République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9164-A
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi de MM. Claude Aubert, Olivier Vaucher, Pierre Weiss, Jacques Baudit, Jacques Follonier, André Reymond modifiant la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève (B 1 01) (Pétition)

Premier débat

M. Claude Aubert (L), rapporteur. Avec ce projet de loi, nous changeons complètement de registre. Nous allons nous poser des questions, que je trouve importantes, sur la manière dont fonctionne notre système démocratique et sur les voies par lesquelles les citoyennes et les citoyens peuvent influencer les affaires.

Je résume rapidement le contexte pour celles et ceux qui nous écoutent et qui ne connaissent pas forcément le sujet.

La population élit tous les quatre ans un législatif: le Grand Conseil, de même que tous les quatre ans un exécutif: le Conseil d'Etat, et un procureur général tous les six ans. Sans le savoir, la population réalise ce qu'on appelle la séparation des pouvoirs, dans le sens que, contrairement à ce que certains peuvent croire, ces différents pouvoirs ne sont pas subordonnés, mais indépendants, et chacun d'entre eux est légitimé par une votation. Tous les quatre ans, la population peut par conséquent influencer le cours des affaires par son vote, et, entre-temps, elle peut aussi influencer le cours des affaires, par exemple, par le biais d'un référendum ou d'une initiative.

Et c'est là que s'inscrit la problématique des pétitions... La pétition est un droit fondamental et absolument nécessaire au bon fonctionnement de nos institutions. Un certain toilettage doit être fait - on s'en rend compte lorsqu'on participe pendant des années à la commission des pétitions et qu'on lit ce qui s'y réfère - dans la mesure où la dernière expertise à ce sujet date de 1956, c'est-à-dire il y a près de cinquante ans. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)

D'une manière tout à fait générale, au-delà de la modification des textes, il nous paraît également important de préciser vraiment ce qu'on peut appeler «un état d'esprit», c'est-à-dire d'introduire, dans le traitement des pétitions, une logique de service à la population et non pas une logique de politisation.

C'est pourquoi nous avons proposé, après un premier essai qu'il a fallu modifier, certains points que je reprends rapidement. Le premier point concerne, au fond, le problème des auditions... Je rappelle que toute personne peut envoyer une pétition au Grand Conseil, munie de sa signature. C'est dire l'importance de la pétition. Si quelqu'un dépose une pétition, il peut s'attendre à être entendu par la commission des pétitions, ce qui semble aussi absolument naturel, mais, curieusement, le règlement, jusqu'à présent, ne stipule pas l'obligation d'auditionner un pétitionnaire...

Dans de très rares cas - et à la commission des pétitions ces décisions ont toujours été prises de manière unanime - la commission n'a pas souhaité auditionner un pétitionnaire, surtout lorsque celui-ci revient régulièrement sur des problèmes ou sur des questions personnelles qui ne concernent pas le Grand Conseil.

Nous avons donc proposé un premier ajout, je cite: «A l'unanimité, la commission peut décider souverainement de ne pas auditionner les pétitionnaires.» Ce qui signifie que la commission auditionne en général les pétitionnaires, mais qu'elle se réserve la possibilité de ne pas les auditionner. Le mot «souverainement», clarifie la situation dans ce sens que si la commission des pétitions prend une telle décision, c'est d'une manière souveraine et qu'on ne peut pas faire recours, notamment dans le cadre de quérulence, ou revenir sur une décision de la commission de ne pas auditionner.

Le deuxième point concerne, au fond, la pratique de la pétition avec la notion de classement. Actuellement, on a le sentiment d'avoir trois catégories de pétitions: les pétitions qu'on classe - dont on admet, par conséquent, qu'elles auraient pu être nettement meilleures - les pétitions qu'on dépose sur le bureau du Grand Conseil - qui font l'objet de longues discussions - ce qui signifie, d'une certaine manière, que les choses en restent là, et celles qui sont transmises au Conseil d'Etat - sur lesquelles on prend en quelque sorte position pour indiquer divers points à ce dernier.

