République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1636
Proposition de motion de Mmes et MM. Patrick Schmied, Anne-Marie Arx-Vernon Von, Nelly Guichard, Luc Barthassat, Mario Cavaleri, Guy Mettan, Pascal Pétroz visant à favoriser l'introduction du bilinguisme à l'école genevoise

Débat

Le président. Monsieur Barazzone, vous avez la parole.

M. Guillaume Barazzone (PDC). Thank you, Mister President. Meine Damen und Herren, onorevoli deputati... (Applaudissements.) ... merci, de me donner l'occasion de présenter cette motion démocrate-chrétienne !

Lors du débat d'hier sur notre motion concernant les écoles privées, vous avez tous, de concert, affirmé votre volonté d'améliorer le système d'enseignement à l'école publique. Certains ont mis en doute la volonté du PDC de s'occuper aussi de l'école publique... J'espère que la présentation de cette motion, qui vise l'introduction d'un bilinguisme précoce à l'école publique, et, donc, l'amélioration de l'enseignement des langues à l'école, vous permettra d'être convaincus du contraire !

Mesdames et Messieurs les députés, pourquoi apprendre les langues, dans le fond ? C'est la question que l'on peut se poser au départ.

J'y vois deux raisons principales. La première, c'est que, l'apprentissage d'une langue permet de connaître la culture de l'autre, de mieux comprendre les communautés étrangères...

Le président. Excusez-moi, Monsieur le député ! Puis-je prier vos collègues de faire preuve d'un peu plus d'attention à vos propos ? Merci !

M. Guillaume Barazzone. Je vous remercie, Monsieur le président ! L'apprentissage d'une langue - disais-je - permet de mieux connaître la culture de l'autre, de mieux comprendre les communautés étrangères qui nous entourent en Suisse, mais aussi, à l'heure où les échanges se font de plus en plus nombreux en Europe, de mieux comprendre l'ensemble des communautés étrangères de ce monde.

La deuxième raison pour laquelle il me semble très important que les élèves qui sortent de l'école obligatoire ou du collège aient une très bonne connaissance des langues, c'est le marché du travail. Nous avons eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises: le marché du travail à Genève couvre le secteur tertiaire, ce qui exige de grandes qualifications. Et, à l'heure actuelle, une très bonne connaissance de l'anglais, voire même de deux langues - et principalement l'allemand, puisque nous sommes en Suisse - est demandée pour un grand nombre de postes de travail.

Le domaine des langues a été évoqué à plusieurs reprises, dans les médias, dans différents parlements, et la question qui a toujours primé était de savoir quelle était la langue qu'il fallait enseigner en premier... Etait-ce l'anglais ou l'allemand ? Fallait-il enseigner deux langues ou une langue à l'école primaire ? C'est une question importante, certes, mais elle occulte une question beaucoup plus fondamentale, à savoir celle de l'enseignement des langues en tant que tel.

Parce que, avouons-le, Mesdames et Messieurs, nous avons tous été à l'école obligatoire puis au collège - en tout cas, la plupart d'entre nous - et nous pouvons faire un constat: malgré les nombreuses heures de cours et les milliers de francs investis dans l'enseignement des langues, nous sommes presque tous incapables aujourd'hui de tenir une conversation approfondie ou de creuser un texte difficile dans une langue étrangère. Il me semble que la mission première de l'école est de permettre aux élèves - et, donc, à la société - de pouvoir communiquer avec ses voisins.

Et nous devons nous demander comment il est possible d'améliorer cet apprentissage des langues. Eh bien, certaines régions linguistiques bilingues ont répondu à cette question en instaurant un système appelé «système d'immersion bilingue»: la langue n'est plus l'objet de l'enseignement, elle est un instrument. Cela signifie que des matières telles que le bricolage, la gymnastique, pour les petits, la géographie, la biologie, pour les plus grands, sont enseignées dans la deuxième langue.

