République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 23 juin 2005 à 17h
55e législature - 4e année - 10e session - 54e séance
RD 589
La présidente. Notre collègue, M. René Koechlin, nous a fait part de sa décision de démissionner de son mandat de député avec effet à l'issue de cette séance-ci. Je prie Mme la deuxième vice-présidente de bien vouloir donner lecture de la lettre de M. Koechlin. (Applaudissements à la fin de cette lecture.)
La présidente. Il est pris acte de cette démission. M. René Koechlin fut élu en 1985, réélu en 1989, 1993, 1997 et 2001. Il a donc accompli, à quelques mois près, cinq législatures et a siégé pendant vingt années dans notre parlement dont il fut le vice-président en 1996-1997. Il fut président du Grand Conseil de novembre 1997 à novembre 1998.
Il fut également président de la commission du logement en 1989-1990, président de la commission d'aménagement du canton, à deux reprises, en 1991-1992 et en 2003-2004, et président de la commission des travaux, une première fois en 1993-1994, et depuis janvier 2005.
Nous le remercions vivement d'avoir été le premier président du Grand Conseil à instaurer l'autonomie du service du Grand Conseil suite à la loi votée en mai 1997. Nous tenons également à relever qu'il s'est beaucoup investi durant son année de présidence pour faire procéder à des travaux de réfection dans les locaux du service du Grand Conseil, afin d'améliorer les conditions de travail dudit service.
Nous savons toutes et tous, ici, combien sa personnalité a marqué nos esprits, et nous ne pouvons oublier le souvenir de ses interventions vigoureuses, musclées, quelquefois très spectaculaires ! Nous le remercions vivement de son engagement sans faille, de sa fidélité parmi nous et de son investissement personnel pour le Grand Conseil.
Nous reconnaissons également les diverses facettes de sa personnalité, qui font de lui, entre autres qualités, un homme de lettres, écrivain-poète talentueux qui excelle dans les exercices d'acrobatie verbale, très remarqués notamment dans sa brochure «Parle, Ment, Tait» brillamment illustrée par Roger Pfund, qu'il a dédiée à tous les députés et qu'il a généreusement offerte à chacune et chacun.
Nous lui réitérons nos vifs remerciements pour cette belle fidélité à notre parlement.
Nous formons nos voeux les meilleurs pour la suite de toutes ses activités - que nous espérons très fructueuses - et lui souhaitons beaucoup de satisfaction et de bonheur en cultivant sa passion des arts et des lettres. Nous lui remettons le traditionnel stylo souvenir. (Mme le sautier descend de l'estrade et remet à M. René Koechlin le stylo souvenir. Chaleureux applaudissements.)
M. René Koechlin (L). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, très honnêtement je n'ai pas du tout le sentiment de mériter autant d'éloges. Je vous en remercie. Je ne voulais pas quitter ce Grand Conseil sans vous faire part de quelques réflexions. Rassurez-vous, elles seront brèves. Elles sont au nombre de quatre.
La première est une sorte de testament politique. Il faut bien, en quittant la vie publique, faire un bilan. J'en ai déjà informé quelques candidats aux prochaines élections, de sorte que certains parmi vous savent déjà ce que je vais dire.
Cette profession de foi s'énonce en trois termes. D'abord l'objectif: le progrès social. Si le progrès social consiste en l'amélioration des conditions de vie du plus grand nombre, je suis résolument pour le progrès social - et je crois que peu de personnes dans cette enceinte ne partagent pas cet objectif. Où les divergences commencent à poindre, c'est lorsqu'on parle des moyens de l'atteindre. En ce qui me concerne, ces moyens tiennent en deux termes d'une équation qui sont des constats historiques. Premier constat: il n'y a pas de progrès social, au sens où je viens de le définir, en dehors de la prospérité, prospérité économique s'entend. Deuxième terme de l'équation: il n'y a pas de prospérité en dehors de l'économie de marché, et ce n'est pas Tony Blair qui me contredira, tout socialiste qu'il soit.
Une voix. C'est un socialiste intelligent !
M. René Koechlin. Dès lors, les divergences qui apparaissent entre les diverses fractions de ce parlement portent essentiellement sur la manière dont on se propose de partager la prospérité aussi équitablement que possible. Et cette équité n'est pas interprétée de la même façon par tous ici dans cette enceinte. Dès lors, nous nous affrontons, nous nous disputons même par moments à ce sujet. Et c'est là, Mesdames et Messieurs, que j'aborde la deuxième réflexion dont je voulais vous faire part: les affrontements.