Je reviens à la notion de classement. Le problème est relativement simple. De même que ce n'est pas la règle que les gens travaillent seize heures par jour - on peut penser que c'est épouvantable - on peut partir d'une exception pour en faire une règle, et dire très clairement qu'on ne procède à un classement que dans une situation exceptionnelle. Mais dans la notion de classement, il y a toujours une connotation négative. Et, par le biais de ce projet, nous aimerions faire passer l'idée qu'une pétition pourrait être classée pour des raisons tout à fait positives - et le texte l'indique - par exemple si le travail de la commission des pétitions avec les pétitionnaires débouche sur une médiation. Ce serait une raison positive de décider le classement de la pétition, ce dernier serait une façon de simplifier le travail, dans ce sens qu'une fois la pétition classée à l'unanimité la commission peut répondre directement aux pétitionnaires.

Nous devons nous placer dans une logique de service au public. Je vous rappelle que certaines pétitions attendent parfois un an, un an et demi, voire deux ans, qu'on daigne les traiter - nous avons actuellement vingt-sept pétitions à l'ordre du jour. Alors si c'est cela, prendre en considération les demandes de la population, eh bien, on est vraiment loin du but !

Il se pourrait qu'on rende service à certains pétitionnaires - même si cela ne se présente pas souvent - en leur disant directement que leur pétition est classée, que la commission fera un rapport annuel avec les quelques pétitions classées et le présentera au Grand Conseil, qui pourra, comme c'est le cas pour tout rapport, l'accepter ou le refuser, et, par conséquent, le renvoyer à la commission.

Troisième et dernier point: alors qu'auparavant 60% des pétitions étaient déposés sur le bureau, nous voyons que depuis à peu près une dizaine d'années environ 60% des pétitions sont renvoyés au Conseil d'Etat. Or nous voyons de plus en plus de pétitions porter sur des décisions de l'administration. On se trouve donc dans une situation conflictuelle, car, lorsqu'une pétition porte sur une décision de l'administration, il est tout à fait logique de la renvoyer au responsable de l'administration, qui est, justement, le Conseil d'Etat. Mais, dans l'esprit des commissaires, le fait de renvoyer une pétition au Conseil d'Etat signifie qu'ils sont d'accord avec la pétition. Alors, ils s'en tirent en déclarant dans le rapport qu'ils ne sont pas d'accord avec la pétition qu'ils renvoient au Conseil d'Etat, ce qui n'est pas très clair.

Nous préconisons par conséquent qu'une pétition déposée ne fasse pas l'objet d'un jugement de valeur, mais qu'elle ait valeur d'information pour la presse, le Conseil d'Etat, le Grand Conseil, les partis, les formations politiques, pour permettre à tout un chacun de se saisir du problème posé s'il le veut. Une motion peut parfaitement être déposée à partir d'une pétition - mais cela, c'est une décision d'une commission ou du Grand Conseil. Et en ce qui concerne le renvoi au Conseil d'Etat, et pour être beaucoup plus clair, il faudrait préciser que la pétition est renvoyée au Conseil d'Etat «pour examen», car on estime que c'est le Conseil d'Etat qui est responsable, surtout pour des questions concernant l'administration. En renvoyant une pétition au Conseil d'Etat, on rendra simplement service à la population, car c'est lui qui pourra la traiter.

Je rappellerai aussi - et ce sera ma conclusion - qu'en termes de décision de l'administration, on pourrait, par exemple, décider d'utiliser la voie du Tribunal administratif ou la voie de la pétition. C'est un problème pour la commission des pétitions, parce que nous devons parfois instruire, en quelque sorte, une pétition en demandant des justifications à l'administration pour savoir pourquoi telle ou telle décision a été prise. Et un certain nombre de commissaires estiment que ce n'est pas de leur compétence. Dans un tel cas, il faudrait pouvoir renvoyer la pétition directement au Conseil d'Etat qui pourrait la traiter. Ensuite, comme le Conseil d'Etat doit de toute façon faire un rapport dans les six mois, la commission aura, comme on dit en franglais, le feed-back. C'est-à-dire qu'après avoir lu le rapport du Conseil d'Etat, elle saura s'il y a lieu de persévérer ou si le Conseil d'Etat a fait ce qu'il fallait.