Ce système a été adopté au collège, à Genève, et je félicite le département de l'instruction publique pour cette initiative, mais, en réalité, Mesdames et Messieurs, c'est une «fausse bonne idée»... En effet, ceux qui profitent de ce système sont des jeunes qui sont déjà dans un degré d'éducation supérieur. Et puis, c'est une erreur pédagogique de croire que c'est à 15 ans qu'on apprend le mieux les langues. Les spécialistes nous disent que c'est très jeunes que les enfants sont capables d'apprendre une voire plusieurs langues très facilement, même s'ils ne sont pas de langue maternelle française.

Notre projet de motion invite à instaurer un projet pilote de bilinguisme à l'école publique et, à cet effet, à recenser les professeurs qui parlent déjà l'anglais, l'italien ou l'allemand et qui seraient en mesure d'enseigner dans ces langues. Notre projet doit d'abord être expérimenté avant de pouvoir envisager de le généraliser, ce qui demandera des moyens, une formation des professeurs. Mais, au préalable, il faut faire des essais et voir si ce système qui a beaucoup fonctionné dans les régions bilingues peut être généralisé à l'école publique - je vous le disais - et, également, à l'école privée. En témoigne l'expérience fructueuse qui s'est déroulée à l'Ecole Moser bilingue, à Genève, qui a fait de très grands progrès en cette matière. Il faut donc absolument faire un effort dans cette voie.

Pour mémoire, je rappelle que le parti radical avait à l'époque - en 1996 - déposé une motion visant à généraliser le système d'immersion bilingue dans toutes les écoles. Ce projet partait certainement d'un bon sentiment, mais il était quelque peu irréaliste dans la mesure où, justement - je vous l'ai dit - il impliquait beaucoup de moyens et une formation des professeurs.

Le Conseil d'Etat a donné suite à cette motion en rendant un rapport, qui - je dois le dire - n'a pas du tout satisfait les députés PDC, et ce, pour deux raisons.

Première raison: le Conseil d'Etat admet que c'est très bien d'envisager un apprentissage accru des langues, mais que sa priorité est l'apprentissage du français... Il me semble que l'apprentissage des langues n'exclut pas l'apprentissage du français: au contraire ! Nous aussi, nous faisons de l'apprentissage du français une priorité. Nous pensons que ce sont des connaissances de base que tout le monde doit acquérir au XXIe siècle.

La deuxième raison qui me pousse à dire que le rapport est insatisfaisant est la suivante. Il est dit dans ce rapport que la majorité des élèves à Genève - une bonne moitié - parle déjà une langue étrangère, par exemple, le portugais, l'italien ou l'albanais... (Exclamations.) J'ai dit que c'étaient des exemples ! ...et que ces élèves seraient donc incapables d'apprendre une deuxième langue, car ils risquaient de tout confondre... Mais, Mesdames et Messieurs, si nous voulons intégrer ces étrangers, il faut qu'ils puissent aussi apprendre les langues qui leur seront utiles, c'est-à-dire en priorité l'allemand et l'anglais, puis, éventuellement, une autre langue. Nous ne pouvons donc pas nous contenter des réponses données dans ce rapport ! Je termine, Monsieur le président...

Mesdames et Messieurs les députés, si vous croyez que l'on peut améliorer l'apprentissage des langues et qu'il serait bon d'en débattre en commission, je vous prie d'accepter son renvoi en commission, pour que nous puissions auditionner le département et les spécialistes sur la question. (Applaudissements.)

Le président. Sont inscrits: les députés Follonier, Weiss, Thion, de Tassigny, Künzler, Marcet, Falquet, Ischi... La liste est close.

M. Jacques Follonier (R). Mesdames et Messieurs les députés, cette motion tombe à pic, mais j'ai bien peur qu'elle soit un voeu pieux...

