République et canton de Genève

Grand Conseil

GR 376-A
Rapport de la commission de grâce chargée d'étudier le dossier de Monsieur K. M.

Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG), rapporteuse. M. K. est arrivé à Genève au mois de juillet 2000. Peu de temps après son arrivée comme demandeur d'asile, il est appréhendé par la police dans le quartier de la gare pour avoir revendu trois boulettes de cocaïne qu'il venait de se procurer pour, dit-il, sa consommation personnelle.

Il a été pris en flagrant délit et condamné, au mois d'août 2000, à trente jours d'emprisonnement avec un sursis de trois ans, ainsi qu'à une expulsion ferme du territoire de la Confédération pour une durée de cinq ans. J'ai omis de préciser que M. K.M. a été au bénéfice d'un permis N, permis provisoire pour les requérants d'asile. Ensuite, son permis N a été renouvelé plusieurs fois.

Dès le 1er juin 2001, M. K. a été autorisé par l'office cantonal de la population à travailler pour Hôtelpro, entreprise dans laquelle il travaille toujours. Aucune injonction de quitter le territoire ne lui a été adressée, étant donné que l'on ne met pas à exécution les peines prononcées à l'encontre des demandeurs d'asile. A nouveau, son permis N a été renouvelé.

Le 10 juillet 2003, soit trois ans plus tard, M. K.M. contracte mariage à Genève. Il ne lui a été fait aucune difficulté pour se marier. A cette occasion, il dépose son permis N à l'OCP pour demander une autorisation de séjour. C'est à ce moment-là que l'office cantonal de la population lui signifie qu'il est sous le coup d'une expulsion et qu'il ne peut donc pas bénéficier d'un permis de séjour.

Puisque cette personne s'est mariée entre-temps, qu'elle n'a pas récidivé, et qu'il est impossible pour son épouse d'aller vivre en Afrique, la commission vous propose, à l'unanimité, d'accepter la grâce de l'expulsion.

M. Christian Luscher (L). J'aimerais brièvement intervenir sur deux points et en dépit de l'avis unanime de la commission de grâce. Pour ma part, j'estime que lorsqu'il est question de drogue et, en l'occurrence, de drogue dure, il est toujours extrêmement difficile d'accorder la grâce parce que l'on sait tous les ravages que provoque ce genre de substances sur la population, les jeunes en particulier. De plus, les deux motifs invoqués ne me semblent pas pertinents, parce que, d'une part, le fait que cette personne se soit mariée ne saurait blanchir les faits qu'elle a commis précédemment, ne serait-ce que parce que ce mariage intervient postérieurement à la condamnation. S'il était intervenu avant, on aurait pu se poser la question. Donc, j'estime que ce n'est pas un motif valable.

D'autre part, à supposer que notre Grand Conseil accorde la grâce de la mesure d'expulsion, il s'agirait de notre part d'un simple blanchiment de conscience, pour une raison extrêmement simple: vous savez tous que, même lorsqu'il y a une mesure d'expulsion assortie d'une mesure de sursis accordée par le juge pénal au niveau fédéral et au niveau administratif, il est systématiquement notifié à ces personnes condamnées, même avec une mesure de sursis, des interdictions d'entrée sur le territoire. De sorte que, Mesdames et Messieurs, il ne faut vous faire aucune illusion. A supposer même que nous accordions la grâce de cette mesure d'expulsion et que nous ayons l'impression d'avoir blanchi notre conscience, sachez que, de toute façon, pour des motifs administratifs, cette personne sera, en fin de compte, un jour ou l'autre, expulsée de notre territoire; raison pour laquelle je ne veux pas participer à ce blanchiment de conscience.

Je m'opposerai à ce que la grâce soit accordée à cette personne, nullement pour des raisons qui relèvent des faits en particulier, mais parce que je ne veux pas participer à ce blanchiment de conscience.

M. Rémy Pagani (AdG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, durant ces six dernières années, j'ai été membre de la commission de grâce à trois reprises.

Nous avons eu affaire à des cas de double peine consistant non seulement à punir des gens pour des faits qu'ils ont commis mais, en plus, à les expulser.

Nous nous sommes longuement interrogés quant à cette double peine, et nous avons tranché de manière régulière... En l'occurrence, notre position a été une fois de plus confirmée par la commission de grâce actuelle, qui, je vous le rappelle, est renouvelée chaque année.

