN ! Et cinquante ans plus tard - le CERN a fêté ses 50 ans, il y a deux ans - on ne peut que se féliciter de ce choix. Eh bien, le CERN, ce n'est rien d'autre que ce que nous préconisons par cette motion: c'est-à-dire de stimuler l'implantation à Genève de nouveaux centres de recherche universitaires ouverts sur l'étranger.

Autre exemple: l'Institut Battelle. Ceux qui ont de la mémoire se souviendront que cet institut, qui a occupé des terrains importants à Carouge, a employé jusqu'à sept cents chercheurs pendant plus de vingt-cinq ans ! C'est également un institut d'origine privée, mais il a stimulé la recherche à Genève en y apportant, justement, de nouvelles compétences et en fournissant des centaines d'emplois aux jeunes qui sortaient de l'université. Il a donc favorisé la réputation internationale de Genève. Cet institut, pour des raisons qu'il serait trop long d'expliquer ici, a réduit ses activités et a fini par fermer, mais c'est le type même d'institut que nous voulons essayer d'attirer à Genève par le biais de cette motion.

Il se trouve que notre proposition de motion a provoqué quelques émois à l'Université: des professeurs se sont en effet quelque peu alarmés, parce qu'ils ont pris cette initiative comme une critique adressée à l'institution... Ce qui n'est pas du tout le cas ! Entre-temps, j'ai eu l'occasion de rencontrer plusieurs responsables de l'Université, d'approfondir notre perception de ce qui s'y fait, d'étudier des classements concernant notre université.

Grâce à cette proposition de motion, bien sûr si vous acceptez de la renvoyer à la commission de l'enseignement supérieur, nous pourrons - et c'est important à mon avis - faire un bilan positif des apports de l'Université de Genève, notamment, des facultés de médecine et des sciences et de leur niveau de compétitivité internationale. On pourra ainsi aider l'Université à prendre des initiatives dans ce domaine et, donc, à favoriser l'implantation de nouveaux centres de recherche.

Vous savez tous que nous vivons dans une société du savoir, de la science et de la recherche. Il nous paraît par conséquent important, comme je l'ai dit au début, que nous nous focalisions pas seulement sur des industries - même si je suis tout à fait favorable à l'implantation d'industries - car on sait très bien aujourd'hui que l'industrie ne va pas sans le savoir. Il faut donc implanter à Genève des centres de recherche qui vont avec les industries, pour avoir un développement harmonieux et adapté à notre temps.

C'est pourquoi je vous invite à renvoyer cette proposition de motion à la commission de l'enseignement supérieur. Nous pourrons faire le point sur le niveau de la recherche à Genève tant à l'Université que dans le privé. Je crois que c'est un élément stratégique pour notre avenir.

Le président. Merci, Monsieur le député. La demande de renvoi en commission est notée. En conséquence, il n'y aura de prise de parole que d'un député par groupe. Et j'invite fermement, pour éviter que nous nous concentrions sur des sujets qui reviendraient par la suite de commission, à ce que nous nous bornions à intervenir sur le renvoi en commission. Monsieur Follonier, vous avez la parole.

M. Jacques Follonier (R). Le groupe radical acceptera le renvoi de cette motion à la commission de l'enseignement supérieur. Mais, je le dis d'emblée, du bout des lèvres ! Pour quelle raison ? Parce que, Mesdames et Messieurs les députés, je trouve pompeux le titre «Genève, capitale de l'éducation». Je dirais même qu'il manque d'humilité !

Je rappellerai trois points rapidement. Le premier: notre canton est celui qui dépense le plus d'argent pour ses élèves avec le moins de réussite en Suisse. Le deuxième: nous sommes le canton où les élèves sortent du cycle avec 4,7 de moyenne en regroupement B et ne peuvent pas continuer leur cursus scolaire, alors qu'ils sont promus. Troisième point: notre canton est l'un des rares à ne pas avoir une maturité cantonale: en effet, chaque collège organise directement la maturité, ce qui fausse, bien entendu, les résultats !

Toute la pyramide de notre éducation est en retard ! Et vous avez vu que, pas plus tard qu'hier, le Conseil national a accepté et adopté l'harmonisation dans ce domaine au niveau suisse. Nous allons donc bientôt passer aux normes HarmoS - des normes d'harmonisation helvétiques. Elles seront importantes et obligeront le canton de Genève à remonter à la moyenne suisse.

