République et canton de Genève

Grand Conseil

E 1285
Election d'une ou d'un Juge au Tribunal de la jeunesse (Entrée en fonction : 18 octobre 2004) (loi 8921 du 24 octobre 2003)

Le président. Sont parvenues à la présidence les candidatures de Mme Sylvie Wegelin, présentée par le parti socialiste, et de Mme Fabienne Proz Jeanneret, présentée par le parti radical.

La parole est à M. le député Alain Charbonnier.

M. Alain Charbonnier (S). Mesdames et Messieurs les députés, lorsqu'une élection judiciaire a lieu devant notre Grand Conseil, deux cas de figures peuvent se présenter: soit, premièrement, un poste se libère au sein de la magistrature, et l'élection d'un nouveau juge est dès lors politique puisque les partis gagnent ou perdent un poste; soit, deuxièmement, lorsqu'il s'agit d'une rocade interne ou d'un changement de juridiction par des juges déjà en place, aucun parti ne gagne ou ne perd de poste.

L'élection qui nous préoccupe ce soir est à placer dans le deuxième cas de figure, puisque les deux candidates sont déjà des juges en fonction. Mme Sylvie Wegelin, socialiste, est juge au Tribunal de première instance, et Mme Fabienne Proz Jeanneret, radicale, est juge au Tribunal des tutelles.

En cas de tournus, et pour des magistrats à compétences égales, la magistrature et la commission judiciaire interpartis ont toujours privilégié le principe de l'ancienneté. Ce principe garantit l'égalité de traitement entre tous les magistrats, protège les juges appartenant à des partis minoritaires et évite les querelles au sein de la magistrature. Ce principe de tournus, basé sur l'ancienneté et le cursus, évite aussi la politisation des élections judiciaires. Si, à l'avenir, les élections judiciaires devaient se politiser, le risque serait grand de la perte d'indépendance des juges vis-à-vis des justiciables, qui ne doivent pas craindre la couleur politique du juge devant lequel ils comparaissent.

Si l'on revient à l'ancienneté et au cursus, on s'aperçoit que Mme Proz Jeanneret totalise, elle, onze ans de magistrature au Tribunal tutélaire, et que Mme Sylvie Wegelin compte, quant à elle, onze ans également au Tribunal tutélaire et douze ans au Tribunal de première instance. Vingt-trois ans au total, donc une expérience plus étendue, notamment au bénéfice d'une juridiction pénale.

Devant l'égalité des compétences, qu'il faut préciser, des deux candidates, les commissions judiciaires de tous les partis, à part celle des radicaux, ont préavisé en faveur de l'ancienneté du cursus et ont privilégié la candidature de Mme Sylvie Wegelin. Evitons de susciter un précédent en politisant inutilement ces élections judiciaires. Si le parti radical a de nouvelles propositions à faire à la commission judiciaire interpartis sur le système d'élection des juges, c'est son droit. Mais qu'il le fasse à tête reposée, et sans bousculer de cette façon la pratique actuelle, qui a rencontré jusqu'à présent l'adhésion de tous les partis.

Nous vous recommandons de suivre la très large majorité des commissions judiciaires des partis et de soutenir la candidature de Mme Sylvie Wegelin.

M. Hugues Hiltpold (R). L'honneur m'échoit de vous présenter, au nom du parti radical, la candidature de Mme Fabienne Proz Jeanneret au poste de troisième juge au Tribunal de la jeunesse.

Mme Proz Jeanneret a fait toutes ses études à Genève et a obtenu une licence en droit en 1981, puis son brevet d'avocat trois ans plus tard, en 1984. Elle a pratiqué au barreau, plus spécialement dans le domaine du droit pénal et du droit de la famille. Elle a été membre de la commission fédérale pour la jeunesse, nommée par le Conseil fédéral, sous la présidence d'Arnold Kohler, puis de Ruth Dreifuss. Elle a été juge suppléante au Tribunal de la jeunesse pendant plus de trois ans et a ainsi pu, pendant tout son travail, mener des audiences d'instruction, d'une part, et présider des audiences de jugement, d'autre part. Elle a été élue comme magistrate de carrière en 1993 au Tribunal tutélaire et à la Justice de paix, où elle s'occupe, depuis plus de onze ans, des mesures de protection concernant des enfants, et elle a l'habitude de travailler avec ces enfants, elle a l'habitude également de travailler avec le service de la protection de la jeunesse et le service du tuteur général, qui sont des services qui collaborent avec le Tribunal de la jeunesse.