Je pense que dans ce Grand Conseil trop de députés confondent la polémique avec la politique. Or la polémique est stérile, elle ne mène à rien ! Tandis que la politique - celle pour laquelle nous avons été élus - la politique, elle, consiste à bâtir ou adapter ensemble l'appareil législatif, d'une part, et, d'autre part, à gérer l'application de cet appareil. Ça, c'est faire de la politique ! Et c'est ce que je vous enjoins vivement à vous efforcer de faire - et à renoncer, autant que possible, aux affrontements.
J'ai vécu dans ce Grand Conseil une époque où l'on recherchait davantage sinon le consensus du moins un compromis - le fameux compromis helvétique dont on parle tant - et je vous assure que, généralement, mieux vaut un compromis, qui nous permet au moins d'aboutir dans des projets, que les éternels affrontements stériles et inutiles.
Enfin, pour terminer, permettez-moi d'évoquer une des grandes leçons que m'ont enseignées ces vingt ans de politique; c'est que l'on peut affronter un adversaire, l'affronter toujours et sans répit, et, pourtant, éprouver pour lui du respect et de la sympathie - eh oui ! - et de sentir au fil des affrontements que ce respect et cette sympathie sont réciproques. Je crois que ce n'est pas Jean Spielmann qui me contredira...
Une voix. Tu as été mis en cause, là ! (Rires.)
M. René Koechlin. ... ni Christian Grobet, s'il était là - Dieu sait si je me suis souvent confronté à Christian Grobet, ou même, plus récemment à, Souhail, n'est-ce pas ? (L'orateur s'adresse à M. Souhail Mouhanna.)Nous avons rarement été d'accord, Souhail, et pourtant j'éprouve de la sympathie et beaucoup de respect pour toi. Alors, finalement, c'est ce qui ressort de plus positif de ces vingt années passées dans ce Grand Conseil.
Enfin, pour terminer, Madame la présidente, et avant de rendre définitivement la parole, je voudrais ici, en tant qu'architecte cette fois, briser une lance en faveur de l'Ecole d'architecture de l'Université de Genève, dont je sais que le Rectorat et le Conseil d'Etat - si je ne fais erreur - s'apprêtent à consacrer un enterrement de première classe, car c'est un enterrement de première classe que de vouloir intégrer une telle école à un Institut, encore virtuel, de l'Environnement. Mesdames et Messieurs, assimiler l'architecture à l'environnement, cela équivaut à confondre une symphonie de Mozart avec le barrissement d'un éléphant ou d'un rhinocéros ! (Commentaires.)De quoi faire retourner dans sa tombe Eugène Beaudouin, fondateur de l'Ecole d'architecture de l'Université de Genève, il y a cinquante-sept ans.
Mesdames et Messieurs, je vous enjoins à faire quelque chose pour que cette école soit maintenue, pour le bien culturel de notre canton !
Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, c'est sur cette note empreinte de crainte et de déception, mais non exempte de l'espoir que les autorités responsables redressent la barre de cette embarcation laissée à la dérive, que j'achève ici cette intervention. Je vous remercie de votre attention. (Vifs applaudissements.)
M. Pierre Weiss (L). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, René Koechlin a une passion pour l'architecture et son école, pour la politique, pour sa famille et pour son épouse dont je salue la présence à la tribune. C'est ce que nous raconte, d'ailleurs, le site de la famille Koechlin, où une page, spécifiquement, nous apprend à bien prononcer le nom, si souvent estropié en terre française.
René Koechlin, c'est aussi une personnalité de Genève qui, ce soir, abandonne son siège. Une personnalité citée 7290 fois sur le web, dont 683 fois ès qualité de président de ce Grand Conseil.
Avec son oeil malicieux, son humour perçant - il me permettra de dire «perçant», on cherchera les différences orthographiques - et puis, généreux avec ça - il nous offre l'armagnac de façon interposée, mais aussi ses oeuvres, incomplètes - René Koechlin, ce «Croche-Lénine» ou en réalité ce «Croque-Lénine», comme on le sait fort bien vu ses convictions politiques, à la démarche chaloupée, est un spécialiste, sur le plan international, de la politique du logement, de l'architecture, reconnu au-delà de nos frontières. J'aimerais, ce soir, qu'il le soit particulièrement dans cette enceinte.
Parce qu'il croit en la ville, il croit même dans notre ville - ce visionnaire aimerait tant voir surgir un nouveau quartier dans le Downtown Geneva. Il l'appelle de ses voeux du côté de la Praille, là où les fils bureaucratiques auraient cessé d'accrocher et d'empêcher de se mouvoir les géants de l'architecture et ceux qui aspirent à le devenir, pour permettre à notre agglomération de croître, de vivre tout simplement...