Il faut donc privilégier la logique du service au public et éviter ce qui est caricatural - ce n'est pas le cas maintenant - car on pourrait imaginer qu'un jour les pétitions soient traitées par la moulinette gauche-droite.

Présidence de Mme Marie-Françoise de Tassigny, première vice-présidente

M. Jean Spielmann (AdG). Le droit de pétition est inscrit à plusieurs niveaux dans notre législation: dans la Constitution fédérale et dans la constitution genevoise, de même que dans une loi spécifique: la A 5 10, qui règle le droit de pétition et donne des indications sur la manière de traiter les pétitions. Elle stipule notamment, en son article 4, alinéa 2, qu'un rapport doit être établi sur chaque pétition. Et je n'ai pas entendu que cette loi ait été modifiée... Alors, peut-on modifier le traitement des pétitions par le Grand Conseil, sans modifier la loi sur le droit de pétition de la population ?

Je le répète, ce droit est inscrit dans la loi A 5 10, qui comporte sept articles qui prévoient quelles sont les modalités de dépôt de la pétition, quel est le droit du pétitionnaire et quel est le devoir de l'autorité qui reçoit la pétition. Un article évoque la forme de la pétition; un autre prévoit la protection de ceux qui ont signé une pétition - on n'a en effet pas le droit de communiquer le nom des pétitionnaires à des tiers; un autre article mentionne l'étude de la pétition par la commission. La loi indique en son article 4, «Conclusions», alinéa 1: «Après examen de la pétition, l'autorité doit, soit: a) donner suite à la pétition dans les limites de ses compétences; b) la renvoyer à l'autorité compétente en la matière - c'est-à-dire au Conseil d'Etat; c) la classer». Elle stipule à l'alinéa 2: «Ses conclusions sont précisées dans un rapport.» Et, à l'alinéa 3, sur les devoirs, elle conclut: «L'autorité peut différer la publication de son rapport - sur une pétition - lorsque l'objet de la pétition est le même que celui porté devant les tribunaux.» Cela semble assez logique parce qu'on attend la suite donnée par les tribunaux avant de prendre une décision.

Cela veut dire en clair qu'en proposant un projet de loi par lequel vous voulez modifier le mode de fonctionnement du règlement du Grand Conseil à propos de l'examen des pétitions, vous ne réglez pas le problème du droit des pétitionnaires qui est prévu dans la loi A 5 10 qui, elle, n'est pas modifiée ! Alors, comment allez-vous faire respecter la loi A 5 10, qui prévoit précisément que chaque pétition doit donner lieu à un rapport, si vous décidez de ne pas en faire ? Il me semble, Mesdames et Messieurs les députés, qu'il y a là une contradiction ! Si vous voulez modifier notre règlement, il faut aussi modifier la loi, sinon vous ne respectez pas le dispositif légal, qui donne le droit aux citoyens d'adresser une pétition à l'autorité et d'obtenir un rapport sur cette pétition.

La présidente. Je vous remercie, Monsieur Spielmann. Oui, Monsieur le rapporteur, vous voulez la parole immédiatement.

M. Claude Aubert (L), rapporteur. Il faudrait que M. Spielmann lise entièrement la loi A 5 10 et, surtout, le dernier article, soit l'article 7, «Pétitions adressées au Grand Conseil». Je le cite: «Pour le surplus, la procédure d'examen des pétitions adressées au Grand Conseil est régie par la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève, du 13 septembre 1985.» De ce point de vue, il me semble qu'il est tout à fait possible de travailler au niveau de la loi portant règlement du Grand Conseil. Bien évidemment, si des objections claires sont formulées, il faudra voter.

Pour ma part, je pense que les lois doivent lues jusqu'au bout !

M. Antonio Hodgers (Ve). Si les commissaires, dont moi-même, avons voté ce projet de loi en commission, le groupe des Verts, dans le cadre de son caucus, a tenu à approfondir un peu plus la question et à soulever certains problèmes. Cela nous a conduits à douter de l'opportunité d'approuver ce projet de loi aujourd'hui... Parmi ces problèmes, il y a celui soulevé à juste titre par M. Spielmann, à savoir qu'il y a une contrepartie légale à cette procédure réglementaire.