L'atout de cette juge, spécialisée pour les mineurs et qui a - je vous le rappelle - déjà travaillé comme suppléante au Tribunal de la jeunesse, est qu'elle est opérationnelle rapidement. Nous estimons qu'il s'agit là d'une qualité énorme, parce que cette juridiction est surchargée, au vu de la recrudescence de la délinquance juvénile. J'ajoute que l'âge des adolescents qui commettent des délits est de plus en plus jeune, et que la gravité des effractions va en s'accroissant - c'est dire si le rôle du juge est délicat. Nous estimons que la spécialisation doit primer sur toute autre considération dans ce domaine particulier.

S'agissant du principe de l'ancienneté, mis en avant dans cette élection et rappelé par M. Charbonnier, je rappellerai quant à moi que Mme Proz Jeanneret a vingt-deux ans d'expérience professionnelle, dont onze dans la magistrature. Même si c'est - je vous l'accorde - une expérience deux fois moins longue que celle de la candidate socialiste dans la magistrature, le nombre total d'années d'expérience professionnelle est le même. Cela dit, Mme Proz Jeanneret a fait le choix de pratiquer le barreau au préalable, car elle estimait qu'une expérience dans ce domaine était nécessaire pour les décisions qu'elle serait amenée à prendre au Tribunal.

En guise de conclusion, nous sommes convaincus que Mme Fabienne Proz Jeanneret est la bonne personne pour ce poste et qu'elle mettra, à n'en point douter, toutes ses connaissances, ses compétences et son énergie à s'occuper des citoyens de demain - car c'est d'eux dont il s'agit. Je terminerai sur un petit fait: si Mme Wegelin devait être élue ce soir, sur les trois magistrats de cette juridiction, deux seraient socialistes...

M. Patrick Schmied (PDC). Le groupe démocrate-chrétien est favorable au système de règles internes au Palais de justice, dans la mesure où ce système permet d'aménager des plans de carrière pour les magistrats et dans la mesure aussi ou il essaie de garantir la sérénité et l'indépendance de ces magistrats.

Aujourd'hui, nous constatons que le Palais a échoué dans l'application de ses propres règles, et nous le regrettons. Nous regrettons en particulier que le Procureur général n'ait pas usé de son autorité pour dégager une solution qui, nous le savons, existait. Le résultat est que les députés sont aujourd'hui mis devant un choix qu'ils doivent effectuer eux-mêmes, en se basant sur les informations dont ils disposent. Dans ces conditions - et en guise d'avertissement au système judiciaire - nous avons opté pour la liberté de vote. Chacun de nos députés choisira donc, en son âme et conscience, la candidate qui lui paraît la plus compétente.

M. Christian Grobet (AdG). Je me permets de déplorer vivement la situation dans laquelle nous nous trouvons ce soir, face à cette élection. Je rappellerai que notre petite République, très attachée - bien entendu - à l'élection populaire des juges, a été confrontée, il y a quelques années, à une élection qui a posé beaucoup de problèmes.