En la matière, son ambition pour la ville, pour notre canton et même notre pays, se situe dans la ligne de l'un de ses ouvrages: «Après hier, pour demain la Ville». Il y dénonce, certains le savent, les planificateurs autoritaires qui se méfient du marché, qui le refusent, qui le baîllonne, qui, ce faisant, baîllonne l'Homme. Il dénonce aussi le conformisme; il y dénonce l'argent roi mais aussi l'absence d'esthétique, le refus du beau. C'est d'ailleurs pour cela qu'il aime le MAMCO.
René Koechlin, c'est aussi un libéral viscéral, qui a été vice-président de notre parti de 1998 à 2002 - alors que Renaud Gautier en était président - et qui, depuis vingt ans, la présidente l'a rappelé, a siégé parmi nous, notamment comme président, lorsqu'il s'acharnait et réussissait à faire que l'ordre du jour soit moins encombré qu'aujourd'hui. Je passerai sur les commissions dont il a été le président, mais nous savons fort bien qu'il y a oeuvré avec élégance.
René Koechlin, c'est un insomniaque, c'est d'ailleurs ce qui lui permet aussi d'écrire, la nuit, des ouvrages de divers types, notamment: «La Fontaine des Fables», «Au dam d'Ames»... Puis, c'est surtout un indécrottable utopiste qui croit en l'autre, qui croit en l'Homme, qui croit en ce pays. D'où, par exemple, son projet de pyramide où il a pu glisser son amour du chiffre quatre - que sa famille connaît - mais aussi qui lui permet d'avoir dans cette pyramide qu'il voudrait pour la Suisse du 800e: quatre pans, quatre langues, quatre cultures, quatre fleuves pour quatre mers et quatre messages: le sport, l'art, la science, l'affect. Vous avez compris: René Koechlin, c'est un humaniste de la trempe de ceux qui, dans sa famille, ont su dessiner la tour Eiffel - c'était l'un de ses ancêtres alsaciens qui venait - le hasard - du même village que les miens, mais cherchez la différence... (Rires.)
Aujourd'hui, je voudrais donc, cher René, te rendre hommage en te disant non pas la prière d'un «W(e)iss», mais tout simplement merci: merci, au nom du parti libéral, au nom de tes collègues, pour ce que tu as fait pour la République et canton de Genève ! (Applaudissements.)
M. Robert Iselin (UDC). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, mon collègue Weiss a excellemment retracé l'essentiel de la magnifique carrière du député Koechlin que, la première fois que j'ai présidé à l'ouverture de ce Grand Conseil, j'ai eu l'impertinence de prononcer «Köchlinn», ce qui a déclenché un mouvement de foule... Je ne reviendrai pas sur ces détails !
Je voudrais simplement dire ce que ressent quelqu'un qui débarque, tout neuf, dans une assemblée comme la vôtre. (Brouhaha.)Il y a les grands ténors, il y a les pères de la patrie, ou les anciens, qui planent, et qui sont les expressions d'une certaine sagesse. René Koechlin était parmi ceux-là, et je puis vous dire qu'à l'UDC nous avons apprécié la timidité, souvent, parfois limite, apportée à ses interventions. Il y en a une parmi toutes celles qu'il a faites que je n'oublierai pas, c'est celle au sujet de ce qui s'est passé pendant la guerre quand nous étions - et vous êtes arrivé en Suisse à ce moment-là, je crois - entourés par l'Allemagne nazie. A tous ceux qui ne le réalisent pas, je peux dire que ce n'était pas marrant.
Cela dit, nous regrettons naturellement le départ de René Koechlin et de ne plus le voir assis tout près de nous, c'était réconfortant. Nous lui souhaitons bonne chance dans ses futures activités. (Applaudissements.)
M. Guy Mettan (PDC). Je ne peux pas faire l'éloge politique du député René Koechlin parce que, comme M. Iselin, je suis trop jeune dans ce parlement pour avoir pu apprécier tout ce que René lui a apporté, mais j'aimerais faire l'éloge de l'homme, de la personnalité de René.
En effet, derrière sa carapace un peu rugueuse, René cache au fond une grande sensibilité et une grande humanité. Pour nous, démocrates-chrétiens, vous savez que ce sont des qualités qui nous tiennent à coeur. Et si René a été un grand député libéral, c'est parce qu'il avait des qualités démocrates-chrétiennes... (Rires.)... qui sont celles du coeur ! Et il aurait pu adopter notre devise, qui est, comme vous le savez tous,...
Des voix. Une famille ! (Rires.)
M. Guy Mettan. «Au centre l'humain» ! (Rires.)Je constate que l'humour commence à faire ses effets, et je m'en réjouis - c'est aussi une des qualités de René.