Mais il y a un problème de fond plus important. En effet, un arrêt du Tribunal fédéral précise: «A travers le droit de pétition, le citoyen doit avoir la possibilité d'être entendu par les autorités. Dans le cas contraire, le droit de pétition n'aurait guère de portée. L'autorité qui fermerait la porte aux pétitions ou qui ne les transmettrait pas à l'autorité à laquelle elles sont destinées violerait la Constitution».

Alors, la question qui se pose porte essentiellement sur le nouveau système prévu, soit le classement de la pétition qui serait décidé à l'unanimité de la commission - puisqu'il me semble, Monsieur Aubert, que nous sommes d'accord sur les autres dispositions, qui ne posent pas de problème.

Avec cette disposition, une pétition qui serait déposée au service du Grand Conseil ne serait pas publiée à ce moment-là, puisqu'elle serait renvoyée directement en commission des pétitions où la procédure est confidentielle, et ne figurerait pas à l'ordre du jour et, donc, ni au Mémorial. Et si elle venait à être classée à l'unanimité de la commission, elle ne ferait pas l'objet d'un rapport spécifique, elle figurerait dans un rapport annuel qui ne contiendrait peut-être que quelques lignes. Il faudrait, du reste, être très clair sur ce que contiendrait ce rapport annuel, car cela pourrait juste être quelques lignes - on le voit dans le cadre de la commission des Droits de l'Homme... Cette disposition permettrait à une pétition de passer, en quelque sorte, incognito au sein de notre parlement, et, du coup, la clause stipulant le droit d'être entendu par l'autorité ne serait pas respectée... En effet, la commission des pétitions n'est pas une autorité en soi, et le droit d'être entendu est celui de l'être par ce parlement et pas seulement pas la commission. Dès lors, un rapport établi pour chaque pétition nous paraît indispensable, pour respecter le droit constitutionnel des citoyens d'être entendus.

C'est pour ce motif que nous ne voterons pas ce projet de loi. Si cette intervention devait entraîner des réactions ou des accords, nous pourrions éventuellement accepter de le renvoyer en commission pour étude.

M. François Thion (S). Je ne fais pas partie de la commission des droits politiques, et je ne voulais pas intervenir sur les sujets évoqués à la fois par M. Spielmann et par M. Hodgers... Je pense partager leur point de vue, mais je voulais surtout intervenir par rapport aux propos tenus par M. Aubert au sujet du droit de pétition. En effet, il a dit qu'on pouvait déposer une pétition avec une seule signature... C'est tout à fait juste. Je voudrais toutefois préciser que le droit de pétition à Genève n'est pas réservé aux seuls citoyens suisses: les citoyens étrangers peuvent l'exercer aussi. Et je vous signale également qu'il n'y a pas d'âge pour signer une pétition: il suffit de comprendre le sens de la pétition pour pouvoir la signer. Je pense qu'il était utile d'apporter ces précisions.

Pour ce qui est de la durée du traitement des pétitions, quelques-unes traînent un peu dans notre ordre du jour - c'est vrai - mais, la commission des pétitions est très souvent d'accord, ce qui fait que ces pétitions sont ensuite traitées dans les extraits, au cours de la séance du vendredi après-midi. Cela va donc assez vite la plupart du temps. C'est tout ce que je voulais dire pour le moment.

M. Pierre Guérini (S). Il est vrai qu'en commission nous avons eu une belle unanimité pour voter ce projet de loi. Mais après avoir entendu M. Spielmann et M. Hodgers - nous avions déjà fait la remarque en commission sur le droit d'être entendu, et cela figure dans le rapport - je demande formellement le renvoi de ce projet de loi en commission, pour pouvoir approfondir les problèmes soulevés.

La présidente. Merci, Monsieur le député. Monsieur Annen, le renvoi en commission ayant été demandé, je vous prie de vous exprimer sur ce point.

M. Bernard Annen (L). Faut-il renvoyer ce projet de loi en commission ? Si, oui, pourquoi?

Je suis par conséquent bien obligé de m'exprimer sur cette deuxième question... (Rires.)... car cela n'aurait aucun sens que je me contente de dire que je ne suis pas favorable à ce renvoi...