En voyant tout cela, je trouve que c'est vraiment faire du nombrilisme... Nous ne devrions pas nous prendre pour le centre du monde. Nous devrions au contraire connaître la hauteur de nos ambitions. C'est la raison pour laquelle, comme je vous l'ai dit au départ, nous accepterons le renvoi de cette proposition de motion en commission, mais vraiment du bout des lèvres !

M. François Thion (S). Je voudrais apporter une correction, Monsieur Follonier: le coût en matière d'éducation à Genève, pour les élèves et de l'école primaire et du cycle d'orientation, sont en dessous de la moyenne suisse.

J'aimerais revenir maintenant à la motion... Le premier considérant dit: «Le Grand Conseil de République et canton de Genève considérant: - l'importance d'investir dans l'avenir par l'innovation et la formation;». Mesdames et Messieurs les députés, on ne peut qu'être d'accord, mais cela implique de voter les budgets de l'Université et non de les réduire comme cela a été fait l'année passée ! Puis la motion invite le Conseil d'Etat à attirer des universités étrangères - c'est cela la réalité - pour qu'elles s'implantent à Genève. Pourquoi ? Parce que l'Université de Genève ne serait pas assez performante !

Le recteur, dans un petit mot que j'ai découvert sur le site de l'Université, nous rappelle, faisant allusion à cette motion, je le cite: «Nous avons une Université qui occupe le premier rang de Suisse pour les crédits obtenus sur une base concurrentielle féroce auprès du Fonds national de la recherche. Nous avons une Université qui est la seule de Suisse romande à s'être vu attribuer un nouveau pôle de recherche en sciences de l'homme - elles en ont déjà deux autres en sciences et en médecine. Nous avons une Université dans laquelle a été réalisée, pour la première fois au monde, la téléportation de la matière, dans laquelle on a, pour la première fois au monde également, repéré une planète située hors du système solaire.»

Dans l'exposé des motifs, les députés signataires de la motion nous disent qu'ils souhaitent voir s'implanter à Genève une institution nouvelle de langue anglaise ou française qui forme des jeunes, des jeunes du monde entier... Très bien ! J'apprécie cet esprit d'ouverture au monde... Mais il faut rappeler ici que l'Université de Genève accueille déjà des étudiants de cent quarante-deux pays et que 40% des étudiants sont étrangers.

Je dirais aussi que le plus difficile à l'heure actuelle, c'est de permettre à ces jeunes étrangers, une fois leurs études terminées, de rester en Suisse. Il ne faut quand même pas oublier que la politique fédérale est extrêmement restrictive en matière d'accueil des étrangers, notamment depuis que le conseiller fédéral Blocher est au gouvernement. Et il semble que le parti démocrate-chrétien, au niveau fédéral, a quelque peu suivi cette politique en matière d'accueil des étrangers ces dernières semaines...

Mais que penser si un pays comme les Etats-Unis - qui s'est auto-proclamé récemment «gendarme du monde» - installait à Genève une ou des universités et participait ainsi à la formation scientifique et certainement idéologique de la jeunesse de notre pays, des futurs décideurs de notre canton.

Alors, oui à une Genève capitale de l'éducation ! Oui, à une Genève internationale ! Mais non, à une Genève succursale de la pensée unique américaine ! Non, à une motion dangereuse pour l'avenir de la formation de notre canton ! (Applaudissements.)

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Les Verts refuseront cette motion et son renvoi en commission, même si elle a des ambitions qui ne sont pas inintéressantes pour le canton. Ses auteurs préconisent, avec un certain lyrisme, d'attirer à Genève de grandes universités en imaginant déjà des milliers d'étudiants, des chercheurs déambulant dans la ville et nous enrichissant de savoirs nouveaux... Cela a un côté très poétique, mais, si les choses étaient si simples, cela se saurait. Cette invite est alléchante, mais peu réaliste !

Par ailleurs, la concrétisation d'un tel projet impliquerait des coûts probablement exorbitants. Et puis, étant donné toutes les propositions qui ont été faites, nous avons déjà beaucoup de pain sur la planche si nous voulons répondre aux attentes de la population genevoise.