Quelle est la situation actuelle de l'école genevoise ? Car c'est cela qui est important ! Aujourd'hui, l'allemand est enseigné à partir de la troisième primaire... Mais il y a un hic ! Une partie des élèves de l'école primaire suivent effectivement des cours d'allemand mais pas les autres, ce qui fait qu'à la fin de la sixième primaire, certains élèves ont fait trois ans d'allemand et d'autres n'ont jamais appris un mot d'allemand. Et, donc, à l'entrée au cycle et tout à fait logiquement, les enseignants partent du principe qu'aucun élève n'a fait de l'allemand, pour pouvoir les mettre tous à niveau. C'est absolument déplorable ! Je crois savoir d'ailleurs que le département est en train de préparer un projet à ce sujet, ou de le mettre sur pied, et je serai très heureux d'entendre le chef du département nous en parler...

Cela étant, je trouve que cette motion manque malgré tout de courage, parce qu'elle touche deux tabous sans oser vraiment les lever.

Le premier: doit-on enseigner l'allemand ou l'anglais ? L'allemand et l'anglais ? L'allemand seulement ? L'anglais seulement ? Plusieurs langues ? Nous devons véritablement nous poser ces questions sérieusement et ne pas nous arrêter en chemin en proposant un simple choix entre deux langues. Ce tabou a longtemps pesé sur l'allemand, parce qu'il s'agit d'une langue de maturité fédérale. Néanmoins, je le répète, il faudra véritablement se pencher sur cette question, car on se rend compte que l'allemand est souvent la bête noire des élèves qui sont au collège et, principalement, celle de tous les apprentis. Et ce que je vous ai expliqué tout à l'heure corrobore bien la raison pour laquelle nous sommes dans une situation difficile s'agissant de l'allemand. Il faudra donc effectivement lever ce tabou.

Le deuxième porte sur la méthode... Faudra-t-il utiliser la méthode d'immersion, comme indiqué par le PDC, ou la méthode de sensibilisation ? Ces deux méthodes correspondent en effet à des approches différentes. Je ne sais pas si le PDC les différencie, mais moi, oui !

C'est une des raisons pour lesquelles je suis très sensible à ce que l'on renvoie cette motion à la commission de l'enseignement où j'aurai grand plaisir d'en discuter.

M. Pierre Weiss (L). Certains d'entre vous, Mesdames et Messieurs les députés, ont peut-être été des lecteurs amusés ou intéressés par les articles d'un chroniqueur du «Temps», Diego Marani, qui écrivait en «europanto»... Je vous dirai comme lui: «Sen länge, ik bin always convinto de la necessitad of the babelismo...» (Rires et applaudissements.)

Depuis longtemps, je suis convaincu de la nécessité de ce que j'appellerai le «babélisme», c'est-à-dire parler plusieurs langues, surtout dans une ville comme Genève qui se flatte de sa tradition internationale... J'en suis d'autant plus convaincu que, partout dans le monde - et pas seulement à Genève - la majorité des gens sont au moins bilingues.

Le monolinguisme devient une rareté... Dans les terres de langue française, le système politique français de l'époque a expurgé des têtes et de la littérature la langue d'Oc et imposé la langue d'Oil, langue surtout parisienne. Mais le monolinguisme a aussi frappé Genève: le patois a disparu et on ne s'en rappelle qu'à l'occasion de l'Escalade !

Ce n'est donc pas pour soutenir ce qui se passait jadis que j'en viens à être favorable à cette motion, mais, au contraire, pour me tourner en direction du monde vers lequel nous marchons... Un monde plus ouvert ! Un monde où les contacts avec d'autres civilisations, d'autres langues, sont plus nombreux, mais je commencerai par les contacts avec nos propres nationaux, nos propres Confédérés ! Je regrette, du reste, au passage, que l'italien ait été oublié... (Brouhaha.) ...puisque les invites de la motion parlent de l'allemand ou de l'anglais...

Je souhaite que cette motion soit renvoyée en commission pour qu'elle y soit étudiée avec soin et qu'elle puisse être améliorée.

Tout d'abord, la première invite parle de projet pilote... Je trouve - je reprendrai un terme de mon collègue Follonier - que cela manque d'ambition... Ce n'est pas un projet pilote qu'il faut mettre sur pied mais une filière ! Et cette filière pourrait être mise en place dès l'école enfantine - et non pas seulement dès l'école primaire - en utilisant la méthode dite «d'immersion».