J'ai souvent estimé, Madame la présidente, lorsque je présidais ce Conseil, que cette règle n'était pas très judicieuse. Il suffisait en effet que le premier intervenant demande le renvoi en commission à la fin de son intervention, après s'être exprimé sur le fond, pour que tous les intervenants inscrits après lui ne puissent plus s'exprimer sur le fond, ce qui me paraissait totalement injuste, parce que, lui, avait pu s'exprimer sur le fond !

Peu importe, je vais essayer de me conformer à votre demande, Madame la présidente, et de ne m'exprimer que sur le renvoi en commission.

Je voudrais quand même dire que M. Spielmann a tout à fait raison, sauf sur un point: c'est que la loi portant règlement du Grand Conseil indique clairement que l'un des sorts possibles de la pétition est le classement ! Et notre collègue Aubert a très justement demandé ce que nous pouvions faire par rapport à ce classement. Peut-on dire qu'on ne fait pas de rapport lorsqu'on décide de classer une pétition ? Quand la pétition revient de la commission des pétitions, peut-on dire, M. X ayant été malhonnête, qu'elle doit être classée parce qu'aucune motivation ne justifie de lui donner un autre sort ? Est-ce un rapport ?

Une voix. Oui !

M. Bernard Annen. Ce n'est pas un rapport ! Et en admettant que ça en soit un, la seule chose - et il n'y a aucune règle qui nous l'impose - que ce projet nous propose de modifier, c'est de ne faire qu'un seul rapport pour l'ensemble des pétitions, ce qui signifierait qu'on ne leur donne pas de suite. Et, à ce moment-là... (L'orateur est interpellé par M. Spielmann.)

Monsieur Spielmann, laissez-moi parler ! Vous faisiez allusion tout à l'heure à l'article 172... Lorsque le Grand Conseil vote à la majorité le renvoi de la pétition au Conseil d'Etat ou à une autre autorité compétente - il s'agit de la lettre b) - un rapport doit être établi dans les six mois. Ce n'est pas du tout la même chose lorsque le Grand Conseil applique la lettre c) - le dépôt sur le bureau à titre de renseignement !

Que sommes nous en train de faire aujourd'hui ? On ne supprime aucun droit démocratique, on essaye seulement de simplifier la procédure - comme l'a très justement dit M. Aubert - par rapport à l'information qui doit être fournie vis-à-vis de la population !

Pour ceux qui craignent qu'une pétition ne puisse suivre son cours normal, je dirai que, même si le Grand Conseil la classait, celui-ci peut la reprendre à son compte en déposant une motion, une résolution, ou quelque autre acte législatif possible.

Lorsque M. Aubert est venu nous expliquer la proposition de la commission des pétitions à la commission des droits politiques, cette dernière tout entière a été convaincue par ses arguments et l'a votée. Aujourd'hui, certains d'entre vous émettent des réserves... Cela me paraît normal, c'est justifié, mais j'espère avoir pu clarifier la situation.

A partir de là, je pense qu'il est totalement inutile de renvoyer ce projet de loi en commission, tout simplement parce que sa majorité a toujours soutenu ce projet et qu'elle continuera à le soutenir si ce projet est renvoyé en commission. Certains des membres de l'Alternative ont changé d'opinion suite à de nouveaux arguments, ce qui est leur droit le plus strict... (L'orateur est interpellé par M. Spielmann.)Ne vous inquiétez pas, Monsieur Spielmann, la loi, on la respecte ! Vous pouvez toujours faire un recours: vous connaissez toutes les ficelles à ce niveau ! Et le projet nous sera à nouveau soumis en plénière et nous devrons voter.

Je vous suggère donc, Mesdames et Messieurs, de refuser le renvoi en commission et de voter ce projet de loi. Parce qu'enfin, il faut que nous avancions un peu dans ce parlement et cessions de nous arrêter pour une virgule ! Car, au fond, vous demandez le renvoi en commission de ce projet pour un détail que vous contestez !