Ce que vous devez savoir, c'est que nous devons la présence - avec ses qualités - de René dans cette enceinte à un gros coup dur professionnel qu'il a connu, il y une trentaine d'années. Ce coup dur l'a rendu insomniaque. Et, pendant toutes les nuits, René travaille. Au fond, c'est grâce à cet incident, qui a dû être dur pour lui, que nous avons eu la chance d'avoir le député, l'écrivain, parce que, chaque nuit, il se met à sa table pour travailler ses dossiers de député ou pour rédiger les livres que nous avons plaisir à lire. C'est important de le savoir. Je pense notamment à «La Fontaine des Fables», livre dans lequel il a réinventé toutes les fables de La Fontaine et que je vous recommande de lire.
Il faut aussi savoir que sa devise préférée est: «La vie est un grand théâtre». Et René, plus que quiconque d'entre nous, a compris que ce théâtre, ici, cette arène politique, était le meilleur lieu pour faire de la tragi-comédie, de la tragédie, pour jouer des drames. Il faut aussi retenir cette leçon de sa part.
Alors, je ne sais pas à quelle autre destinée tu aurais pu prétendre, mais je voulais te dire que - peut-être grâce à cela - nous te remercions d'avoir été un député brillant, un comédien et un tragédien hors pair. Nous savons que tu continueras à être un écrivain et un polémiste, dont on attend toujours les publications avec impatience. (Applaudissements.)
M. Pierre Kunz (R). Pour moi, qui suis un peu cousin radicalo-libéral de René Koechlin et pas aussi jeune que Guy Mettan, René n'est pas un homme comme les autres. Et il n'a pas, non plus, été un député comme les autres ! Tout à la fois bâtisseur, homme de lettres, homme politique et humaniste, il a toujours donné une belle image de ce que l'on appelait autrefois un gentilhomme.
Il possède une somme de talents que nous ne retrouvons dans leur intégralité - probablement, soyons prudent - chez aucun de nous, ses collègues. Comme c'est dommage ! Imaginez, Mesdames et Messieurs, combien seraient gratifiantes les sessions du Grand Conseil, si tous, ici, nous étions aussi compétents et sérieux dans notre travail que René Koechlin ? Si tous, ici, nous étions aussi lyriques - mais brefs - que lui dans les discours ? Si tous, ici, nous étions aussi amples et théâtraux dans notre gestuelle ? Si tous, ici, nous étions aussi fins poètes dans l'enchaînement des mots utilisés ? Si, enfin, nous étions tous aussi aimables que lui ? Tant pis, nous nous contenterons du possible ! N'empêche, ton personnage, René, nous manquera autant que ta personne. (Applaudissements.)
M. Souhail Mouhanna (AdG). Un mot à René, tout d'abord, pour le remercier des paroles aimables qu'il a prononcées à mon adresse et pour lui dire que j'ai beaucoup d'estime et de respect pour lui, tout en lui disant, en même temps, toute l'opposition que j'ai pour les idées qu'il défend, notamment l'économie de marché et tout ce qui va avec, comme les injustices sociales, l'exploitation de l'homme par l'homme... (Remarques.)... les inégalités, l'oppression des peuples, etc. (L'orateur s'adresse à M. René Koechlin.)Cher René, tu comprends donc - et cela confirme ce que tu avais dit dans ton intervention - qu'on peut effectivement être adversaires; et quand on est dans une enceinte pareille, en tant que représentants des citoyens et citoyennes du canton de Genève, on peut être des adversaires résolus mais pas des ennemis !
Par conséquent, je suis d'accord avec ce que tu as dit au départ et je te souhaite sincèrement une très heureuse retraite politique, en espérant que la personne qui te remplacera, une femme ou un homme, soit quelqu'un de la gauche authentique... (Rires.)Bonne route, René ! (Applaudissements.)
Mme Loly Bolay (S). Je m'associe à bien des propos qui ont été tenus concernant René Koechlin. J'aimerais simplement rappeler que c'est grâce aux insomnies de René Koechlin que la revue des députés a pu avoir lieu: c'est grâce à sa plume et à tout ce qu'il nous a «confectionné» tous les soirs - en effet, nous nous sommes vus pendant des semaines, des mois, pour faire cette revue. Et c'est grâce à toi, René, que nous l'avons réalisée ! J'aimerais donc t'en remercier - parce que je crois que vous tous y avez passé un très bon moment. Je te remercie encore. (Applaudissements.)
La présidente. J'appelle M. Pierre Guérini à la table des rapporteurs pour le rapport oral RD 590 de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil sur la compatibilité de Mme Sophie Fischer, remplaçante de M. René Koechlin, député démissionnaire.