Ensuite, la deuxième invite demande le recensement des enseignants maîtrisant l'allemand ou l'anglais... Elle fait l'impasse sur le fait que d'autres langues sont largement pratiquées à Genève. Je pense en particulier à l'espagnol, au portugais, mais aussi à l'italien.

En d'autres termes, il faut effectivement procéder à ce recensement, mais il faudrait ajouter une troisième invite... Car, s'agissant du recrutement des futurs enseignants, il ne faudrait pas se cantonner à ceux qui sont formés uniquement dans notre canton et qui ne maîtriseraient que la langue utilisée majoritairement à Genève, à savoir le français. Il faudrait en effet recruter des enseignants dans d'autres cantons - que ce soient les cantons alémaniques ou le Tessin - pour enseigner dans cette filière qui débuterait à l'entrée de l'école publique dans la langue en question.

Si nous ne faisions pas ainsi, nous justifierions encore plus la motion qui a été rejetée hier, favorable à l'école privée, parce que, dès lors, seule l'école privée serait à même de répondre à cette exigence de babélisme que j'évoquais au début de mon intervention. La concurrence en matière d'éducation est une bonne chose. L'honneur de l'école publique doit être à la hauteur de ce que nous offrent les meilleures écoles privées de ce canton.

M. François Thion (S). La motion pose une question intéressante. Il s'agit en clair d'expérimenter, dès le début de l'école primaire, l'apprentissage d'une langue étrangère dans un processus d'immersion. Ce procédé aurait l'avantage de faire apprendre une langue sans pour autant remettre en question d'autres disciplines, puisque, par exemple, les sciences ou l'histoire pourraient être enseignées dans une langue étrangère.

Tout cela semble à première vue tout à fait intéressant. Mais pourquoi s'arrêter à une langue étrangère ? Pourquoi pas une deuxième ? Qui ne souhaiterait pas que chaque petit élève genevois sorte de l'école obligatoire en maîtrisant parfaitement deux langues étrangères: l'anglais et l'allemand, naturellement.

Une voix. Le latin !

M. François Thion. Ajouter aux ambitions de l'école ne coûte rien ! Comme le relèvent les auteurs de la motion, il est important de bien maîtriser les langues dans notre société, pour être privilégié sur le marché de l'emploi et performant sur le marché du travail... En effet, régulièrement, la presse moderniste montre l'énorme problème qui se pose pour ceux qui ne maîtrisent pas l'anglais, à l'heure de la mondialisation et de l'économie de la mobilité, à l'heure de l'intégration européenne ! Comment devenir cadre dans une entreprise, faire carrière à l'étranger, sans connaître la langue de Shakespeare?

Chacun sait cependant que la généralisation d'une telle expérimentation n'est pas possible. Les auteurs de la motion en conviennent dans l'exposé des motifs. Le personnel enseignant n'est pas formé pour cette tâche, et l'Etat n'a pas les moyens financiers d'une telle politique ! Ainsi, l'enseignement bilingue au collège - qui a été cité tout à l'heure en exemple - implique des ressources particulières en qualité et en quantité, ce qui explique le nombre de places très limitées offertes par le collège dans les filières bilingues.

Les moyens financiers et humains manquent aujourd'hui au DIP pour assurer des objectifs qui vont d'ailleurs au-delà de ce que fixe la loi sur l'instruction publique. Ainsi, la formation des maîtres du primaire, qu'il faudrait évidemment compléter, serait plus longue. Rappelons ici que le parti démocrate-chrétien et les autres partis de droite ont, pour le moment, le projet de réduire d'une année la formation des enseignants du primaire, cela afin de faire des économies à court terme. On va passer d'une licence en quatre ans à un bachelor en trois ans...