M. Christian Grobet (AdG). J'ai le regret de vous dire, Monsieur Aubert, que vous avez tort juridiquement parlant, ainsi que l'ancien président du Grand Conseil qui vient de s'exprimer... Dans la loi sur le droit de pétition, il est clairement stipulé que la pétition doit faire l'objet d'un rapport. Vous citez un autre article où il est effectivement indiqué que, pour le surplus, le règlement du Grand Conseil peut prévoir un certain nombre de dispositions... Mais ces dispositions ne peuvent être que supplémentaires ! C'est ce qu'on appelle du droit supplétif: le Grand Conseil peut compléter la loi sur le droit de pétition, mais il n'est pas possible que deux lois, qui sont à un niveau hiérarchique équivalent, mentionnent deux choses différentes. Il y aura une contradiction entre la loi fondamentale sur le droit de pétition qui prévoit un rapport et votre règlement du Grand Conseil qui dira le contraire. Je suis navré de vous le dire, mais ça n'est pas possible ! Pour ce seul motif, il faut effectivement renvoyer ce projet de loi en commission.

Et je suggérerai à ce propos qu'il soit renvoyé à la commission législative. Non pas parce que j'en suis le président, mais parce que le problème en cause est d'ordre institutionnel. Je rappelle que le droit de pétition est probablement le plus ancien droit de réclamation pour nos citoyennes et citoyens. Il y a du reste des ouvrages sur le droit de pétition: c'est un droit très ancien en droit suisse. Et l'exercice de ce droit exige le respect d'un certain nombre de principes, dont le droit d'être entendu, et ce, dans tous les cas. En supprimant ce droit dans le règlement du Grand Conseil, vous violez tout simplement la Convention européenne des droits de l'Homme, qui, maintenant, régit fort heureusement nos institutions législatives suisses et a permis de corriger un certain nombre de règles qui étaient effectivement contraires aux principes modernes du droit.

D'autre part, qu'est-ce que le droit de pétition ? C'est donner la possibilité à n'importe quel citoyen de déposer, de saisir l'autorité suprême - qui est le Grand Conseil, après le peuple - pour lui soumettre un problème. Evidemment, la moindre des choses serait qu'il y ait une réponse écrite. Même si une pétition est absurde, il serait absolument scandaleux qu'elle ne fasse pas l'objet d'un rapport, c'est-à-dire d'un document écrit dans lequel le pétitionnaire prend connaissance des motifs pour lesquels sa pétition a été refusée ou classée. C'est un droit tellement élémentaire que je n'arrive même pas à comprendre - alors que vos rangs comptent d'éminents juristes et d'éminents hommes d'Etat qui sont à l'origine de nos institutions - que vous prétendiez aujourd'hui éliminer ces bases que n'importe quel juriste digne de ce nom vous confirmera !

Vous allez donc, premièrement, avoir deux lois qui se contredisent et, deuxièmement, adopter des règles qui ne sont pas conformes à notre ordre juridique. Je pense que c'est du mauvais travail ! La commission des pétitions n'a peut-être pas été éclairée... Avez-vous fait appel à un expert pour vous donner des explications à ce sujet ? (L'orateur est interpellé.)Non, je ne prétends pas du tout être un expert ! Même si le Bureau m'a fait l'honneur de m'inviter tout à l'heure pour que je me prononce sur un problème délicat. Et je pense ne pas m'être trompé dans mon raisonnement, d'après le résultat du vote... (L'orateur est interpellé.)Je ne prétends pas du tout avoir la science infuse, cher Monsieur ! Je crois simplement que les bons juristes savent précisément être modestes...

La présidente. Monsieur le député, je vous prie de vous exprimer sur le renvoi en commission !

M. Christian Grobet. Je demande le renvoi en commission, parce que j'ai le sentiment qu'on ne s'est pas entouré des spécialistes de la question pour connaître leur avis, et je pense que la commission des pétitions n'a pas la compétence de traiter une question institutionnelle. Et les questions institutionnelles de notre canton sont, de manière générale, traitées par la commission législative. Je demande donc formellement le renvoi de cet objet à la commission législative.

La présidente. Merci, Monsieur le député. Monsieur Follonier, vous avez la parole. Je vous rappelle que vous devez essentiellement vous exprimer sur le renvoi en commission.

M. Jacques Follonier (R). Je pense que M. Grobet a raison sur le fond, mais pas sur la forme. Il me semble qu'il ne faut pas renvoyer ce projet de loi en commission...