Je poursuis: nous avons toujours tranché dans le même sens, à savoir que, s'il y avait des éléments nouveaux, ils devaient être pris en compte, comme par exemple le fait que cette personne se soit mariée et se soit racheté une bonne conduite.

Toujours est-il qu'en la circonstance, comme l'a dit M. Luscher, notre préavis n'est qu'un préavis. En effet, cette personne devra entreprendre une longue procédure qui devra être ratifiée au niveau fédéral - le canton n'ayant qu'un seul mot à dire, puisqu'il appartient, en définitive, à la Confédération de trancher.

Je me rallie à la position unanime de la commission de grâce, parce qu'elle est de politique constante en ce qui concerne ce genre de problématique.

Le président. Je vous propose de ne pas entamer un trop long débat sur cet objet. Sont encore inscrits M. Antoine Droin, M. Christian Luscher et Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz, la rapporteure. Si vous le voulez bien, Madame la rapporteure, je vous donnerai la parole à la fin !

M. Antoine Droin (S). La commission a en effet longuement discuté du problème des double peines. La situation est difficile pour les personnes qui, ayant commis des délits, ont été condamnées à une double peine: peine X avec sursis et une peine d'expulsion.

M. Luscher peut donc voter ce qu'il a envie en son âme et conscience. Nous voterons aussi en notre âme et conscience, mais la commission a étudié la situation de cette personne dans les détails et, à l'unanimité, a décidé d'accorder la grâce.

M. Christian Luscher (L). J'aimerais, sans être docte et en quelques secondes, mettre en évidence une petite confusion de notre collègue Pagani.

La grâce à la mesure d'expulsion ne constitue nullement un préavis qui est notifié aux autorités fédérales ! Cela n'a strictement rien à voir. La grâce à l'expulsion est donnée dans le cadre du jugement pénal infligé à cette personne à Genève.

Au niveau fédéral, il s'agit d'une mesure administrative sans aucun rapport avec la condamnation pénale. Dans 99% des cas de sursis à l'expulsion, lorsqu'un étranger est condamné dans ces conditions, il y a une interdiction d'entrée au niveau administratif. Il faut simplement savoir que, dans neuf cas sur dix, lorsque nous votons soit une grâce à l'expulsion soit un sursis à l'expulsion, la personne devra quitter le territoire. Voilà ce que je voulais dire très brièvement, Monsieur le président !

Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG), rapporteuse. Il me semble que M. Luscher va un petit peu trop loin avec son rachat de conscience. Je vous rappelle les faits: M. K. s'est procuré trois boulettes de cocaïne, qu'il a revendues immédiatement après, faisant un bénéfice de 190 F, somme qui a été saisie, bien évidemment. Depuis lors, rien ne lui a été reproché.

M. K. pensait - on peut en discuter - qu'on ne lui avait infligé qu'une peine d'emprisonnement avec sursis de trois ans. Il ne se doutait pas qu'il faisait aussi l'objet d'une expulsion. C'est la raison pour laquelle, de bonne foi, il a demandé une autorisation de séjour à l'office de l'emploi. En outre, aucune mesure d'expulsion n'a été prise à son encontre. Il pensait sincèrement que sa faute avait été rachetée. En l'occurrence, il faut garder le sens des proportions. Cette personne a été condamnée et a payé sa dette. M. K. vit ici; il est marié; il travaille; il est donc inséré. Je précise que sa femme travaille aussi. Je le répète, il faut savoir garder le sens des proportions.

Le président. Je vous soumets, au moyen du vote électronique, le préavis de la commission, à savoir la grâce de la mesure d'expulsion.

Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce de la mesure d'expulsion) recueille 34 oui, 34 non et 1 abstention.

Le président. Aucune demande de renvoi en commission n'a été formulée... C'est trop tard pour le faire, nous sommes en procédure de vote. Je suis obligé de trancher. Je vote oui. Je suis navré. (Applaudissements.)

Le préavis de la commission (grâce de la mesure d'expulsion) est donc adopté par 35 oui contre 34 non et 1 abstention.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, en l'absence de candidat, je vous signale que le point 11, soit l'élection 1231, est reporté à la prochaine session.