Pour en revenir au texte de la motion, précisons que Genève n'est pas un canton ou une région bilingue. En effet, les exemples donnés dans l'exposé des motifs: Valais, Fribourg, Val d'Aoste, concernent des cantons ou des régions bilingues, ce qui, je le répète, n'est pas le cas de Genève, malgré son grand mélange culturel.

Précisons également que les enseignements prodigués en anglais ou en bilingue à l'Ecole Internationale sont essentiellement destinés à des élèves non francophones. L'enseignement privé payant peut offrir à ses élèves des possibilités supplémentaires si les familles acceptent de consentir des efforts financiers, efforts que la population du canton de Genève a refusé de fournir, s'agissant des impôts !

A qui profiterait ce changement ? Certainement, en priorité, à une partie des parents de la classe moyenne... (Exclamations.) ...ceux qui investissent particulièrement dans la réussite scolaire de leurs enfants et qui attendent de l'école qu'elle permette de donner un maximum de chances pour leur avenir dans un contexte de mondialisation. Ces parents ne se soucient guère de savoir si les enfants issus des milieux plus populaires ont les mêmes besoins et les mêmes intérêts...

Une partie des élèves à Genève, souvent issus des milieux défavorisés, sortent de l'école obligatoire sans maîtriser la langue française, avec de faibles connaissances en mathématiques et des connaissances très limitées en sciences, biologie et physique, par exemple, ou en sciences humaines, histoire et géographie, notamment. Les enfants issus de l'immigration ont souvent une connaissance lacunaire de leur propre langue maternelle. Pour eux, l'immersion bilingue en allemand ou en anglais n'a pas de sens, pas plus, d'ailleurs, que l'apprentissage précoce de ces deux langues, puisque ce dernier devrait être pris sur d'autres disciplines qu'ils ont déjà de la peine à maîtriser.

Au contraire, cela deviendrait un facteur supplémentaire d'échec et d'exclusion.

En conclusion, cette motion est bien dans l'air du temps, des discours officiels et de leurs relais médiatiques. Mais l'expression d'une demande particulière, relayée ici par les députés PDC, ne peut remplacer l'intérêt général.

Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de rejeter cette motion.

Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Le bilinguisme: sujet d'actualité, mais aussi sujet controversé.

En effet, quel bilinguisme voulons-nous ? Certains souhaitent l'enseignement de l'allemand, pour permettre une meilleure compréhension de nos Confédérés, d'autres prônent la langue de Shakespeare, nouveau Sésame dans la plus grande partie du monde et des affaires. D'autres encore, comme M. Pierre Weiss, préconisent l'italien.

Les radicaux, déjà très novateurs, avaient déposé une motion en 1997 - la 1059-A - qui allait dans ce sens. Elle a été approuvée par le Conseil d'Etat, qui y a répondu en 2003. Ce dernier nous assurait, déjà à l'époque, garantir, au plus tard en 2010, les perspectives définies au niveau romand par la Conférence intercantonale de l'instruction publique. De plus, il prévoyait d'intégrer des modules de formation initiale dans un domaine qui permettrait à long terme de doter l'institution d'un contingent adéquat en personnel qualifié.

La motion de nos cousins est un véritable «remake» de la nôtre ! Nous pouvons les considérer comme de véritables coucous qui se nichent dans le nid de leurs congénères... (Rires.) ...ce qui nous permet, bien évidemment, de souscrire à cette démarche et de la renvoyer à la commission de l'enseignement !

Le président. Madame la députée, d'abord, je vous félicite pour votre agilité, parce que vous arrivez à parler, à écouter le téléphone et, en même temps, à jouer au basket... C'est très fort ! (Rires.) Maintenant, je signale que personne, à ma connaissance, n'a demandé le renvoi en commission... D'ailleurs, si cela avait été le cas, je ne vous aurais pas donné la parole... (Un député interpelle le président.) Vous l'avez demandé ? Bien ! Alors, dans ce cas, je vais ne donner la parole désormais qu'à un député par groupe, en vous priant de m'excuser de l'injustice que je viens de commettre en faveur des radicaux !