Pourquoi ? C'est très simple ! Je siège depuis trois ans dans cette commission, et j'ai un plaisir immense à y siéger, car elle a l'avantage d'être, comme le soulignait M. Grobet, proche du peuple, proche de ses préoccupations, ce qui permet de prendre régulièrement le pouls et la température de notre canton. Mais, c'est vrai, nous avons - et ceux qui y ont siégé, que ce soit au cours de cette législature ou les précédentes, s'en sont aperçu - souvent des problèmes par rapport à certaines pétitions qui touchent à l'honneur, à l'intégrité, voire à la diffamation. Et nous ne savons pas comment traiter ce genre de pétitions, car ce n'est pas vraiment simple.

La possibilité qui nous est offerte aujourd'hui est effectivement une nouveauté: elle consiste à ne pas entrer en matière sur une pétition si la commission - et on l'a bien dit - décide unanimement de ne pas le faire. Je conçois qu'il y a un problème moral et juridique, mais il y a un moyen très simple pour éviter cela - qui nous permettrait de nous épargner un renvoi en commission - en supprimant le mot «annuel», à l'alinéa 5 de l'article 171. Il suffirait qu'un bref rapport soit renvoyé à chaque fois au Grand Conseil.

Nous pourrions ainsi adopter ce projet de loi, sans le renvoyer en commission, ce qui nous prendrait passablement de temps et nous ennuierait peut-être beaucoup.

La présidente. Merci, Monsieur le député. Si vous avez un amendement formel à proposer, il faut le déposer. Monsieur André Reymond, vous avez la parole.

M. André Reymond (UDC). Comme cela est indiqué dans le rapport de M. Claude Aubert, la pétition est une information, un signal en quête de récepteurs.

Sur le plan législatif - c'est vrai - la partie concernant les décisions du Grand Conseil n'est pas suffisamment explicite, surtout pour évaluer le sens du renvoi de la pétition au Conseil d'Etat, par opposition à un dépôt sur le bureau du Grand Conseil.

Il a été signalé que certaines pétitions traînaient pendant de longs mois ou, même, des années. Mais il ne faut pas que la commission des pétitions devienne un Etat dans l'Etat, et le droit d'être entendu n'est pas exigé par la loi. Je voudrais toutefois souligner que M. Aubert a clarifié le rôle de cette commission dans son rapport...

La présidente. Monsieur le député, vous devez vous exprimer essentiellement sur le renvoi !

M. André Reymond. Justement, je m'exprime sur le renvoi ! C'est dans ce sens que M. Aubert a bien expliqué la différence entre le classement d'une pétition, son dépôt sur le bureau du Grand Conseil et son renvoi au Conseil d'Etat.

Je n'aimerais pas que ce gros travail, fourni par M. Aubert et par la commission - je peux vous dire, pour y avoir siégé, que nous nous sommes donné de la peine pour arriver à quelque chose de compréhensible - soit vain.

Sur le plan juridique, on peut certes émettre des réserves, mais, sur le plan politique et puisque la majorité de la commission était d'accord d'accepter ce projet de loi, je vous invite à refuser son renvoi en commission des droits politiques.

M. Antonio Hodgers (Ve). Par rapport au renvoi en commission, je trouve votre initiative louable, Monsieur Follonier, mais j'attire juste votre attention sur le fait que plusieurs autres dispositions pourraient poser problème. Notamment, l'alinéa 4 de l'article 171, qui stipule que la commission répond directement aux pétitionnaires... Or la commission est saisie par le Grand Conseil. C'est donc à lui qu'elle doit répondre et non pas directement aux pétitionnaires. Ainsi, il faudrait également modifier cet alinéa.

Par ailleurs, Monsieur Aubert, il me semble que vous avez omis dans votre récapitulatif de signaler le vote portant sur la suppression de l'alinéa 2 de l'article 172. Donc, si on vote ce soir le projet de loi tel qu'il figure à la fin de votre rapport, cela ne correspondra pas à ce que nous avons voté en commission.