Enfin, les institutions académiques peuvent faire de la promotion: il n'est pas nécessaire de déposer une motion: cela rentre certainement dans leur cahier des charges !

C'est pour toutes ces raisons que nous refuserons cette motion et son renvoi en commission.

M. Claude Aubert (L). J'ai préparé toute une série de notes importantes pour discuter de ce sujet, mais vous me permettrez d'être extrêmement bref malgré tout, car je pense que nous pourrons le faire en commission.

Je suis donc d'accord de renvoyer cette motion en commission.

Le président. Je vous remercie de cette brièveté exemplaire, Monsieur le député ! Monsieur le député Gilbert Catelain, vous avez la parole.

M. Gilbert Catelain (UDC). Merci, Monsieur le président. Je remercie... (Exclamations.) Non, je ne ferai pas aussi vite, parce que vous me perturbez ! (Rires.) Je remercie mon collègue radical. Son appréciation de cette motion me paraît relativement objective. C'est vrai: le titre de la motion est prétentieux. Genève se croit au-dessus de la mêlée alors qu'elle ne l'est pas ! Dans bien des domaines, elle est plutôt dernière de la classe ! Dans celui-ci, elle ne l'est pas - heureusement - mais il serait bon qu'elle maintienne sa position.

En ce qui me concerne, je ne suis pas du tout heurté par le fait que Lausanne soit un pôle universitaire important qui bénéficie de fonds fédéraux conséquents, puisqu'elle dispose d'une école polytechnique fédérale. C'est en effet autour de ce pôle lausannois que devrait être axé l'ensemble de l'enseignement supérieur, notamment dans le domaine scientifique, avec une bonne interaction avec les entreprises, en particulier en matière de biotechnologie, de santé et de recherche.

Je peux partager une partie des préoccupations socialistes par rapport à l'intervention de milieux privés, que, personnellement, j'accueillerai favorablement.

Un responsable du CERN me disait que, depuis que les Américains sont rentrés dans cette institution en investissant 500 millions de francs dans le projet LEP, l'influence américaine a été visible non seulement sur le projet lui-même, mais aussi sur la marche du service, puisqu'il est maintenant interdit de fumer - ce qui réjouira certains - dans l'ensemble du CERN. Il y a un risque - marginal - que cela engendre ce type d'effets collatéraux qui peuvent être nuisibles pour certains, notamment les fumeurs, nombreux dans ce Grand Conseil...

Pour être plus sérieux, je dirais en outre que l'invite me laisse perplexe... Je trouve aussi assez pompeux de vouloir: «mettre sur pied une promotion exogène genevoise visant à faire implanter à Genève de nouveaux instituts issus des grandes universités étrangères.» S'il s'agit d'instituts privés financés avec des fonds privés, comme cela se fait dans certaines villes, qui sont citées dans la motion: pourquoi pas ! Nous les accueillerons à bras ouverts ! Mais si c'est pour charger un peu plus le bateau dans une République qui n'arrive déjà pas à assumer l'effort éducatif qu'elle doit faire dans le domaine de l'enseignement supérieur, nous ne sommes pas d'accord. Car cela risquerait d'affaiblir des secteurs dans lesquels nous devrions nous positionner favorablement, à savoir développer des secteurs de pointe dans lesquels nous sommes leaders et dans lesquels nous sommes reconnus sur les plans national, régional et international.

Or - on en parlait tout à l'heure - aujourd'hui déjà, certains secteurs de notre enseignement ne sont même plus reconnus dans le reste de la Suisse, et on préférera engager un étudiant formé à Lausanne plutôt qu'à Genève. Alors, tâchons de maintenir le niveau élevé de certaines académies de la République avant d'en faire venir de nouvelles à Genève, sous prétexte que nous manquerions de fonds publics !

Nous soutiendrons néanmoins le renvoi en commission de cette motion, parce que, aujourd'hui, à l'heure où je vous parle, il nous manque les éléments objectifs pour prendre définitivement position.

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Je souhaite exprimer quelques considérations à propos du projet de motion, pour donner un avis, négatif ou positif, par rapport à un certain nombre de constats.

Je trouve particulièrement dommageable pour Genève que chaque débat sur l'éducation donne l'occasion à certains de critiquer le système dont nous avons la charge, notamment compte tenu de nos responsabilités éducatives.