Mme Michèle Künzler (Ve). C'est vrai, cette motion est intéressante, mais, après avoir entendu les propos des uns et des autres, j'ai quand même quelques doutes... Evidemment, je suis favorable au bilinguisme. Je suis moi-même bilingue, comme la majorité de nos concitoyens et des enfants de nos écoles - il faut en tenir compte - mais il faut d'abord stabiliser les langues parlées à la maison et, en particulier, le français, car c'est une véritable priorité.

Je suis étonnée de constater que la plupart des députés qui sont intervenus sur ce sujet habitent des quartiers aisés. Je vous invite à lire le rapport sur l'école genevoise, qui est du reste très intéressant: il contient une mine de renseignements ! Il est vrai que, selon qu'on vit à Jussy, qui compte 5% d'allophones, ou à Vernier, qui en compte 60%, les besoins scolaires ne sont pas les mêmes. L'école doit-elle être la même pour tous ? Les priorités sont-elles les mêmes ? Il me paraît important que le français soit maîtrisé par tous - je le répète, c'est une véritable priorité - mais il faut aussi que les communautés étrangères puissent maîtriser, comme l'ont fait par le passé les Italiens et les Portugais, leur propre langue, ce qui fait deux langues, voire trois. C'est le cas de certains camarades de mes enfants qui parlent trois langues à la maison.

Je pense que nous devons tout de même réfléchir à deux fois avant de renvoyer cette motion en commission pour étude. En ce qui me concerne, je trouve que l'école a déjà suffisamment de priorités comme cela. Cessons de rêver à l'enfant parfait ! Il semble que ce que nous n'avons pas voulu pour nous, nous le voulons pour nos enfants ! Il faudrait qu'ils soient parfaits dans tous les domaines, qu'ils sachent l'allemand, l'anglais, l'italien, peut-être le russe ou le chinois, les maths... Mais que voulez-vous en faire ? Il faut d'abord en faire des citoyens qui parlent français et qui soient à même de prendre leurs responsabilités, et puis après, on verra !

Quoi qu'il en soit, je suis tout à fait favorable au renvoi de cette motion en commission, pour voir si nous pouvons envisager une expérience pilote. Comme je l'ai déjà dit, les conditions sociales et structurelles ne sont pas les mêmes partout: il y a des différences énormes et une grande hétérogénéité dans les écoles genevoises.

Peut-être qu'après les travaux de commission, vous serez d'accord avec moi pour dire que c'est certainement une bonne idée, mais qu'elle ne représente pas une priorité !

M. Claude Marcet (UDC). En ce qui nous concerne, nous soutenons totalement la motion du groupe PDC et nous sommes d'accord de la renvoyer en commission.

Quelle que soit leur extraction sociale, au sens large, il est intéressant pour nos jeunes de connaître au moins une langue en plus du français. Mais il me semble important que l'enseignement du français soit une priorité pour que les enfants qui sortent du cycle obligatoire sachent au moins lire, écrire et parler convenablement, ce qui n'est vraiment pas le cas actuellement !

Je me permets de le signaler, car le problème est grave. Il faudrait que notre conseiller d'Etat pose la question à certains profs de la faculté de lettres pour s'en rendre compte. Les profs pourraient lui faire part de leur étonnement devant le niveau de français de leurs étudiants ! Je parle en connaissance de cause, car mon fils vient d'obtenir une demi-licence dans cette faculté.

Mme Gabrielle Falquet (S). Je voudrais simplement insister sur l'importance de l'apprentissage du français dans notre école, car c'est un moyen pour les enfants dont ce n'est pas la langue maternelle de pouvoir s'intégrer. Comme cela a déjà été dit, la majorité des enfants qui entrent à l'école primaire sont déjà bilingues. On a tendance à considérer que le bilinguisme concerne uniquement l'allemand et le français ou l'anglais et le français. Il est important que les enfants qui ont une origine différente - même s'ils sont nés à Genève, même si leurs parents y sont nés - puissent parler la langue de leur pays d'origine et garder leur culture, mais il faut aussi qu'ils parlent la langue du pays d'accueil.