Pour tous ces motifs, je vous invite à renvoyer ce projet de loi en commission. Il faut dire que notre commission des droits politiques n'a pas très bien travaillé sur le sujet. Pour ma part, je présente mes excuses à ce parlement, parce que cela représente tout de même une perte de temps... Je pense que nous pouvons quand même tirer quelque chose de positif de ce projet de loi, c'est pourquoi, je le répète, je vous propose de le renvoyer en commission.

La présidente. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, je vous propose de clore la liste des intervenants. S'exprimeront encore M. le rapporteur Claude Aubert et M. le conseiller d'Etat Robert Cramer. Ensuite, je vous soumettrai le renvoi de ce projet de loi à la commission législative.

M. Claude Aubert (L), rapporteur. Merci, Madame la présidente. Je vais répondre brièvement à un ou deux points. Ce projet n'émane pas de la commission des pétitions: il s'agit d'un rapport de la commission des droits politiques ! Tout cela pour dire que certaines personnes ne lisent pas forcément les projets qui nous sont soumis...

Par ailleurs, évidemment qu'il est extrêmement facile de dire qu'on s'attaque à l'exercice du droit de pétition, tellement facile que c'est même un peu désolant d'en arriver à un niveau de discussion aussi bas. Cela a été souligné, le droit de pétition est un droit absolu !

Je vous rappelle aussi que le droit d'être entendu a fait l'objet d'une discussion. Si vous me trouvez l'article de loi stipulant qu'il y a actuellement obligation d'entendre les pétitionnaires d'être entendu est obligatoire, eh bien, vous me le signalerez !

Enfin, cela ne m'intéresse absolument pas d'entrer dans une «moulinette» gauche-droite... Parce que c'est vraiment toujours la même chose !

Alors, je ne m'oppose pas à un éventuel renvoi en commission, mais j'aimerais simplement dans ce cas, si la commission est à nouveau unanime, que ce vote unanime ne soit pas ensuite contredit par un autre vote. Ce serait une spirale sans fin !

Ma proposition fait en sorte que les pétitions soient un service à la population, et je trouve qu'elle ne doit pas s'arrêter à la «moulinette» gauche-droite.

M. Robert Cramer, président du Conseil d'Etat. Je dois confesser que cette année passée à la présidence du Conseil d'Etat m'a un peu éloigné de la commission des droits politiques, et je le regrette.

Cela étant, je dois vous dire aussi - et nous nous sommes concertés avec mon collègue Pierre-François Unger - que, si d'aventure ce projet de loi n'est pas renvoyé en commission, le Conseil d'Etat ne demandera pas le troisième débat. Parce que les problèmes juridiques - mais peut-être est-ce ma formation de juriste qui m'y rend sensible - soulevés tout à l'heure par M. le député Grobet sont extrêmement sérieux et délicats.

Le droit d'être entendu est un droit sacré. Et la perspective que, peut-être - peut-être, Monsieur le rapporteur ! parce qu'il va de soi que je ne saurais soupçonner aucun des membres de ce parlement d'une quelconque volonté de porter atteinte à ce droit - par une rédaction un peu malheureuse, nous puissions porter atteinte à ce droit, exige assurément un examen tout à fait sérieux auquel nous entendons procéder.

J'ajoute enfin qu'une actualité tragique et relativement récente en Suisse nous montre bien qu'il est nécessaire pour nos concitoyens de bénéficier d'oreilles qui les écoutent, des oreilles institutionnelles, et aujourd'hui de façon plus impérieuse que jamais.

C'est dire que le renvoi de ce projet de loi en commission semble s'imposer, sans en faire une question gauche-droite, simplement pour être sûrs que nous avons bien examiné que ces droits supranationaux ont bien été respectés.

J'ajoute aussi que la commission à laquelle ce texte pourrait être renvoyé - probablement à la commission législative, effectivement - devra absolument entendre la commission des pétitions, pour que les vrais problèmes posés par ce projet de loi puissent être examinés et trouver également réponse.

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je mets aux voix le renvoi de ce projet - le dernier que nous traiterons ce soir - à la commission législative. Le vote électronique est lancé.

Mis aux voix, le renvoi de ce projet à la commission législative est adopté par 62 oui contre 11 non et 3 abstentions.