Suite à cette élection populaire, la commission législative a voulu trouver une solution et déterminer des critères, afin de mettre en place des élections judiciaires qui ne soient pas politisées. C'est ainsi - fait assez exceptionnel - que la commission judiciaire interpartis, qui compte un représentant de chaque parti siégeant au Grand Conseil, s'est vu certaines prérogatives lui échoir, et notamment celle d'obtenir des renseignements auprès du conseil supérieur de la magistrature, sur les qualités, les problèmes et le fonctionnement des magistrats de l'ordre judiciaire. Nous avons considéré que le travail de cette commission interpartis pouvait énormément faciliter ces élections judiciaires. Je crois qu'on peut véritablement remercier la commission interpartis pour le travail qu'elle a accompli ces dernières années, puisqu'on est arrivé, de manière générale, à des solutions raisonnables de représentation et d'accords consensuels. Il y a eu, bien entendu, l'élection ouverte du procureur général, car il est vrai que ce poste a un caractère différent de celui des magistrats ordinaires.

Une des règles instituées par la commission interpartis, que M. Charbonnier a rappelée tout à l'heure et qui est une règle tout à fait logique et appliquée systématiquement, est le principe d'ancienneté. Il paraît normal, entre parenthèses, qu'un magistrat qui siège depuis de nombreuses années dans une juridiction puisse aussi, à un moment donné, en changer. Cette règle a été systématiquement appliquée, à moins qu'il ne soit démontré que le candidat qui invoque l'ancienneté n'ait pas les capacités de siéger au poste pour lequel il postule.

Dans le cas qui nous concerne, nous sommes face à deux excellentes magistrates, étant précisé que l'une a quand même une expérience beaucoup plus large que l'autre - mais je n'entends pas les différencier. Vous avez cru bon de faire, M. Hiltpold, une allusion politique qui semble déplacée, étant donné qu'il y a d'autres juridictions que votre parti monopolisait - et des juridictions peut-être plus importantes. On pourrait surtout souligner que Mme Wegelin, qu'on aimerait avoir parmi les juges du Tribunal de la jeunesse, est mère de famille. C'est là aussi un élément important, selon nous, en ce qui concerne l'expérience.

En-dehors de ces questions, vous êtes aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les radicaux, en train d'ouvrir la boîte de Pandore. On a vu que beaucoup de démarches insistantes ont été effectuées pour promouvoir la candidature radicale. Vous me direz que c'est le jeu politique, mais si, à chaque élection judiciaire, nous devons procéder ainsi, vous verrez que la sérénité qui régnait jusqu'à présent va sérieusement se dégrader. Contrairement à ce qu'un journaliste voudrait nous faire croire, je pense qu'il n'est pas du tout dans l'intérêt du pouvoir judiciaire d'avoir des élections disputées, où chacun essaie de faire connaître ses qualités, alors que la majorité d'entre nous ne connaît même pas les qualités professionnelles des candidats.

La position de la commission judiciaire interpartis était claire: la règle de l'ancienneté s'applique, à moins qu'il n'y ait des inconvénients majeurs. Dans le cas particulier, il n'y en avait pas. Je vous recommande, Mesdames et Messieurs, pour ne pas causer un précédent grave et pour ne pas provoquer, à l'avenir, des élections semblables à celle que nous vivons en ce moment, de voter pour la personne qui a la légitimité d'être élue aujourd'hui, à savoir Mme Wegelin.

Mme Michèle Künzler (Ve). Parmi les Verts, c'est vrai qu'il y a eu des discussions. Nous sommes face à deux personnes extrêmement compétentes - c'est tant mieux ! Et sans doute le mieux serait-il de les engager toutes les deux, au vu des nombreuses causes à juger...

Cependant, pour ne pas céder sans cesse aux pressions, pour maintenir la sérénité lors de l'engagement des juges, nous préférons respecter l'usage; c'est pourquoi nous donnerons nos voix à Mme Wegelin. Nous espérons que le parti socialiste, au moment où une autre place sera libérée au Tribunal de la jeunesse, appuiera alors la candidature de Mme Proz Jeanneret. L'usage sera ainsi respecté - la patience aussi est une vertu.

M. Michel Halpérin (L). C'est vrai que nous sommes face à deux personnalités de talent, deux personnes de qualité, deux magistrates compétentes, dont j'ajoute qu'elles sont l'une et l'autre mères de famille, puisque apparemment ce critère fait désormais partie de ceux auxquels nous devons songer.