Il me semble nécessaire que l'apprentissage du français se fasse en douceur, afin que les élèves puissent aborder l'apprentissage d'une autre langue après, quand ils maîtrisent déjà bien leur langue maternelle et le français. Evitons, s'il vous plaît, de surcharger le bateau de l'enseignement primaire ! D'une part, les enfants se dispersent dans les différents apprentissages et, d'autre part - malheureusement et depuis de nombreuses années - le parlement n'alloue pas forcément au département de l'instruction publique les moyens suffisants pour qu'il puisse effectuer les tâches qui lui sont confiées.

Je souhaite donc vraiment que nous nous penchions sérieusement sur tous les apprentissages prioritaires et que nous nous en donnions les moyens. Je vous en prie, laissons le temps aux enfants d'assimiler tous les apprentissages de base avant d'en aborder d'autres, comme les langues supplémentaires !

C'est pour cette raison que nous refusons le renvoi de cette motion en commission.

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Je pense que vous allez renvoyer cette motion en commission... Finalement, comme toute idée est bonne à creuser: que le travail de la commission soit fructueux ! C'est en tout cas le voeu que je lui adresse...

Mais, auparavant, si vous me le permettez, j'évoquerai rapidement quelques points.

Le premier, ce sont vos attentes par rapport à l'école publique genevoise.

Vous souhaitez - si je tiens compte de l'ensemble de nos travaux - améliorer la qualité des apprentissages fondamentaux: français et mathématiques...

Vous souhaitez une politique audacieuse en matière de langues étrangères: le bilinguisme - deux langues, probablement dès l'école primaire...

Vous souhaitez l'introduction du fait religieux, et - pourquoi pas ? - de l'histoire des religions...

Vous souhaitez renforcer le sport, l'éducation aux travaux manuels...

Vous souhaitez une place plus importante pour les arts...

Vous souhaitez faire une place - on le verra tout à l'heure - pour l'environnement, pour l'éducation aux droits de l'homme et, également, pour l'égalité hommes femmes...

Très bien ! J'en prends note ! Je pense donc que vous allez voter des crédits conséquents pour l'instruction publique genevoise pour le budget 2006, mais je doute que cela soit vraiment compatible avec les objectifs budgétaires que vous avez fixés tout à l'heure ! Ou, alors, vous avez quelques recettes à me suggérer que je serai toujours prêt à entendre, bien entendu !

Maintenant, parlons un instant de la politique des langues ! En Suisse, la politique éducative est organisée au niveau cantonal, puis elle fait l'objet d'une harmonisation au niveau intercantonal. Au niveau intercantonal, vous savez, par exemple, que la Confédération et l'ensemble des cantons se sont dotés d'une politique des langues qui permet d'introduire l'apprentissage d'une langue nationale et de l'anglais dès l'école primaire, et cela, à partir de 2011.

Un canton se pose de multiples questions à ce sujet, car une initiative demande l'interdiction de l'apprentissage de deux langues à l'école primaire: je veux parler du canton de Zurich, qui, en dehors de cela, a déjà tranché sur la prédominance de l'anglais par rapport au français. Lorsque nous évoquons l'apprentissage des langues - et je remercie M. Follonier d'en avoir parlé - la question de l'allemand et de l'anglais est éminemment importante pour notre canton, surtout si l'on considère que l'objectif est que les ressortissants d'un même pays puissent se comprendre même s'ils vivent à l'autre bout du pays.

A propos de l'enseignement genevois, vous me permettrez également de rappeler deux points essentiels.

M. Follonier a posé une question sur l'apprentissage de l'allemand, et je l'en remercie. S'agissant de l'apprentissage de l'allemand, il y a une discontinuité que j'évoque régulièrement en public. En effet, normalement, les élèves doivent être sensibilisés et apprendre l'allemand dès la troisième primaire, mais, comme ce n'est pas le cas de tous les élèves, l'apprentissage de l'allemand est repris à zéro à l'entrée au cycle d'orientation.