Dans le discours de Saint-Pierre, le Conseil d'Etat a appelé de ses voeux - je vous le rappelle - un état d'esprit basé sur la confiance et la discussion avec le parlement, mais cela ne se traduit malheureusement pas dans les débats que nous avons ici, puisque certains d'entre vous mettent systématiquement en cause l'enseignement genevois. Je ne peux pas ne pas réagir à cela !

Vous mettez en avant un certain nombre de difficultés de l'enseignement genevois. Dont acte ! Vous savez qu'elles ont été répertoriées et quels sont les plans d'action de manière à y faire face.

Pour autant, faut-il, à l'occasion d'une motion concernant l'Université, remettre en cause systématiquement tout le niveau d'enseignement genevois ? Vous oubliez au passage que si Genève connaît des difficultés au niveau de la sortie de l'école obligatoire, particulièrement pour les élèves les plus faibles, il n'en demeure pas moins que notre canton compte le plus haut taux de maturités du pays, et probablement d'Europe ! Il en est de même du taux de licences et de post-grades.

Dans vos considérations, vous ne tenez même pas compte du fait que Genève aujourd'hui, en termes de taux de personnes formées à l'enseignement supérieur, écrase, et de loin, pratiquement tous nos voisins, cantons ou pays ! Je vous remercie tout de même, même si vous avez naturellement droit à la critique, de reconnaître dans vos interventions quelques qualités à notre système d'enseignement. Autrement, je ne pourrai que penser que vous avez une approche masochiste de notre système éducatif !

S'agissant de l'Université genevoise, permettez-moi également de la qualifier «d'universaliste», car elle dispense son enseignement dans l'ensemble des facultés, de la faculté de médecine à la faculté des sciences en passant par les lettres, le droit ou la théologie. Vous savez que nous avons sept facultés et qu'il est question de créer soit un institut soit une faculté de l'environnement et du développement durable.

Il y a donc, en termes de couverture, un rôle très important de l'Université de Genève. Ce rôle universaliste se fait-il au détriment de la qualité ? A en croire les chiffres, la réponse est négative ! L'Université de Genève est la première université cantonale en termes de crédits de recherche, soit en termes de fonds privés soit en termes de fonds publics, et cela pourrait également être remarqué.

Au niveau des différents classements mondiaux - on cite de temps en temps PISA, mais on pourrait en citer d'autres au niveau universitaire - sachez que l'Université de Genève occupe le quatre-vingt-huitième rang au niveau mondial, quelques rangs derrière l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, mais devant l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne ! Tout en admettant le côté aléatoire de tels classements, on pourrait donc reconnaître la qualité de l'Université de Genève, au lieu de la mettre en cause systématiquement comme c'est le cas aujourd'hui, quelles que soient les propositions positives ou négatives, du reste, par rapport à la motion !

Je conclurai ainsi. Il faut encourager les collaborations - c'est d'ailleurs le cas de l'Université de Genève, par le biais de ses facultés et de ses départements - avec de nombreuses universités dans le monde. Les facultés et les départements n'ont pas attendu cette motion pour développer de réelles collaborations et favoriser les échanges entre étudiants ! Et je vous affirme également - vous le savez - que la Déclaration de Bologne, en termes d'organisation, de crédits, bachelor, master - ou baccalauréat universitaire et maîtrise - vise justement à accroître cette capacité de mobilité.

Faut-il attirer des universités privées à Genève ? Le cas échéant, conviendra-t-il de les financer ? C'est la question que vous posez par le biais de cette motion. Quelle que soit l'approche choisie par ce Grand Conseil - soit en votant cette motion aujourd'hui soit en la renvoyant en commission - je vous demande de prendre en considération la qualité de notre Université. Par ailleurs, la Confédération a décidé des crédits supplémentaires pour le pôle des relations internationales et elle attend du système universitaire suisse, et de ses universités cantonales, davantage de performances au niveau des cantons, mais pas forcément d'intégrer davantage de concurrence. Aujourd'hui, le système suisse, pas plus que le département de l'instruction publique, ne retient cette possibilité !

Le président. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets la proposition de renvoi de cette proposition de motion à la commission de l'enseignement supérieur.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1642 à la commission de l'enseignement supérieur est adopté par 49 oui contre 33 non et 1 abstention.