C'est vrai aussi qu'il y a des usages au sein de la commission dite interpartis, en partie rappelés par M. Grobet. Ces usages - je vous le rappelle - ne sont ni constants, ni unanimement appréciés. Il arrive qu'il n'y ait pas de préavis suffisamment convergent de cette commission et que nous votions, ici, sur des candidatures plurielles - ce n'est pas la première fois que cela se produit. Il est vrai aussi qu'il y a des usages concernant le tournus, et que l'ancienneté en fait partie. Je voudrais cependant rappeler, concernant le critère d'ancienneté, que ce n'est pas seulement dans le cas exceptionnel où un candidat n'a pas les qualités voulues qu'on ne l'applique pas ! En réalité, le critère de l'ancienneté est aussi primé par le critère de la qualité: lorsque nous avons affaire à une personnalité particulièrement compétente, nous préférons la particulièrement compétente à la particulièrement ancienne.

Mais ici - je vous l'ai dit tout à l'heure - le problème ne se pose pas en ces termes. Il s'agit en fait de savoir comment on considère l'ancienneté. Or, le fait de prendre l'ancienneté uniquement par rapport au matricule du Palais de justice ne me paraît pas totalement convaincant. Il y a une ancienneté du travail en matière judiciaire, qui vaut bien le travail au sein de la magistrature. Dans ces conditions, nous nous retrouvons aussi sur une sorte d'égalité entre les deux candidates.

Je voudrais terminer par un rappel, en réponse aux interventions de MM. les députés Charbonnier et Grobet, s'agissant de la politisation. Je voudrais vous rappeler, Messieurs, que dans la législature précédente, à trois reprises, des candidats qui avaient été présentés par le concert unanime de la commission interpartis n'ont pas été élus par ce Grand Conseil, parce que vous avez préféré mettre des candidatures de traverses sur ces rangs. Et la majorité dont vous disposiez à l'époque vous a permis de le faire à trois reprises !

Je ne sais pas ce que sera le résultat du vote aujourd'hui, mais je peux vous dire que si ce résultat n'était pas celui que vous souhaitiez, la responsabilité de la politisation ne serait pas celle des votants d'aujourd'hui, mais celle de ceux qui ont commencé à politiser il y a quatre ans.

Le président. Nous allons procéder au vote. Je prie les huissiers de bien vouloir distribuer les bulletins de vote. (Les députés remplissent leur bulletin de vote.)

Dans la mesure où je ne suis pas certain que chacun d'entre vous se rappelle s'il est ou non scrutateur, je vais vous donner lecture, pour la bonne forme, de la liste des scrutateurs: pour le groupe libéral, il s'agit de M. Vaucher - qui a beaucoup de travail ce soir; pour le groupe socialiste, M. Roger Deneys - qui ne l'avait pas oublié; pour le groupe Alliance de gauche, Mme Jocelyne Haller; pour le groupe démocrate-chrétien, Mme Anne-Marie von Arx-Vernon; pour le groupe radical, M. Gabriel Barrillier; pour le groupe les Verts, Mme Morgane Gauthier; pour le groupe Union démocratique du centre, M. Jacques Baud.

Je prie maintenant les huissiers de bien vouloir récolter les bulletins. (Les huissiers s'exécutent.)Je déclare le scrutin clos et je prie les scrutateurs de se rendre à la salle Nicolas-Bogueret, accompagnés de Mme Bartl, secrétaire du Bureau. Nous interrompons nos travaux quelques instants en attendant le résultat.

La séance est interrompue à 18h35.

La séance est reprise à 19h04.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je viens vous informer de la situation: une petite controverse a surgi au sujet du premier tour du scrutin. Il a été envisagé de lever la séance pour la reprendre à 19h30, pourtant, la décision qui a été prise est de vous faire patienter encore cinq petites minutes. Nous sommes à bout touchant dans les discussions, soyez donc encore un peu patients. Nous viendrons à vous avec les résultats dans cinq minutes.

La séance est interrompue à 19h05.

La séance est reprise à 19h11.