J'ai donc demandé aux différentes directions générales de se mettre d'accord. Une nouvelle méthode va être introduite, ainsi qu'une nouvelle approche, qui consistera à traiter les six premières leçons dans le cadre de l'apprentissage à l'école primaire puis, dès la septième leçon, à utiliser la méthode Genial à l'entrée au cycle d'orientation. Il ne suffit donc pas de décréter et de décider... Il faut également faire appliquer, ce qui implique un certain nombre de moyens !

J'aimerais encore, par rapport à la politique menée dans notre canton en matière de langues, souligner - vous le savez, puisque vous l'avez rappelé - que nous avons introduit l'apprentissage du bilinguisme, allemand et anglais, au niveau du collège de Genève, mais cela reste restreint notamment en raison des capacités en ressources humaines de notre corps enseignant. Merci également de l'avoir rappelé.

Je terminerai par trois considérations. La première concerne la précocité en matière d'apprentissage des langues. Monsieur Barazzone, les travaux des neuro-psychiatres sur la précocité évoquent les facilités accrues des enfants âgés de 2 à 4 ans. Lorsque l'on dit que ce projet serait éminemment intéressant pour les enfants âgés de 12 à 15 ans au cycle d'orientation, cela ne concorde pas avec les résultats de ces experts sur lesquels on prétend pourtant se baser.

La deuxième est une réserve. Pour introduire un bilinguisme aussi audacieux, le canton doit remplir des conditions-cadres notamment en matière de frontières. A ce niveau, la situation ne nous est pas favorable, car nous n'avons pas de frontières directes avec un canton ou un pays où l'on parle une autre langue, comme c'est le cas, par exemple, pour le canton de Bâle. Et nous n'avons pas non plus la capacité ou la facilité du canton de Berne, de Fribourg ou du Valais, qui ont la «chance» - on peut le dire ainsi - de vivre le bilinguisme dans leur canton.

Enfin, la troisième considération porte sur la notion même des langues que nous entendons voir se développer. Quelles langues doivent être enseignées et par quels types d'apprentissage ? Il ne faut pas sous-estimer devant ce parlement le fait que l'enseignement des langues fait l'objet de véritables controverses pour savoir s'il sert uniquement à communiquer, ou si, au contraire, à travers la langue, il doit permettre de découvrir une richesse culturelle différente, un patrimoine et, également, une manière de penser qui se traduit dans la linguistique.

L'apprentissage de l'allemand, tel que je l'ai connu - comme vous le savez, j'ai été camarade de jeu de Ramsès II, c'était donc il y a bien longtemps ! - en 1980, lorsque je passais ma maturité en section moderne, ne nous permettait pas de communiquer immédiatement. Nous comptions sur des séjours dans les pays de la langue apprise pour pouvoir communiquer.

Les choses ont beaucoup changé depuis, à tel point qu'aujourd'hui, l'anglais que l'on parle est souvent un anglais d'aéroport - qui n'a, malheureusement, Monsieur Thion, plus rien à voir avec la langue de Shakespeare ! - un anglais de fast-food, qui permet à tout le monde de communiquer extrêmement rapidement, mais, hélas, à partir de considérations à peu près nulles aux niveaux linguistique et philosophique.

Je terminerai en disant que nous vivons dans un canton multiculturel. 40% des élèves sont allophones, ce qui représente pratiquement quatre-vingts langues parlées différentes. Notre canton est aujourd'hui confronté à une logique de modernisation, mais, pour lui permettre de procéder à cette modernisation, y compris en termes d'audace linguistique, il lui faut un ciment intégratif: la langue française ! Si nous n'arrivons pas à intégrer cette logique selon laquelle la langue française est prioritaire, Mesdames et Messieurs, quelle que soit la qualité des travaux de ce parlement et de la commission, c'est comme si nous construisions la tour de Babel ! (Applaudissements.)

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1636 à la commission de l'enseignement et de l'éducation est adopté par 67 oui contre 16 non et 1 abstention.